Depuis leur avènement dans les années 1950, les transplantations d’organes ont permis de sauver d’innombrables vies. À mesure que s’améliorent les techniques et les technologies utilisées dans la médecine des transplantations, les donneurs et les receveurs connaissent de plus en plus d’issues favorables. Cependant, la demande pour ce type de traitement dépasse largement le nombre d’organes disponibles. D’après certaines estimations, les transplantations effectuées légalement ne répondent aux besoins que de 10 % de tous les patients inscrits sur les listes d’attente dans le monde. Par conséquent, des milliers de personnes meurent chaque année en attendant de recevoir une greffe.
En raison des besoins désespérés en greffes d’organes, un marché criminel transnational et lucratif permettant à des demandeurs d’organes d’acheter des organes de donneurs a vu le jour. Le trafic illégal d’organes est un phénomène mondial. Bien que ce trafic soit illégal dans la plupart des pays, les organes faisant l’objet de trafic représentent, d’après certaines estimations, jusqu’à 10 % des transplantations effectuées dans le monde, les profits annuels étant prudemment estimés entre 840 millions et 1,7 milliard de dollars américains ($ US).
Les organes faisant l’objet d’un trafic illégal sont très coûteux. Selon certains rapports, le coût d’un rein, l’organe faisant le plus couramment l’objet de trafics, peut aller de 50 000 à 120 000 $ US. Les acheteurs sont donc habituellement des personnes fortunées originaires de pays développés comme le Canada. L’achat s’effectue généralement par le biais d’un vaste réseau qui comprend un courtier servant d’intermédiaire entre l’acheteur et le vendeur d’organes, un recruteur local, ainsi que des professionnels de la santé et des hôpitaux locaux qui prélèvent l’organe illicitement. Il reste donc très peu d’argent pour le « donneur ». Les victimes sont généralement issues des populations pauvres et vulnérables de pays en voie de développement. Nombre d’entre elles auraient été trompées, contraintes ou autrement forcées de vendre leurs organes.
Bien que le problème du trafic d’organes soit reconnu à l’échelle internationale, les tentatives visant à le prévenir et à l’interdire ont connu un succès limité, ce crime clandestin demeure répandu dans de nombreuses régions du monde. La difficulté vient en partie du fait que de nombreux pays, dont le Canada, n’interdisent pas explicitement les voyages à l’étranger aux fins de greffes d’organes organisées par des moyens illicites. Jusqu’à présent, les mesures législatives prises au Canada pour renforcer les lois fédérales concernant le trafic d’organes ont été infructueuses.
La présente étude générale brosse un portrait général du problème du trafic d’organes et de la participation du Canada à cette activité illicite. Elle définit les termes clés, expose certains des principaux enjeux et résume les mesures prises par la communauté internationale ainsi que par le Canada pour lutter contre le trafic d’organes.
Un commerce lucratif de trafic d’organes et de traite des personnes aux fins de transplantation d’organes a vu le jour en raison de la pénurie mondiale d’organes à transplanter 1. Ces pratiques, couramment appelées trafic d’organes, sont interdites par le droit international au titre de l’interdiction générale de la traite des personnes 2. Des organisations gouvernementales et non gouvernementales, dont des associations médicales, ont convenu dans une déclaration officielle que cette interdiction visait toute transplantation dans le cadre de laquelle le donneur d’organes tire de la transaction une contrepartie financière ou un avantage comparable 3.
Le trafic d’organes est devenu un problème mondial. D’après certaines estimations, les organes faisant l’objet d’un trafic représentent jusqu’à 10 % des transplantations d’organes effectuées dans le monde, les profits annuels étant prudemment estimés entre 840 millions et 1,7 milliard de dollars américains ($ US) 4. Les organisations criminelles qui se livrent à la traite des personnes étendent de plus en plus leurs activités au trafic d’organes afin d’exploiter l’écart entre l’offre et la demande d’organes 5.
Au cours des dernières décennies, plus de 100 pays ont adopté des lois interdisant le commerce d’organes ou renforçant celles qui le font déjà 6. En outre, un certain nombre d’organismes gouvernementaux et professionnels ont lancé des initiatives visant à réglementer les transplantations d’organes nationales et internationales et à prévenir le trafic d’organes 7. Prises ensemble, ces initiatives proposent des solutions à l’échelle professionnelle, réglementaire et du droit international pour faire face à une entreprise criminelle mondiale de plus en plus complexe.
La présente étude générale définit les éléments et termes clés caractérisant la pratique illégale de trafic d’organes et résume les mesures prises par la communauté internationale et le Canada pour la combattre.
Les définitions suivantes concernent certains des termes les plus couramment utilisés dans les publications sur les transplantations et le trafic d’organes 8:
le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou la réception de personnes au moyen de menaces, ou de l’usage de la force ou de toute autre forme de coercition, d’abduction, de fraude, de tromperie ou d’abus de pouvoir, ou d’abus de position de vulnérabilité, ou le paiement donné ou reçu, ou les bénéfices, pour obtenir le consentement d’une personne, le contrôle sur une autre, en vue d’un prélèvement d’organes 13.
La Déclaration d’Istanbul sur le trafic d’organes et le tourisme de transplantation (Déclaration d’Istanbul), largement reconnue comme un outil important d’orientation pour les organismes gouvernementaux et professionnels dans le domaine de la transplantation, établit également une distinction entre les voyages pour transplantation et le « tourisme de transplantation ». Le voyage pour transplantation devient du tourisme de transplantation s’il
implique le trafic de personnes en vue de prélèvements d’organes ou le trafic d’organes ou si l’utilisation des ressources (organes, professionnels et centres de transplantation) dédié[e]s à fournir des transplants à des patients non-résidents diminue la capacité du pays à fournir des transplants à sa propre population 17.
Le tourisme de transplantation désigne, par exemple, le cas d’un patient qui se rend du Canada dans un autre pays pour obtenir un rein par voie commerciale, ou pour recevoir un organe d’un donneur étranger en dehors d’un programme d’échange d’organes bilatéral ou multilatéral officiellement réglementé 18. En revanche, un voyage pour transplantation admissible serait, par exemple, le cas d’un receveur qui a la citoyenneté de son pays de résidence et du pays de destination et qui souhaite recevoir une greffe d’organe provenant d’un donneur vivant qui lui est apparenté dans le pays de destination 19.
Depuis ses débuts dans les années 1950, la transplantation d’organes pour traiter les patients qui présentent une défaillance d’organes de stade terminal est de plus en plus courante partout dans le monde 20. Les avancées constantes réalisées dans les domaines de la technologie médicale et de la médecine des transplantations ont entraîné une augmentation de la demande d’organes 21. Cependant, cette demande dépasse largement l’offre. D’après certaines estimations, le nombre actuel de transplantations effectuées légalement ne répond aux besoins que de 10 % de tous les patients inscrits sur les listes d’attente à l’échelle du globe 22. En raison de la pénurie d’organes, les pays ont adopté des procédures et des systèmes visant à augmenter l’offre, principalement au moyen de l’amélioration, de l’expansion et de la promotion des programmes pour le don d’organes de donneurs décédés. Cependant, à elles seules, « ces mesures ne suffisent pas à combler l’écart entre l’offre et la demande d’organes 23 ».
Comme la demande d’organes dépasse l’offre, le commerce de transplantation et le trafic d’organes, qui impliquent tous deux la vente et l’achat illégaux d’organes, vont en augmentant. On observe cette tendance malgré le fait que presque tous les pays du monde interdisent le don d’organes rémunéré, une pratique largement considérée comme étant une pratique « non éthiqu[e d’exploitation] » et portant préjudice aux « personnes pauvres et démunies 24 ». Les principes directeurs de l’OMS sur la transplantation de cellules, de tissus et d’organes humains (voir section 4.3 de la présente étude générale) autorisent le remboursement des dépenses engagées pour faire un don d’organes (y compris les dépenses médicales et les pertes de revenus pour les donneurs vivants), mais interdisent le paiement d’organes, lequel « revient potentiellement à profiter de la situation des groupes les plus pauvres et les plus vulnérables, porte atteinte au don altruiste et peut déboucher sur l’exploitation et le trafic d’êtres humains 25 ».
Par conséquent, les organes sont devenus une marchandise précieuse et rentable sur le marché noir et font entrer en jeu des syndicats du crime transnationaux qui exploitent des réseaux « bien organisés » au delà des frontières nationales 26. D’après l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), les pratiques illicites liées au commerce illégal d’organes figurent encore parmi les crimes les plus difficiles à détecter. Les praticiens de la justice pénale, les forces de l’ordre et les décideurs politiques y sont donc peu sensibilisés, et la répression de ce crime n’est généralement pas une priorité. Cependant, certains pays ont fait des progrès en la matière 27. Ce manque de sensibilisation existe malgré le nombre considérable d’acteurs mêlés au commerce d’organes illicites, notamment le courtier qui sert d’intermédiaire entre l’acheteur et le vendeur d’organes, le recruteur local qui repère les personnes vulnérables disposées à vendre leurs organes, et les professionnels de la santé et hôpitaux locaux qui procèdent au prélèvement illicite des organes 28.
D’après l’estimation mentionnée dans l’introduction de la présente étude, le trafic d’organes génère entre 840 millions et 1,7 milliard de dollars américains de profits illégaux par année. Un rapport publié en 2017 par le groupe Global Financial Integrity estime qu’en 2014, près de 12 000 transplantations illégales ont été réalisées dans le monde, dont les deux tiers étaient des transplantations rénales 29. Toujours selon ce rapport, on estime que l’acheteur d’organes peut débourser entre 50 000 et 120 000 $ US pour un rein sur le marché noir. Par contre, les vendeurs reçoivent en moyenne moins de 10 % du paiement de l’acheteur, dont la majorité est versée aux trafiquants et aux autres intermédiaires 30. À titre de comparaison avec le coût des interventions de transplantation rénale autorisées aux États Unis, le coût moyen de la facture pour la transplantation d’un rein s’élève à environ 442 500 $ US, ce qui comprend les soins pré et postopératoires 31. Au Canada, en 2019, le coût d’une transplantation pour le système de soins de santé était estimé à 66 000 $ au cours de la première année. Par la suite, les coûts annuels liés à la transplantation sont estimés à 23 000 $ 32.
Des cas de trafics d’organes sont signalés dans le monde entier. D’après l’ONUDC, des trafics visant le prélèvement d’organes ont été détectés dans 25 pays entre 2003 et 2016, principalement en Afrique du Nord et au Moyen Orient, quoique des cas aient été relevés en Europe occidentale, centrale et orientale, ainsi qu’en Amérique centrale et du Sud 33. D’autres commentateurs font remarquer que les principales personnes ciblées aux fins du trafic et de la commercialisation d’organes ou du tourisme de transplantation sont semble-t-il issues de populations vulnérables et appauvries en Chine, en Égypte, en Inde, en Irak, au Pakistan et aux Philippines, ainsi que dans des pays d’Amérique centrale et du Sud et d’Europe orientale. Les victimes sont principalement des hommes âgés entre 20 et 40 ans. Ils sont souvent induits en erreur quant à la nature et aux conséquences médicales de la transplantation, et de nombreuses études révèlent que presque tous les vendeurs d’organes regrettent leur acte. Une fois recrutées, les victimes prises de doutes sont souvent contraintes par la violence ou l’intimidation à aller jusqu’au bout de l’intervention 34.
En ce qui concerne la demande, des rapports indiquent que des ressortissants de l’Australie, du Canada, du Japon, de la Corée du Sud, des États Unis, ainsi que de pays du Moyen Orient et d’Europe occidentale se rendent à l’étranger en vue d’une transplantation commerciale. Les receveurs d’organes qui entreprennent un tel voyage le font généralement par désespoir, en raison de leur état de santé déclinant et des faibles chances d’obtenir une greffe d’organes licite dans leurs pays d’origine. Il est possible qu’ils soient informés des possibilités de tourisme de transplantation par le bouche-à-oreille ou par des publicités en ligne, entre autres sources 35.
Les transplantations commerciales réalisées à l’étranger sont dangereuses non seulement pour les donneurs, mais aussi pour les receveurs, peut-être parce qu’il n’existe aucun cadre réglementaire garantissant la sécurité de l’intervention ou la viabilité des organes. Une étude menée entre 1998 et 2013 dans un hôpital de Toronto a révélé que les patients ayant subi une greffe du rein à l’étranger étaient trois à quatre fois plus susceptibles de mourir ou de perdre l’organe que ceux qui avaient reçu une greffe du rein au Canada, et qu’ils risquaient aussi davantage de rentrer chez eux atteints de maladies comme l’hépatite ou la tuberculose, entre autres complications 36.
Le trafic d’organes, qui est de portée mondiale, cible des profils de donneurs et de receveurs typiques. Les pays donneurs sont notamment situés en Amérique du Sud, en Europe de l’Est, en Asie de l’Est et en Asie du Sud, tandis que les pays receveurs comprennent notamment le Canada, les États Unis, l’Australie ainsi que des pays du Moyen Orient et de l’Asie de l’Est. Le donneur typique est un homme de 28 ans dont le revenu annuel moyen est de 480 $ et le receveur typique est un homme de 48 ans dont le revenu annuel moyen est de 53 000 $ 37.
Des organisations internationales, des gouvernements et des associations professionnelles du monde entier ont convenu de plusieurs initiatives internationales majeures visant à réglementer la transplantation d’organes et à lutter contre le trafic d’organes. Voici une brève description de trois initiatives internationales majeures 38.
Le 13 mai 2002, le Canada a ratifié le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme) 39. Il s’agit du premier instrument mondial juridiquement contraignant à prévoir une définition acceptée de la traite de personnes, laquelle englobe notamment la traite de personnes aux fins de prélèvement d’organes :
L’expression « traite des personnes » désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes 40.
La Déclaration d’Istanbul est la première déclaration internationale à établir une distinction entre le tourisme de transplantation et les voyages pour transplantation, tout en encourageant les États à prendre des mesures directes et précises. Elle a été adoptée pour la première fois en 2008 lors d’une réunion internationale organisée par la Société internationale de transplantation et la Société internationale de néphrologie. Le groupe gardien de la Déclaration d’Istanbul (DICG) a été établi en 2010 pour superviser la diffusion du document et le soutien qu’il suscite. Le DICG a publié une nouvelle édition de la Déclaration d’Istanbul en 2018 après la tenue de consultations publiques auprès d’intervenants concernés. La Déclaration d’Istanbul se veut un document d’orientation pour les décideurs politiques et les professionnels de la santé, plutôt qu’un instrument juridiquement contraignant. Bon nombre de sociétés médicales nationales et internationales et d’organismes gouvernementaux engagés dans la transplantation d’organes, dont plusieurs au Canada, approuvent la Déclaration d’Istanbul (c. à d. qu’ils acceptent d’en respecter les principes) 41. D’après son préambule, la Déclaration d’Istanbul
exprime la détermination des professionnels impliqués dans le don et la greffe et de leurs collègues des disciplines apparentées que le bénéfice de la transplantation doit être optimisé et partagé équitablement avec ceux qui en ont besoin, en renonçant à toutes pratiques non éthiques d’exploitation qui ont porté préjudice aux personnes pauvres et démunies dans le monde 42.
La Déclaration d’Istanbul énonce 11 principes 43. Certains mettent l’accent sur la prévention, comme le Principe 1 qui enjoint aux gouvernements « [d’]élaborer et [de] mettre en place des programmes solides du point de vue éthique et clinique pour la prévention et le traitement des défaillances d’organes » 44 et le Principe 6, qui demande aux gouvernements d’assurer la transparence et la responsabilité en ce qui touche le don d’organes, la répartition et les pratiques de transplantation. D’autres mettent l’accent sur l’interdiction, en réclamant notamment la criminalisation du trafic d’organes humains et du trafic des personnes en vue du prélèvement d’organes (Principe 3) ainsi que sur la mise en œuvre de stratégies visant à décourager et à empêcher le tourisme de transplantation (Principe 10). Les principes soulignent également l’importance de l’accès équitable au don et aux services de transplantation (Principe 7) ainsi que la nécessité pour les pays de s’efforcer d’atteindre l’autosuffisance en termes de don d’organes et de transplantation (Principe 11).
Les Principes directeurs de l’OMS sur la transplantation de cellules, de tissus et d’organes humains (Principes directeurs de l’OMS) s’appuient sur des résolutions antérieures dans lesquelles l’OMS exprimait ses « préoccupations concernant le commerce d’organes et la nécessité d’édicter des normes mondiales pour la transplantation 45 ». Ces 11 principes directeurs visent à s’assurer que les États mettent en place un « cadre rationnel, éthique et acceptable pour l’acquisition et la transplantation 46 » d’organes, notamment
Dans l’ensemble, les principes directeurs de l’OMS représentent une feuille de route qui permet aux États membres d’établir des programmes de transplantation respectueux de l’éthique. Cependant, comme ces principes ne sont pas juridiquement contraignants, ils ne prévoient ni disposition ni mécanisme d’application et n’obligent pas les États membres à rendre compte de la mise en œuvre des recommandations. Bien que les principes directeurs de l’OMS ne traitent pas directement du trafic d’organes, ils fournissent des normes claires permettant aux pays de s’attaquer au problème de l’offre en matière de transplantation d’organes.
La Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains (Convention du Conseil de l’Europe), ouverte à la signature le 25 mars 2015, est entrée en vigueur le 1er mars 2018 après avoir été ratifiée par un nombre suffisant de pays 53. En date d’octobre 2020, dix États l’avaient ratifiée : l’Albanie, la Croatie, la Lettonie, Malte, le Monténégro, la Norvège, le Portugal, la République de Moldova, la République tchèque et la Suisse 54. La Convention du Conseil de l’Europe, le premier instrument international juridiquement contraignant qui porte uniquement sur le trafic d’organes, est également ouverte à la ratification du Canada. Aux termes de l’article 1, la Convention du Conseil de l’Europe vise :
L’article 23 établit également le Comité des Parties à la Convention chargé de surveiller l’application de cet instrument.
Le 8 septembre 2017, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Résolution 71/322, intitulée Adoption de mesures efficaces et renforcement et promotion de la coopération internationale concernant le don et la transplantation d’organes pour prévenir et combattre la traite des personnes à des fins de prélèvement d’organes et de trafic d’organes humains 56. La résolution prie instamment les États membres, entre autres mesures
Comme c’est le cas dans d’autres pays, la demande d’organes au Canada dépasse largement l’offre. En 2019, plus de 4 300 personnes étaient en attente d’une greffe d’organes, 3 014 organes ont été transplantés et 249 personnes sont décédées en attendant une greffe 60. En 2019, le Canada s’est classé au 19e rang sur 70 pays, en ce qui touchait le taux de donneurs d’organes décédés, avec un taux de 20,56 par million de personnes (PMP) 61. En comparaison, le taux de donneurs d’organes décédés en Espagne, le pays au premier rang, était de 49 PMP. Pour les donneurs d’organes vivants, le Canada s’est classé au 16e rang en 2019, avec un taux de 14,98 PMP. Cette même année, la Turquie occupait le premier rang, avec un taux de 53,02 PMP 62.
Le Canada est l’un des principaux pays d’origine des patients à la recherche d’organes à l’étranger 63. À l’heure actuelle, le Canada ne dispose d’aucune loi interdisant aux Canadiens de se rendre à l’étranger pour subir une transplantation, une pratique également appelée tourisme de transplantation 64. Cependant, comme il est expliqué à la section 5.1.1 de la présente étude générale, le Code criminel (le Code) 65 interdit aux résidents permanents et aux citoyens canadiens d’exploiter une personne à l’extérieur du Canada en vue du prélèvement d’un organe ou d’un tissu.
Le Code interdit la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes. Les articles 279.01 à 279.03 du Code criminalisent la traite des personnes ainsi que les infractions connexes, comme le fait de recevoir un avantage matériel de la traite des personnes ou de retenir des titres de voyage pour faciliter la traite des personnes.
Aux termes du paragraphe 279.01(1) du Code,
[q]uiconque recrute, transporte, transfère, reçoit, détient, cache ou héberge une personne, ou exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne, en vue de l’exploiter ou de faciliter son exploitation commet une infraction.
L’« exploitation » est définie au paragraphe 279.04(1) du Code, qui prévoit :
[U]ne personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir – ou à offrir de fournir – son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît.
Le paragraphe 279.04(3) du Code précise que la traite de personnes aux fins de prélèvement d’organes est comprise dans la définition de l’exploitation :
Pour l’application des articles 279.01 à 279.03, une personne en exploite une autre si elle l’amène, par la tromperie ou la menace ou l’usage de la force ou de toute autre forme de contrainte, à se faire prélever un organe ou des tissus.
La traite des personnes est un acte criminel. L’individu qui enlève la personne, se livre à des voies de fait graves ou à une agression sexuelle grave sur elle ou cause sa mort lors de la perpétration de l’infraction commet une infraction passible d’un emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de cinq ans (six ans si la victime avait moins de 18 ans). Dans tous les autres cas, la traite des personnes est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans, la peine minimale étant de quatre ans (cinq ans si la victime avait moins de 18 ans).
De plus, aux termes du paragraphe 7(4.11) du Code, tout citoyen canadien ou résident permanent qui commet à l’extérieur du Canada une infraction prévue aux articles 279.01 à 279.03 « est réputé […] avoir commis [cette infraction] au Canada ». Cette disposition du Code assure l’application extraterritoriale de l’infraction de traite des personnes.
Au cours des dix dernières années, plusieurs tentatives, sous forme de projets de loi émanant de députés ou de projets de loi d’intérêt public du Sénat, ont été entreprises pour modifier le Code afin de traiter plus explicitement du trafic d’organes et d’autres parties du corps humain 66. Par exemple, le projet de loi S 240, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains) est mort au Feuilleton à la dissolution de la 42e législature, après avoir franchi l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes. Parrainé par la sénatrice Salma Ataullahjan, le projet de loi S-240 aurait modifié le Code afin d’y ajouter une disposition criminalisant le trafic d’organes humains, y compris le prélèvement d’organes effectué sans le consentement éclairé de la personne concernée ou moyennant une contrepartie financière, par quiconque au Canada ou par un résident permanent ou citoyen canadien à l’extérieur du Canada. Ces infractions auraient été passibles d’un emprisonnement maximal de 14 ans. Le projet de loi aurait également établi un registre des transplantations d’organes afin d’aider les autorités à détecter les cas de trafic d’organes. Enfin, le projet de loi aurait modifié la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour frapper d’interdiction de territoire au Canada tout résident permanent ou ressortissant étranger se livrant au trafic d’organes.
Les lois de la plupart des pays interdisant le trafic d’organes se concentrent sur la vente des organes à l’intérieur du pays. Cette approche n’impose pas de responsabilité aux résidents qui se livrent au tourisme de transplantation à l’étranger. Cependant, plusieurs pays ont adopté des lois afin de décourager ou d’empêcher leurs citoyens de se rendre à l’étranger pour obtenir des organes en vue d’une greffe. Israël, par exemple, interdit aux compagnies d’assurance maladie de rembourser les frais médicaux des patients qui se rendent à l’étranger pour recevoir une greffe tout en prévoyant le remboursement total des dépenses légitimes liées aux dons d’organes 67. La législation taïwanaise oblige les patients qui reçoivent une greffe d’organes à l’étranger à fournir par écrit certains renseignements concernant la greffe reçue afin de pouvoir recevoir des soins médicaux à Taïwan 68.
Les pays de destination du tourisme de transplantation ont également mis en œuvre, avec un certain succès, des lois visant à limiter cette pratique. Par exemple, une loi adoptée aux Philippines en 2009 qui interdit aux donneurs vivants locaux de fournir des organes à des ressortissants étrangers en vue d’une greffe a entraîné une réduction significative du tourisme de transplantation dans ce pays, les cas étant passés de 531 en 2007 à 2 en 2011 69. L’Inde a adopté une loi en 1994 restreignant les dons d’organes, les donneurs vivants ne pouvant offrir leurs organes qu’aux personnes qui leur sont apparentées, afin de décourager le tourisme de transplantation. La loi autorisait toutefois les dons d’organes par « altruisme » de donneurs vivants à des receveurs non apparentés. Les trafiquants d’organes faisaient donc passer des transactions d’organes illicites pour des dons volontaires, ce qui a amené le gouvernement indien à assortir le commerce d’organes de peines plus sévères et à en accroître la surveillance 70.
L’Iran est le seul pays au monde à autoriser le don rémunéré de reins par des donneurs vivants. Les donneurs potentiels en Iran doivent obtenir l’approbation du gouvernement iranien. Si elle leur est fournie, ils reçoivent des receveurs de 2 000 à 5 000 $ US en guise de dédommagement, en plus de bénéficier d’une année d’assurance maladie gratuite et d’une subvention gouvernementale de 1 200 $ US 71. Les coûts de la transplantation sont assumés par le gouvernement sans que ne soit autorisé le versement d’avantages quelconques aux équipes de transplantation. La réglementation vise à prévenir le tourisme de transplantation rénale en exigeant que le donneur et le receveur soient tous deux iraniens. La Société iranienne de la transplantation d’organes est chargée de surveiller tous les dons d’organes par des donneurs vivants à des receveurs non apparentés pour veiller à ce qu’il n’y ait aucune violation d’ordre éthique 72.
Malgré les succès apparents du programme et les règlements solides mis en place, la plupart des vendeurs de reins en Iran vivent en dessous du seuil de la pauvreté, ce qui fait ressortir l’inégalité systémique entre les donneurs et les receveurs dans le commerce d’organes, même lorsqu’il est légalisé 73. Par ailleurs, de nombreux vendeurs se tournent encore vers le marché noir pour vendre leurs reins à des acheteurs disposés à payer des milliers de dollars de plus que ce qu’offre le gouvernement 74.
Comme il a déjà été précisé, la cause première du trafic d’organes tient au manque criant d’organes pouvant être obtenus par des moyens légitimes. À la suite de la troisième consultation mondiale de l’OMS sur le don et la transplantation d’organes en 2011, les participants, y compris des représentants gouvernementaux et professionnels médicaux, ont publié la résolution de Madrid sur le don et la transplantation d’organes, qui exhorte les gouvernements à viser « l’autosuffisance en matière d’organes destinés aux transplantations » puisqu’il « s’agit du seul mécanisme de protection contre la tentation de céder au commerce d’organes humains 75 ». Pour atteindre l’autosuffisance, il faut des stratégies qui visent non seulement à augmenter la disponibilité des organes, mais aussi à prévenir les maladies qui aboutissent à leur défaillance 76.
Traitant en particulier de la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes, le Routledge Handbook of Human Trafficking affirme que parmi les mesures essentielles de prévention figurent notamment
l’établissement d’un cadre réglementaire et l’élaboration de lignes directrices professionnelles visant à assurer la sélection rigoureuse, notamment du point de vue psychosocial, des donneurs vivants potentiels, en vue d’exclure tout élément de coercition, de fraude, de tromperie ou d’abus d’une position de vulnérabilité. En outre, il devrait devenir pratique courante d’intégrer un défenseur des donneurs vivants dans les programmes de transplantation. Les programmes de dons par des donneurs vivants devraient accorder une attention particulière aux donneurs vivants non-résidents, qu’il pourrait être particulièrement difficile de soumettre à un dépistage psychosocial approprié. Les protocoles en place doivent être à même de faire la différence entre les voyages pour transplantation admissibles et les cas où le donneur potentiel apparemment consentant pourrait être exploité. Les pratiques de transplantation doivent être élaborées dans le cadre de systèmes très réglementés, transparents et soumis à une surveillance stricte. De même, les centres de transplantation devraient être soumis à des autorisations précises et à des vérifications régulières 77.
Le guide souligne également la nécessité pour les États d’accroître la sensibilisation au commerce illégal d’organes et de bien informer les populations qui risquent d’être victimes du trafic d’organes. Il maintient par ailleurs que les États doivent fournir aux professionnels de la santé et aux fonctionnaires ayant affaire à des receveurs et à des donneurs d’organes potentiels des renseignements adéquats en vue de leur permettre de prévenir et de combattre le commerce d’organes illicite 78.
Les médecins sont également décrits comme jouant « un rôle essentiel pour ce qui est de décourager » le tourisme de transplantation dans les pays sources comme le Canada, « surtout s’ils sont appuyés par des réformes politiques et juridiques 79 ». Par exemple, les médecins pourraient renseigner les patients qui envisagent de se livrer au tourisme de transplantation au sujet des risques médicaux associés aux greffes reçues à l’étranger, des dangers pour le donneur d’organes et de l’illégalité du commerce d’organes 80.
Le trafic d’organes est un problème mondial qui continue de passer largement inaperçu malgré les profits considérables qu’en tirent les groupes criminels organisés. Tous les pays sont touchés – les victimes de trafics d’organes appartiennent généralement aux populations pauvres et vulnérables de pays en voie de développement, tandis que les receveurs d’organes illicites sont habituellement originaires de pays plus prospères comme le Canada. Le trafic d’organes résulte de l’importante pénurie d’organes pouvant être obtenus par des moyens légitimes dans pratiquement tous les pays, y compris au Canada où les patients peuvent attendre une greffe pendant des années. Les tentatives législatives visant à renforcer les lois fédérales canadiennes concernant le trafic d’organes se sont jusqu’à présent avérées infructueuses. Bien que certaines initiatives internationales et nationales visant à prévenir et à interdire le trafic d’organes aient eu des résultats positifs, ce crime clandestin demeure un fléau répandu dans le monde.
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