Au Canada, les systèmes de services de garde et d’éducation à la petite enfance diffèrent d’une province et d’un territoire à l’autre; ils présentent des différences marquées, notamment quant à leur abordabilité, à leur accessibilité et à leurs taux de fréquentation. Ces facteurs ont une incidence sur la participation au marché du travail des parents de jeunes enfants, en particulier les mères. À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral soutient les services de garde et d’éducation à la petite enfance par divers moyens, dont les paiements de transfert aux provinces et aux territoires, ainsi que certaines mesures fiscales. Or, de nombreux intervenants estiment que le gouvernement fédéral devrait en faire plus à ce chapitre et contribuer à l’élaboration d’un système national de services de garde et d’éducation à la petite enfance. Le gouvernement fédéral a déjà signalé vouloir s’inspirer du système québécois de services de garde éducatifs en vue de développer un système pancanadien. Les études entourant le modèle québécois ont révélé des réussites – notamment en ce qui a trait aux centres de la petite enfance et à la hausse du taux d’emploi des femmes –, mais aussi des lacunes – y compris en ce qui concerne le manque de places subventionnées et la qualité insuffisante des services dans certains milieux de garde où les enfants défavorisés sont surreprésentés. Finalement, certains facteurs sont fréquemment soulevés en lien avec un éventuel engagement accru du gouvernement fédéral dans ce domaine, notamment le besoin de services de garde et d’éducation à la petite enfance qui tiennent compte des réalités hétérogènes des familles et qui respectent certains critères de qualité.
Depuis des décennies, le gouvernement fédéral se penche sur le développement des services de garde et d’éducation à la petite enfance au pays, tout en tenant compte du partage des compétences avec les provinces et territoires. Ces services sont intimement liés à la participation des parents, particulièrement des mères, au marché du travail. De plus, des services de garde et d’éducation à la petite enfance de qualité peuvent favoriser l’égalité des chances chez les enfants de différents milieux socio économiques, en les préparant en vue de leur entrée à l’école. Par ailleurs, alors que le Canada devra orchestrer sa relance économique à la suite de la pandémie de COVID‑19, les besoins en matière de services de garde et d’éducation à la petite enfance seront un enjeu clé pour que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes, y compris les parents de jeunes enfants, puissent participer au marché du travail.
Cette étude présente d’abord des données récentes sur la participation des parents au marché du travail et sur le recours aux services d’apprentissage et de garde d’enfants au pays. On y examine ensuite le rôle du gouvernement fédéral en ce qui a trait aux services de garde et d’éducation à la petite enfance, y compris ses principales interventions dans ce domaine. Puis, comme le système québécois de services de garde éducatifs est le programme le plus développé au Canada et que le gouvernement fédéral a indiqué qu’il pourrait s’en inspirer pour développer un système national, on y présente certaines informations quant à son fonctionnement, à son financement et à son incidence sur le développement des enfants et sur le taux d’emploi des femmes au Québec. Finalement, certains facteurs à prendre en considération en lien avec l’éventuelle élaboration d’un système national de services de garde et d’éducation à la petite enfance au Canada sont énoncés.
En 2015, seul le quart (25 %) des couples avec enfants de moins de 6 ans comptaient deux adultes au travail à temps plein toute l’année, soit beaucoup moins que les couples avec des enfants plus vieux (37 %) ou sans enfant (41 %). La situation la plus courante pour un couple avec un ou plusieurs enfants de moins de 6 ans était la suivante : un parent travaillait à temps plein toute l’année, et l’autre, à temps partiel (moins de 30 heures par semaine) ou une partie de l’année seulement 1.
Chez les familles monoparentales, composées à 81 % de mères seules, la minorité des parents d’enfants de moins de 6 ans travaillaient à temps plein toute l’année (27 % des mères et 46 % des pères). Le tiers des mères monoparentales d’enfants de moins de 6 ans ont déclaré ne pas avoir travaillé en 2015. De plus, la participation au marché du travail des parents monoparentaux a reculé de plusieurs points de pourcentage entre 2005 et 2015, tant chez les mères que chez les pères 2.
La figure 1 illustre les changements au chapitre du travail à temps plein toute l’année chez les parents d’enfants de moins de 18 ans entre 2005 et 2015. Il est à noter que les familles sont catégorisées selon l’âge de leur enfant le plus jeune et que les couples illustrés sont ceux dont les deux parents ont travaillé à temps plein toute l’année.
Source : André Bernard, Résultats du Recensement de 2016 : Activité sur le marché du travail des familles canadiennes comptant des enfants, Regard sur la société canadienne, Statistique Canada, 15 mai 2018.
La participation au marché du travail des parents d’enfants de moins de 6 ans varie toutefois d’une province et d’un territoire à l’autre. En 2015, c’est au Nouveau Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, au Québec, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon que l’on retrouvait la plus grande proportion de couples dont les deux parents travaillaient à temps plein, tandis que c’était au Nunavut, en Alberta et en Colombie-Britannique que cette proportion était la plus faible. Selon Statistique Canada, plusieurs facteurs pourraient expliquer ces variations, notamment les différences au chapitre des frais de garde d’enfants et des revenus médians 3.
Au Canada, le taux d’activité des mères sur le marché du travail demeure inférieur à celui des femmes sans enfant et des hommes (avec ou sans enfants). En 2016, 71 % des femmes de 15 à 44 ans avec un ou plusieurs enfants de moins de 3 ans étaient actives sur le marché du travail, comparativement à 77 % des femmes du même âge sans enfant ou avec des enfants plus âgés. Au Québec, 80 % des mères avec enfants de moins de 3 ans étaient actives sur le marché du travail, une différence que les chercheurs associent aux politiques familiales du Québec en matière de services abordables de garde d’enfants 4. En outre, il convient de noter que les incidences néfastes de la pandémie de COVID‑19 sur l’économie canadienne en 2020-2021 se sont particulièrement répercutées sur la participation des femmes au marché du travail, surtout dans le cas des mères de jeunes enfants 5.
En 2018-2019, environ les deux tiers des enfants âgés de 1 à 5 ans au Canada étaient confiés à des services de garde. En outre, 6 % des enfants de 0 à 5 ans ne fréquentaient pas un service de garde, mais allaient à la maternelle. Chez les moins d’un an, 24 % des nourrissons fréquentaient un service de garde. Ce pourcentage plus faible peut être attribuable à la prise du congé parental durant la première année de vie de l’enfant. Au total, près de 1,4 million d’enfants âgés de 0 à 5 ans fréquentaient un service de garde au début de 2019 6.
Le taux de fréquentation d’un service de garde varie entre les provinces et les territoires. Par exemple, en 2019, 78 % des enfants québécois de 0 à 5 ans fréquentaient un service de garde. Il s’agit du taux le plus élevé au Canada. À l’opposé, au Nunavut, seulement 37 % des enfants de 0 à 5 ans fréquentaient un service de garde. Les taux de fréquentation étaient plus faibles en Ontario (54 %), au Manitoba (51 %), en Saskatchewan (53 %) et en Alberta (54 %) que dans les provinces de l’Atlantique (de 61 à 66 %), à l’exception de Terre‑Neuve-et‑Labrador (58 %). Les taux de fréquentation en Colombie-Britannique, au Yukon et dans les Territoires du Nord Ouest se situaient entre 56 % et 59 % 7.
Les modes de garde varient eux aussi selon l’âge de l’enfant et selon la province ou le territoire. Presque la moitié des enfants de moins d’un an sont confiés à une personne apparentée, alors que la majorité des enfants d’un an et plus fréquentent une garderie, un programme préscolaire ou un centre de la petite enfance. Certaines provinces, comme Terre-Neuve-et-Labrador (43 %), comptent une grande proportion d’enfants confiés à une personne apparentée, alors qu’ailleurs, les garderies sont prédominantes. Au Québec, les enfants sont moins sujets à être gardés par une personne apparentée, mais sont plus susceptibles d’être confiés à un service de garde en milieu familial 8.
En 2019, des parents dont les enfants de 0 à 5 ans étaient confiés à un service de garde, 36 % ont déclaré avoir eu du mal à trouver un service de garde ou d’apprentissage pour leurs enfants. Ce taux variait aussi entre les provinces, allant de 30 % au Québec à 52 % au Manitoba. Au nombre des difficultés dont les parents ont fait mention pour trouver un service de garde, notons le coût, l’horaire et la qualité 9. Comme seuls les parents dont les enfants fréquentaient un service de garde ont été pris en compte dans ces statistiques, on peut présumer que ces pourcentages auraient été plus élevés en incluant les parents dont les enfants ne fréquentaient pas un service de garde faute de place ou en raison des coûts trop élevés ou d’autres facteurs.
Source : David Macdonald et Martha Friendly, En évolution : Les frais de garde d’enfants au Canada en 2019 (663 Ko, 47 pages), Centre canadien de politiques alternatives, mars 2020, p. 16.
La difficulté à trouver des services de garde a des conséquences pour les parents, notamment quant à leur capacité à travailler. Parmi les parents ayant eu du mal à trouver un service de garde, 40 % ont dû modifier leur horaire de travail, 33 % ont dû réduire leurs heures de travail, et plus de 25 % ont dû reporter leur retour au travail 10.
Finalement, il convient de noter que plusieurs raisons expliquent le fait que certaines familles n’ont pas recours à des services de garde. Notamment, 17 % des familles avec enfants de 0 à 5 ans comptaient un parent qui a décidé de rester à la maison, 10 % comptaient un parent en congé de maternité ou parental, et 6 % comptaient un parent sans emploi. En outre, 10 % des enfants de 0 à 5 ans ne fréquentaient pas un service de garde parce que les coûts étaient trop élevés, tandis que 3 % d’entre eux n’avaient pas eu accès à une place. Ces divers facteurs varient également entre les provinces et les territoires 11.
Au Canada, les services de garde et d’éducation à la petite enfance relèvent principalement de la compétence des provinces et des territoires 12. Ainsi, on compte autant de systèmes en la matière que l’on compte de provinces et de territoires, et ces systèmes présentent des différences marquées. Pour sa part, le gouvernement fédéral intervient principalement dans ce domaine par le truchement de paiements de transfert aux provinces et aux territoires, notamment dans le cadre du Transfert canadien en matière de programmes sociaux et d’accords bilatéraux sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants. Il joue aussi un rôle plus direct quant au financement de programmes d’apprentissage et de garde d’enfants auprès de certaines populations, notamment les populations autochtones.
Adopté en 2017, le Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants chapeaute les accords bilatéraux sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants conclus avec les provinces et les territoires. Ces accords totalisent, pour le gouvernement fédéral, un investissement de 1,2 milliard de dollars sur trois ans 13. En juillet 2020, un financement additionnel de l’ordre de 625 millions de dollars pour les provinces et les territoires en 2020-2021 a été annoncé en vertu du Cadre de relance sécuritaire pour soutenir les services de garde dans le contexte de la pandémie de COVID‑19 14. Par ailleurs, le Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones prévoit un investissement de 1,7 milliard de dollars sur 10 ans à compter de 2018-2019 15.
Le gouvernement fédéral engage également des dépenses fiscales, telles que la déduction pour frais de garde d’enfants, appliquée à l’impôt sur le revenu des particuliers, et l’exonération de la taxe sur les produits et services (TPS) pour les services de garde d’enfants.
Le tableau 1 illustre les dépenses pour ces deux mesures, lesquelles semblent connaître un creux imprévu en 2020‑2021, possiblement en raison de la pandémie de COVID‑19 et de son incidence sur l’utilisation des services de garde. On y observe que ces dépenses ont connu une croissance constante jusqu’en 2019 et que, selon les prévisions en date de février 2020, elles devaient continuer à croître en 2020‑2021. Toutefois, ces projections ont été revues à la baisse en février 2021.
Dépenses fiscales | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | |
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Déduction pour frais de garde d’enfants | Estimations/projections de février 2020 | 1,320 | 1,365 | 1,415 | 1,455 | 1,500 | s.o. |
Estimations/projections de février 2021 | 1,320 | 1,355 | 1,380 | 970 | 1,135 | 1,360 | |
Exonération de la TPS pour les services de garde d’enfants | Estimations/projections de février 2020 | 180 | 185 | 195 | 200 | 210 | s.o. |
Estimations/projections de février 2021 | 185 | 190 | 200 | 140 | 175 | 210 |
Source: Tableau préparé par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Gouvernement du Canada, Rapport sur les dépenses fiscales fédérales : Concepts, estimations et évaluations 2020 : partie 2; et Gouvernement du Canada, Rapport sur les dépenses fiscales fédérales : Concepts, estimations et évaluations 2021 : partie 2.
En outre, d’autres programmes fédéraux sont indirectement liés aux services de garde. Par exemple, l’Allocation canadienne pour enfants fournit un versement mensuel non imposable aux familles avec un ou des enfants de moins de 18 ans. Le montant versé est calculé en fonction du nombre d’enfants à charge, de l’âge de ces derniers et du revenu familial net (en 2021, le montant mensuel maximum est d’environ 564 $ par enfant) 16. Par ailleurs, le programme d’assurance-emploi comprend des prestations de maternité et parentales pour les nouveaux parents 17.
Au chapitre des programmes fédéraux antérieurs, notons que la Prestation universelle pour la garde d’enfants a été en vigueur de 2006 à 2016. Elle prévoyait le versement d’un montant mensuel fixe et imposable à toutes les familles avec enfants de moins de 18 ans : en 2015, ce montant était de 160 $ par enfant de moins de 6 ans et de 60 $ par enfant de 6 à 17 ans. Cette prestation a été remplacée par l’Allocation canadienne pour enfants en 2016 18.
C’est au Québec que l’on retrouve le système de services de garde éducatifs le plus développé du Canada. Le programme québécois d’apprentissage et de garde des jeunes enfants a été lancé en 1997. Il s’est amorcé en étendant l’accès à la maternelle à temps plein à tous les enfants de 5 ans et en offrant des places en garderies subventionnées aux enfants de 4 ans. Le programme de garde d’enfants a été progressivement offert aux enfants plus jeunes pour être accessible à tous les enfants de 0 à 4 ans en septembre 2000. Dans l’intervalle, des services de garde à frais peu élevés avant et après la journée d’école ont commencé à être offerts en septembre 1998 à tous les enfants de 5 à 12 ans 19.
Au départ, la contribution des parents aux services de garde subventionnés pour les enfants de 0 à 4 ans était fixée à 5 $ par jour, puis elle est passée à 7 $ par jour en 2004 20. Depuis, la contribution des parents a été progressivement ajustée et s’élevait à 8,50 $ au moment de rédiger la présente étude 21.
En date du 31 mars 2020, un total de 235 731 places subventionnées étaient offertes au Québec. De ce nombre, 41 % se trouvaient dans des centres de la petite enfance (CPE) 22; 39 %, dans certains services de garde en milieu familial; et 20 %, dans certaines garderies subventionnées 23. Cependant, le nombre d’enfants qui doivent fréquenter un service de garde au Québec est supérieur au nombre de places subventionnées offertes. En novembre 2019, 55 000 enfants étaient en attente d’une place 24. Par conséquent, les parents qui ont recours à des services de garde non subventionnés ont droit à un remboursement de 26 à 75 % des frais de garde d’enfants, selon leur revenu, sous forme de crédit d’impôt. Dans la majorité des cas, le remboursement peut être fait sous forme de versements anticipés chaque mois. Ce crédit d’impôt remboursable s’applique à de nombreux types de frais de garde, notamment ceux payés pour une place en garderie non subventionnée (70 421 places associées à un permis en 2020, soit 23 % de toutes les places en services de garde reconnus), pour un camp d’été et pour la rémunération d’une personne qui garde les enfants à domicile (autre que le parent de l’enfant ou le conjoint du parent) 25.
En 2018-2019, le gouvernement du Québec a consacré un peu plus de 2,37 milliards de dollars au programme de garde d’enfants, un chiffre stable puisque cette dépense représente en moyenne 2,4 milliards de dollars par an depuis 2014 26. Les dépenses prévues pour ce programme en 2019-2020 se chiffraient à 2,63 milliards de dollars 27.
Ces montants ne comprennent pas le coût du crédit d’impôt remboursable pour frais de garde d’enfants, dont la projection s’élevait à 732 millions de dollars pour 2020 28. Les coûts associés à la maternelle, à la prématernelle ainsi qu’aux services de garde en milieu scolaire ne sont pas non plus pris en compte dans ces dépenses puisqu’ils relèvent du ministère de l’Éducation et sont comptabilisés sous le programme général « Éducation préscolaire, primaire et secondaire ». Il convient de souligner que l’Accord entre le Canada et le Québec sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants prévoit des fonds fédéraux de 87,4 millions de dollars pour chacune des trois années de l’Accord 29. Toutefois, il y est précisé que, « étant donné que le Québec finance son propre réseau de centres de la petite enfance depuis 1997, il utilisera les contributions versées en vertu de cet accord pour financer des services additionnels directs aux familles 30 ».
L’incidence du système québécois de services de garde sur le développement des enfants ne fait pas consensus. Alors que de nombreuses études canadiennes et internationales soulignent les avantages de l’éducation à la petite enfance sur le développement cognitif et comportemental des enfants, en particulier pour les plus vulnérables 31, certains chercheurs qui ont examiné le modèle québécois ont relevé des lacunes à cet égard.
Deux études controversées, menées par un même groupe de chercheurs en 2005 et en 2015, ont conclu que le système québécois de services de garde produirait des effets négatifs à long terme sur les capacités non cognitives des enfants, surtout des garçons, telles que le comportement et la santé mentale 32.
En outre, une autre étude, réalisée en 2013, a fait état d’effets négatifs du système de services de garde du Québec sur le développement cognitif des enfants de 4 à 5 ans de mères peu instruites. Les auteurs de l’étude ont expliqué que cela pouvait être attribuable non pas au recours aux services de garde en soi, mais notamment aux longues heures que certains enfants passent dans les garderies, surtout avant l’âge de 2 ans, et à la faible qualité du service dans certains milieux de garde où les enfants de familles à faibles revenus sont surreprésentés, selon ce qu’ont révélé des études et des vérifications réalisées en 2005 et en 2011 33.
De manière générale, les études et vérifications révèlent que la qualité des services offerts dans les CPE est supérieure à celle des services offerts dans les autres types de services de garde, notamment en ce qui concerne le respect de la réglementation sur la qualification du personnel éducateur 34. Or, les CPE comptent seulement le tiers de toutes les places dans les services de garde reconnus au Québec 35. En 2020, la vérificatrice générale du Québec a souligné que les enfants de milieux défavorisés étaient sous‑représentés dans les CPE, et a recommandé au ministère de la Famille de « veiller à ce que les enfants vivant dans un contexte de précarité socio-économique ou ceux ayant des besoins particuliers aient accès à un service de garde abordable répondant à leurs besoins 36 ».
Plusieurs chercheurs estiment que l’augmentation de la participation des femmes québécoises au marché du travail est la principale réussite du système de services de garde éducatifs de la province 37. Au Québec, le taux de participation des mères d’enfants de 3 à 5 ans est passé de 67 % (deuxième plus bas au pays) en 1998 à 82 % (deuxième plus élevé au pays) en 2014, soit une augmentation de 15 points de pourcentage. Au cours de cette période, le taux de participation moyen des mères d’enfants de 3 à 5 ans au Canada est passé de 71 à 77 % (six points de pourcentage) 38. Une étude a conclu qu’en 2008, l’accès universel à des services de garde à faible coût au Québec « a incité près de 70 000 mères de plus à détenir un emploi qu’en l’absence d’un tel programme », ce qui représente une augmentation de 3,8 % du taux d’emploi des femmes 39.
D’autres chercheurs ont constaté, dans une étude de 2008, que la politique de services de garde abordables du Québec avait des effets à long terme sur le taux d’emploi des mères qui ont bénéficié du programme lorsque leurs enfants avaient moins de six ans, en particulier les mères qui n’ont pas fait d’études universitaires et dont l’attachement au marché du travail est traditionnellement plus faible. Ces mères ont maintenu un taux d’emploi plus élevé une fois que leurs enfants ont commencé à fréquenter l’école primaire 40.
En 2017, des chercheurs de l’Institut Fraser ont remis en question la mesure dans laquelle l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail au Québec peut être attribuable aux politiques de la province en matière de garde d’enfants. Ils soutenaient que les réformes de l’assurance-emploi à l’échelle fédérale ont eu une incidence importante sur l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail et que la réduction des heures de travail des pères n’était pas prise en compte dans les analyses des répercussions économiques du financement des services de garde 41. Selon l’économiste Pierre Fortin, si l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail n’est pas entièrement liée au financement des services de garde d’enfants, l’augmentation de la participation des femmes âgées de 20 à 44 ans au marché du travail peut y être associée en très grande partie 42. En 2018, une étude de Statistique Canada est venue réaffirmer ce lien entre l’augmentation de la participation des mères québécoises d’enfants de moins de 13 ans au marché du travail et les politiques familiales de la province, particulièrement au chapitre des services de garde abordables 43.
Depuis de nombreuses années, divers intervenants demandent au gouvernement fédéral de prendre part à la création d’un système national pour l’éducation et la garde des jeunes enfants. Comme nous l’avons vu, actuellement, chaque province et chaque territoire a son propre système dont l’accessibilité et l’abordabilité varient, une situation souvent décrite comme une mosaïque de programmes de services de garde à travers le pays.
Si la forme exacte que ce système doit prendre ne fait pas consensus, certaines grandes lignes directrices émergent tout de même :
En ce qui concerne le financement, la plupart des acteurs concernés s’entendent pour dire qu’il serait bénéfique pour le gouvernement fédéral d’investir davantage dans l’éducation à la petite enfance et les services de garde. Le niveau minimal de dépenses recommandé en la matière par des organisations comme le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) équivaut à 1 % du produit intérieur brut (PIB). Bien que la proportion du PIB qu’y consacre le Canada n’ait pas été calculée formellement depuis 2006, les observateurs s’entendent pour dire qu’elle demeure bien en deçà de 1 %, soit l’une des proportions les plus basses des pays membres de l’OCDE 45. Divers intervenants estiment que si le Canada veut atteindre, pour les enfants de 0 à 5 ans, le taux moyen de 70 % de participation à des services d’éducation à la petite enfance dans les pays de l’OCDE (le taux du Canada était de 53 % en 2017), il devra combler un manque à gagner dont les estimations vont jusqu’à 8 milliards de dollars supplémentaires par an. Ces intervenants recommandent d’accroître les dépenses du gouvernement fédéral de un à deux milliards de dollars par an jusqu’à ce que ce manque soit comblé 46.
La question de l’universalité d’un éventuel système national de services de garde éducatifs alimente les débats. Certains estiment que les programmes de services de garde et d’éducation à la petite enfance financés par l’État sont plus rentables du point de vue des retombées économiques lorsqu’ils s’adressent spécifiquement à des groupes d’enfants défavorisés ou à risque de retards de développement. D’autres soutiennent que la mixité des enfants de différents milieux permet de faire en sorte que tous les enfants ont accès à la même qualité de services et entraîne des effets positifs par les pairs 47. De plus, les programmes universels peuvent avoir pour avantages de ne pas omettre certaines populations vulnérables, d’éviter la stigmatisation liée aux programmes destinés aux familles vulnérables et, ainsi, d’accroître la participation de ces familles et de rendre possibles certaines économies au chapitre des tâches administratives puisqu’il n’est pas nécessaire de vérifier les critères d’admissibilité 48.
La question d’un droit conféré par la loi à tous les enfants concernant l’accès à des services d’éducation à la petite enfance refait souvent surface. En effet, dans plusieurs pays européens, tous les enfants, dès qu’ils ont atteint un âge en particulier, ont droit à un certain nombre d’heures de fréquentation non obligatoire d’un service d’éducation à la petite enfance, peu importe l’occupation ou le revenu de leurs parents. Selon certains intervenants, le fait de conférer un tel droit aux enfants du Canada permettrait de normaliser l’accès à des services d’éducation à la petite enfance, de mettre l’accent sur leur caractère éducatif, et de protéger un tel acquis des changements politiques ultérieurs 49.
Comme il est mentionné précédemment, le gouvernement fédéral a récemment affirmé vouloir s’inspirer du modèle québécois de services de garde éducatifs pour développer un système national 50. Comme nous l’avons vu, le modèle québécois a connu de belles réussites au chapitre de la participation des femmes au marché du travail et il a permis de créer, au cours des deux dernières décennies, près de 100 000 places en CPE, qui offrent généralement des services éducatifs de qualité et abordables aux jeunes enfants. Toutefois, plusieurs observateurs rappellent que la qualité des services dans les deux autres tiers du réseau des services de garde est inégale et généralement moindre, et que les enfants de milieux défavorisés y sont surreprésentés. Certains experts saluent la direction que le Québec a prise à la fin des années 1990 pour investir massivement afin de financer des places en service de garde à prix abordable dans des centres à but non lucratif. Ces experts font toutefois une mise en garde contre ce qu’ils appellent « les problèmes de transition » liés à la mise en œuvre d’un plan aussi ambitieux à l’échelle du pays. Notamment, les difficultés auxquelles le gouvernement du Québec doit faire face pour créer suffisamment de places en CPE et les solutions de rechange mises de l’avant par les différents gouvernements qui se sont succédé ont entraîné des effets indésirés sur la qualité des services éducatifs que reçoivent certains enfants. Ces experts recommandent notamment au gouvernement fédéral d’élaborer un plan d’exécution détaillé, fondé sur des données probantes – plan qu’il devra mettre en œuvre à un rythme qui permette d’assurer le développement de services de qualité pour les familles canadiennes 51.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
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