La présente publication a été préparée dans le cadre d’une série visant à appuyer les parlementaires au commencement de la 43e législature.
Un réchauffement climatique sans précédent a été observé au cours des dernières décennies. Partout dans le monde, les températures moyennes de l’air et de l’eau ont augmenté, les quantités de neige et de glace ont diminué et il y a eu une hausse du niveau de la mer. Le Canada ne fait pas exception : notre température moyenne a connu une hausse deux fois plus importante que celle de la température moyenne dans le monde.
Le réchauffement du climat aura vraisemblablement des effets à court et à long terme sur la vie des gens. De nombreux aspects de notre société sont régis, dans une certaine mesure, par le climat. Ici, au Canada, les changements climatiques sont susceptibles d’avoir une incidence sur la santé humaine, les droits de la personne, la migration, la sécurité alimentaire, l’économie, l’emploi, la sécurité nationale et le transport.
Les institutions politiques, sociales et économiques n’auront d’autre choix que de s’adapter aux perturbations sociales provoquées par les changements climatiques, mais elles pourront également trouver des manières de tirer profit de nouvelles possibilités. Pour ce faire, il sera cependant primordial de tenir compte des changements climatiques dans la planification des politiques publiques.
Les scientifiques ont observé un réchauffement climatique sans précédent au cours des dernières décennies. Partout dans le monde, les températures moyennes de l’air et de l’eau ont augmenté, les quantités de neige et de glace ont diminué et il y a eu une hausse du niveau de la mer 1.
Au Canada, les effets des changements climatiques ont été particulièrement marqués. En effet, les augmentations de la température moyenne au Canada sont environ le double des augmentations de la température moyenne mondiale, et la hausse de la température dans l’Arctique canadien a été encore plus fulgurante 2. Les données révèlent qu’au cours des dernières décennies, il y a eu plus de journées extrêmement chaudes et moins de journées extrêmement froides qu’il y a 70 ans 3. Les quantités de précipitations pourraient augmenter 4. Les scientifiques ont observé une hausse de la température moyenne de l’eau et de la hauteur des vagues dans les océans canadiens, de même que le réchauffement du pergélisol et la fonte de la calotte glaciaire dans l’Arctique canadien 5.
En 2016, les pays ont convenu de prendre des mesures afin de maintenir la hausse des températures de la planète sous la barre des 1,5 °C à 2 °C au-dessus des niveaux enregistrés avant la période industrielle. Cette cible vise à atténuer les risques et les répercussions associés aux changements climatiques. Conformément à cet engagement, le Canada a mis en œuvre le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, qui comprend des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atténuer les répercussions des changements climatiques au pays 6.
Malgré ces efforts, il est évident que les changements climatiques auront des effets à court et à long terme sur la vie des gens 7. Le climat influence de nombreux aspects de notre société, notamment la production agricole, la prévalence de certaines maladies et la conception des édifices et des infrastructures. Au fil du temps, les changements climatiques pourraient également perturber les conditions sanitaires, sociales et économiques 8.
Face à ces perturbations, nos institutions politiques, sociales et économiques doivent faire preuve de résilience et être en mesure de s’adapter. Pour ce faire, elles doivent reconnaître les obstacles à l’adaptation et les éliminer : les lois, les règlements et les politiques publiques qui pourraient nous empêcher, dans le futur, d’adopter des approches stratégiques en matière d’adaptation 9. En intégrant dès maintenant les changements climatiques dans la planification des politiques publiques, nous veillons à ce que nos institutions et nos citoyens soient prêts à affronter les défis qu’apporteront les changements climatiques à l’avenir 10, mais également à tirer profit des nouvelles possibilités qui en résulteront 11.
Le présent document porte sur les répercussions des changements climatiques à l’égard de huit aspects de notre société : la santé, les droits de la personne, la migration, la sécurité alimentaire, l’économie, l’emploi, la sécurité nationale et le transport. Dans chaque cas, on aborde les répercussions des changements climatiques sur les êtres humains et sur les politiques publiques, dans l’optique d’aider les parlementaires canadiens à tenir compte des changements climatiques dans le cadre de leurs délibérations.
Les changements climatiques se caractérisent par une hausse de la température mondiale, une hausse du niveau de la mer et une modification des régimes de précipitations, de même que par une augmentation de la fréquence des événements météorologiques extrêmes, comme les vagues de chaleur, les inondations, les incendies et les épisodes de sécheresse . Chacun de ces phénomènes météorologiques peut, directement ou indirectement, avoir une incidence sur la santé humaine, et aura des répercussions dans toutes les régions du monde, y compris au Canada. On s’attend à ce que les changements climatiques nuisent principalement à la santé des populations pauvres et vulnérables, particulièrement dans les pays à revenu faible et modéré 13 et, dans certains cas, à ce qu’ils aient des effets différents sur la santé selon qu’on soit un homme ou une femme 14. Au Canada, il est à prévoir que les modes de vie des collectivités nordiques et des Autochtones seront touchés de manière disproportionnée par les changements climatiques 15.
Les maladies infectieuses à transmission vectorielle sont des maladies infectieuses transmises par l’intermédiaire d’un autre organisme, souvent un insecte. La hausse des températures moyennes élargit les zones géographiques où les insectes vivent généralement et peut prolonger la période de reproduction d’un insecte. Ainsi, toute maladie transmise par l’insecte commencera à apparaître dans des régions qui n’étaient pas touchées auparavant et la transmission se fera pendant de plus longues périodes au cours de l’année. Par exemple, on peut s’attendre à ce que l’incidence de la malaria et de la dengue, deux maladies transmises par des moustiques, de même que celle de l’encéphalite à tiques, connaissent une hausse dans certaines régions du monde 16.
Au Canada, la maladie de Lyme (transmise par les tiques) et le virus du Nil occidental (transmis par les moustiques) sont apparus récemment, à la suite du réchauffement du climat dans le sud du pays. La surveillance des cas de virus du Nil occidental chez l’humain a commencé en 2002. Selon les données préliminaires pour 2018, 427 cas de virus du Nil occidental ont été signalés, ce qui représente le deuxième plus grand nombre de cas depuis 2007 17. La surveillance des cas de maladie de Lyme a commencé en 2009, année au cours de laquelle 144 cas ont été signalés; depuis, le nombre de cas a augmenté de façon constante. De 2016 à 2017, les cas signalés de la maladie de Lyme ont plus que doublé, passant de 992 à 2 025 18, et les régions où des cas d’infection sont répertoriés se sont élargies 19.
Les maladies infectieuses d’origine hydrique sont des maladies causées par des agents infectieux présents dans l’eau (p. ex. le choléra et la dysenterie). Les conditions météorologiques extrêmes peuvent causer des ondes de tempête, des inondations et des dommages aux infrastructures (ce qui peut entraîner la contamination des sources d’approvisionnement en eau), et les périodes de sécheresse peuvent faire en sorte que les gens se tournent vers des sources d’eau insalubre 20.
Dans les collectivités du nord du Canada, la fonte du pergélisol pourrait libérer des agents pathogènes d’origine hydrique inconnus, ce qui pourrait avoir une incidence sur l’approvisionnement en eau et en produits alimentaires 21.
On prévoit qu’il y aura une hausse des cas de stress thermique, de coups de chaleur et de maladies cardiovasculaires et respiratoires en raison de l’augmentation des gaz à effet de serre (GES), de même qu’une augmentation des polluants atmosphériques et des niveaux d’ozone en raison de la hausse des températures et des températures extrêmes, ce qui provoquera des vagues de chaleur, des épisodes de sécheresse et des incendies de forêt 22. De 2010 à 2016, la pollution de l’air ambiant a augmenté dans 70 % des villes du monde 23. L’Organisation mondiale de la santé estime que la pollution atmosphérique cause chaque année près de 4,2 millions de décès prématurés dans le monde en raison de troubles cardiovasculaires et respiratoires 24. Le nombre élevé de décès observés pendant les vagues de chaleur indique qu’il y a un lien direct entre l’exposition à la chaleur et les effets négatifs sur la santé 25.
On prévoit que les changements climatiques se traduiront par un stress thermique accru chez les personnes qui habitent dans les régions du sud du Canada, et ce, en raison de la hausse des températures et du nombre croissant de vagues de chaleur 26, mais également par une aggravation des maladies cardiovasculaires et respiratoires en raison de la mauvaise qualité de l’air qui découle des incendies de forêt 27.
La hausse des températures et les phénomènes météorologiques extrêmes entraînent une baisse des rendements agricoles, ce qui se traduit à la fois par de l’insécurité alimentaire et par une détérioration de la qualité des aliments. Les récoltes de riz et de maïs pourraient diminuer de jusqu’à 40 % d’ici la fin du siècle en raison de la hausse des températures 28. De plus, on prévoit que les inondations permanentes et la salinisation du sol obligeront des populations à se déplacer à l’intérieur des terres et entraîneront la perte de terres agricoles dans les basses terres côtières, qui sont vulnérables à l’augmentation du niveau de la mer 29.
Les pays à revenu faible et modéré sont les plus vulnérables face à ces enjeux, mais les collectivités côtières et nordiques du Canada sont elles aussi menacées. Dans le Canada atlantique, les risques associés à l’augmentation du niveau de la mer sont accrus en raison de l’affaissement du sol 30. Sur la côte Pacifique du Canada, on s’attend à ce que la hausse des températures ait des effets négatifs sur le secteur de la pêche, plus particulièrement sur les populations de saumon 31. Les températures augmentent plus rapidement dans le nord du Canada que dans le reste du pays, ce qui a entraîné le dégel du pergélisol, des changements dans la migration des animaux et de mauvaises saisons de chasse et de pêche pour la nourriture traditionnelle 32.
Les conséquences des changements climatiques peuvent provoquer des maladies mentales à court et à long terme. Les problèmes de santé mentionnés précédemment, de même que les déplacements attribuables à l’insécurité alimentaire, à la diminution ou à la perte des moyens de subsistance en raison d’épisodes de sécheresse, d’inondations ou de pertes matérielles découlant de phénomènes météorologiques extrêmes, sont susceptibles de s’accompagner de troubles de santé mentale comme les traumatismes, l’anxiété, la dépression et le stress 33.
La population autochtone du Canada peut présenter un risque plus marqué de troubles de santé mentale en raison de l’incidence des changements climatiques sur la culture et le bien-être social. Les peuples autochtones ont l’habitude de s’adapter aux changements qui surviennent dans l’environnement, mais les changements climatiques ont accentué le caractère imprévisible de l’environnement et ont rendu le savoir autochtone moins fiable 34.
En 1972, la communauté internationale s’est réunie à Stockholm à l’occasion de la première conférence mondiale sur l’environnement 35. La déclaration qui en a résulté reconnaissait que l’être humain a le pouvoir de transformer son environnement et que s’il le fait « abusivement ou inconsidérément », cela peut compromettre les droits fondamentaux de la personne, dont le droit à la vie 36.
Près de 50 ans plus tard, nous comprenons mieux les répercussions des changements climatiques sur les droits de la personne. En 2015, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a indiqué qu’à l’avenir, certains des droits les plus touchés par les changements climatiques seront ceux qui concernent le droit à la vie, l’autodétermination, le développement, l’alimentation, l’eau, l’hygiène, la santé, le logement, l’éducation et la participation véritable et éclairée. Le HCDH a également souligné que les changements climatiques toucheront de façon disproportionnée divers droits de certains groupes comme les Autochtones, les femmes, les travailleurs des régions rurales, les personnes handicapées, les enfants et les générations futures 37.
On estime que les changements climatiques sont déjà à l’origine de 400 000 décès prématurés chaque année, principalement attribuables à l’aggravation de la faim et à l’augmentation des taux d’infections qui résultent de maladies transmissibles dans les pays en développement 38. Au Canada, les changements climatiques ont des répercussions importantes sur de nombreuses collectivités autochtones et d’autres collectivités, notamment en raison de l’augmentation du nombre d’incendies de forêt, de la diminution de l’eau de surface dans les lacs et rivières, de l’appauvrissement des ressources et de la diminution des populations animales sur lesquelles reposent les activités traditionnelles comme la chasse, la pêche et la cueillette d’aliments et de plantes médicinales 39. On s’attend à ce que le Canada se heurte à des défis plus importants au fil du temps, y compris en ce qui concerne la qualité de l’air, des aliments et de l’eau 40.
Tous s’entendent pour dire que les changements climatiques sont susceptibles de perturber l’exercice complet d’une panoplie de droits de la personne. Ce qui est moins clair, toutefois, c’est la manière dont les gouvernements doivent y réagir. L’Accord de Paris de 2015 exhortait tous les pays à « respecter, promouvoir et prendre en considération » leurs obligations en ce qui a trait, notamment, aux droits de la personne dans la lutte contre les changements climatiques 41. De manière peut être plus marquée encore, cinq organes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) responsables des traités sur les droits de la personne ont souligné, dans une déclaration commune publiée en 2019, que le fait de ne pas prévenir les répercussions prévisibles des changements climatiques sur les droits de la personne pourrait constituer une violation des obligations juridiques internationales existantes 42. Au Canada, les tribunaux peuvent invoquer de telles obligations pour interpréter les lois canadiennes 43.
La Constitution canadienne, contrairement à celle de nombreux autres pays, ne mentionne pas explicitement le droit à un environnement sain et sûr 44. On s’attend néanmoins à ce que toute une gamme de droits solidement établis au Canada, qui reposent sur des obligations internationales en matière de droits de la personne, soit touchée par les changements climatiques. La présente section porte sur trois de ces groupes de droits : les droits à la vie et à la sécurité; la non-discrimination et les droits des enfants; ainsi que les droits ancestraux et issus de traités 45.
Les droits de chaque personne à la vie et à la sécurité sont reconnus dans des traités internationaux fondamentaux en matière de droits de la personne 46, de même qu’à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés 47. Les changements climatiques menacent l’exercice de ces droits, notamment en raison de l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes, des périodes de grand froid et de chaleur intense, des pénuries alimentaires et de la dégradation de la qualité de l’air.
À l’échelle internationale, les droits de chaque personne à la vie et à la sécurité ont été le fondement de revendications auprès des gouvernements en matière de changements climatiques. Le premier exemple d’une telle revendication couronnée de succès s’est produit aux Pays-Bas en 2015, lorsque la Cour de district de La Haye a ordonné au gouvernement néerlandais de réduire les émissions de GES de 25 % d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990 48. En 2019, la Cour suprême des Pays Bas a confirmé qu’il s’agissait de la mesure minimale requise à la lumière du consensus scientifique international, des droits fondamentaux de la personne (dont le droit à la vie) et de différents principes néerlandais de droit constitutionnel et civil.
Au Canada, il n’est pas clairement établi que le droit à la vie et le droit à la sécurité pourraient obliger le gouvernement à fixer des cibles ou à adopter des politiques particulières en matière de changements climatiques. Jusqu’à maintenant, l’article 7 de la Charte a essentiellement été interprété en tant qu’article qui sert à protéger les personnes contre les actions du gouvernement, plutôt qu’en tant qu’article qui crée l’obligation d’agir pour les gouvernements.
Des juristes ont toutefois soutenu que cette interprétation pourrait changer si, par exemple, un gouvernement établissait une norme qui permet des niveaux d’émissions dangereux au point où il pourrait être démontré qu’ils entraînent manifestement un risque accru de décès, d’effets néfastes sur la santé ou de stress psychologique grave 49. Cela représenterait un important changement dans l’interprétation de la Charte, mais la Cour d’appel fédérale a récemment réitéré que l’article 7 n’est pas immuable, en mentionnant plus précisément que le droit à la vie et le droit à la sécurité pourraient un jour évoluer de manière à inclure les droits climatiques (entre autres possibilités) si des circonstances spéciales le justifiaient 50.
Bref, tous les efforts déployés par le Canada pour atténuer les changements climatiques et s’y adapter doivent respecter le droit à la vie et le droit à la sécurité protégés par la Constitution. Le Canada a par ailleurs l’obligation juridique internationale de promouvoir le respect universel des droits de la personne, ce qui comprend le droit à la vie et le droit à la sécurité des personnes à l’étranger 51.
Dans le même ordre d’idées, le droit à une réelle égalité juridique, exempte de discrimination, est reconnu dans des traités internationaux fondamentaux en matière de droits de la personne 52, tout comme dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et à l’article 15 de la Charte. Ces droits sont pertinents parce qu’on s’attend généralement à ce que les changements climatiques imposent les fardeaux les plus importants aux populations vulnérables qui ont le moins contribué au problème 53. Plus particulièrement, dans le cadre de plusieurs affaires juridiques dans le monde, il a été soutenu que les politiques qui retardent la prise de mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques imposent implicitement des coûts aux enfants et aux générations futures, et que ces politiques sont donc discriminatoires 54.
Les générations futures ne sont généralement pas reconnues en vertu des lois canadiennes 55, mais les enfants bénéficient des droits à l’égalité et d’une panoplie de protections additionnelles, notamment le principe juridique selon lequel les lois et les décisions qui les concernent doivent tenir compte de leur intérêt supérieur en priorité 56.
Toutefois, comme pour les droits prévus à l’article 7 de la Charte, il n’a pas été établi clairement que les droits à l’égalité et à la non discrimination pourraient obliger le gouvernement à fixer des cibles ou à adopter des politiques particulières en matière de changements climatiques. Les tribunaux ont statué que pour qu’il y ait discrimination, la loi doit établir une distinction entre différents groupes, de manière à imposer un désavantage à un groupe par rapport à un autre. Dans ce contexte, les lois discriminatoires ne sauraient se limiter aux lois écrites. De fait, la Cour suprême du Canada a souligné qu’il faut « très bien saisir » la façon dont est défini le mot « loi » à l’article 15 de la Charte, ajoutant qu’une « définition plus large » était requise 57. Par exemple, une loi qui serait simplement trop limitative (comme lorsque les lois sur les droits de la personne ne prévoient pas de protections fondées sur l’orientation sexuelle) pourrait être discriminatoire 58.
Certains juristes estiment qu’il faudrait élargir l’interprétation de l’article 15 de la Charte. Ils allèguent que les droits à l’égalité englobent essentiellement toute inaction de la part du gouvernement, ce qui signifie que le gouvernement est légalement responsable non seulement des lacunes de la législation qui ont des effets discriminatoires, mais également de l’absence de loi ou de programme si l’effet est discriminatoire 59.
L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît les droits ancestraux et issus de traités. Des droits qui se chevauchent et qui sont potentiellement plus étendus sont également reconnus par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que le Canada a signée et appuyée, mais qu’il n’a pas entièrement mise en œuvre dans sa législation. La nature et la portée précises des droits ancestraux et issus de traités varient également entre les différentes Premières Nations, de même qu’entre les Inuits et les Métis, en fonction, par exemple, des différentes pratiques, coutumes et traditions historiques, des différentes dispositions des traités applicables, ou de l’absence de traité lorsqu’aucun traité n’a été signé.
De manière générale, il faut certes tenir compte de ces différences, mais les changements climatiques ont une incidence sur l’exercice des droits ancestraux et issus de traités, plus particulièrement en ce qui concerne les droits qui reposent sur des pratiques traditionnelles d’utilisation des terres. Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que ces droits requièrent souvent une protection du gouvernement pour éviter la dégradation de l’environnement. Par exemple, dans le contexte des droits de pêche des Autochtones et du caractère constitutionnel d’un régime gouvernemental de délivrance de permis, la Cour suprême du Canada a observé que « l’exercice du droit en question dépend de la survie de ces ressources 60 ». Par conséquent, dans la mesure où les ressources sont menacées par les changements climatiques, l’exercice des droits ancestraux et issus de traités pourrait être menacé lui aussi.
Les répercussions des changements climatiques sur l’exercice des droits ancestraux et issus de traités ont plusieurs conséquences pour le Canada. Par exemple, la Couronne a l’obligation procédurale de consulter les groupes autochtones pertinents et de trouver des accommodements à leurs intérêts sur les terres où ils détiennent des titres. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada, « le niveau de consultation et d’accommodement nécessaire est proportionnel […] à la gravité de l’incidence négative que la mesure gouvernementale proposée aurait 61 ». Les actions du gouvernement qui ont une incidence sur le climat pourraient donc nécessiter des consultations et des accommodements plus importants au fur et à mesure que ces effets s’accentueront au fil du temps.
De plus, l’incidence sur les droits ancestraux et issus de traités pourrait être un facteur dans les différends relatifs aux champs de compétence qui opposent le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Au Canada, la Couronne a certaines obligations fiduciaires à l’égard des peuples autochtones, qu’elle soit représentée par le gouvernement fédéral ou un gouvernement provincial. La Cour suprême du Canada a affirmé que « toute division que la Couronne s’est imposée à elle même, comme la Couronne fédérale et la Couronne provinciale, est interne », ce qui suggère que ces divisions de pouvoir ne peuvent être invoquées pour justifier le non-respect des obligations de la Couronne 62. Ce point de vue a été soulevé dans le contexte des changements climatiques par la Première Nation Athabasca Chipewyan et par d’autres intervenants devant les cours d’appel de la Saskatchewan et de l’Ontario afin de soutenir la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre du gouvernement fédéral. Ces arguments ont été pris en considération par les deux tribunaux, mais ils n’ont pas été retenus ni rejetés. Ils pourraient donc être invoqués à nouveau dans de futures affaires 63.
Les changements climatiques ont une incidence sur l’exercice d’une panoplie de droits de la personne à l’échelle internationale dont bon nombre ont force exécutoire au Canada. Comme pour toutes les mesures gouvernementales, les efforts que le gouvernement déploie pour atténuer les changements climatiques ou s’y adapter doivent respecter les normes associées aux droits de la personne, particulièrement ceux qui ont un statut constitutionnel. Il s’agit notamment des droits dont traite la présente section, de même que de nombreux autres droits comme la liberté d’expression et de rassemblement pacifique, la liberté de la presse, la liberté de circulation, les droits à l’égalité pour les personnes handicapées et le droit à une réparation convenable lorsque des droits ont été bafoués.
Il y a un mouvement international qui prend de l’ampleur et qui vise à remettre en question, en se fondant sur les droits de la personne, l’action ou l’inaction gouvernementale en matière de changements climatiques, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes pour des gouvernements de partout dans le monde 64. Comme il a été mentionné précédemment, la Cour de district de La Haye a ordonné, en 2015, au gouvernement néerlandais de réduire les émissions de GES en invoquant le droit à la vie 65. Des poursuites semblables, qui en sont à différentes étapes, ont été intentées contre les États-Unis, la France, l’Allemagne et plusieurs autres pays 66. En juillet 2019, la Cour supérieure du Québec a rejeté une demande d’autorisation pour exercer une action collective en invoquant l’incapacité de définir de manière non arbitraire les membres du groupe représenté 67. Parallèlement, la Cour a rejeté l’argument selon lequel les questions soulevées étaient de nature trop politique pour être réglées par un tribunal.
En octobre 2019, 15 jeunes militants de partout au Canada ont déposé une plainte contre le gouvernement fédéral en invoquant les articles 7 et 15 de la Charte, dans le but d’obliger l’adoption d’un plan de lutte contre les changements climatiques conforme à l’équité mondiale, compatible avec un climat stable et ayant force exécutoire 68. Cette affaire pourrait avoir des conséquences importantes pour les futurs litiges liés aux changements climatiques au Canada.
Bien qu’elles dépassent la portée de la présente section, il convient néanmoins de faire mention des autres obligations du Canada en matière de respect et de promotion des droits de la personne à l’étranger 69, notamment celle qui consiste à prendre des mesures appropriées pour empêcher les atteintes aux droits de la personne et lorsque de telles atteintes se produisent, à enquêter à leur sujet, à les réparer et à en punir les auteurs (qu’il s’agisse de personnes ou d’entreprises) 70. Tout comme les gouvernements, les entreprises font l’objet d’une panoplie de nouvelles poursuites, dans le cadre desquelles les demandeurs soutiennent notamment qu’elles sont responsables de leur contribution aux dommages causés par les changements climatiques, et d’autres poursuites que dans le cadre desquelles les demandeurs cherchent à obtenir des ordonnances pour obliger les entreprises à réduire les émissions associées à leurs activités 71. Peu importe l’issue de ces affaires, il est évident que les changements climatiques ont toute une gamme de répercussions sur les droits de la personne. Nous pouvons d’ailleurs nous attendre à ce que ces répercussions prennent de l’ampleur.
Soixante-huit ans après sa création, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a enregistré le plus grand nombre à ce jour de personnes déplacées en raison de la persécution, de conflits ou de la violence généralisée. En 2018, environ 70,8 millions de personnes dans le monde ont été déplacées de force, que ce soit à l’intérieur de leur propre pays (41,3 millions) ou en franchissant des frontières internationales en tant que demandeurs d’asile (3,5 millions) et réfugiés (25,9 millions) 72. Ces données ne brossent toutefois qu’un tableau partiel de la situation actuelle des migrations. Comme l’a indiqué le chef du HCR, Filippo Grandi, en octobre 2019, « le chevauchement des facteurs de plus en plus complexes qui provoquent les déplacements (que ce soit les conflits alimentés par les différences ethniques, l’effondrement des écosystèmes ou les catastrophes d’origine météorologiques) » fait en sorte que l’on observe des flux hétérogènes de migrants 73.
Depuis plus de trois décennies 74, de nombreux efforts sont déployés pour étudier et documenter si les changements climatiques et les catastrophes environnementales poussent des populations à migrer et, dans l’affirmative, dans quelle mesure et pour quelles raisons 75. Bien que des gens migrent notamment pour des motifs liés à l’environnement, on ne connaît pas avec exactitude l’ampleur du phénomène.
Selon les estimations, le nombre de personnes qui seront forcées de se déplacer d’ici 2050 en raison des changements climatiques varie de 25 millions à un milliard [76]. Le nombre qui revient le plus fréquemment serait 200 millions de réfugiés climatiques d’ici 2050 [77]. Il a aussi été estimé que les changements climatiques exposent à un risque extrême de 500 à 600 millions de personnes (environ 10 % de la population mondiale) [78]. Il est difficile d’avancer des chiffres exacts en raison de nombreuses hypothèses interdépendantes sur lesquelles ils s’appuient, y compris celles concernant la croissance démographique et économique mondiale future, le moment où se produiront les phénomènes climatiques, leurs répercussions et la nature des changements climatiques qui pousseront des populations à fuir 79.
Cette compréhension inadéquate de la migration liée à l’environnement peut poser différents défis, à l’échelle tant nationale qu’internationale. Un de ces défis est associé au « manque général de préparation », qui peut mener à des « réponses ad hoc », particulièrement dans le cas des déplacements de masse 80. Un processus consultatif mené par les États intitulé l’Initiative Nansen a révélé que ces défis sont causés par un manque de connaissances et de données, ainsi que des lacunes juridiques, institutionnelles, opérationnelles et de financement de certaines administrations 81.
La section qui suit vise à donner un aperçu de la migration liée à l’environnement et traite des différentes réalités vécues par les personnes qui sont déplacées à l’intérieur de leur propre pays ou qui doivent traverser une frontière internationale. Ce type de migration présentera à la fois des défis à relever et des occasions à saisir pour les pays, dont le Canada, que nous explorerons plus en détail dans cette section.
De nombreux éléments de la vie peuvent être influencés indirectement par des « facteurs de stress liés au climat qui ont une incidence sur les moyens de subsistance, la santé et la sécurité » des gens, mais il est difficile d’invoquer l’environnement ou le climat comme seul motif de déplacement 82. Certains déplacements de populations résultent directement de phénomènes météorologiques extrêmes ou de la hausse du niveau de la mer et de la salinisation du sol, qui rendent certaines régions inhabitables 83. Dans ces cas, lorsque leur domicile est détruit à la suite d’une catastrophe naturelle, les gens sont souvent forcés, de façon temporaire ou permanente, de se déplacer à l’intérieur de leur pays ou de franchir une frontière pour trouver refuge dans un autre pays. Dans d’autres cas, il n’est pas aussi facile d’établir un lien entre les motifs de déplacement et les phénomènes environnementaux. Par exemple, il est difficile de déterminer dans quelle proportion les personnes migrent de manière volontaire ou préventive 84 (motivées en très grande majorité par des occasions d’emploi et par la réunification familiale 85) en tenant compte de phénomènes environnementaux.
Les habitants des États les moins développés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, de même que ceux des petites îles de faible altitude, sont les plus susceptibles de se déplacer en raison de phénomènes environnementaux 86. Dans bon nombre de pays situés dans ces régions, où l’approvisionnement en biens de première nécessité (comme la nourriture, l’eau et les abris) est limité, les facteurs de stress liés au climat peuvent entraîner de l’instabilité, exacerber les problèmes et nuire à la gouvernance efficace 87. Par exemple, la crise prolongée de l’eau au Yémen, jumelée au conflit en cours, a mené à l’une des plus importantes crises humanitaires du début du XXIe siècle 88.
L’Observatoire des situations de déplacement interne (OSDI) du Conseil norvégien pour les réfugiés (Norwegian Refugee Council) a signalé qu’en 2018, 1 600 catastrophes, principalement liées aux conditions météorologiques, ont provoqué 17,2 millions de nouveaux déplacements dans plus de 140 pays. Les Philippines, la Chine et l’Inde représentaient environ 60 % de l’ensemble de ces nouveaux déplacements en 2018 89.
Dans de nombreux pays, des gens vivent dans des régions où les risques de catastrophes sont élevés. Cette « exposition extrême des gens et des biens » accentue la vulnérabilité, ce qui « contribue de manière marquée à empêcher les gens de retourner chez eux et de se remettre des conséquences des catastrophes » 90. Les personnes en situation de vulnérabilité, comme les enfants, les femmes et les aînés,
sont généralement moins en mesure de composer avec les dangers ou les chocs et d’intervenir face à ceux-ci en raison de leur situation désavantageuse : socialement en raison de leur marginalisation; économiquement parce qu’elles sont plus pauvres; et politiquement en raison de leur manque d’indépendance et de pouvoir décisionnel, ainsi qu’en raison de leur sous-représentation 91.
La force dévastatrice des catastrophes naturelles peut varier d’une année à l’autre. Comme le montre la figure 1, pendant les dix années au cours desquelles l’OSDI a répertorié les catastrophes qui ont entraîné des déplacements, il y a eu des événements de très petite envergure, mais également des événements de très grande envergure qui ont provoqué le déplacement de millions de personnes chaque année. En moyenne, il y a eu 26,5 millions de nouveaux déplacements par année 92.
Source : Figure préparée par les auteurs à partir de données tirées de Observatoire des situations de déplacements internes, Global Internal Displacement Database, données de 2018 [DISPONIBLE EN ANGLAIS SEULEMENT].
Des 17,2 millions de nouveaux déplacements dans le monde en 2018, à peine environ 19 000 concernaient des Canadiens 93, qui ont été déplacés temporairement à l’intérieur de leur pays en raison de catastrophes météorologiques (comme des inondations 94, des incendies de forêt 95 ou des températures extrêmes) ou de catastrophes géophysiques (comme des tremblements de terre) 96. Selon les données obtenues de Services aux Autochtones Canada, les Autochtones vivant dans les réserves des Premières Nations sont touchés de façon disproportionnée. Les données reçues ne sont pas tout à fait comparables à celles pour l’année 2018, mais elles indiquent qu’il y a eu environ 14 800 membres des Premières Nations évacués d’avril 2017 à mars 2018, et environ 10 500 d’avril 2018 à mars 2019 97. La figure 2 donne un aperçu des types de catastrophes naturelles qui ont entraîné le déplacement de Canadiens en 2018.
Note : Un mouvement de masses est une quantité de débris (comme de la terre, de la neige ou de la glace) qui se déplace sous l’effet de la gravité. Les mouvements de masses humides désignent les glissements de terrain causés par des pluies abondantes, les avalanches et la dégradation du pergélisol, tandis que les mouvements de masses sèches désignent l’érosion du sol et les chutes de pierres.
Source : Figure préparée par les auteurs à partir de données tirées de Observatoire des situations de déplacements internes, « 2018 internal displacement figures by country » et « Disaster-related new displacements by event in 2018 », Global Internal Displacement Database, données de 2018 [DISPONIBLE EN ANGLAIS SEULEMENT].
Le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et territoriaux, de même que les collectivités locales et autochtones 98, sont responsables de la gestion des urgences afin de protéger la santé et la sécurité des Canadiens, ainsi que de veiller au rétablissement complet de leurs collectivités après une catastrophe naturelle 99. Par exemple, en vertu du Cadre de sécurité civile pour le Canada 100, le gouvernement fédéral assure la coordination des activités en matière de sécurité civile dans l’ensemble du Canada et offre du soutien lorsque les gouvernements provinciaux et territoriaux en font la demande, puisque ce sont eux qui sont responsables de la sécurité civile sur leur territoire respectif 101.
De nombreuses collectivités autochtones du Canada sont particulièrement vulnérables en raison des défis importants qu’elles doivent relever pour gérer les catastrophes et se rétablir par la suite. Cette vulnérabilité s’explique en partie par des conditions socio-économiques défavorables (comparativement à celles qui prévalent dans les grandes collectivités urbaines), par l’emplacement géographique éloigné et par la fréquence à laquelle ces catastrophes surviennent 102. Les situations d’urgence les plus fréquentes dans ces collectivités sont les inondations, les incendies et les défaillances d’infrastructures à la suite d’une catastrophe naturelle 103. Dans certains cas, des catastrophes se produisent fréquemment. Par exemple, au cours des dix dernières années, la Première Nation de Kashechewan, dans le nord de l’Ontario, a connu de graves inondations printanières qui ont nécessité l’évacuation de la collectivité à de multiples reprises. Ces catastrophes récurrentes ont causé des dommages importants et ont entraîné d’importants coûts pour la collectivité, ce qui a poussé ses dirigeants à signer une entente avec le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral en vue de déplacer la collectivité 104.
Le déplacement de citoyens et de résidents permanents à l’intérieur du Canada est régi par le principe de la liberté de circulation énoncé à l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés. Comme il est précisé dans la section précédente, d’autres droits peuvent être pertinents dans le contexte de la migration, notamment le droit à la vie et à la sécurité (énoncé à l’art. 7 de la Charte) ainsi que les droits ancestraux et issus de traités (reconnus à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982).
Les personnes qui franchissent une frontière internationale pour demander l’asile en raison d’un événement lié à une catastrophe naturelle ou aux changements climatiques ne sont généralement pas considérées comme des réfugiés selon l’actuel régime international de protection des réfugiés 105. Tout comme le droit international en matière de droits de la personne, le droit moderne relatif aux réfugiés trouve son origine dans les conséquences de la Deuxième Guerre mondiale et dans les crises des réfugiés de l’entre-deux-guerres. Le droit international relatif aux réfugiés a pour objectif premier d’offrir une protection aux personnes forcées de fuir leur foyer et qui ne peuvent ou ne veulent pas retourner dans leur pays parce qu’elles « [craignent] avec raison d’être persécutée du fait de [leur] race, de [leur] religion, de [leur] nationalité, de [leur] appartenance à un certain groupe social ou de [leurs] opinions politiques 106 ». Dans le cas des personnes qui franchissent des frontières en raison de phénomènes liés à l’environnement, il est très difficile de cerner « une “crainte fondée de persécution” comme l’exige la Convention 107 ». Élargir la définition de « réfugié » aux termes de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Convention sur les réfugiés) et de son Protocole facultatif de 1967 relatif au statut des réfugiés (Protocole facultatif) n’est pas une solution recommandée 108 parce que cela pourrait entraîner une « dilution des protections existantes 109 ». Comme il n’y a pas de statut juridique spécifique pour les personnes qui franchissent une frontière internationale en raison de phénomènes liés à l’environnement, nous ne disposons pas de statistiques globales à leur sujet 110. Ces migrants sont souvent associés à la catégorie de la migration économique 111.
La Nouvelle-Zélande est l’un des rares pays, jusqu’à maintenant, à avoir statué sur des demandes d’asile liées à des phénomènes environnementaux. Au cours des vingt dernières années en Nouvelle-Zélande, il y a eu huit affaires dans le cadre desquelles des personnes provenant d’États insulaires composés d’îles basses touchés par les changements climatiques ont demandé l’asile en invoquant des motifs environnementaux (comme la hausse du niveau de la mer, des inondations, l’érosion des côtes et la salinisation de la nappe phréatique). Dans tous les cas, les tribunaux de la Nouvelle-Zélande ont statué qu’il n’y avait aucun motif d’octroi de l’asile en vertu de la Convention sur les réfugiés et de son protocole facultatif 112. Dans la décision la plus récente, rendue en juillet 2015, à l’égard d’une demande d’appel rejetée devant la Cour suprême de la Nouvelle-Zélande, cette dernière a confirmé la décision des tribunaux inférieurs selon laquelle le demandeur ne serait pas confronté à un « préjudice grave » s’il retournait à Kiribati. La Cour a indiqué que « rien ne prouve que le gouvernement de Kiribati ne prend pas de mesures pour protéger ses citoyens des effets de la dégradation de l’environnement dans la mesure du possible 113 ».
La Cour suprême de la Nouvelle-Zélande a toutefois noté que sa décision « ne signifiait pas que la dégradation de l’environnement résultant des changements climatiques ou d’autres catastrophes naturelles ne constituerait jamais un moyen de se prévaloir des dispositions de la Convention sur les réfugiés ou des lois sur les personnes à protéger 114 ». La Cour a également indiqué que sa décision dans cette affaire précise ne devait pas écarter la possibilité d’octroyer l’asile dans un cas approprié de demande d’asile pour des motifs associés aux changements climatiques 115.
À la suite de la décision de la Nouvelle-Zélande et de son expulsion, le demandeur, M. Teitiota, a déposé une plainte devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies responsable de surveiller le respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP) par les États parties. Selon lui, « en le déportant, la Nouvelle Zélande a enfreint son droit à la vie » étant donné que Kiribati n’était plus habitable en raison des changements climatiques et de la hausse du niveau de la mer 116. Le Comité a maintenu la décision de la Nouvelle-Zélande parce qu’il a jugé que Kiribati avait mis en place des mesures suffisantes pour protéger ses citoyens, mais il a tout de même établi « de nouvelles normes afin de favoriser le succès de futures demandes d’asile liées aux changements climatiques 117 ». Dans sa décision non exécutoire, le Comité a indiqué qu’en renvoyant une personne dans un pays où les changements climatiques peuvent constituer une menace pour sa vie, il y a un risque de violer les droits dont jouit cette personne en vertu du PIRDCP. Le Comité a ajouté que les demandeurs d’asile ne sont pas tenus de prouver qu’ils seraient confrontés à un préjudice immédiat attribuable à un phénomène climatique s’ils étaient expulsés vers leur pays d’origine. Le Comité a soutenu que les phénomènes climatiques peuvent se produire subitement ou au fil du temps, dans le cadre de processus à évolution lente (comme la hausse du niveau de la mer), et que les deux situations peuvent pousser des gens à chercher refuge ailleurs. Le Comité a également souligné que la communauté internationale doit venir en aide aux pays qui subissent les conséquences négatives des changements climatiques 118.
Aucun État n’a accordé l’asile à des personnes touchées par des événements liés à une catastrophe naturelle ou aux changements climatiques dans leur pays d’origine, mais des pays ont accueilli ces personnes à l’intérieur de leurs frontières ou, du moins, ne les ont pas renvoyées chez elles. Le Canada est l’un de ces pays : à la suite du tremblement de terre à Haïti en 2010 et de celui au Népal en 2015, il a accueilli des personnes touchées et il a temporairement permis aux citoyens de ces pays qui se trouvaient déjà au Canada d’y rester 119.
En 2010, le gouvernement du Canada a accéléré le traitement des demandes d’immigration d’Haïtiens qui avaient de la famille au Canada 120 et les Haïtiens qui se trouvaient déjà au Canada temporairement ont été autorisés à prolonger leur séjour 121. Après un an, le Canada avait accueilli 3 600 Haïtiens en tant que résidents permanents et il avait accordé des autorisations temporaires à plus de 3 000 autres Haïtiens pour qu’ils puissent être admis au pays. Il avait permis la réunification de plus de 2 500 familles et facilité la réunion de 203 enfants haïtiens avec leur famille d’adoption au Canada 122. Il convient de noter que les décideurs de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui ont examiné les demandes d’asile présentées par des Haïtiens à l’époque, ont également tenu compte des répercussions du tremblement de terre 123. En 2015, le gouvernement du Canada a « [traité] en priorité les demandes d’immigration déjà en cours des personnes qui ont été fortement et personnellement touchées par le séisme au Népal 124 ». Le gouvernement fédéral a également étudié des demandes de prolongation de séjour de citoyens népalais qui se trouvaient temporairement au Canada.
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la principale loi canadienne relative aux réfugiés) ne prévoit pas l’admission de personnes déplacées pour des raisons directement liées à une catastrophe naturelle ou aux changements climatiques. Selon une déclaration publiée par le bureau du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté en juin 2019, le gouvernement du Canada prend « au cas par cas » les décisions relatives à la réinstallation de personnes potentiellement touchées par les changements climatiques . Pour que le Canada accueille des personnes déplacées pour des raisons environnementales, il faudrait d’abord que le gouvernement fédéral décide d’accorder une protection à ce type de migrants. Des changements législatifs ne seraient pas nécessairement requis; des modifications aux directives relatives aux politiques d’intérêt public ou des modifications de la réglementation pourraient suffire 126.
En ce qui concerne les changements climatiques, l’Accord de Paris de 2015 demande aux pays parties à la Convention de
respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’Homme, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes en situation vulnérable et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations 127.
Cette approche exhaustive en matière de droits se retrouve aussi dans d’autres efforts internationaux pour réduire les inégalités et vulnérabilités, notamment les Objectifs de développement durable du Programme des Nations Unies pour le développement. L’objectif 13 exhorte tous les États membres de l’ONU à « prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions 128 ». Dans les documents internationaux qui portent précisément sur la migration, comme le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières et le Pacte mondial pour les réfugiés, un certain nombre d’objectifs 129 sont également énoncés pour exhorter les États, par exemple, à « lutter contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d’origine 130 ».
En raison de la tendance à l’urbanisation à l’échelle mondiale, l’OSDI prédit que « l’exposition des gens aux catastrophes et leur vulnérabilité face à ces dernières, ainsi que les déplacements qu’elles provoquent, devraient continuer à prendre de l’ampleur 131 ». C’est pour cette raison que l’on se préoccupe de plus en plus des répercussions des catastrophes naturelles et des changements climatiques sur les vagues de déplacements nationales et internationales. C’est particulièrement vrai pour le HCR, parce que la majorité des personnes qui relèvent de son mandat de protection
se concentre dans les zones les plus vulnérables dans le monde. Le changement climatique réduira les populations à une pauvreté et à des déplacements croissants, exacerbant les facteurs de conflit et rendant les besoins humanitaires et les réponses à ces situations encore plus complexes . 132.
Cette situation pourrait poser des défis majeurs de protection en ce qui concerne les déplacements, la migration et la réinstallation. L’absence d’un cadre juridique international qui reflète les réalités actuelles en matière de déplacements liés à l’environnement, cependant, n’empêche pas la mise en place de politiques locales, nationales et internationales pour protéger les personnes qui sont forcées de se déplacer en raison des changements climatiques 133.
Outre les conflits armés, les changements climatiques sont l’une des principales causes de l’insécurité alimentaire dans le monde 134. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) définit la sécurité alimentaire comme une « [s]ituation dans laquelle chacun a, à tout moment, un accès matériel, social et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive de nature à satisfaire ses besoins et préférences alimentaires et peut ainsi mener une vie saine et active 135 ».
En 2018, l’un des principaux indicateurs de l’insécurité alimentaire, la sous alimentation, a touché quelque 821 millions de personnes dans le monde, soit 10,8 % de la population mondiale. Une baisse de la prévalence de la sous alimentation, de 14,5 % en 2005 à 10,6 % en 2015, a été suivie d’une augmentation progressive du nombre de personnes souffrant de sous-alimentation au cours des trois années suivantes 136. Comme l’explique la FAO :
La variabilité du climat et les extrêmes climatiques figurent, en effet, parmi les principaux facteurs à l’origine de la récente recrudescence de la faim dans le monde et sont l’une des causes principales des graves crises alimentaires. La nature nouvelle de la variabilité du climat et des extrêmes climatiques a une incidence sur toutes les dimensions de la sécurité alimentaire (disponibilité, accès, utilisation et stabilité) 137.
La hausse des températures, la modification des régimes de précipitations et la fréquence croissante des phénomènes climatiques extrêmes ont déjà des répercussions sur la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale 138. Différentes projections indiquent que les changements climatiques entraîneront une baisse de la productivité des cultures, de l’élevage, de l’aquaculture et des pêches 139.
Le réchauffement de notre climat a déjà une incidence sur certains types de cultures, car les insectes nuisibles font désormais leur apparition plus tôt qu’auparavant. Par exemple, de nos jours, aux États-Unis, la cicadelle de la pomme de terre se manifeste en moyenne 10 jours plus tôt que dans les années 1950, ce qui se traduit par des pertes annuelles de plusieurs millions de dollars 140. Les changements climatiques pourraient également entraîner une hausse des pertes attribuables aux maladies 141 et perturber le synchronisme de la relation entre la plante (ou l’arbre fruitier) et ses pollinisateurs 142. La propagation et la compétitivité accrues des herbes nuisibles envahissantes, attribuables à l’augmentation des concentrations de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, constituent un autre problème majeur 143. Enfin, l’augmentation du niveau de la mer accroît les risques d’inondation ainsi que la salinité des terres agricoles qui se trouvent au niveau de la mer ou près de celui ci 144.
Les changements climatiques peuvent également nuire à la production de bétail. Les sécheresses risquent de faire diminuer la production de fourrage pour le bétail et de céréales pour la volaille 145. Une chaleur intense peut provoquer un stress thermique chez le bétail et réduire sa capacité reproductive 146. Pour ce qui est de l’industrie laitière, des chercheurs ont constaté que la chaleur pouvait entraîner une perte de lait qui équivaut à 5,5 kilogrammes par jour et par vache 147. En outre, la mortalité animale entraînée par la chaleur extrême est un phénomène bien documenté. Par exemple, au Québec, « la perte d’au moins 500 000 volailles en juillet 2002, malgré l’utilisation de systèmes de ventilation modernes, témoigne du danger que peuvent poser les vagues de chaleur 148 ». Des vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses sont susceptibles d’augmenter la mortalité animale à l’avenir 149.
Les effets des changements climatiques sur les pêches et l’aquaculture sont de mieux en mieux documentés. La désoxygénation et l’acidification des océans, causées par le réchauffement des eaux de surface, risquent de perturber de nombreuses espèces de poissons et d’organismes marins. Une baisse des niveaux d’oxygène disponible est particulièrement néfaste pour les espèces qui ne tolèrent pas l’hypoxie (c’est-à-dire un apport d’oxygène insuffisant aux tissus corporels), comme le thon 150. Par ailleurs, l’augmentation de l’acidité des océans a un effet considérable sur la capacité de certains mollusques et coraux à former leur coquille ou leur carapace 151.
Dans les lacs et rivières, les poissons d’eau douce et les salmonidés sont particulièrement sensibles au niveau et au débit de l’eau. La baisse du niveau de l’eau dans les rivières peut nuire à la capacité de reproduction de certaines espèces de poissons, dans la mesure où elle limite les zones de frai et perturbe le processus naturel de migration des œufs vers les plaines inondables 152.
En ce qui concerne l’aquaculture, les changements climatiques augmentent le risque de maladies ainsi que la prolifération des algues et des parasites dans les sites de production. En période de sécheresse, l’aquaculture pourrait entrer en concurrence avec d’autres industries, dont l’agriculture, pour s’approvisionner en eau douce 153.
De façon générale, les pays développés ne ressentent pas autant les effets des changements climatiques que les pays en développement et disposent des ressources financières nécessaires pour s’y adapter. Selon la FAO, « le changement climatique pourrait donc aggraver les inégalités existantes et creuser encore l’écart entre pays développés et pays en développement 154 ».
Par exemple, dans les régions équatoriales, où se trouvent la plupart des pays en développement, on peut s’attendre à une baisse du rendement de certaines des cultures les plus répandues (blé, riz et maïs 155), ainsi qu’à une diminution des stocks de poissons. À des latitudes plus élevées, une hausse des températures pourrait plutôt prolonger la saison de croissance et créer de nouvelles zones agricoles. Il est probable que de nombreuses espèces de poissons migreront vers ces régions en raison du réchauffement des océans 156.
Au Canada, les changements climatiques risquent d’exacerber l’insécurité alimentaire actuelle des populations autochtones et des collectivités du Nord. Les changements climatiques pourraient compromettre la consommation d’aliments traditionnels et entraver des activités telles que la chasse, la pêche et la cueillette, qui jouent un rôle important dans l’alimentation, la culture et le mode de vie de ces collectivités 157. Bien qu’il soit probable que les collectivités autochtones et nordiques puissent bénéficier de températures plus clémentes pour développer de nouvelles possibilités en agriculture, il est incertain que cela soit suffisant pour compenser l’incidence des changements climatiques sur leur système alimentaire 158.
Il convient de noter que l’insécurité alimentaire touche davantage les femmes que les hommes. Actuellement, l’insécurité alimentaire grave – qui correspond au fait de passer au moins une journée complète sans manger au cours d’une année donnée – est légèrement plus prévalente chez les femmes que chez les hommes à l’échelle mondiale. En Amérique latine, où l’écart est le plus important, 10 % des femmes connaissent une grave insécurité alimentaire, contre 8,3 % des hommes 159. Dans les pays en développement, en particulier dans les régions rurales qui dépendent de l’agriculture de subsistance, les femmes sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques. Elles contrôlent un moins grand nombre de terres que les hommes, et celles qu’elles contrôlent sont souvent de moins bonne qualité. Elles ont également un accès plus limité au crédit et aux intrants modernes dont elles auraient besoin pour s’adapter aux changements climatiques (engrais, semences améliorées, outils mécanisés) 160.
Toute perturbation de la production agricole aura assurément des conséquences économiques considérables tant pour les producteurs (baisse des revenus et des investissements) que pour les consommateurs, plus particulièrement ceux à faible revenu (augmentation et fluctuation du prix des aliments). Les changements climatiques auront vraisemblablement des répercussions sur l’économie et le commerce mondiaux 161.
La réduction de l’insécurité alimentaire dans le monde – qui figure au nombre des objectifs de développement durable de l’ONU – repose en grande partie sur la capacité des pays à s’adapter aux changements climatiques à court, moyen et long terme. Pour éradiquer la faim, la FAO recommande d’adopter une approche intégrée fondée sur le renforcement des partenariats, la coopération dans le contexte du commerce, le développement d’une agriculture durable et la lutte contre les changements climatiques162.
Selon la Banque du Canada, les changements climatiques constituent l’un des principaux risques qui pèsent sur l’économie canadienne 163. Les risques de nature économique associés aux changements climatiques sont qualifiés de risques physiques découlant des phénomènes météorologiques extrêmes et de risques transitoires liés au passage vers une économie mondiale à faibles émissions de carbone 164.
Les catastrophes naturelles, dont la fréquence et la gravité s’accroissent en raison des changements climatiques, sont à la fois coûteuses et imprévisibles, et peuvent présenter des risques physiques directs pour l’économie. En 2018, les conditions météorologiques extrêmes ont causé des dommages s’élevant à 2 milliards de dollars au Canada 165. En outre, en raison de la fréquence croissante de ces événements, les coûts qui y sont associés ont augmenté d’environ 400 millions de dollars par an par rapport aux deux dernières décennies 166. On estime que ces coûts atteindront 43 milliards de dollars d’ici 2050 167.
On enregistre également une hausse des pertes assurées imputables aux catastrophes météorologiques. Entre 1985 et 2018, la part des pertes assurées attribuables aux catastrophes météorologiques, plutôt qu’aux tremblements de terre ou aux catastrophes d’origine humaine, a presque doublé à l’échelle mondiale 168.
Compte tenu de l’augmentation des coûts engendrés par les phénomènes météorologiques extrêmes, les particuliers, les entreprises et les gouvernements se retrouvent incapables de souscrire une assurance pour couvrir ces coûts. Par exemple, dans de nombreuses régions du Canada vulnérables aux inondations, il n’est pas possible de s’assurer contre les inondations 169. À l’échelle nationale, en 2018, 35 % des propriétés étaient couvertes par une assurance contre les inondations 170. Dans certains cas, les gouvernements sont intervenus pour aider les propriétaires à assumer les pertes qui n’étaient pas assurées par le secteur privé 171.
Toutes proportions gardées, les catastrophes météorologiques frappent plus durement les personnes et les organisations dont les actifs et les investissements sont directement touchés. Cela dit, la tendance générale à l’augmentation des sinistres et des coûts inhérents peut aussi entraîner la dévaluation d’autres biens et actifs, ainsi qu’un ralentissement de l’ensemble de l’activité économique. Par exemple, si une telle tendance devait entraîner une baisse des prix des maisons, les dépenses de consommation dans l’économie canadienne pourraient diminuer considérablement en raison de la diminution de la valeur nette des ménages. Ainsi, les incendies de 2016 en Alberta ont entraîné une baisse de 1 % du produit intérieur brut (PIB) du Canada et ont freiné la reprise économique, selon la Banque du Canada 172.
Les changements climatiques ne se manifestent pas seulement par des phénomènes météorologiques extrêmes; ils ont aussi une incidence sur les milieux naturels, ce qui pourrait se répercuter sur certaines industries. Par exemple, des températures exceptionnellement élevées pourraient nuire aux cultures agricoles ou aux stocks de poissons.
Au Canada, de nombreuses industries subissent déjà les contrecoups des hivers exceptionnellement doux. Par exemple, les températures plus clémentes ont entraîné la fermeture de nombreuses routes de glace dont dépendent les compagnies minières et les collectivités du Nord pour transporter des marchandises pendant les mois d’hiver 173. Le secteur de la foresterie a également été touché : les hivers plus chauds ont notamment provoqué une infestation épidémique de dendroctones du pin ponderosa (des insectes qui meurent habituellement pendant les mois d’hiver), qui a à son tour entraîné la destruction de millions d’hectares de forêts de pins en Colombie Britannique de 1999 à 2015 174.
Comme l’indique la Banque du Canada, les risques transitoires sont ceux qui sont inhérents au passage vers une économie à faibles émissions de carbone 175. Cette transition entraînera des coûts pour les secteurs de l’économie à forte intensité carbonique, comme l’industrie pétrolière et gazière. Par exemple, les réserves de combustibles fossiles pourraient ne pas être exploitées si les coûts d’extraction deviennent trop élevés, ce qui réduirait leur valeur pour les provinces et les territoires où se trouvent ces ressources naturelles non renouvelables, ainsi que pour les investisseurs. De même, une mesure stratégique inattendue qui ciblerait une industrie à forte intensité carbonique pourrait déclencher une chute soudaine de la valeur des entreprises de cette industrie, ce qui aurait ensuite une incidence sur ses investisseurs et ses créanciers. À l’inverse, d’autres secteurs, comme celui des technologies vertes, pourraient tirer profit de la transition.
En tant que producteur de combustibles fossiles, le Canada – tout comme son économie – est particulièrement vulnérable aux risques transitoires. À mesure que l’économie mondiale se tournera vers des activités à faible intensité carbonique, on observera des changements dans le type d’énergie utilisée ainsi que dans la nature de la production des entreprises et dans leurs méthodes de production.
Certains des plus grands fabricants du Canada, comme ceux des industries de l’automobile et de l’aérospatiale, sont étroitement liés au secteur de l’énergie. Des changements soudains sur le plan des politiques, de la technologie ou de la consommation pourraient s’avérer particulièrement perturbateurs pour ces industries, car le déplacement de la main-d’œuvre et du capital vers des secteurs à moindre intensité carbonique est un processus à la fois long et coûteux.
À l’échelle internationale, des travaux sont en cours pour créer une taxonomie universelle permettant de définir quelles activités ou quels instruments financiers seraient jugés écologiquement durables, et de mieux mesurer le risque physique et transitoire pour le système financier. Par exemple, le Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier, dont le Canada est membre, se penche sur la gestion des risques liés au climat dans le secteur financier.
Le Groupe de travail sur la divulgation de l’information financière relative aux changements climatiques, créé par le Conseil de stabilité financière – un organisme international chargé de surveiller le système financier mondial – a formulé, en 2016, une série de recommandations en matière de divulgation volontaire à l’intention des entreprises afin qu’elles évaluent les risques climatiques encourus et en informent les investisseurs, les prêteurs et les assureurs. En juin 2019, le Groupe de travail a indiqué que, bien que la diffusion d’informations financières liées au climat ait augmenté depuis la publication de ses recommandations, il reste encore beaucoup à faire pour que les risques pesant sur le système financier soient suffisamment compris 176.
Dans son budget de 2019, le gouvernement du Canada affirme son soutien aux normes du Groupe de travail et souligne qu’il « cherche à sensibiliser les entreprises à l’importance de suivre, de gérer et de divulguer les occasions et les risques importants liés au climat d’une façon cohérente et comparable 177 ». Le gouvernement fédéral a également annoncé la mise sur pied d’un Groupe d’experts sur la finance durable, qui a publié son rapport final en juin 2019 178. Les 15 recommandations formulées dans le rapport « sont conçues dans le but de tirer parti du savoir-faire financier canadien afin de faciliter et accélérer les activités, les comportements et les structures du marché qui, à grande échelle, pourraient placer le Canada et ses principales industries à l’avant-plan de la transition vers une économie intelligente face au climat 179 ».
L’incidence des changements climatiques sur les marchés du travail est complexe et variera selon le secteur économique, les facteurs sociodémographiques et l’emplacement géographique. En outre, sur le plan de l’emploi et du travail, la gravité des conséquences dépendra de l’ampleur de l’augmentation des températures à l’échelle mondiale ainsi que des effets de cette hausse sur l’environnement.
Les mesures stratégiques pour atténuer les effets des changements climatiques et s’y adapter auront également des effets directs et indirects sur le marché du travail. De nombreux intervenants prévoient que le marché du travail connaîtra des transitions dans les différents secteurs économiques et entre eux. Le rythme auquel les technologies évolueront et seront adoptées jouera vraisemblablement un rôle considérable dans ces transitions. Dans l’ensemble, les changements climatiques auront des effets à la fois négatifs et positifs sur le marché du travail.
Les températures extrêmes et la fréquence croissante des catastrophes naturelles causées par les changements climatiques ont des répercussions négatives sur les emplois qui dépendent des services écosystémiques. L’Organisation internationale du travail (OIT) a indiqué qu’en 2014, 40 % de tous les emplois dans le monde dépendaient directement des services écosystémiques 180. Les secteurs concernés comprennent notamment l’agriculture, la pêche, la foresterie, la production alimentaire, les biocarburants et les sources d’énergie renouvelable. Par exemple, des travailleurs pourraient perdre leur emploi si des infrastructures ou des récoltes sont détruites à la suite d’une catastrophe naturelle. D’autres pourraient devoir migrer à court ou à long terme à la suite de la dévastation de leur milieu de vie. En outre, les conditions de travail pourraient se détériorer pour certains travailleurs qui doivent composer avec des températures de plus en plus élevées. Les changements climatiques ont donc des répercussions sur l’emploi sur différents plans 181.
Les industries à grande intensité carbonique – comme l’extraction et le raffinage du pétrole et du gaz, et la production d’électricité à partir du charbon – risquent davantage de subir une baisse des investissements et une augmentation des coûts d’exploitation en raison des mesures stratégiques qui visent la réduction des émissions de carbone, qui ont une incidence négative sur l’emploi dans ces secteurs 182.
Selon l’OIT et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les mesures d’adaptation du marché du travail permettent de réduire considérablement les pertes d’emploi attendues occasionnées par les changements climatiques 183. Ces mesures d’adaptation comprennent les suivantes :
L’OCDE ajoute que l’adaptation des marchés du travail sera facilitée par leur bon fonctionnement et que les gouvernements doivent élaborer des politiques pour adapter le marché du travail aux nouvelles réalités engendrées par les changements climatiques 185.
Les changements climatiques ainsi que le remplacement de l’énergie fossile et des systèmes de production alimentés par les hydrocarbures créeront de nouveaux débouchés dans le secteur des technologies propres. Ce secteur, qui englobe un large éventail d’entreprises actives dans presque tous les secteurs de l’économie, connaît actuellement une croissance rapide, au Canada comme à l’étranger 186.
Les technologies propres connaissent une croissance principalement dans le secteur de l’énergie, notamment par la séquestration du carbone; les technologies visant à améliorer l’efficacité énergétique, la distribution de l’énergie et la production d’électricité et de chaleur à partir de sources renouvelables; et l’utilisation des biocarburants. Le secteur des transports et l’économie du bâtiment ont le potentiel d’accroître continuellement leur efficacité énergétique et de marquer une transition importante en délaissant les combustibles fossiles 187.
Selon l’OCDE et l’OIT, si les gouvernements préparent leurs marchés du travail en vue de cette transition – par exemple, en cernant les compétences clés dont la main-d’œuvre aura besoin – la transformation et la création d’emplois dans de nouveaux secteurs compenseront les pertes d’emplois dans les secteurs polluants. Dans le cadre de la transition vers des pratiques plus écologiques, une préparation adéquate permettra de maximiser les avantages sur le plan de l’emploi 188.
Les changements climatiques, qui mettent en jeu des éléments relevant de la sécurité humaine, régionale, nationale et internationale, constituent une nouvelle menace qui transcende les frontières. Au Canada, les répercussions des changements climatiques comprennent l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les inondations, les sécheresses, les tornades, les incendies, les vagues de chaleur et les tempêtes, ainsi que la fonte du pergélisol, l’érosion côtière et les dommages causés aux routes de glace saisonnières dans les collectivités du Nord. En outre, les changements climatiques posent des risques considérables pour la sécurité et le bien-être des personnes et des collectivités. Du point de vue de la défense et de la sécurité, les changements climatiques sont souvent considérés comme un « facteur de multiplication des menaces », c’est-à-dire comme un facteur susceptible d’exacerber les risques qui menacent déjà la sécurité 189.
Les changements climatiques, qui touchent principalement les populations les plus vulnérables, ont des répercussions sur la sécurité, car ils contribuent à la perte de moyens de subsistance, accentuent les pressions sur l’environnement et les risques de catastrophe, provoquent des déplacements de population et exacerbent le risque de troubles sociaux et politiques 190. En conséquence, les changements climatiques « affaiblissent la résilience et la capacité des États à réagir de manière appropriée 191 ». Ils présentent également une menace pour l’intégrité physique des infrastructures essentielles de défense et de sécurité.
Les effets déstabilisateurs des changements climatiques sont de plus en plus reconnus. Selon le département américain de la Défense, l’effet « multiplicateur de menaces » des changements climatiques pourrait accroître l’instabilité et engendrer des « conditions propices aux activités terroristes et à d’autres formes de violence » 192. Dans le document de 2019 intitulé Worldwide Threat Assessment of the US Intelligence Community, les responsables américains du renseignement affirment que « la détérioration environnementale et écologique à l’échelle planétaire, ainsi que les changements climatiques, sont susceptibles d’exacerber la détresse économique, la grogne sociale et la concurrence pour les ressources en 2019 et par la suite 193 ». En janvier 2019, le Conseil de sécurité des Nations Unies a tenu un débat qui avait pour le thème « Lutter contre les effets des catastrophes climatiques sur la paix et la sécurité mondiales » et lors duquel la relation multidimensionnelle entre les risques liés au climat et les conflits a été mise en évidence 194.
Le Canada n’est pas à l’abri des menaces non traditionnelles que posent les changements climatiques. Les facteurs associés à la sécurité des Canadiens sont interreliés et les lacunes dans les domaines stratégiques – comme celles qui sont abordées dans cette publication – s’intensifient sous l’effet des tensions liées au climat et posent des défis, directement et indirectement, pour la défense et la sécurité du Canada.
La région arctique du Canada, qui représente plus de 75 % du littoral et 40 % de la masse terrestre du pays, est en pleine mutation 195. Certains observateurs ont qualifié l’Arctique de « ligne de front » des changements climatiques, car les températures de l’Arctique augmentent à un rythme de deux à trois fois supérieur à la moyenne annuelle mondiale 196. Les changements climatiques altèrent les écosystèmes de l’Arctique, provoquent la fonte de la glace de mer et modifient la géographie maritime de la région. Ces effets se traduisent par un éventail complexe de défis et de possibilités pour le Canada et les autres pays de l’Arctique.
L’Arctique a traditionnellement été considéré comme une zone de paix et de coopération internationale. Cependant, comme les changements climatiques facilitent l’accès à la région, notamment à ses ressources naturelles et routes maritimes, on s’attend à ce que l’activité et la concurrence s’y intensifient à l’avenir. Tant les États arctiques que les États non arctiques ont manifesté un intérêt grandissant pour la région sur les plans commercial et stratégique. Les experts militaires affirment que l’accès accru aux routes maritimes de l’Arctique, qui réduisent de 40 % la distance de navigation entre les ports d’Asie et d’Europe du Nord, pourrait alimenter des différends quant à « l’exploration et la récupération des ressources naturelles, aux pêches et […] aux futures voies de navigation 197 ».
Les alliés de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ont exprimé leur inquiétude quant à la présence militaire accrue de la Russie dans l’Arctique; ce pays a notamment entrepris de reconstruire ses bases de la Guerre froide, d’intensifier ses activités sous-marines, de renforcer ses capacités en matière de missiles balistiques et de missiles de croisière, et d’étendre sa flotte de brise-glaces 198. Depuis qu’elle a obtenu le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique en 2013, la Chine a également porté un plus grand intérêt à la région, en participant davantage aux travaux scientifiques sur l’Arctique, en se dotant vraisemblablement de nouveaux brise-glaces, et en intensifiant la circulation de navires civils et militaires dans cette région 199. En 2018, dans le cadre de sa politique sur l’Arctique, la Chine a élaboré le concept de « route de la soie polaire », un prolongement de l’initiative de la Ceinture et la Route 200.
Le réchauffement de l’Arctique a de nombreuses conséquences sur les opérations militaires et de sécurité publique. L’accroissement du trafic maritime dans l’Arctique pourrait compromettre la capacité du Canada à exercer un contrôle sur sa souveraineté territoriale, à mener des opérations de recherche et de sauvetage efficaces et à répondre aux situations d’urgence. Selon la Stratégie pour l’Arctique et le Nord du Canada de 2019, la hausse des activités humaines, commerciales et militaires dans l’Arctique s’accompagne d’une augmentation des risques associés au crime organisé, à la migration irrégulière, au trafic de migrants et aux dommages causés aux écosystèmes de l’Arctique 201. Compte tenu de la rudesse de l’environnement opérationnel du Nord, la surveillance des domaines aérien, terrestre, maritime et spatial de l’Arctique reste un défi.
La politique de défense du gouvernement du Canada, publiée en 2017 et intitulée Protection, sécurité, engagement : la Politique de défense du Canada, reconnaît l’importance géostratégique croissante de l’Arctique ainsi que les difficultés inhérentes au maintien de la sécurité sur ce vaste territoire peu peuplé. Dans ce document, le gouvernement s’est engagé à « améliorer sa capacité de mener des activités dans le Nord et [à] travailler en étroite collaboration avec ses alliés et partenaires 202 ».
Cette politique présente un certain nombre d’initiatives conçues pour adapter la politique de défense du Canada à l’évolution de l’Arctique, dont des initiatives destinées à :
En outre, cette politique souligne qu’il est prioritaire de renforcer la capacité des collectivités de l’Arctique et du Nord à répondre aux situations d’urgence touchant l’ensemble de la société 205.
On s’attend à ce que les changements climatiques entraînent une modification rapide du paysage stratégique de l’Arctique. L’interaction des facteurs politiques, sociaux, économiques et démographiques revêt une importance cruciale dans l’examen des liens entre les changements climatiques et la sécurité dans l’Arctique. Les répercussions sur les sociétés « dépendent non seulement de l’ampleur et de la rapidité des changements climatiques, mais aussi de la répartition inégale des facteurs de vulnérabilité et de la capacité d’adaptation dans les sociétés et entre elles 206 ». Pour atténuer les facteurs de vulnérabilité et améliorer la résilience aux menaces climatiques, il faudra une étroite collaboration entre les intervenants, y compris tous les ordres de gouvernement, les peuples et organisations autochtones, les alliés et partenaires internationaux du Canada, et le secteur privé 207.
Entre 2008 et 2018, la Base de données canadienne sur les catastrophes a enregistré plus de 195 catastrophes majeures au Canada, lesquelles ont entraîné des dommages se chiffrant en milliards de dollars ainsi que le déplacement de centaines de milliers de Canadiens 208. On estime que l’ampleur des phénomènes météorologiques extrêmes et des catastrophes naturelles au Canada s’aggravera en raison des changements climatiques. En novembre 2019, un rapport examinant les effets des changements climatiques sur la santé humaine indiquait que, « [d]ans un scénario d’émissions moyennes de GES, on prévoit une augmentation des feux de forêt de 75 % d’ici la fin du 21e siècle 209 ».
Dans le cadre de l’opération LENTUS – le plan d’intervention des Forces armées canadiennes (FAC) en cas de catastrophes naturelles au Canada –, le personnel des FAC est de plus en plus appelé à intervenir lors d’événements climatiques partout au pays. D’avril à septembre 2019, les FAC ont porté assistance aux autorités provinciales à la suite de l’ouragan Dorian en Nouvelle-Écosse ainsi que lors des évacuations causées par les incendies de forêt en Ontario, et sont venus en aide aux victimes des inondations au Nouveau-Brunswick, au Québec et en Ontario 210.
Des conseillers militaires américains ont souligné les effets potentiels des changements climatiques sur la disponibilité militaire. Un conseil consultatif composé d’anciens dirigeants militaires américains a expliqué que la Garde nationale, les forces de réserve et le Army Corps of Engineers sont « de plus en plus souvent appelés à combattre des feux incontrôlés, à intervenir en cas d’inondations et d’importantes chutes de neige, et à acheminer de l’eau vers des secteurs touchés par la sécheresse, aux États-Unis et à l’étranger ». Ce conseil a émis une mise en garde quant aux événements météorologiques extrêmes qui cmettront à rude épreuve les capacités de ces organisations et augmenteront le degré de mobilisation des forces actives dans les missions [de soutien aux autorités civiles] au niveau national » 211. Il a également recommandé que la pression accrue exercée sur ces organisations soit « prise en compte dans les futurs plans de guerre » et que « les planificateurs ne présument pas que toutes les forces seront en mesure de se déployer à court préavis 212 ».
Le général Jonathan Vance, chef d’état-major de la défense du Canada, a fait remarquer que les FAC ont dû modifier la façon dont elles organisent et affectent leurs ressources. Il a notamment indiqué que :
[les FAC maintiennent] une partie des forces armées en état de préparation, et, dans certains cas, à un très haut niveau de préparation, de façon à pouvoir intervenir pour aider des Canadiens dans le besoin. Nous avons [maintenant] un processus qui nous permet de prévoir la saison des feux de forêt, la saison des inondations et des augmentations du nombre d’interventions de recherche et de sauvetage selon les moments où les gens sont sur l’eau ou sur le territoire. […] Cependant, il ne s’agit plus de rares occurrences. C’est quasiment la routine pour nous, maintenant. […] C’est quelque chose dont nous tenons compte au moment d’établir la structure des forces et l’emploi dans les réserves. J’ai demandé qu’on mette au point de nouvelles façons de s’assurer que les réserves sont beaucoup plus capables et prêtes en ce qui concerne l’intervention initiale, parce qu’elles sont présentes [dans les collectivités] 213.
L’incidence des changements climatiques sur la sécurité peut également se répercuter sur le déploiement du personnel des FAC à l’étranger. Les changements climatiques « ont le potentiel d’engendrer des catastrophes naturelles et humaines à long terme, d’une envergure de loin supérieure à celle que nous observons aujourd’hui. Leurs effets favoriseront probablement l’instabilité politique dans les régions où les besoins sociétaux dépassent la capacité des gouvernements à faire face aux événements 214 ». Ainsi, les FAC pourraient être de plus en plus appelées à se déployer pour appuyer des opérations internationales d’aide humanitaire et de secours aux sinistrés. À la suite de l’ouragan Dorian, le 6 septembre 2019, les FAC ont déployé un avion CC-130 J Hercules aux Bahamas pour apporter une aide humanitaire à la région des Caraïbes; deux jours plus tard, elles ont également dû dépêcher du personnel en Nouvelle-Écosse pour participer aux opérations de secours 215.
Les effets des changements climatiques peuvent porter atteinte non seulement à la cadence des opérations et à la disponibilité des FAC, mais aussi aux installations militaires. Si les FAC n’ont pas déjà publié de rapport à cet égard, en janvier 2018, le département de la Défense des États-Unis a publié une étude intitulée Climate Related Risk to DoD Infrastructure: Initial Vulnerability Assessment Survey (SLVAS) Report, qui a révélé qu’environ 50 % des installations militaires ont subi des dommages pouvant être classés dans six catégories de risques, soit :
Dans ce rapport, les responsables de la défense aux États-Unis ont indiqué que « les changements climatiques pourraient façonner l’environnement dans lequel nous menons nos activités de même que les missions que nous devons accomplir […] Si des conditions climatiques extrêmes rendent nos installations essentielles inutilisables ou nous obligent à adopter des solutions de rechange coûteuses ou exigeantes en effectif, cette incidence sera inacceptable 217 ». Les répercussions projetées des changements climatiques au Canada pourraient également porter atteinte aux infrastructures militaires physiques.
En ce qui concerne les Forces canadiennes et les gaz à effet de serre, il est à noter que le ministère de la Défense nationale (MDN) « produit plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre du gouvernement du Canada 218 ». Dans sa politique de défense, le gouvernement a présenté plusieurs initiatives d’« écologisation de la Défense » visant à réduire les émissions du MDN et des FAC, dont des investissements dans des projets d’infrastructure afin de diminuer l’empreinte carbone de l’armée, la transition de 20 % des parcs de véhicules non militaires vers des modèles hybrides et électriques d’ici 2020, et l’installation de bornes de recharge électrique.
En 2004, la Politique de sécurité nationale du Canada établissait que la protection des Canadiens, au pays et à l’étranger, et la contribution à la sécurité internationale étaient deux des trois priorités fondamentales en matière de sécurité nationale. Or, les changements climatiques anticipés pourraient compromettre la réalisation de ces objectifs. La politique indique que les menaces à la sécurité nationale, y compris les catastrophes naturelles et la vulnérabilité de l’infrastructure essentielle, « exigent généralement une réaction nationale parce que les individus, les collectivités ou les provinces [et territoires] n’ont pas la capacité d’y faire face par leurs propres moyens 219 ». Alors que la fréquence et l’intensité des phénomènes climatiques augmenteront au Canada, la capacité des autorités civiles à répondre efficacement aux urgences nationales déterminera dans quelle mesure la sécurité des Canadiens pourra être assurée.
Depuis 2007, le Cadre de sécurité civile pour le Canada guide la collaboration entre les différents ordres de gouvernement, les autres partenaires tels que les collectivités autochtones, le secteur privé (par exemple, les propriétaires et exploitants d’infrastructures essentielles) et les organisations non gouvernementales sur les questions qui concernent les interventions d’urgence 220. Ce cadre préconise une « approche tous risques » pour la planification relative aux catastrophes majeures, y compris aux répercussions des changements climatiques. Traditionnellement, les efforts du Canada en matière de gestion des situations d’urgence étaient axés sur la préparation et l’intervention; désormais, les différents ordres de gouvernement s’attardent de plus en plus « à la prévention/l’atténuation de façon proactive et à des mesures de rétablissement tournées vers l’avenir » en vue de renforcer la résilience des collectivités canadiennes touchées 221.
Au Canada, la planification de la gestion des urgences dépend grandement des infrastructures essentielles, qui comprennent :
Selon le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, « [l]a perturbation de ces infrastructures essentielles pourrait se traduire en pertes de vie et en effets économiques néfastes, et pourrait considérablement ébranler la confiance du grand public 223 ». Dans le Plan d’action sur les infrastructures essentielles du Forum national intersectoriel (2018-2020), le Ministère précise que les effets des changements climatiques menacent directement les infrastructures essentielles et sont susceptibles d’entraîner « des conséquences dévastatrices qui se répercute[ront] en cascade sur la chaîne d’approvisionnement 224 ». Il est également souligné, dans ce plan d’action, que « [l]’élaboration de stratégies d’adaptation pour les infrastructures dans les régions exposées à des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents sera essentielle pour réduire les impacts sociaux et économiques des changements climatiques 225 ».
Le Canada dispose d’un vaste réseau national de transport qui permet de transporter des biens et de voyager d’un bout à l’autre du pays. Dans son rapport intitulé Les transports au Canada 2018 : Un survol, Transports Canada a indiqué que les changements climatiques constituaient l’un des principaux défis auxquels le Canada est confronté dans le domaine des transports 226. Selon le Ministère, les effets progressifs des changements climatiques, tels que le dégel du pergélisol et la fréquence et l’intensité croissantes des phénomènes météorologiques extrêmes, posent des risques pour les chaînes d’approvisionnement nationales et la mobilité des Canadiens. La fonte des glaces, quant à elle, pourrait entraîner une augmentation du trafic maritime dans le Nord, une perspective intéressante qui amène son lot de défis.
Dans son dernier rapport sur les océans et la cryosphère, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a déclaré que la fonte des glaciers et des calottes glaciaires dans les régions polaires contribuait au réchauffement des océans et à l’élévation du niveau de la mer 227. Les conclusions du rapport font craindre que d’ici 2050, de nombreuses régions soient frappées annuellement par un événement extrême de montée des eaux qui ne se produisait jusqu’alors qu’une fois par siècle.
Dans le Rapport sur le climat changeant du Canada, le gouvernement du Canada soutient que le niveau relatif de la mer s’élèvera le long de la plupart des côtes de l’Atlantique et du Pacifique et de la mer de Beaufort dans l’Arctique 228. En outre, une élévation du niveau de la mer, jumelée à des ondes de tempête plus fréquentes, pourrait accroître les inondations, les dommages aux infrastructures côtières et l’érosion du littoral 229.
D’un point de vue économique, et plus particulièrement sur le plan du tourisme et du commerce maritime, un accès réduit aux ports – causé par des inondations ou des risques pour la navigation, comme des tempêtes ou de la glace de mer – pourrait avoir des répercussions considérables. Une perturbation accrue des services de traversier pourrait également entraver les déplacements et l’approvisionnement de nombreux Canadiens qui vivent dans les zones côtières. Enfin, comme les ports font souvent partie intégrante d’une grande infrastructure de transport intermodal, la perturbation d’un élément du réseau, comme un tronçon de chemin de fer donnant accès à un quai, pourrait obliger un terminal à réduire ou à cesser ses activités 230.
La hausse des températures observée au Canada et les variations de température extrêmes ont des répercussions sur les infrastructures de transport terrestre. Selon un rapport du gouvernement du Canada sur les risques climatiques et les pratiques d’adaptation pour le secteur canadien des transports, la multiplication des cycles de gel et de dégel peut entraîner la détérioration des routes, tandis que les températures élevées risquent de provoquer un ramollissement ou une déformation permanente de la chaussée 231.
On prévoit une augmentation des précipitations dans l’ensemble du Canada au cours du XXIe siècle, mais une diminution des précipitations estivales dans le sud du pays 232. Les inondations, l’érosion côtière et les glissements de terrain provoqués par des précipitations plus fréquentes, les ondes de tempête et l’élévation du niveau de la mer sont autant de facteurs susceptibles de perturber la circulation, car ils peuvent entraîner la fermeture de routes ou de voies ferrées. Ces fermetures ont une incidence négative sur la capacité des Canadiens à se déplacer en cas d’urgence ou à s’approvisionner, ce qui constitue un véritable problème pour certaines collectivités rurales et éloignées.
En ce qui concerne les chemins de fer, le froid extrême reste une préoccupation constante, car il fragilise les rails et les roues en acier, et rend les freins à air plus susceptibles de fuir ou de geler 233. Forcément, des températures hivernales plus clémentes atténueraient ces problèmes. Quant aux températures élevées, le rapport du GIEC de 2014 sur les changements climatiques souligne que la dilatation thermique peut provoquer le gauchissement des voies ferrées 234. Enfin, tout comme les routes, les voies ferrées sont susceptibles d’être entravées par de fortes pluies qui peuvent provoquer des glissements de terrain ou des coulées de boue 235.
Dans son rapport sur les changements climatiques publié en 2014, le GIEC indique qu’une augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes à proximité des aéroports, en particulier dans les zones côtières, risque d’accroître le nombre de retards et d’annulations attribuables aux conditions météorologiques. Les retards et les annulations peuvent avoir des conséquences économiques considérables, en plus de nuire à l’approvisionnement de certaines régions rurales et éloignées. En outre, bon nombre des facteurs climatiques qui touchent le transport terrestre, tels que les précipitations et les cycles de gel et de dégel, ont également des conséquences négatives sur l’utilisation et l’entretien des pistes d’atterrissage 236.
Le système de transport du nord du Canada, quoique moins développé que celui du Sud, joue un rôle crucial dans le développement socio-économique des collectivités de la région, qui représentent moins de 1 % de la population canadienne et comprennent une forte proportion d’Autochtones 237. Dans le Nord, le système de transport renforce les liens entre les régions tout en facilitant la circulation des personnes et des biens et en créant des débouchés économiques sur ce vaste territoire 238.
Les régions nordiques présentent des caractéristiques particulières en matière d’infrastructures de transport. Dans certaines régions, et particulièrement au Nunavut, le réseau routier est presque inexistant et les collectivités dépendent davantage du transport aérien et maritime pour s’approvisionner et se déplacer. Le Yukon dispose d’un réseau routier plus étendu et praticable toute l’année. Les Territoires du Nord Ouest, quant à eux, sont desservis par le transport aérien, ferroviaire, routier et aérien 239.
Environ la moitié de la superficie du territoire canadien est couverte de pergélisol 240, une couche de sol gelé qui soutient les écosystèmes, les collectivités et les infrastructures de transport du Nord 241. Cette couche est vulnérable aux changements climatiques et les conséquences qui en découlent sont nombreuses 242. Comme le climat du Nord canadien se réchauffe plus rapidement que n’importe où ailleurs 243, ce sont les régions septentrionales qui ressentent le plus les effets du réchauffement climatique. Par exemple, la fonte du pergélisol menace la stabilité du sol, ce qui se répercute sur les infrastructures existantes, notamment les routes et les pistes d’atterrissage 244. En outre, en raison de la fonte de la couverture de glace engendrée par le réchauffement climatique, il devient de plus en plus difficile d’utiliser les routes d’hiver, ce qui limite les liaisons terrestres entre les collectivités isolées et le reste du pays.
Nonobstant ce qui précède, les changements climatiques peuvent ouvrir des perspectives intéressantes en ce qui concerne les infrastructures de transport dans le nord du Canada, à certaines conditions. Par exemple, la fonte des glaces et une saison estivale prolongée facilitent le transport maritime dans l’Arctique canadien, ce qui pourrait favoriser la croissance de plusieurs secteurs économiques, dont la pêche et la navigation commerciales, le tourisme et l’exploitation des ressources naturelles 245.
Pour appuyer cette croissance, le gouvernement du Canada a annoncé, dans le budget de 2017, la création du Fonds national des corridors commerciaux. Ce fonds, qui s’inscrit dans l’Initiative des corridors de commerce et de transport, prévoit le financement de projets liés au commerce et au transport. L’un des objectifs de cette initiative est de mettre en place des corridors de transport plus efficaces vers les marchés internationaux 246. Plus précisément, elle vise à améliorer la sécurité du système de transport du Nord canadien et à lui permettre de surmonter les effets des changements climatiques 247.
Cela dit, l’ouverture du passage du Nord-Ouest à la navigation apporte son lot de défis en matière de sécurité nationale. D’abord, l’intensification probable de la circulation maritime associée aux activités économiques et scientifiques obligera le Canada à accroître ses activités de surveillance et de contrôle dans la région. Selon le Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord, publié récemment par le gouvernement fédéral, il existe actuellement des lacunes dans les infrastructures et la surveillance de l’Arctique et du Nord canadiens 248. Pour combler ces lacunes, le Cadre prévoit que le Canada devra renforcer ses capacités de surveillance et de contrôle en intensifiant sa présence militaire dans la région 249.
Il sera essentiel de tenir compte des changements climatiques dans la conception et la construction de nouvelles infrastructures. On estime qu’une proportion considérable des infrastructures publiques du Canada arrivent à la fin de leur vie utile 250, ce qui signifie que des investissements substantiels seront bientôt nécessaires pour les remplacer, les restaurer et les entretenir. Pour assurer la durabilité de ces infrastructures, il faudra prendre en compte les effets qu’auront les changements climatiques tout au long du cycle de vie des infrastructures. Le gouvernement du Canada a adopté diverses mesures pour donner suite aux répercussions des changements climatiques, dont les suivantes :
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
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