Au Canada, actuellement, plusieurs ministères et organismes fédéraux participent à l'approvisionnement en matière de défense, y compris le ministère de la Défense nationale, Services publics et Approvisionnement Canada, Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ainsi que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Chaque ministère ou organisme est responsable de différentes étapes du processus d'approvisionnement en matière de défense.
Cela dit, au fil du temps, le Canada a mis en œuvre divers processus d'approvisionnement en matière de défense, qui présentent chacun des avantages et des inconvénients. À ce jour, ces processus ont inclus l'approvisionnement individuel autonome des différentes forces armées (l'armée de terre, la marine et la force aérienne) et la centralisation de l'approvisionnement, au sein de ministères ou d'organismes fédéraux et de sociétés d'État.
Durant le xxe siècle, la tendance générale au Canada, en période de guerre ou d'urgence nationale, consistait à centraliser l'approvisionnement en matière de défense au sein d'un seul et même ministère fédéral dirigé par son propre ministre du Cabinet en vue de mieux contrôler et de coordonner l'acquisition des différents produits de défense. Ce modèle a été utilisé, par exemple, durant la Deuxième Guerre mondiale, avec la création du ministère des Munitions et des Approvisionnements (1940-1945), et au début de la Guerre froide, avec le ministère de la Production de défense (1951-1969).
Depuis environ 50 ans, le Canada a adopté un modèle décentralisé et multiministériel d'approvisionnement en matière de défense. Depuis 1969, le processus d'approvisionnement en matière de défense fait intervenir divers ministères et organismes fédéraux ayant chacun leurs rôles et responsabilités propres. Mis en place à une époque de grandes transformations organisationnelles au sein du gouvernement fédéral, ce processus avait initialement été mis sur pied dans le but d'optimiser l'utilisation des ressources, de permettre une plus grande efficience administrative et de réduire grandement les coûts.
Au fil du temps, le processus d'approvisionnement en matière de défense du pays est devenu plus complexe et bureaucratique à mesure que de nouveaux ministères et organismes ont commencé à y prendre part. Malgré des retards dans les livraisons, des dépassements de coûts et d'autres problèmes rencontrés dans le cadre des projets d'approvisionnement en matière de défense au cours de ces 20 dernières années, le gouvernement fédéral est resté fidèle au processus décentralisé et multiministériel actuel.
Bien que de nombreuses mesures de réforme aient été adoptées au cours des dernières années en vue d'améliorer le processus d'approvisionnement en matière de défense du Canada, certains commentateurs éprouvent toujours des inquiétudes quant à la gouvernance et à la reddition de comptes. Ces derniers sont d'avis que des améliorations pourraient être apportées à ces deux égards si le Canada centralisait l'approvisionnement en matière de défense au sein d'un seul et même organisme fédéral, comme il l'a fait à maintes reprises avant 1969.
En 2019, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de créer Approvisionnement de défense Canada, un organisme d'approvisionnement centralisé, et a donné le mandat aux ministres de la Défense nationale, des Services publics et de l'Approvisionnement, ainsi que des Pêches et des Océans de présenter « des analyses et des options » pour la création d'un tel organisme. Bien qu'aucun échéancier n'ait été fixé et que plusieurs questions demeurent sans réponse, une chose est sûre : la création d'Approvisionnement de défense Canada changerait considérablement la façon dont on procède à l'approvisionnement en matière de défense au Canada, mettant fin à plus de cinq décennies d'approvisionnement en matière de défense décentralisé et multiministériel.
Indépendamment du modèle adopté à l'avenir par le gouvernement en ce qui a trait à l'approvisionnement en matière de défense, il est probable que les milliards de dollars alloués pour acquérir des produits et des services de défense continueront d'attirer grandement l'attention de la classe politique, des médias et du public. Par conséquent, on continuera probablement de réclamer une réforme du processus d'approvisionnement en matière de défense du Canada.
Au Canada, plusieurs ministères et organismes fédéraux participent à l'approvisionnement en matière de défense, à savoir le ministère de la Défense nationale (MDN), Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE), ainsi que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT). Chaque ministère ou organisme est responsable de différentes étapes du processus d'approvisionnement en matière de défense.
Le présent document examine l'évolution de l'approvisionnement en matière de défense au Canada en mettant l'accent sur les deux questions suivantes :
Le 4 août 1914, lorsque le Royaume‑Uni déclare la guerre à l'Allemagne et à ses alliés au nom du Canada et du reste de l'Empire britannique, l'Armée canadienne et la Marine royale du Canada (MRC) assurent leur approvisionnement de façon autonome. Plus précisément, le ministère de la Milice et de la Défense voit à l'approvisionnement de l'Armée et le ministère du Service naval, à celui de la MRC 2.
Or, dès les premiers mois de la guerre, on se rend compte que le processus d'approvisionnement en matière de défense présente certaines lacunes. Par exemple, il n'y a aucune coordination efficace des achats des forces armées; les prix payés pour certains produits de défense varient grandement; il n'existe aucun mécanisme fédéral de contrôle de la production de matériel de défense au Canada; enfin, on découvre que de nombreuses personnes et sociétés profitent sans vergogne des marchés de matériel de défense à des fins mercantilistes. Ces lacunes amènent le gouvernement de Robert Borden, qui était alors premier ministre, à mettre sur pied, en juin 1915, la Commission royale sur l'achat de fournitures de guerre. Cette commission, chargée d'enquêter sur les irrégularités en matière d'approvisionnement et de production en matière de défense, publie ses constatations en 1917 3.
Par ailleurs, le Comité des obus, un comité indépendant composé de plusieurs hommes d'affaires canadiens, connaît aussi son lot de difficultés. Mis sur pied par le gouvernement fédéral en septembre 1914, le Comité des obus a pour mandat de coordonner la production de munitions au Canada pour le compte du gouvernement britannique. Il a cependant connu des problèmes administratifs ainsi que des problèmes et des retards de production. Le Comité des obus a été dissous en novembre 1915 en raison de son implication dans un scandale de corruption 4.
En mai 1915, afin de mieux encadrer la passation des marchés, d'accélérer la production de guerre et d'empêcher la réalisation de profits abusifs, le gouvernement Borden décide de centraliser le processus d'approvisionnement sous un seul organisme : la Commission des achats de guerre, qui relève du Conseil privé. Il charge la Commission de surveiller tous les achats de guerre du Canada, de même que tous les contrats conclus par ses alliés internationaux avec des compagnies et des industries canadiennes, à l'exception de ceux du gouvernement britannique qui relèvent du Comité des obus et de son successeur, la Commission impériale des munitions (CIM).
L'établissement de la Commission des achats de guerre permet au gouvernement canadien d'encadrer et de coordonner avec plus d'efficacité et d'efficience l'approvisionnement en matière de défense et la production nationale liée à la guerre 5.
En novembre 1915, le Comité des obus est remplacé par la CIM, qui relève directement du ministère britannique des Munitions. La CIM assure la coordination des commandes du gouvernement britannique au Canada en matière de denrées alimentaires, de matières premières stratégiques et de produits manufacturés, y compris de matériel de guerre, en plus d'augmenter considérablement la production de guerre au Canada.
La CIM réorganise complètement l'effort industriel de guerre canadien et exploite son propre réseau d'« usines nationales » pour produire tout ce que les sociétés privées ne sont pas en mesure de livrer. À la fin de la guerre, en novembre 1918, plus de 675 usines partout au Canada avaient travaillé sur des contrats passés avec la CIM. Les produits de défense fabriqués au Canada durant la guerre comprennent des obus d'artillerie, des munitions de petit calibre, des explosifs, des carabines, des véhicules blindés, des aéronefs militaires, des navires de guerre et des sous‑marins 6.
Le système centralisé d'approvisionnement et de production de guerre mis en place durant la Première Guerre mondiale est abandonné en 1919 avec la dissolution de la Commission des achats de guerre et de la CIM. Le ministère de la Milice et de la Défense et le ministère du Service naval récupèrent la responsabilité de l'approvisionnement de l'Armée canadienne et de la MRC respectivement. La Commission de l'air, qui a été créée en 1919 et renommée Aviation royale du Canada (ARC) en 1924, est, elle aussi, responsable de son propre approvisionnement 7.
En 1923, avec l'entrée en vigueur de la Loi sur la défense nationale, le ministère de la Milice et de la Défense, le ministère du Service naval et la Commission de l'air sont amalgamés au sein du nouveau ministère de la Défense nationale (MDN) par souci d'économie et pour améliorer la coordination de la politique de défense du Canada. Même si, avec la création du MDN, l'Armée, la Marine et l'Aviation relèvent désormais d'un seul et même ministère, les trois forces demeurent des entités juridiques distinctes et indépendantes, dotées chacune de son propre chef d'état‑major, quartier général, budget, effectif et modèle d'approvisionnement 8.
En 1938, des allégations de corruption dans l'attribution à une société canadienne du contrat de production d'une mitrailleuse légère éclaboussent le gouvernement de William Lyon Mackenzie King, premier ministre de l'époque, qui réagit en nommant la Commission royale sur le contrat de la mitrailleuse Bren chargée d'enquêter sur l'affaire. Même si la Commission royale ne découvre aucune preuve de corruption, elle recommande dans son rapport, publié en 1939, que l'administration des contrats de défense soit centralisée pour permettre une plus grande rentabilité et efficience administrative et pour éviter que les contrats de défense ne se prêtent à la réalisation de profits abusifs 9.
Le gouvernement de Mackenzie King accepte la recommandation de la Commission royale et décide de créer un organisme centralisé d'approvisionnement en matière de défense chargé de surveiller les contrats des forces armées canadiennes, de même que les commandes passées par des gouvernements alliés auprès de compagnies et d'industries canadiennes. Ainsi, le Parlement adopte, en juin 1939, la Loi sur les achats et le financement de la Défense et sur le contrôle des bénéfices établissant la Commission des achats de défense, dont les activités commencent le 14 juillet 1939. La Commission, qui relève du ministre des Finances, dispose d'un pouvoir exclusif sur tous les marchés de matériel de défense au Canada. Elle a pour mission principale de coordonner l'approvisionnement en matière de défense et de contrôler les profits et les coûts associés aux contrats de défense 10.
Lorsque le Canada déclare la guerre à l'Allemagne, le 10 septembre 1939, le gouvernement de Mackenzie King décide qu'il vaut mieux confier l'approvisionnement et la production en matière de défense à un ministère fédéral voué exclusivement à ces questions et disposant de pouvoirs beaucoup plus étendus que la Commission des achats de défense d'avant-guerre. Le 12 septembre 1939, le Parlement adopte donc la Loi sur le ministère des Munitions et des Approvisionnements prévoyant la création, lorsque cela serait nécessaire, d'un ministère des Munitions et des Approvisionnements chargé d'encadrer l'achat, la production et la distribution du matériel de défense 11.
Entre-temps, la Commission des approvisionnements de guerre, relevant du ministre des Finances, est créée par décret ministériel le 15 septembre 1939, et elle remplace la Commission des achats de défense le 1er novembre 1939. Les pouvoirs de la Commission des approvisionnements de guerre, qui étaient relativement plus étendus que ceux de la Commission des achats de défense, comprennent la mobilisation et l'organisation de l'industrie canadienne en vue de contribuer à l'effort de guerre. La Commission des approvisionnements de guerre se voit également confier le pouvoir de coordonner tous les contrats de défense des gouvernements britannique et français. À partir du 23 novembre 1939, les responsabilités vis-à-vis de la Commission des approvisionnements de guerre ont été transférées au ministre des Transports 12.
Le ministère des Munitions et des Approvisionnements, qui est officiellement créé par proclamation le 9 avril 1940, est chargé des activités jusque-là exécutées par la Commission des approvisionnements de guerre. Dirigé par le ministre des Munitions et des Approvisionnements, il est habilité à mobiliser, à contrôler et à réglementer tous les moyens de production et d'approvisionnement de guerre du Canada, à agir en tant qu'acheteur de toutes les forces armées canadiennes et à coordonner tous les contrats passés par des gouvernements ou des forces armées alliés auprès de compagnies et d'industries canadiennes. Il administre par ailleurs 28 sociétés d'État actives dans divers volets de la production de défense 13.
Sous la direction, l'autorité et la coordination du ministère des Munitions et des Approvisionnements, le Canada produit un large éventail de marchandises durant la Deuxième Guerre mondiale, y compris des denrées alimentaires, des matières premières, des systèmes d'armements perfectionnés, de l'équipement militaire et d'autres produits manufacturés. À la fin de la guerre, le Canada était le quatrième producteur mondial de matériel et d'approvisionnement de guerre, après les États‑Unis, le Royaume-Uni et l'Union soviétique 14. Plus particulièrement, le Canada a fabriqué, entre autres produits, les produits de défense suivants entre 1939 et 1945 :
En outre, durant cette période, le Canada produit plus de 4 milliards de livres de produits chimiques et d'explosifs, et plus de 13,7 millions d'artifices. D'autres produits de défense fabriqués au Canada incluent des uniformes, des attributs personnels, des radars, des sonars, des radios et divers autres types de systèmes de communication, des instruments spécialisés et des instruments électriques, des appareils de visée et de surveillance optiques, et des fournitures médicales. Le Canada prend part également à des recherches atomiques, à des recherches sur les armes chimiques et biologiques, la propulsion des avions à réaction, la fuséologie et d'autres champs spécialisés de recherche et de développement en défense 16.
Durant la guerre, approximativement 30 % de la production de guerre canadienne est allouée aux forces armées canadiennes, alors que le 70 % restant est exporté vers des pays alliés, y compris l'Australie, la Chine, la France, la Nouvelle‑Zélande, l'Union soviétique, le Royaume-Uni et les États‑Unis 17.
La Deuxième Guerre mondiale prend fin le 2 septembre 1945, ce qui amène le gouvernement fédéral à recentrer ses priorités sur les efforts de reconstruction d'après-guerre et sur la reconversion de l'industrie canadienne à l'économie de paix. En décembre 1945, le gouvernement de Mackenzie King amalgame le ministère des Munitions et des Approvisionnements et le ministère de la Reconstruction pour former le ministère de la Reconstruction et des Approvisionnements. Pour ce faire, il adopte la Loi sur le ministère de la Reconstruction et des Approvisionnements. Le nouveau ministère est chargé à la fois de l'approvisionnement et de la production en matière de défense au Canada 18.
Étant donné la diminution importante des dépenses pour la défense au lendemain de la guerre, le gouvernement fédéral canadien estime qu'il n'est plus nécessaire de consacrer tout un ministère fédéral à l'approvisionnement et à la production en matière de défense et décide de décentraliser les attributions en la matière.
En avril 1948, la responsabilité de la production en matière de défense est cédée à la Commission industrielle de la défense, créée le même mois pour administrer toutes les questions relatives à la planification et à la préparation industrielles de la défense du Canada. Initialement rattachée au MDN, la Commission industrielle de la défense relève du ministère du Commerce après mars 1949 19.
La responsabilité de l'approvisionnement en matière de défense est transférée à la Corporation commerciale canadienne, une société d'État fédérale, en novembre‑décembre 1948. Créée en 1946 pour coordonner les ventes à l'exportation des produits de défense canadiens à des gouvernements étrangers, la Corporation commerciale canadienne est une société d'État fonctionnant sous l'autorité du ministère du Commerce 20.
La détérioration des relations diplomatiques avec l'Union soviétique et le début de la Guerre froide dans la deuxième moitié des années 1940, la création de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en 1949 et le début de la guerre de Corée en 1950 incitent le gouvernement fédéral à augmenter ses budgets de défense et à commander de nouveaux systèmes d'armes et matériel de défense pour les Forces armées canadiennes. En 1950, le gouvernement de Louis St‑Laurent, premier ministre de l'époque, fait adopter la Loi sur les approvisionnements de défense, qui confère au ministre du Commerce les pouvoirs voulus pour qu'il puisse se charger de l'approvisionnement en matière de défense au Canada 21.
En 1951, le gouvernement St‑Laurent lance un vaste programme de réarmement afin de renforcer la capacité des forces armées canadiennes en réponse à l'intensification de la guerre de Corée et à l'accroissement des tensions avec l'Union soviétique. Pour mettre en œuvre ce programme, le gouvernement décide de réunir l'approvisionnement en matière de défense et la préparation industrielle de la défense au sein d'un seul et même ministère, comme cela s'était produit durant la Deuxième Guerre mondiale avec le ministère des Munitions et des Approvisionnements. Le 1er avril 1951, la Loi sur les approvisionnements de défense est remplacée par la Loi sur la production de défense, qui crée le ministère de la Production de défense (MPD). La Loi sur la production de défense « s'inspire en grande mesure de la Loi sur le ministère des Munitions et des Approvisionnements 22 », qui avait mené à la création du ministère des Munitions et des Approvisionnements une décennie avant.
Dirigé par le ministre de la Production de défense, le MPD reprend au ministère du Commerce la responsabilité de l'approvisionnement en matière de défense et à la Commission industrielle de la défense, la préparation et la production industrielles de la défense. Le MPD est responsable de fournir tous les biens et services requis par le MDN et les forces armées. Il a de plus le mandat de garantir que le Canada dispose d'une capacité de production et des matériels nécessaires au programme de réarmement du gouvernement.
Plus particulièrement, le MPD est chargé d'encourager la conception, le développement et la production au Canada de systèmes d'armes et de matériel de défense afin de maintenir une infrastructure industrielle de défense nationale à la fine pointe de la technologie. Il supervise, entre autres, la production nationale des types suivants de produits de défense :
Par le truchement de la Corporation commerciale canadienne, le MPD est également responsable des exportations de produits de défense canadiens vers les pays membres de l'OTAN et d'autres pays alliés. En tout, le MPD chapeaute sept sociétés d'État, dont la Corporation commerciale canadienne 23.
Le MPD ne doit en principe durer que le temps de la guerre de Corée, mais avec l'intensification des tensions liées à la Guerre froide avec l'Union soviétique et la persistance des besoins des forces armées canadiennes en nouveaux produits de défense, le gouvernement St-Laurent décide de le conserver après la fin de la guerre de Corée en 1953. À la fin des années 1950 et au début des années 1960, on confie au MPD la responsabilité, entre autres, du partage du développement et de la production de produits de défense avec les États-Unis et de la coopération en matière de recherche, de développement et de production d'armements avec les pays de l'OTAN 24.
En septembre 1960, le gouvernement de John Diefenbaker, premier ministre de l'époque, nomme la Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement, présidée par J. Grant Glassco (la Commission Glassco), « pour qu'[elle] fasse […] enquête et rapport sur l'organisation et le mode de fonctionnement des ministères et organismes du [g]ouvernement du Canada » et qu'elle recommande des changements qui « favoriseraient le mieux l'efficacité, l'économie et l'amélioration de la conduite des affaires de l'État 25 ». Dans son rapport publié en 1962, la Commission constate que « [l]'achat au service public fédéral [est] dispersé et dépourvu de coordination » et que chaque ministère ou organisme « achète pour son propre compte » et « établit ses propres rouages et ses propres règles 26 ».
La Commission Glassco recommande au gouvernement du Canada d'établir « un organisme central d'achat appelé à desservir tous les ministères et organismes (civils et militaires) du gouvernement fédéral », convaincue que le regroupement des ressources en approvisionnement permettra de limiter les doubles emplois, d'optimiser l'utilisation des ressources en personnel, infrastructures et équipements et, grâce à l'achat en masse pour l'ensemble des ministères et organismes, de réduire grandement les coûts 27.
Le gouvernement fédéral du Canada souscrit en principe aux recommandations de la Commission Glassco 28. En septembre 1963, à titre de mesure provisoire, il fait du MPD « l'organisme central d'achat de l'État pour le compte de tous les ministères fédéraux, civils et militaires » et il élargit ses responsabilités pour inclure le « matériel non militaire 29 ».
En 1965, le gouvernement de Lester B. Pearson, premier ministre de l'époque, annonce son intention de remplacer le MPD par un nouveau ministère responsable de l'ensemble de l'approvisionnement, tant civil que militaire, du gouvernement fédéral 30. En juillet 1968, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, premier ministre de l'époque, annonce la création du ministère des Approvisionnements et Services (MAS) 31. Le MPD sert de base au MAS, auquel on a confié certaines responsabilités supplémentaires liées à d'autres ministères fédéraux 32.
La Loi sur l'organisation du gouvernement, qui crée officiellement le MAS, est adoptée le 1er avril 1969. Le MPD est dissous et ses attributions, ainsi que ses pouvoirs en vertu de la Loi sur la production de défense, sont transférés au MAS. Désormais, c'est le MAS qui est responsable de la planification, de l'acquisition et de la fourniture de tous les biens et services requis par l'ensemble des ministères et organismes gouvernementaux, y compris le MDN et les forces armées 33.
Les recommandations de la Commission Glassco ont donné lieu à une période de réforme et de réorganisation du MDN et des forces armées. La Commission Glassco a recommandé plusieurs mesures de rationalisation et de réduction des coûts afin d'éliminer le dédoublement des ressources dans les trois forces armées (Armée, Marine, Aviation) et d'accroître la responsabilisation et l'efficience par une meilleure gestion et une meilleure intégration de l'organisation de la défense du Canada 34.
La première étape de cette réorganisation consiste à unifier les forces armées. Le 1er août 1964, des modifications apportées à la Loi sur la défense nationale ont pour effet d'abolir les trois postes de chef d'état-major (chef d'état-major général, chef d'état-major de la Marine et chef d'état-major de la Force aérienne) pour créer le poste unique de chef d'état-major de la défense et de réunir les quartiers généraux de l'Armée, de la Marine et de l'Aviation, au sein du Quartier général des Forces canadiennes. Puis, le 1er février 1968, la Loi sur la réorganisation des Forces canadiennes fusionne les trois forces armées canadiennes (l'Armée canadienne, la MRC et l'Aviation royale canadienne) en une seule et même entité militaire unifiée appelée les Forces armées canadiennes (FAC). Ainsi, l'Armée canadienne, la MRC et l'ARC cessent d'exister en tant qu'entités juridiques distinctes et deviennent des commandements d'armée au sein de la structure intégrée des FAC 35.
La deuxième étape de cette réorganisation consiste à restructurer le MDN. En mars 1972, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau annonce que les éléments civils et militaires du MDN et du Quartier général des Forces canadiennes seront intégrés en un nouveau Quartier général de la Défense nationale (QGDN). Dans cette nouvelle structure organisationnelle, les rôles et les attributions des responsables civils et militaires sont redistribués de telle manière que les fonctionnaires jouissent désormais d'un pouvoir et d'une influence grandement accrus dans la gestion du portefeuille de la défense 36. Pour centraliser la responsabilisation de l'approvisionnement en matière de défense, toutes les responsabilités du MDN et des FAC relatives à l'approvisionnement en matière de défense, ainsi qu'au cycle de vie complet du matériel des forces armées, sont réunies et confiées à un sous-ministre adjoint (Matériels) civil relevant du sous‑ministre de la Défense nationale.
Sous la direction du sous-ministre adjoint (Matériels), le Groupe des matériels travaille en étroite collaboration avec le MAS sur tous les projets d'approvisionnement en matière de défense; le MDN et le MAS étant chacun responsable de certains aspects du processus d'approvisionnement en matière de défense. Par exemple, le MDN est responsable de tous les aspects techniques relatifs aux produits et services de défense requis, tandis que le MAS est responsable de toutes les questions relatives à la passation et à l'administration des marchés 37.
Industrie Canada commence à jouer un rôle dans le processus d'approvisionnement en matière de défense en 1986, lorsque le gouvernement de Brian Mulroney, premier ministre de l'époque, présente la Politique des retombées industrielles et régionales (Politique des RIR) en vue d'utiliser les projets d'approvisionnement en matière de défense à deux fins, à savoir pour optimiser les retombées du développement industriel et régional à long terme et pour générer de l'activité économique au Canada.
Industrie Canada est responsable d'administrer et de coordonner la Politique des RIR en collaboration avec les organismes de développement régional, et il travaille en étroite collaboration avec le MDN et le MAS sur les contrats d'approvisionnement en matière de défense 38. En vertu de la Politique des RIR, les entrepreneurs sont dans l'obligation de faire des investissements commerciaux dans l'économie canadienne d'un montant équivalent à 100 % de la valeur du marché.
Au terme de la Guerre froide en 1991, le Canada adopte un modèle multiministériel d'approvisionnement en matière de défense qui fait appel à trois ministères fédéraux : le MDN, le MAS et Industrie Canada 39. À une exception près, ce modèle est demeuré sensiblement le même depuis la Guerre froide. En juin 1993, le gouvernement de Kim Campbell, première ministre de l'époque, fusionne le MAS et le ministère des Travaux publics pour constituer Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) 40.
La Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, adoptée en 1996, fait de TPSGC un « organisme de services communs » chargé de « fournir aux ministères et organismes fédéraux des services destinés à les aider à réaliser leurs programmes » dont « l'acquisition et la fourniture d'articles, d'approvisionnements, d'outillage, d'équipements et autre matériel 41 ». Les attributions relatives à l'approvisionnement en matière de défense énoncées dans la Loi sur la production de défense sont transférées du MAS à TPSGC 42.
À l'heure actuelle, l'approvisionnement en matière de défense au Canada mobilise toujours un certain nombre de ministères et d'organismes du gouvernement fédéral : le MDN, TPSGC (rebaptisé Services publics et Approvisionnement Canada, ou SPAC, le 4 novembre 2015), Industrie Canada (rebaptisé Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ou ISDE, le 4 novembre 2015) et le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada 43. Chaque ministère ou organisme est responsable de différentes étapes du processus d'approvisionnement en matière de défense du Canada 44.
Même si la Loi sur la production de défense confère à SPAC le « pouvoir exclusif » de faire l'acquisition du matériel de défense requis par le MDN 45, les deux ministères entretiennent des « relations de partenariat » dans le cadre du processus d'approvisionnement en matière de défense et se sont entendus sur un « partage des responsabilités […] pour l'acquisition de biens et de services », ainsi que pour les « activités d'assurance de la qualité du matériel et des services acquis pour le compte du MDN et assujettis aux spécifications militaires 46 ». Toutefois, ce partage des responsabilités ne s'applique pas au « matériel et [aux] services assujettis aux spécifications non militaires », comme l'acquisition des fournitures de bureau et d'autres produits civils. Les nouveaux systèmes d'armes et équipements militaires sont généralement le type de produits de défense dont l'acquisition est soumise à des spécifications militaires 47.
Le Guide des approvisionnements de SPAC définit les rôles et les responsabilités du MDN et de SPAC dans le cadre du processus d'approvisionnement en matière de défense. Bien que les deux ministères participent à la majorité des étapes du processus, chacun y assume des responsabilités distinctes.
SPAC est principalement responsable de l'établissement du plan et de la stratégie d'approvisionnement, de la demande et de l'évaluation des propositions, de la coordination de la mobilisation de l'industrie, ainsi que de la rédaction, de l'octroi, de l'administration et de la clôture des marchés 48. Quant au MDN, il est principalement responsable, entre autres, de la définition des besoins opérationnels, de l'élaboration des spécifications, de la préparation des mécanismes d'approvisionnement, de la prestation d'expertise technique, de la réalisation d'épreuves de fonctionnement et d'admissibilité liées à la livraison du matériel et des services offerts; ainsi que de la gestion de l'intégration des nouveaux systèmes d'armes et équipements militaires dans les forces armées 49.
ISDE continue d'être responsable de la Politique des RIR, ainsi que de la coordination et de l'administration de la Politique des retombées industrielles et technologiques (Politique des RIT), qui a été adoptée en février 2014 dans le cadre de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense. Même si la Politique des RIT a remplacé la Politique des RIR, cette dernière continue de s'appliquer aux contrats signés avant février 2014 50.
Comme la politique des RIR, la politique des RIT permet au gouvernement fédéral d'utiliser les contrats d'approvisionnement en matière de défense en vue de générer des retombées industrielles et économiques pour le Canada. Les entrepreneurs ont toujours l'obligation de faire des investissements commerciaux dans l'économie canadienne d'un montant équivalent à 100 % de la valeur du marché.
La principale différence entre les deux politiques réside dans le fait que l'accent n'est désormais plus mis sur l'investissement dans les régions, mais sur l'investissement dans les technologies qui sont essentielles au Canada et à son industrie de la défense. Les sociétés qui soumissionnent à la suite d'un appel d'offres en matière de défense seront désormais cotées et pondérées en fonction des retombées industrielles et technologiques attendues, ou de leur « proposition de valeur ». La proposition de valeur d'un soumissionnaire est évaluée et notée en fonction de ses plans dans cinq secteurs, à savoir les investissements dans l'industrie canadienne de la défense, le recours à des fournisseurs canadiens, la réalisation de travaux de recherche et de développement au Canada, la promotion des exportations canadiennes et l'encouragement du perfectionnement des compétences et de la formation de la main‑d'œuvre canadienne. Par ailleurs, on encourage les soumissionnaires à fournir des plans relatifs au genre et à la diversité, ainsi qu'à mettre l'accent sur certaines « capacités industrielles clés » qui ont été déterminées à l'avance par SPAC 51.
Le SCT est responsable, entre autres choses, de l'établissement des politiques, directives et lignes directrices générales du gouvernement fédéral en matière d'approvisionnement, de l'approbation du financement préliminaire des grands projets d'immobilisations approuvés par le Cabinet et de la surveillance financière de ces projets 52.
Les différentes étapes du processus d'approvisionnement en matière de défense peuvent aussi requérir la participation d'autres ministères et organismes fédéraux, tels que le Bureau du Conseil privé, le ministère des Finances, le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (renommé Affaires mondiales Canada le 4 novembre 2015), et le ministère des Pêches et des Océans, dont relève la Garde côtière canadienne 53.
Depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, le gouvernement du Canada a investi des milliards de dollars dans des projets d'approvisionnement en matière de défense visant à renforcer les FAC et à remplacer certains de leurs systèmes d'armes et équipements militaires vieillissants. Des projets d'approvisionnement ont été lancés, au cours des 20 dernières années, afin d'acquérir de nouveaux aéronefs militaires (à voilures fixe et tournante), des bâtiments de guerre, des véhicules motorisés et blindés (à roues et à chenilles), des systèmes d'artillerie, des armes légères, des munitions et divers autres produits de défense. Les besoins se sont en effet grandement accrus avec la participation quasi ininterrompue des FAC à des guerres en Afghanistan (2001-2014), en Libye (2011), en Iraq et en Syrie (depuis 2014), sans parler de la participation du Canada à la campagne internationale contre le terrorisme (depuis 2001) 54.
L'émergence de nouveaux problèmes en matière de sécurité et de nouvelles menaces à la sécurité internationale au cours des dernières années amène aussi le Canada à continuer d'investir dans la recapitalisation des FAC. Plus particulièrement, la résurgence de la Russie comme puissance militaire agressive et révisionniste, de même que son annexion illégale de la Crimée et les attaques qu'elle perpètre contre l'Ukraine depuis 2014, amènent le Canada et ses alliés de l'OTAN à investir de nouveau dans leurs capacités de défense collective et de dissuasion. Par conséquent, les pays membres de l'OTAN réinvestissent dans leurs armées et dans leurs capacités de reconstruction, telles que les forces terrestres grandement mécanisées, les défenses aériennes et les technologies de guerre anti-sous-marine, qui avaient été réduites depuis la fin de la Guerre froide. L'OTAN a également adopté des mesures d'assurance et de dissuasion visant à renforcer ses flancs est et sud avec la Russie et à rassurer ses membres de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est. Depuis 2014, les FAC affectent du personnel et des ressources des forces terrestres, navales et aériennes aux mesures d'assurance et de dissuasion de l'OTAN en Europe centrale et en Europe de l'Est, en plus de fournir de l'assistance militaire à l'Ukraine.
La reprise des activités des bombardiers russes à long rayon d'action dans les régions de l'Arctique et de l'Atlantique Nord au cours des dernières années, entre autres, a incité le Canada et les États‑Unis à investir dans la modernisation du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD). En 2017, le Canada s'engage aussi à prendre part de nouveau aux opérations de paix de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Il déploie des contingents des FAC au Mali (2018‑2019), en Ouganda (2019‑2020) et dans d'autres régions instables dans le monde 55. Les engagements du Canada envers l'OTAN, le NORAD et l'ONU, ainsi que la participation continue des FAC dans diverses opérations militaires partout dans le monde, ont généré une demande permanente de nouvelles armes et de matériel de défense au Canada 56.
Si l'acquisition de nombreux produits de défense canadiens s'est déroulée de façon efficiente et en temps voulu 57, certains projets d'approvisionnement en matière de défense de premier plan ont connu, au cours des années, des retards dans les livraisons, des dépassements de coûts et d'autres difficultés 58. En particulier, plusieurs rapports publiés par le vérificateur général du Canada 59 et le Bureau du directeur parlementaire du budget 60 ont relevé des problèmes avec le processus d'approvisionnement et les coûts estimatifs associés à certains projets d'approvisionnement en matière de défense clés. Ces problèmes, qui ont grandement attiré l'attention de la classe politique, des médias et du public 61, ont suscité des questions quant à l'efficience et l'efficacité générales du modèle multiministériel d'approvisionnement en matière de défense du Canada 62, ce qui a incité certains à réclamer une réforme 63.
Au cours des dernières années, plusieurs initiatives ont été mises en place en vue d'améliorer le processus d'approvisionnement en matière de défense du pays et de réduire les délais d'acquisition des produits de défense 64. En outre, on a lancé la Stratégie nationale de construction navale en juin 2010 65 et la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense, en février 2014, en vue de simplifier et d'améliorer l'efficience du système d'approvisionnement militaire, d'accroître la reddition de comptes ainsi que de maximiser les retombées industrielles, économiques et technologiques des contrats de défense 66.
La question de savoir si l'approvisionnement en matière de défense au Canada devrait être centralisé au sein d'un seul et même ministère ou organisme du gouvernement fédéral fait l'objet de débats depuis 20 ans 67, surtout lorsque le pays participait à la guerre en Afghanistan de 2001 à 2014 68. Le gouvernement de Stephen Harper, premier ministre de l'époque, a décidé de conserver le modèle multiministériel en place, qu'il s'est toutefois engagé à réformer dans le cadre de sa Stratégie d'approvisionnement en matière de défense 69.
De 2009 à 2013, le gouvernement Harper a commandé un certain nombre d'études indépendantes visant à trouver des moyens d'améliorer l'approvisionnement en matière de défense au Canada 70. Dans le budget fédéral de 2011, il s'est engagé à « améliorer les processus d'approvisionnement militaire » et à élaborer « une stratégie d'approvisionnement, en consultation avec l'industrie, afin de maximiser la création d'emplois, de soutenir la capacité de fabrication et l'innovation au Canada et de stimuler la croissance économique au pays 71 ».
En février 2014, le gouvernement Harper a publié sa Stratégie d'approvisionnement en matière de défense visant à réformer et à améliorer le processus d'approvisionnement en matière de défense du Canada 72. Cette stratégie vise trois objectifs principaux, soit fournir le bon équipement aux FAC en temps opportun, simplifier et moderniser le processus d'approvisionnement en matière de défense et assurer une prise de décision coordonnée, et tirer parti des acquisitions de matériel de défense pour créer des emplois et stimuler la croissance économique au Canada 73.
La Stratégie définit également, pour chacun de ces objectifs, plusieurs initiatives telles que :
Dans le cadre de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense, un nouveau cadre de gouvernance et de responsabilisation a été mis en place afin de « veiller à ce que le processus décisionnel concernant les approvisionnements en matière de défense […] soit simplifié et coordonné 80 ». En 2014, le Secrétariat de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense a été créé au sein de SPAC afin de surveiller le processus d'approvisionnement en matière de défense et de coordonner la mise en œuvre de la stratégie dans les différents ministères participant au processus 81.
Le Secrétariat de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense relève du Comité de gouvernance des sous-ministres (CGSM), qui agit à titre de principal organe décisionnel pour l'approvisionnement en matière de défense. Il est présidé par SPAC et constitué de sous-ministres du MDN, d'ISDE, d'Affaires mondiales Canada et de Pêches et Océans Canada, dont relève la Garde côtière canadienne 82.
Le CGSM donne des conseils sur l'approvisionnement en matière de défense à un groupe de travail des ministres, présidé par le ministre de Services publics et Approvisionnement Canada et constitué des ministres de la Défense nationale, d'ISDE, d'Affaires mondiales Canada et de Pêches et Océans Canada. Ce groupe de travail a été créé afin d'« assurer que les responsabilités [sont partagées] à l'égard des achats militaires ». Les ministres discuteront « des dossiers, donner[ont] des conseils et régler[ont] les problèmes relatifs à la mise en œuvre des principaux projets d'approvisionnement 83 ».
Depuis 2015, le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau exprime le désir d'améliorer l'approvisionnement en matière de défense au Canada. En plus de continuer de mettre en œuvre la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense présentée par le gouvernement Harper en 2014, le gouvernement Trudeau a cerné les mesures pouvant être prises pour « aider à rationaliser le processus d'approvisionnement en matière de défense et pour miser sur les récents efforts déployés pour l'amélioration du processus d'approvisionnement à l'échelle du gouvernement ». Ces mesures sont décrites dans Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du gouvernement Trudeau qui a été publiée en 2017 84. Voici quelques nouvelles initiatives présentées dans Protection, Sécurité, Engagement :
Depuis 2017, le gouvernement Trudeau a mis en œuvre plusieurs des initiatives décrites dans Protection, Sécurité, Engagement. Par exemple, en mai 2018, le MDN a publié un Plan d'investissement de la Défense, qui informe le public des progrès réalisés en matière de gestion et de financement des contrats et des projets d'infrastructures et d'approvisionnement en matière de défense. Il informe aussi l'industrie canadienne de la défense des possibilités d'investissements futurs 86. Des plans d'investissement de la Défense seront publiés tous les trois ans, de même que des mises à jour annuelles visant à informer les Canadiens des progrès réalisés dans l'exécution des divers projets 87.
En outre, en novembre 2018, SPAC a lancé un projet pilote d'une durée de 18 mois basé sur « une approche axée sur les risques pour l'approbation des marchés de défense ». Ce projet, qui vise à accélérer la livraison de l'équipement aux FAC, permet à SPAC d'exécuter des marchés à faible risque et de faible complexité au nom de la Défense nationale sans avoir à demander l'approbation du SCT 88.
En mai 2019, le gouvernement Trudeau a fait passer de 1 à 5 millions de dollars les pouvoirs délégués au MDN pour les marchés de services concurrentiels. Selon SPAC, cette hausse « devrait améliorer l'efficience dans les achats de biens et services de moindre valeur et de moindre complexité 89 ». Le MDN a affirmé que cette modification constitue « une étape importante dans la rationalisation du processus d'approvisionnement », qui lui permet « de traiter à l'interne plus de 80 % des contrats ». Le MDN gère plus de 12 000 contrats annuellement 90.
Même si de nombreux observateurs sont d'avis que la mise en place de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense et que les initiatives visant l'approvisionnement en matière de défense prévues dans Protection, Sécurité, Engagement sont des changements positifs, certains sont en faveur de réformes supplémentaires. Par exemple, certains commentateurs soutiennent qu'on a besoin de davantage de ressources humaines et financières pour continuer à rationaliser le processus d'approvisionnement en matière de défense et à lui apporter d'autres améliorations. Ils affirment que bon nombre de projets d'approvisionnement en matière de défense continuent de connaître des retards dans les livraisons et des dépassements de coûts. Certains commentateurs sont également d'avis que des mesures devraient être prises pour rendre le processus d'approvisionnement en matière de défense plus souple afin qu'il puisse suivre l'évolution rapide de la technologie 91.
De plus, selon certains observateurs, il devrait y avoir une transparence accrue et une coopération plus étroite entre le gouvernement et l'industrie de la défense du Canada, ainsi que des meilleures communications avec le public et une meilleure sensibilisation de ce dernier. D'après un rapport publié en décembre 2019 par l'Institut canadien des affaires mondiales :
[Il] y a un écart croissant entre les professionnels de l'approvisionnement [en matière de défense] au sein du gouvernement et toutes les autres personnes qui prêtent attention au bon fonctionnement de notre système d'approvisionnement. Les personnes qui s'occupent de l'approvisionnement […] sont généralement d'avis que le système fonctionne beaucoup mieux que l'estiment les gens de l'extérieur. L'opinion des gens qui ne travaillent pas dans le secteur, ainsi que de la plupart des membres de l'industrie, est bien plus négative : certains sont d'avis que le système d'approvisionnement est déficient, alors que d'autres estiment tout simplement qu'il est trop bureaucratique, encombrant et lent 92.
En outre, certains commentateurs proposent des modifications visant à améliorer la Stratégie nationale de construction navale 93.
Finalement, de nombreux observateurs soutiennent que la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense ne règle pas les problèmes découlant de la multiplicité des centres de pouvoirs et de reddition de comptes existants dans le processus multiministériel actuel d'approvisionnement en matière de défense du Canada. En effet, si la Stratégie a mis en place de nouveaux organes de coordination, tels que le Secrétariat de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense, le CGSM et le Groupe de travail des ministres, le fait que plusieurs ministères et organismes fédéraux sont responsables de divers aspects de l'approvisionnement en matière de défense est problématique. Pour un certain nombre de commentateurs, les nouveaux organes de coordination créés dans le cadre de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense ne font qu'ajouter des paliers de bureaucratie à un processus déjà complexe, ce qui complique encore plus le processus d'approvisionnement en matière de défense. D'autres observateurs sont d'avis qu'il est nécessaire de réformer davantage le processus d'approvisionnement en matière de défense et que ce processus devrait être centralisé au sein d'un seul ministère ou organisme fédéral voué exclusivement à l'acquisition des produits et services de défense. D'après eux, la reddition de comptes, la gouvernance et l'efficience en seraient améliorées 94.
Durant la campagne électorale fédérale de l'automne 2019, le Parti libéral du Canada (PLC) et le Parti conservateur du Canada (PCC) se sont engagés à réformer le processus d'approvisionnement en matière de défense du Canada 95.
La proposition du PLC consistait à centraliser l'approvisionnement en matière de défense au sein d'un seul organisme gouvernemental – Approvisionnement de défense Canada – pour « veiller à ce que les projets d'approvisionnement en matière de défense les plus importants et les plus complexes du Canada soient livrés à temps et dans une plus grande transparence à l'égard du Parlement 96 ».
Le PCC propose de « dépolitiser » l'approvisionnement militaire en demandant au Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes de solliciter « des conseils sur l'orientation future de nos militaires pour qu'aucun parti ne joue […] de jeux politiques avec notre approvisionnement » et en créant un Comité du Cabinet sur l'approvisionnement de défense et un Secrétariat à l'approvisionnement de défense au Bureau du Conseil privé pour s'assurer que « les projets prioritaires sont réalisés à temps et selon le budget 97 ».
Les lettres de mandat que le premier ministre Trudeau a fournies à trois ministres – le ministre de la Défense nationale, la ministre des Services publics et de l'Approvisionnement et la ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne – le 13 décembre 2019 ordonnent à ces ministres de collaborer en vue de présenter des analyses et des options relatives à la création d'Approvisionnement de défense Canada 98. Aucun échéancier n'a été fixé pour la présentation par les ministres de ces analyses et options relatives à la création d'Approvisionnement de défense Canada. De surcroît, aucun renseignement n'a été publié sur la structure possible de cet organisme, son mandat, ainsi que ses ressources humaines, financières et matérielles.
Cela dit, la centralisation de l'approvisionnement en matière de défense au sein d'un seul organisme gouvernemental modifierait considérablement la façon dont l'approvisionnement en matière de défense se déroule au Canada et mettrait fin à 50 ans d'approvisionnement en matière de défense décentralisé et multiministériel.
Tout au long de l'histoire, le Canada a eu divers modèles d'approvisionnement en matière de défense, qui présentent chacun des avantages et des inconvénients. À ce jour, ces modèles ont inclus l'approvisionnement individuel autonome des différentes forces armées et la centralisation de l'approvisionnement, au sein de ministères ou d'organismes fédéraux et de sociétés d'État fédérales. Durant le xxe siècle, la tendance générale, en période de guerre ou d'urgence nationale, consistait à centraliser l'approvisionnement en matière de défense au sein d'un seul et même ministère ou organisme gouvernemental en vue de mieux contrôler et de coordonner l'acquisition des différents produits de défense.
Toutefois, depuis environ 50 ans, le Canada a adopté un modèle multiministériel d'approvisionnement en matière de défense. Depuis 1969, le processus d'approvisionnement en matière de défense du Canada fait intervenir divers ministères et organismes fédéraux ayant chacun leurs rôles et responsabilités propres. Mis en place à une époque de grandes transformations organisationnelles au sein du gouvernement fédéral, ce processus avait initialement été mis sur pied dans le but d'optimiser l'utilisation des ressources, de permettre une plus grande efficience administrative et de réduire grandement les coûts.
Au fil du temps, le processus d'approvisionnement en matière de défense du pays est devenu plus complexe et bureaucratique à mesure que de nouveaux ministères et organismes ont commencé à y prendre part. Malgré des retards dans les livraisons, des dépassements de coûts et d'autres problèmes rencontrés dans le cadre des projets d'approvisionnement en matière de défense au cours de ces 20 dernières années, le gouvernement fédéral canadien est resté fidèle au modèle multiministériel actuel.
Bien que plusieurs observateurs estiment que la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense améliorera, à long terme, l'approvisionnement en matière de défense du Canada, le public éprouve certaines inquiétudes quant à la gouvernance et à la reddition de comptes. Certains commentateurs sont d'avis qu'on pourrait obtenir une meilleure reddition de comptes et une meilleure efficience si le Canada centralisait l'approvisionnement en matière de défense au sein d'un seul et même organisme fédéral, comme il l'a fait à maintes reprises avant 1969. Néanmoins, la création d'Approvisionnement de défense Canada changerait considérablement la façon dont on procède à l'approvisionnement en matière de défense au Canada, mettant fin à plus de cinq décennies d'approvisionnement en matière de défense multiministériel.
Indépendamment du modèle adopté à l'avenir par le gouvernement en ce qui a trait à l'approvisionnement en matière de défense, il est probable que les milliards de dollars alloués pour l'acquisition de produits et de services de défense continueront d'attirer grandement l'attention de la classe politique, des médias et du public pendant des années à venir. À ce titre, on continuera probablement de réclamer une réforme du processus d'approvisionnement en matière de défense 99.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
dans le cadre de la réorganisation de certaines responsabilités ministérielles, le premier ministre a annoncé l'émergence du ministère des Approvisionnements et Services. Le nouveau ministère inclura le ministère de la Production de défense tel qu'il était alors constitué, à l'exception de la Direction des programmes internationaux qui a été transférée au ministère du Commerce. Le Bureau du Contrôleur du Trésor du ministère des Finances, le ministère des Imprimeries et de la Papeterie publique du Secrétaire d'État du Canada, la Direction de la construction navale du ministère des Transports, le Bureau central de traitement des données du Conseil du Trésor et le Bureau des services consultatifs en gestion de la Commission de la fonction publique seraient ajoutés [traduction].On a également signalé qu'un certain nombre de décrets ont été émis « pour effectuer les transferts » et qu'on a mis sur pied un groupe de travail du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) pour « procéder aux changements ». Le 12 décembre 1968, le SCT approuve les recommandations du groupe de travail concernant l'intégration des autres éléments ministériels fédéraux dans le MPD. Ce dernier a ensuite rapporté qu'une « loi sur l'organisation du gouvernement serait présentée au Parlement au début de 1969 » et que « lorsque cette loi serait adoptée, le ministère des Approvisionnements et Services verrait le jour [traduction] ». Voir MPD (1969), p. 7 et 8. [ Retour au texte ]
le partage des responsabilités pour la satisfaction des besoins militaires uniques est fondamentalement inacceptable. Cela affaiblit la responsabilisation et engendre de l'inefficacité en obligeant [le MDN et TPSGC] à travailler sur l'acquisition des mêmes biens et services. Le Comité reconnaît que la mise en place d'une organisation d'approvisionnement commune pour les biens et les services communs est vraiment avantageuse; il s'agit de la spécialité de TPSGC. Toutefois l'acquisition de matériel militaire est propre au MDN; il s'agit d'une tâche d'envergure de nature complexe. Par conséquent, les pouvoirs, les responsabilités et les obligations se rattachant à cette tâche devraient, de manière logique, être confiés à un seul organisme. Une telle initiative éliminerait les coûts élevés actuels liés au maintien à jour des connaissances de deux groupes d'employés devant exécuter des aspects semblables d'une tâche commune. Le Comité croit que ces besoins d'approvisionnement uniques seront mieux et plus efficacement par l'utilisateur du matériel ou des services, soit le MDN [traduction].Voir MDN, Réaliser l'efficacité administrative : rapport au ministre de la Défense nationale présenté par le Comité consultatif sur l'efficacité administrative, 21 août 2003, p. 28 à 32 [disponible en anglais seulement].
Créer un organisme distinct chargé des processus d'acquisition de matériel de défense, qui rendra des comptes à un seul ministre; regrouper les approvisionnements et les mandats commerciaux, contractuels et industriels dans un nouveau ministère, par exemple un type de ministère de la Production de défense, rendant des comptes à un ministre; attribuer la responsabilité conjointe de l'équipement et de l'infrastructure industrielle de défense à un ministre au sein de la structure existante des ministères fédéraux.Voir AICDS, L'industrie canadienne de défense : un partenaire essentiel dans le maintien de la stabilité économique et des intérêts nationaux du Canada – Engagement de l'industrie : Saisir les occasions et relever les défis auxquels elle est confrontée, dans le domaine de la défense et des achats militaires (1,43 Mo, 27 pages), Ottawa, décembre 2009, p. vi, 1, 15, 19.
le pouvoir exclusif de faire l'acquisition, notamment par achat, du matériel de défense et de construire les ouvrages de défense que requiert le ministère de la Défense nationale, sauf : a) les ouvrages de défense dont la construction relève de personnes à l'emploi de Sa Majesté; et b) le matériel ou les ouvrages de défense que le ministre de la Défense nationale ou un autre ministre désigné par le gouverneur en conseil peut acquérir ou construire à la demande du ministre.Voir Loi sur la production de défense. En 2014, les pouvoirs de passation de marchés délégués au MDN pour qu'il puisse se procurer du matériel et des approvisionnements de défense indépendamment de SPAC (autrefois connu sous le nom de TPSGC) se limitaient à 25 000 $. SPAC s'occupe de tous les contrats du MDN d'une valeur supérieure à 25 000 $. Dans le cadre de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense, la valeur des marchés que le MDN « est autorisé à passer indépendamment » a augmenté progressivement à 400 000 $, puis à 1 million de dollars et, enfin, à 5 millions de dollars « une fois tous les systèmes en place ». Voir SPAC, Aider l'industrie à mieux tirer profit de l'approvisionnement en matière de défense, 16 avril 2015. Selon SPAC, l'augmentation des pouvoirs de passation de marchés délégués au MDN dans le cadre de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense, « donnerait au ministre de la Défense nationale un pouvoir accru pour procéder à l'achat de matériel militaire, selon les conditions établies par la ministre » de SPAC, et « devrait permettre d'accroître l'efficience des achats de biens de faible valeur et peu complexes en réduisant les frais généraux liés aux transactions effectuées entre les deux ministères ».
Normalement, SPAC doit obtenir l'approbation du Conseil du Trésor […] pour tous les marchés de défense dont la valeur dépasse les limites de son pouvoir d'approbation, sans égard à la complexité du marché ni au risque posé par celui-ci. Ces limites sont les suivantes : 40 millions de dollars pour les biens et 20 millions de dollars pour les services acquis lorsqu'il est question de marchés concurrentiels; [ainsi que] 2 millions de dollars pour les biens et 3 millions de dollars pour les services acquis lorsqu'il est question de marchés non concurrentiels.Toutefois, dans le cadre du projet pilote, « les marchés jugés comme présentant un faible risque et une complexité faible ou moyenne seront admissibles à l'approbation par des représentants de SPAC ». SPAC a indiqué qu'il « travaillera en partenariat » avec le MDN et le SCT pour « évaluer les risques et la complexité des marchés » et que cette évaluation tiendra compte de nombreux facteurs, y compris « le nombre de règles administratives, l'ampleur du processus d'approvisionnement ou du marché, les antécédents du fournisseur et l'incidence des accords commerciaux ». Selon SPAC, les « marchés considérés comme étant à risque et complexité élevés dont la valeur dépasse les limites du pouvoir d'approbation de SPAC […] continueront d'être soumis à l'approbation du [SCT] ». Voir SPAC, Document d'information : Mise à l'essai d'un processus d'approbation simplifié des marchés de défense; SPAC, Stratégie d'approvisionnement en matière de défense; et SPAC, Projet pilote basé sur les risques. [ Retour au texte ]
© Bibliothèque du Parlement