Le gouvernement du Canada a présenté la Loi concernant la stratégie nationale sur le logement (titre abrégé : Loi sur la stratégie nationale sur le logement) en avril 2019 dans le cadre du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures (titre abrégé : Loi no 1 d’exécution du budget de 2019) 1. Par conséquent, la première stratégie nationale du Canada sur le logement, annoncée à l’origine en novembre 2017, s’appuie sur une approche du logement fondée sur les droits de la personne. Selon cette stratégie, le droit au logement est un droit de la personne, et le plan « contribuera à l’atteinte des objectifs en matière de développement durable des Nations Unies, et il reconnaît le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels » 2. Néanmoins, au cours des consultations qui ont mené à l’élaboration cette stratégie, il est rapidement devenu évident que les Canadiens ont des idées différentes quant aux droits qui leur reviennent en matière de logement 3.
Le droit au logement est complexe. Premièrement, il est difficile à définir, car il ne s’agit pas simplement du « droit à un abri ». Deuxièmement, il peut être difficile de séparer le droit au logement des autres droits et libertés, comme le droit à la propriété. En outre, le droit au logement est difficile à faire respecter. Au Canada, le respect de ce droit relève de tous les ordres de gouvernement. Les tiers, tels que les propriétaires, sont également tenus de respecter certains droits en matière de logement.
En outre, il est parfois difficile de savoir qui peut bénéficier du droit au logement. Cela peut dépendre du contexte dans lequel une personne revendique un droit, comme, par exemple, la région où elle vit ou le groupe auquel elle s’identifie. Dans certains cas, il n’est pas clair si les Canadiens peuvent revendiquer un droit au logement en particulier sous le régime du droit national. Cette publication décrit comment le droit au logement des Canadiens est défini et comment on le fait respecter.
L’Organisation des Nations Unies (ONU) a reconnu pour la première fois le droit au logement dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 4. Comme indiqué ci-après, elle a depuis réaffirmé le droit au logement dans sept traités fondamentaux relatifs aux droits de la personne. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 contient la plus large reconnaissance du droit au logement par l’ONU : « le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence » 5.
En outre, 22 pays ont enchâssé, dans leur constitution, le droit au logement justiciable 6. Ils reconnaissent collectivement un éventail de libertés et de droits associés au droit au logement. Alors que bon nombre de ces pays considèrent le logement comme un droit autonome, d’autres le reconnaissent comme faisant partie d’autres droits (p. ex. les droits des enfants) 7. Des pays prévoient des droits spéciaux pour certains groupes de personnes, comme les familles à faible revenu. D’autres accordent le droit à un certain niveau de logement. Par exemple, les Vénézuéliens ont droit à « un logement convenable, sûr, confortable et hygiénique » 8.
Le droit au logement peut donc représenter bien plus qu’un simple toit; la plupart des définitions précisent également que le logement doit être « convenable » (ou « suffisant »). Un logement convenable en est un qui répond aux besoins sociaux, économiques, environnementaux ou culturels.
En outre, le respect du droit au logement peut varier d’une personne à l’autre, selon les circonstances propres à chacune. Par exemple, comme il est précisé ci-dessous, les personnes handicapées peuvent avoir droit à un accès prioritaire aux programmes gouvernementaux en matière de logement.
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR), l’organe conventionnel de l’ONU chargé de surveiller la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, propose deux séries d’observations générales qui définissent la notion d’adéquation en matière de droit au logement en vertu de ce pacte. Ce sont sans doute les définitions les plus largement acceptées 9.
L’Observation générale no 4 de 1991 du CESCR énonce sept caractéristiques du logement suffisant. Les voici :
Le CESCR énonce également que le logement doit être compris dans le contexte des autres droits et libertés. Par exemple, les personnes doivent avoir le droit de participer au processus de prise de décisions en matière de logement, en plus d’avoir le droit à la liberté de résidence ») 11.
En outre, l’Observation générale no 7 du CESCR de 1997 précise que les expulsions forcées constituent une violation flagrante des droits de la personne. Elle permet néanmoins les expulsions forcées si l’État ou des tiers offrent les protections appropriées 12.
Outre le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, six traités fondamentaux de l’ONU relatifs aux droits de la personne comprennent des droits spécifiques en matière de logement qui s’inscrivent dans d’autres droits. Les voici :
Collectivement, ces traités reconnaissent à toute personne le droit à un logement convenable, sans distinction fondée sur le sexe (y compris les femmes des régions rurales), la capacité, la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique. Ils consacrent également le droit de toute personne à la protection contre les « immixtions arbitraires ou illégales » dans son domicile 19.
Certains de ces traités reconnaissent des droits uniques à certains groupes. Par exemple, selon la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, les États parties doivent veiller à ce que les femmes puissent légalement administrer leurs biens et choisir leur propre domicile.
Pour sa part, la Convention relative aux droits de l’enfant oblige les États parties à reconnaître le droit de chaque enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement. Elle énonce que les États parties
adoptent les mesures appropriées […] pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, le vêtement et le logement 20.
La Convention relative aux droits des personnes handicapées exige que les États parties prennent des mesures pour que les personnes handicapées aient un accès égal au logement. Cela comprend l’élimination des obstacles à l’accessibilité 21.
La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille dispose que les États parties doivent veiller à ce que certaines catégories de travailleurs migrants aient un accès égal au « logement, y compris les programmes de logements sociaux, et la protection contre l’exploitation en matière de loyers » 22. Le traité oblige également les États parties à laisser les employeurs créer des logements pour les travailleurs migrants, si ces logements répondent aux normes nationales 23. Il s’agit du seul traité fondamental de l’ONU sur les droits de la personne qui reconnaît les droits en matière de logement auquel le Canada n’est pas partie.
Les traités internationaux relatifs aux droits de la personne n’imposent généralement des obligations qu’aux gouvernements (par opposition aux particuliers ou à d’autres tiers) qui ont ratifié les traités. Les traités sur le droit au logement n’exigent pas des États qu’ils fournissent un logement à l’ensemble de leur population. Cependant, ces traités obligent les gouvernements à prendre des mesures « pour éviter que des personnes se retrouvent sans toit, interdire les expulsions forcées, mettre fin à la discrimination, concentrer l’attention sur les groupes les plus vulnérables et marginalisés et garantir à tous la sécurité d’occupation et un logement convenable » 24.
L’on s’attend des États parties qu’ils assurent progressivement le plein exercice de ces droits. Autrement dit, ils doivent prendre des mesures au fil du temps, au maximum de leurs ressources disponibles, pour s’assurer que toute personne jouisse du droit au logement.
Cette réalisation progressive du droit au logement s’accompagne de certaines exceptions. Nonobstant le manque de ressources, les États parties doivent prendre des mesures immédiates pour protéger leur population contre la discrimination en matière de logement, élaborer des lois et des plans d’action spécifiques, prévenir les expulsions forcées et garantir à toute personne un certain degré de sécurité d’occupation. Les États doivent également s’acquitter immédiatement d’« obligations fondamentales minimales » associées aux droits sociaux, économiques et culturels 25. Néanmoins, il n’existe pas de norme qui soit largement acceptée en matière d’obligations fondamentales minimales; les normes peuvent différer selon les pays ou les personnes qui revendiquent des droits 26.
Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux sont tous responsables du respect des droits internationaux en matière de logement au Canada. Le système juridique du Canada étant dualiste, autant les lois provinciales et territoriales que les lois fédérales doivent être conformes à tout traité international que le gouvernement du Canada ratifie 27. Toutefois, les lois nationales ne consacrent pas les mêmes droits en matière de logement dans tout le pays. Les peuples autochtones peuvent par ailleurs jouir de droits différents en matière de logement. La figure 1 illustre comment les droits internationaux en matière de logement sont réglementés et appliqués au Canada.
Sources : Figure préparée par l’auteur à partir de données tirées de Laura Barnett, Le processus de conclusion des traités au Canada, publication no 2008-45-F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 8 mai 2018; Organisation des Nations Unies, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme; Gouvernement du Canada, Plaintes auprès d’organismes internationaux; et Gouvernement du Canada, Examen périodique universel.
Le droit au logement n’est enchâssé ni dans la Loi constitutionnelle de 1867 28, ni dans la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) 29, la législation suprême du Canada en matière de droits de la personne. Toutefois, la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) interdit la discrimination dans les domaines de l’emploi et des services de compétence fédérale, y compris le logement 30.
De plus, ainsi qu’il a été précisé précédemment, la Loi sur la stratégie nationale du logement reconnaît le droit au logement à titre de droit de la personne. En effet, selon cette stratégie, la politique du gouvernement du Canada en matière de logement
Cette loi exige également du gouvernement fédéral qu’il maintienne une stratégie nationale sur le logement, et ce, « à la lumière de principes clés d’une approche du logement fondée sur les droits de la personne », entre autres considérations 32.
De plus, la Loi sur la stratégie nationale sur le logement crée le poste de défenseur fédéral du logement et constitue le Conseil national du logement dans le but de faire avancer la politique en matière de logement et la Stratégie nationale sur le logement. Collectivement, ces deux entités ont notamment pour mandat de surveiller la mise en œuvre de la Stratégie nationale sur le logement; de consulter les intervenants; d’étudier les problèmes systémiques, y compris en constituant une commission d’examen chargée de tenir des audiences; et de conseiller le ministre désigné quant aux problèmes systémiques qui relèvent de la compétence du Parlement. Le ministre désigné doit répondre à tout rapport qu’il reçoit du défenseur fédéral du logement et de la commission d’examen. Il doit également faire état au Parlement, tous les trois ans, de l’efficacité de la Stratégie nationale sur le logement.
Outre ces mesures, la Stratégie nationale sur le logement prévoit un financement pour la construction, la rénovation ou la réparation de logements; des ressources pour les fournisseurs de logements communautaires; et un soutien à la recherche sur le logement 33.
Les codes provinciaux et territoriaux des droits de la personne s’appliquent généralement aux organisations, aux entreprises et aux organismes sans but lucratif réglementés par une province ou un territoire, aux gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi qu’aux administrations municipales.
Aucune province ni aucun territoire du Canada n’inscrit le logement en tant que droit en lui-même dans son code des droits de la personne ou dans d’autres lois. Cependant, tous les codes provinciaux et territoriaux des droits de la personne comprennent des protections contre le refus d’hébergement ou la discrimination en matière de logement. Ils prévoient également tous des programmes spéciaux qui visent à réduire les inégalités, notamment des programmes de logement. Certains codes des droits de la personne prévoient des protections contre les expulsions forcées.
Les protections précises diffèrent en fonction du code. L’annexe de la présente publication énumère les droits en matière de logement pertinents dans les codes provinciaux et territoriaux des droits de la personne. De plus, les provinces et les territoires ont, en grand nombre, adopté d’autres lois et règlements liés au logement, comme le contrôle des loyers. Toutefois, ces mesures sont habituellement présentées comme des questions de politique générale et non comme des éléments faisant partie du droit au logement.
Les provinces et les territoires peuvent également accorder aux municipalités le pouvoir d’entreprendre des initiatives qui peuvent avoir une incidence sur le droit au logement des résidents. L’autorité municipale sur l’utilisation de certains lieux publics en est un exemple.
Les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont tous une histoire et des relations uniques avec la Couronne 34. Par conséquent, certains peuples autochtones revendiquent certains droits en matière de logement en invoquant leurs droits inhérents et collectifs (appelés « droits ancestraux ») ou les traités ou ententes qu’ils ont conclus avec la Couronne (« droits issus de traités ») 35. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et affirme les droits autochtones et issus de traités. Dans la pratique, cependant, les peuples autochtones ne jouissent pas toujours des droits en matière de logement qu’ils ont revendiqués.
Les droits ancestraux découlent de l’occupation et de l’utilisation de la terre par les peuples autochtones et de leurs ordres sociaux créés avant l’arrivée des Européens. Les droits ancestraux font partie intégrante des pratiques et des traditions qui influencent la culture des différents groupes et diffèrent selon celle-ci, mais la plupart ont trait aux terres, aux ressources, à la culture ou à la gouvernance 36. Par exemple, en 2006, la Cour suprême du Canada a reconnu le droit des Autochtones de récolter du bois sur les terres de la Couronne pour construire une maison 37.
De nombreux peuples autochtones détiennent également des droits issus de traités. Les droits issus de traités sont des droits énoncés dans les quelque 95 traités historiques et ententes modernes sur des revendications territoriales signés entre divers groupes de peuples autochtones et la Couronne depuis 1701 38. Les droits précis varient selon le traité ou l’entente.
De nombreux groupes qui représentent les peuples autochtones soutiennent depuis longtemps que le gouvernement fédéral a la responsabilité constitutionnelle de fournir un logement en tant que droit ancestral ou issu de traités 39. Ces revendications de droits varient considérablement. Pour certains, le respect des droits en matière de logement pourrait signifier que le gouvernement doit financer entièrement le logement pour les peuples autochtones; pour d’autres, cela pourrait signifier l’octroi de subventions garanties pour la construction de logis dans les réserves dans le cadre d’un programme de logement géré par une bande 40.
Divers gouvernements, tant autochtones que fédéral, provinciaux et territoriaux, offrent des programmes de logement visant expressément les peuples autochtones 41. Toutefois, le gouvernement fédéral affirme qu’il offre ces programmes de logement pour des raisons associées à des questions de politique générale et non en raison des droits ancestraux ou issus de traités 42.
De plus, de nombreux groupes des Premières Nations affirment que le gouvernement fédéral n’a pas respecté l’esprit et l’intention des « traités numérotés », une série de traités territoriaux couvrant de vastes régions du Canada. Par exemple, certaines Premières Nations affirment que le gouvernement fédéral a pris des engagements en matière de logement au cours des négociations verbales de traités, au cours desquelles toutes les parties se sont fiées à des traducteurs pour assurer l’exactitude. Toutefois, ces engagements en matière de logement n’ont jamais été reflétés dans les textes écrits des traités, que le gouvernement du Canada a toujours considérés comme l’unique version valide 43. Le gouvernement fédéral est d’avis qu’il s’est acquitté de ses obligations découlant des traités.
Certains Inuits affirment que la prestation par le Canada de services de logement dans les réserves des Premières Nations en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 devrait également s’appliquer aux Inuits 44. Dans les années 1950 et 1960, le gouvernement du Canada a encouragé les Inuits à déménager vers des établissements permanents dans le Haut-Arctique, une stratégie liée au plan d’Ottawa visant à offrir des services sociaux et une éducation aux Inuits et à « offrir des logements à très bas loyers » 45. Les maisons étaient de mauvaise qualité et ont contribué à l’apparition de graves problèmes de santé, comme la propagation de la tuberculose. Certains Inuits soutiennent qu’ils ont été réinstallés en ayant « la ferme conviction que le gouvernement fédéral fournirait le logement nécessaire » 46.
Les membres des Premières Nations vivant dans les réserves ne bénéficient de la protection de la LCDP que depuis 2008, même si cette dernière a été promulguée en 1977. Ainsi, ils peuvent maintenant porter plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne au sujet de la discrimination dont ils peuvent faire l’objet au moment d’accéder à des services fédéraux, y compris dans le domaine du logement » 47.
Les protections prévues par la LCDP s’appliquent aux logements fournis dans le cadre de programmes fédéraux ciblés pour les peuples autochtones. Elles s’appliquent également aux logements administrés par un gouvernement des Premières Nations ou un conseil de bande. Néanmoins, les protections en matière de logement prévues par les lois provinciales sur les droits de la personne ne s’appliquent généralement pas dans les réserves des Premières Nations parce que les terres mises de côté pour ces réserves relèvent de la compétence fédérale 48.
Au niveau international, l’article 21 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) proclame que « les peuples autochtones ont le droit, sans discrimination d’aucune sorte, à l’amélioration de leur situation économique et sociale, notamment dans les domaines […] du logement » 49. L’article 23 précise ce qui suit : « En particulier, ils ont le droit d’être activement associés à l’élaboration et à la définition des programmes de santé, de logement et d’autres programmes économiques et sociaux les concernant, et, autant que possible, de les administrer par l’intermédiaire de leurs propres institutions » 50. La DNUDPA n’est pas contraignante, mais le gouvernement du Canada a déclaré qu’il appuie pleinement, et « sans réserve », la déclaration 51. Ainsi, la DNUDPA peut éclairer les lois fédérales et provinciales et guider les décisions des tribunaux canadiens.
Les droits de la personne ne sont utiles que s’il existe des moyens de les protéger et de les faire respecter. Le système judiciaire canadien est le principal moyen dont dispose le pays pour protéger le droit au logement. L’ONU dispose d’autres outils de conformité dont les particuliers et les États peuvent se servir, mais ces outils ne lient pas les États.
Lorsque le droit canadien – en particulier la Charte – n’est pas clair, il est attendu des juges qu’ils l’interprètent à la lumière des traités internationaux et des obligations internationales en tant que « sources persuasives ». Toutefois, les tribunaux canadiens n’ont pas toujours tenu compte des droits en matière de logement contenus dans les traités internationaux au moment de statuer sur des affaires nationales liées au droit au logement 52.
La Charte ne consacre pas explicitement le droit au logement, mais quelques Canadiens ont soutenu que certaines dispositions comprennent le droit au logement. Dans des affaires récentes, les juges ont statué que l’article 7 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne) comprend des droits spécifiques en matière de logement.
Dans les affaires Victoria (City) v. Adams (2008) et Abbotsford (City) v. Shantz (2015), la Cour suprême de la Colombie-Britannique s’est penchée sur le droit des villes de fermer les refuges temporaires érigés dans des parcs publics par des sans-abri. Dans les deux cas, le tribunal a tenu compte, entre autres, des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne au moment d’interpréter l’article 7 de la Charte. Dans les deux cas également, le tribunal a décidé que la fermeture des refuges temporaires violait de façon injustifiée les droits des occupants prévus à l’article 7, principalement parce qu’aucun autre refuge n’était disponible 53.
Dans deux affaires très semblables, British Columbia v. Adamson (avril 2016) et British Columbia v. Adamson (juillet 2016), la Cour suprême de la Colombie-Britannique devait trancher sur le droit de la province de donner des avis d’intrusion aux personnes qui avaient établi un campement temporaire sur le terrain du palais de justice 54. Dans l’affaire d’avril 2016, le juge a statué que l’absence d’autres refuges pour les occupants du camp justifiait leur séjour dans ce camp. Dans l’affaire de juillet 2016, le juge a déterminé que le même camp n’était plus sécuritaire. Il a décidé que les occupants devaient quitter le camp, mais seulement une fois que la province aurait fourni d’autres refuges pour répondre aux besoins de ses résidents 55.
Selon chacune de ces décisions, les Canadiens jouiraient d’un droit au logement limité et « négatif » 56. Les droits « négatifs » en matière de logement protègent les personnes contre certaines violations de leur droit au logement. Cependant, aucune de ces affaires ne traite directement de l’existence de droits « positifs » en matière de logement. Les droits positifs en matière de logement obligent les gouvernements à fournir activement un logement ou des services liés au logement. La Rapporteuse spéciale de l’ONU sur le logement convenable (voir la section suivante) soutient que les tribunaux doivent faire respecter les droits « négatifs » et « positifs » garantis par les traités internationaux relatifs au logement » 57.
Les tribunaux canadiens se sont penchés sur cette distinction dans l’affaire Tanudjaja v. Canada (Attorney General) (2014) 58. Les demandeurs devant la Cour d’appel de l’Ontario ont soutenu que des régimes provinciaux et fédéraux inadéquats de logement social violaient leurs droits en matière de logement prévus aux articles 7 et 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 et dans les normes internationales relatives aux droits. Entre autres recours, ils ont demandé une ordonnance judiciaire obligeant le Canada et l’Ontario à élaborer des stratégies de logement convenable et de lutte contre l’itinérance. Essentiellement, cela exigerait que le tribunal interprète la Charte de manière à inclure les droits positifs en matière de logement.
La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel à l’étape des plaidoiries. La majorité a déclaré, entre autres, que cette forme de politique économique générale n’était pas justiciable. La majorité considérait que les revendications de droits positifs étaient trop complexes et politiques pour le système judiciaire. Selon l’opinion minoritaire, il était trop tôt pour rejeter l’appel; la minorité soutenait que d’autres causes servaient de précédent pour reconnaître les obligations positives entourant les droits sociaux et économiques en vertu de la Charte. La Cour suprême du Canada a rejeté l’appel des demandeurs 59.
La décision dans l’affaire Tanudjaja donne à penser que les tribunaux ne sont pas susceptibles de reconnaître l’existence de droits positifs en matière de logement en vertu de la Charte. Toutefois, les décisions dans les affaires Adams et Shantz ainsi que les deux décisions dans les affaires Adamson ont reconnu certains droits négatifs en matière de logement lorsque la province ne disposait pas d’un logement convenable. Il semble donc qu’il soit parfois possible de remédier juridiquement aux violations du droit au logement par une action gouvernementale positive. Cela ne consiste pas à reconnaître un droit positif au logement, mais on laisse ainsi une certaine zone grise pour les futures affaires liées au droit au logement.
L’ONU a également mis en place des mécanismes pour protéger et promouvoir le droit au logement. Il s’agit notamment des procédures spéciales, de deux procédures de plainte et de l’Examen périodique universel.
Le Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations Unies est un organe du système de l’ONU composé de 47 États. Il vise à protéger et à promouvoir les droits de la personne dans le monde entier. Le CDH dispose de mécanismes appelés « procédures spéciales » pour surveiller et renforcer les droits de la personne. Les titulaires de mandats au titre des procédures spéciales sont des experts des droits de la personne dans un domaine spécifique. Il peut s’agir de particuliers – appelés « rapporteurs spéciaux » ou « experts indépendants » – ou de groupes de travail composés de cinq membres. Ils travaillent indépendamment de l’ONU, mais font rapport chaque année au CDH 60.
Le titulaire du mandat du rapporteur spécial sur le logement convenable a pour mandat de promouvoir le logement en tant que droit de la personne. Pour s’acquitter de ce mandat, le rapporteur spécial effectue des visites dans les pays, sensibilise le public, élabore des normes relatives au droit au logement et conseille l’ONU et ses États membres, entre autres tâches. Les recommandations du rapporteur spécial ne lient pas les États. Toutefois, le rapporteur spécial peut cerner les domaines de préoccupation et aider les États à faire respecter le droit au logement.
Le rapporteur spécial peut également adresser une lettre, appelée « communication », aux gouvernements qui ont violé, violent ou sont susceptibles de violer le droit au logement. Dans cette lettre, il énonce les violations en matière de logement et peut demander la prise de mesures de suivi. Le rapporteur spécial sur le logement convenable a adressé trois communications au gouvernement du Canada. Ces communications portaient sur les conditions de vie des peuples autochtones au Canada (2016) 61, sur le bilan du Canada en matière d’itinérance (2017) 62 et sur la stratégie nationale proposée en matière de logement (2018) 63.
L’ONU prévoit également deux moyens pour permettre aux particuliers de déposer une plainte s’ils estiment que l’État a violé leurs droits : la procédure de plainte individuelle énoncée dans les traités de l’ONU relatifs aux droits de la personne (« plaintes des organes conventionnels ») et la procédure de plainte du CDH 64. Ni l’une ni l’autre de ces procédures ne peut être utilisée tant que les recours internes n’ont pas été épuisés.
Quiconque estime que l’État a violé les droits fondamentaux que lui reconnaissent les traités de l’ONU peut déposer une plainte confidentielle auprès de l’organe conventionnel compétent, comme le CESCR. L’État concerné doit avoir ratifié le traité et son protocole facultatif, duquel découle la procédure de plainte. Si les droits du plaignant ont été violés, l’organe conventionnel peut adresser des recommandations non contraignantes à l’État. La procédure de plainte des organes conventionnels peut être utilisée en cas de violations alléguées du droit au logement ou de violations alléguées d’autres droits fondamentaux dans le domaine du logement (p. ex. le droit de vivre sans discrimination en matière de logement).
En outre, les particuliers, les groupes ou les organisations non gouvernementales peuvent déposer des plaintes confidentielles auprès du CDH s’ils estiment que l’État a commis des violations flagrantes des droits de la personne de manière continuelle. Un exemple de violation flagrante est l’expulsion massive d’une population en situation minoritaire. Le pays concerné n’a pas besoin d’avoir ratifié un traité de l’ONU pour faire l’objet d’une plainte relative aux droits. La procédure de plainte du CDH ne vise pas à demander réparation ou à indemniser les victimes individuelles. Toutefois, le CDH peut recommander à l’État de coopérer, de tenir un dialogue et de fournir une assistance technique.
Tous les quatre ans et demi, chaque État membre de l’ONU « fait l’objet d’un examen qui prend la forme d’une discussion interactive à laquelle participent les représentants des États, les membres du groupe de travail du CDH ainsi que les autres États membres des Nations Unies » 65. Les participants peuvent soulever des questions et faire des recommandations au sujet du bilan de l’État en matière de droits de la personne. Cet Examen périodique universel ne lie pas le gouvernement. Toutefois, le CDH peut prendre des mesures dans le cas des États qui persistent à ne pas coopérer 66.
Au cours de l’Examen périodique universel de 2018 concernant le Canada, les intervenants et les États membres ont formulé des recommandations sur la façon dont le Canada s’acquitte de ses obligations internationales en matière de droit au logement 67. Dans sa réponse, le Canada a appuyé toutes les recommandations relatives au logement, sauf trois – lesquelles concernaient toutes l’adoption de dispositions législatives à l’égard d’un droit fondamental au logement ou la reconnaissance d’un tel droit – qu’il a acceptées « en partie » ou pris en note 68.
La reconnaissance et le respect des droits exigent l’adoption de lois et la mise en place d’outils de conformité. À l’heure actuelle, les Canadiens jouissent de certains droits en matière de logement, lesquels découlent du droit international, des codes fédéral, provinciaux et territoriaux des droits de la personne et des lois relatives au logement que ces entités ont adoptées, ainsi que des traités et ententes avec les peuples autochtones. En sa qualité d’État partie à sept traités fondamentaux sur les droits de la personne qui portent notamment sur le logement, le Canada est censé mettre progressivement en œuvre les droits en matière de logement (c.-à-d. au fil du temps et au maximum des ressources dont il dispose).
Les tribunaux et les commissions des droits de la personne du Canada tiennent compte des droits enchâssés dans les lois nationales. Au cours des dernières années, les tribunaux ont également interprété la Charte – parfois à la lumière de traités internationaux – pour protéger certains droits en matière de logement dans l’optique de la sécurité de la personne (art. 7). Si d’autres causes relatives au droit au logement sont portées devant les tribunaux, les « obligations fondamentales minimales » que le Canada doit respecter en matière de droit international au logement pourraient devenir plus claires.
Les outils de conformité à l’échelle de l’ONU ne lient certes pas les États, mais ils ont un pouvoir moral. Les détenteurs de droits nationaux, les experts internationaux et d’autres États peuvent utiliser ces outils pour s’assurer que les gouvernements au Canada respectent les droits en matière de logement conformément aux normes prévues dans le droit international.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
Les mesures de protection contre les expulsions forcées comprennent les suivantes :
Les États parties doivent veiller à ce que les lois sur les expulsions précisent à quel moment les expulsions forcées sont autorisées. Ils doivent également prendre des mesures appropriées pour protéger les personnes touchées par les expulsions forcées contre l’itinérance ou la vulnérabilité. Voir ONU, « Annexe IV : Observation générale no 7 (1997) – Le droit à un logement suffisant (art. 11, par. 1 du Pacte) : expulsions forcées », Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Rapport sur les seizième et dix septième sessions (28 avril 16 mai 1997, 17 novembre 5 décembre 1997), Supplément no 2, document de l’ONU E/1998/22, paragr. 2 et 10 à 16, p. 115 à 121.
[ Retour au texte ]Province ou territoire | Code des droits de la personne | Droits en matière de logement |
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C.-B. | Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, ch. 210 |
|
Alb. | Alberta Human Rights Act (542 Ko, 28 pages), R.S.A. 2000, ch. A 25.5 |
|
Sask. | Code des droits de la personne de la Saskatchewan de 2018 (290 Ko, 28 pages), S.S. 2018, ch. S 24.2 |
|
Man. | Code des droits de la personne, C.P.L.M. ch. H175 |
|
Ont. | Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19 |
|
Qc | Charte des droits et libertés de la personne (280 Ko, 30 pages), C.Q.L.R., ch. C-12 |
|
N.-B. | Loi sur les droits de la personne, L.R.N. B. 2011, ch. 171 |
|
Î.-P.-É. | Human Rights Act (650 Ko, 19 pages), R.S.P.E.I. 1988, ch. H-12 |
|
N.-É. | Loi sur les droits de la personne (180 Ko, 17 pages), L.R. 1989, ch. 214 |
|
T.-N.-L. | Human Rights Act, 2010, S.N.L. 2010, ch. H-13.1 |
|
Yn | Loi sur les droits de la personne (210 Ko, 19 pages), L.R.Y. 2002, ch. 116 |
|
T.N.-O. | Loi sur les droits de la personne (170 Ko, 43 pages), L.T.N. O. 2002, ch. 18 |
|
Nt | Codification administrative de la Loi sur les droits de la personne (80 Ko, 28 pages), L.Nun. 2003, ch. 12 |
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Source: Tableau préparé par l’auteur à partir de l’information contenue dans les lois provinciales et territoriales pertinentes.
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