Depuis une trentaine d’années, les gouvernements de diverses démocraties occidentales ont apporté des changements considérables à leur façon d’aborder la prostitution. Aucun consensus ne se dégage toutefois quant à l’approche législative qui convient le mieux. Dans divers pays, les tentatives visant l’adoption d’une nouvelle approche législative (afin d’édicter ou d’abroger des pénalités criminelles) ont déclenché de farouches controverses. Même si les similitudes entre les approches ne sautent pas aux yeux d’emblée, elles visent toutes à protéger la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe ainsi qu’à prévenir leur exploitation par des proxénètes ou des clients.
En Australie, la plupart des formes de prostitution ont été décriminalisées dans le Territoire de la capitale australienne, mais certains contrôles demeurent, comme des exigences relatives à l’inscription et l’interdiction du commerce du sexe de rue. En outre, une approche de décriminalisation semblable est en voie d’être adoptée dans l’État de Victoria, où elle remplacera l’ancien régime de légalisation assorti de contrôles et de règlements stricts. Un régime entièrement décriminalisé est en place en Nouvelle‑Zélande depuis 2003. Les gouvernements locaux peuvent instaurer leurs propres règlements concernant certaines activités. Certains l’ont fait, la plupart dans le but de confiner le travail du sexe à des secteurs précis des villes.
En 2000, la loi néerlandaise interdisant la prostitution a été remplacée par un nouveau système de légalisation qui réglemente de façon très stricte le travail du sexe en établissement. Or, aux Pays‑Bas, une proportion de plus en plus grande du travail du sexe est pratiquée illégalement. Une situation semblable prévaut dans certains comtés de l’État du Nevada, aux États‑Unis, où la prostitution dans les bordels autorisés est légale, mais connaît une baisse par rapport aux niveaux de prostitution illégale.
En 1999, la Suède a mis en place un modèle néo‑abolitionniste, fondé sur le principe selon lequel le travail du sexe entraîne intrinsèquement de l’exploitation. Ce « modèle nordique », qui vise à criminaliser les proxénètes et les clients, a été mis en œuvre dans de nombreux pays au cours des dernières années, notamment au Canada.
En Angleterre, une approche législative abolitionniste criminalise la plupart des activités liées au travail du sexe de rue ainsi que l’exploitation de bordels et le proxénétisme, sans criminaliser spécifiquement l’acte de prostitution. Cette exception se démarque des administrations prohibitionnistes qui dominent aux États‑Unis, comme dans l’État de la Californie, où la prostitution est illégale.
Depuis une trentaine d’années, les gouvernements de diverses démocraties occidentales ont apporté des changements considérables à leur façon d’aborder la prostitution 1. Aucun consensus ne se dégage toutefois quant à l’approche législative qui convient le mieux. Dans divers pays, les tentatives visant l’adoption d’une nouvelle approche législative (afin d’édicter ou d’abroger des pénalités criminelles) ont déclenché de farouches controverses.
Au Canada, le rôle du Code criminel dans la répression ou la réglementation de la prostitution est une source de débat de longue date. Les divergences d’opinions à l’égard de la prostitution et du racolage sont évidentes dans les contestations constitutionnelles devant les tribunaux et les études du gouvernement et du Parlement entreprises au cours des quelques dernières décennies, leur aboutissement étant la décision rendue en 2013 par la Cour suprême d’invalider plusieurs interdictions du droit criminel en raison de leur non‑constitutionnalité 2. Le gouvernement fédéral a réagi en déposant la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation 3 (la Loi), qui est entrée en vigueur à la fin de 2014. Dans la Loi, la prostitution est traitée comme une forme d’exploitation sexuelle touchant de façon disproportionnée les femmes et les filles. La Loi vise les objectifs suivants :
- protéger les personnes qui offrent leurs propres services sexuels moyennant rétribution;
- protéger les collectivités, et tout particulièrement les enfants, contre les méfaits causés par la prostitution;
- réduire la demande de prostitution ainsi que son incidence 4.
Des consultations gouvernementales qui ont permis d’examiner les approches retenues par divers gouvernements à l’égard de la prostitution et des problèmes connexes, dont plusieurs sont abordées dans le présent document, ont précédé l’adoption de la Loi.
Même si les similitudes entre les approches législatives ne sont pas toujours immédiatement visibles, elles ont toutes pour objectif de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe et d’éviter leur exploitation par les proxénètes ou les clients. Les diverses administrations ont des opinions différentes au sujet de la nature du travail du sexe, et donc de la meilleure façon d’atteindre l’objectif de protection des personnes qui s’y livrent. Les responsables de l’établissement des lois doivent aussi composer avec les préoccupations accrues au sujet de la traite des personnes et de sa relation avec les adultes victimes de traite et les enfants victimes de sévices sexuels, ainsi que celles des adultes consentants qui travaillent dans l’industrie par choix 5.
Le présent document examine la façon dont un certain nombre de pays et États occidentaux abordent la prostitution sur le plan législatif. Il présente plus particulièrement les lois et les règlements qu’ils ont adoptés, et il traite de la mesure dans laquelle ces textes législatifs semblent produire les effets escomptés.
Quand on parle du travail du sexe « en établissement » ou « dans la rue », on fait référence au lieu de sollicitation entre un travailleur ou une travailleuse et son client ou sa cliente. Le racolage sur la voie publique est considéré comme du travail du sexe de la rue, alors que le travail du sexe qui découle de la sollicitation en ligne ou qui a lieu dans des espaces clos, comme des maisons de prostitution ou par l’entremise d’agences d’escortes, est considéré comme du travail du sexe en établissement. On estime que 80 % de la sollicitation liée au travail du sexe se fait maintenant en ligne 6. Les études démontrent que le travail en établissement est plus sûr que celui de la rue, les taux de violence signalés par les personnes qui vendent des services sexuels étant nettement plus élevés chez celles qui travaillent dans la rue 7.
Chacun des pays et des États étudiés ici a adopté, sous une forme ou une autre, l’une des trois approches suivantes pour ce qui est de la prostitution, c’est‑à‑dire la criminalisation, la décriminalisation ou la légalisation 8.
La criminalisation signifie qu’il est impossible, ou presque, de s’adonner légalement à la prostitution. Elle vise à réduire ou à éliminer la prostitution et peut se diviser en trois sous‑catégories :
La décriminalisation suppose l’abrogation des lois pénales relatives à la prostitution et l’application de lois plus générales, pénales ou autres, pour régir l’industrie. Bien qu’on puisse adopter quelques règlements visant la prostitution en particulier, il s’agit de traiter la prostitution comme n’importe quel autre emploi.
La légalisation est le fait de réglementer de façon précise la prostitution au moyen du droit criminel, du droit du travail ou d’autres lois. Dans cette perspective, la prostitution est un métier licite, mais régi par un ensemble de règles déterminant les personnes qui peuvent le pratiquer et les conditions dans lesquelles elles peuvent le faire. Habituellement, les gouvernements qui adoptent cette approche réglementent ce genre de commerce au moyen de permis de travail, de licences ou de zones de tolérance.
En Australie, la responsabilité des lois pénales incombe essentiellement aux États, qui ont adopté des approches très différentes pour gérer et réglementer la prostitution, comme on peut le voir dans le Territoire de la capitale australienne (TCA) et dans l’État de Victoria.
En 1992, le gouvernement du TCA adoptait la Prostitution Act, par laquelle on décriminalisait la prostitution en établissement pour pouvoir gérer les effets de l’industrie de la prostitution. En 2018, cette loi a été mise à jour et a été renommée la Sex Work Act 1992 9, instituant une série de règlements destinés à protéger la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe, à minimiser les liens entre le travail du sexe et la criminalité, à ne permettre l’exploitation de bordels qu’à certains endroits et à éliminer l’exploitation sexuelle des enfants 10.
En vertu de la Sex Work Act 1992, les propriétaires de bordels commerciaux et d’agences d’escortes doivent s’inscrire chaque année auprès du gouvernement. Les personnes autonomes qui exercent seules leurs activités n’ont pas à le faire. Pour s’inscrire, les propriétaires doivent présenter une pièce d’identité, fournir leurs coordonnées, acquitter des frais modiques et accepter de se prêter à une vérification de leurs antécédents criminels. Quiconque a commis une « infraction menant à l’exclusion » n’est pas autorisé à posséder ou à exploiter un bordel ou une agence d’escortes. Les « infractions menant à l’exclusion », qui sont mentionnées aux annexes de la Sex Work Act 1992, englobent les voies de fait, le meurtre, les agressions sexuelles, la participation à des activités de pornographie juvénile et l’exploitation des enfants. Le racolage sur la voie publique est criminalisé tant pour les travailleurs que pour les clients.
Le système d’inscription semble atteindre l’objectif de limiter le travail du sexe à des districts en particulier. Le TCA (comme la plupart des autres États australiens) continue d’interdire le racolage, et il y en a très peu. En raison de la relative simplicité du processus d’inscription, les bordels et les agences d’escortes illégaux semblent peu nombreux (bien que nombre de travailleurs et travailleuses du sexe ne soient pas inscrits 11). Les bordels sont en grande partie limités aux secteurs industriels, en raison des règlements de zonage du TCA, et la criminalité dans le TCA ne semble pas avoir de liens étroits avec l’industrie du sexe 12.
Ce système a néanmoins soulevé certaines controverses. Avant qu’on y apporte des modifications en 2018, les travailleurs et travailleuses qui exerçaient leurs activités dans des bordels et des agences d’escortes devaient se soumettre à un dépistage obligatoire des infections transmissibles sexuellement (ITS). Les personnes infectées n’avaient pas le droit de fournir ou de demander des services sexuels, et les propriétaires et gérants de bordels et de services d’escortes ne pouvaient laisser travailler des personnes infectées. Cependant, l’examen de ces dispositions, entre 2010 et 2012, par le Comité permanent de la justice et de la sécurité des collectivités de l’Assemblée législative du TCA et l’étude plus approfondie réalisée par un groupe de travail mis en place par le gouvernement ont mené à la suppression de ces dispositions. Dans leur rapport, les membres du Comité ont en effet souligné que, dans la nouvelle loi, le droit des personnes de se livrer au commerce du sexe devrait être reconnu au même titre que celui de pratiquer des activités commerciales 13. Dans cette loi, on peut lire que les travailleurs et travailleuses du sexe ne doivent pas tromper un employeur ou un client sur les résultats d’un test médical, et la loi renvoie à la Public Health Regulation 2000, qui stipule que les personnes doivent prendre des précautions raisonnables lorsqu’elles se livrent à une activité sexuelle (comme l’utilisation de condoms ou d’autres produits prophylactiques 14).
La mise en œuvre du Work Health and Safety (Sexual Services Industry) Code of Practice 2011 vise une meilleure protection des travailleurs et travailleuses du sexe et de leur clientèle, conjointement avec la Work Health and Safety Act 2011 et ses règlements connexes 15. Les employeurs ou les exploitants de bordels et d’agences d’escortes sont tenus de fournir des installations qui répondent aux normes de santé et de sécurité. Parmi les normes, initialement élaborées par un collectif de travailleurs et travailleuses du sexe, de membres des forces policières et de responsables de la santé, se trouvent des directives relatives à la propreté et la sécurité ainsi qu’à l’utilisation d’équipement de protection individuelle (comme des condoms et d’autres prophylactiques). Pour évaluer la méthode adoptée par l’administration du TCA, il convient de rappeler la position historique propre au territoire à cet égard. Même avant 1992, la politique du TCA était axée sur une combinaison de tolérance et de restrictions. Les personnes se livrant à la prostitution n’étaient pas poursuivies à moins qu’une plainte ait été déposée contre elles. Par ailleurs, les travailleurs et travailleuses du sexe entretenaient des relations assez cordiales avec la police et divers membres de la communauté. Ce contexte a vraisemblablement facilité l’adoption de solutions qui auraient suscité beaucoup plus de débats dans d’autres régions de l’Australie, par exemple dans l’État de Victoria.
Certaines formes de prostitution sont autorisées dans l’État de Victoria depuis 1986, mais le commerce du sexe est actuellement régi par la Sex Work Act 1994 (auparavant la Prostitution Control Act 1994) entrée en vigueur en 1995, le Sex Work Regulations 2016 ainsi que la Public Health and Wellbeing Act 2008 16. Le système de permis obligatoires qui en résulte a entraîné la légalisation de la prostitution conformément à certains règlements, mais les travailleurs et travailleuses de l’industrie du sexe qui exercent leurs activités sans respecter les exigences relatives à la délivrance de permis peuvent être poursuivis au criminel. Dans l’État de Victoria, un permis est exigé des personnes et des entreprises qui vendent des services sexuels.
La procédure actuelle d’obtention du permis est beaucoup plus complexe que ne l’est le processus d’inscription en vigueur dans le TCA. La Business Licensing Authority impose aux aspirants et aspirantes propriétaires de se prêter à un contrôle de police et à une évaluation financière. Plus généralement, la Sex Work Act 1994 exige d’eux (et de leurs partenaires) qu’ils soient des gens de bonne réputation eu égard à leur caractère, leur honnêteté et leur intégrité 17. Ces exigences visent en partie à empêcher le crime organisé d’infiltrer l’industrie du travail du sexe. Les personnes qui travaillent seules et les bordels à deux personnes sont exemptés et n’ont donc pas à obtenir de permis. Tous les bordels de même que les travailleurs et travailleuses autonomes sont assujettis à des restrictions de zone détaillées, qui limitent leurs activités aux zones d’exploitation industrielle situées à plus de 200 mètres d’une église ou d’un lieu de culte, d’une école, d’un hôpital ou d’un endroit où les enfants passent régulièrement leur temps. Les travailleurs et travailleuses du sexe doivent obtenir l’autorisation de leur propriétaire et un permis d’aménagement de leur conseil local.
Au cours des dernières années, le cadre juridique de l’État de Victoria concernant le travail du sexe a fait l’objet de nombreuses critiques 18, et l’actuel gouvernement travailliste a exprimé son intention de décriminaliser l’industrie. En novembre 2019, il a annoncé que Fiona Patten, députée et militante du travail de sexe, avait été nommée pour diriger l’examen de la réglementation sur le travail du sexe et déterminer comment décriminaliser l’industrie 19. Les objectifs de cet examen étaient d’accroître la sécurité, de réduire la stigmatisation et d’améliorer l’accès aux services publics de santé et de justice. Impliquant des consultations avec une vaste gamme de parties prenantes, l’examen, d’une durée de six mois, a été achevé à la fin de 2020. Dans sa réponse d’août 2021, le gouvernement a énoncé que le travail du sexe serait décriminalisé dans l’État; le processus de mise en œuvre de la décriminalisation n’est toutefois pas encore commencé 20. Le gouvernement souhaite procéder en deux étapes, à compter de 2022, après l’adoption du projet de loi au Parlement de Victoria. Au cours de la première étape, les infractions et les contrôles criminels seront supprimés, les contrôles relatifs à la publicité seront modifiés et des mesures de protection contre la discrimination seront mises en place. À la deuxième étape, prévue en décembre 2023, le régime de délivrance de permis sera abrogé et les autres réformes proposées seront mises en application 21.
Dans bon nombre de mémoires reçus dans le cadre de l’examen, on soutenait que l’actuel système de réglementation et d’application de la loi était discriminatoire et ne permettait pas de protéger de manière appropriée les travailleurs et travailleuses du sexe. La Scarlet Alliance, un organisme australien de défense des droits des travailleurs et travailleuses du sexe, a décrit l’industrie du sexe comme étant duale, avec seulement un faible pourcentage de personnes concernées en mesure de satisfaire aux exigences de conformité et une majorité contrainte de fonctionner en dehors du cadre législatif 22. Des intervenants ont également soutenu qu’entre exercer sans permis ou s’inscrire de façon permanente auprès du gouvernement plusieurs se retrouvaient dans une situation difficile et choisissaient de préserver leur vie privée et d’éviter la stigmatisation éventuelle associée à leur inscription 23.
Dans d’autres mémoires, on insistait sur l’exigence imposée en vertu de la Sex Work Act 1994 aux travailleurs et travailleuses du sexe de se soumettre (actuellement tous les trois mois) à des tests obligatoires de dépistage des ITS et du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), et l’interdiction de travailler en cas de résultat positif. Pour ses détracteurs, au lieu de protéger les travailleurs et les clients, cette loi est ouvertement discriminatoire à l’égard des personnes séropositives. Ils soutiennent par ailleurs que les personnes qui obtiennent un résultat de test positif choisissent de travailler en dehors du cadre de la loi, se privant ainsi des protections qu’accordent les pratiques sexuelles sécuritaires qui y sont établies 24.
Les responsables d’un certain nombre d’organisations ont commenté les restrictions liées à la publicité imposées aux travailleurs et travailleuses du sexe, un sujet qui a été examiné de près et qui a suscité des critiques en 2016 lors de l’appel de mémoires lancé par le gouvernement en vue de l’élaboration du Sex Work Regulations 2016. Selon ces commentaires, présents dans plusieurs des mémoires soumis tant en 2016 qu’en 2020, les règles auxquelles sont assujetties la publicité professionnelle et les communications médiatiques suffisent, et il faut se garder de réglementer et d’encadrer encore davantage le travail du sexe 25.
La Sex Work Act 1994 vise à criminaliser le racolage sur la voie publique, ce qui a pour effet, selon plusieurs, « de forcer [les travailleurs et travailleuses du sexe de la rue] à adopter des pratiques et des conditions de travail dangereuses [ce qui] réduit leurs possibilités d’accéder à des groupes de soutien par les pairs et à l’éducation [et] pourrait les inciter à s’engager dans des rencontres sexuelles à risque afin d’éviter des interactions avec la police 26 ». En outre, on souligne que les travailleurs et travailleuses du sexe de la rue font déjà partie des personnes les plus vulnérables, et que les effets néfastes de la criminalisation amplifient cette vulnérabilité.
Certains intervenants ont dénoncé l’examen par le gouvernement, prétendant que celui‑ci limitait les points de vue retenus et alléguant que sa décision quant à l’opportunité et à la façon de décriminaliser le travail du sexe découlait d’une vision partielle de la situation. Les membres de plusieurs groupes se sont plaints dans les médias que leur demande de comparution avait été rejetée ou ignorée, alors que ceux d’un autre groupe ayant présenté un mémoire ont souligné que plusieurs groupes de survivants avaient demandé à participer au processus de consultation de vive voix de l’équipe d’examen de Victoria, mais qu’ils avaient été exclus 27.
Les responsables de ces groupes et des particuliers redoutent que l’actuelle Sex Work Act 1994 et le modèle de décriminalisation proposé ne permettent pas de régler précisément ou explicitement les problèmes éventuels d’exploitation et de traite de personnes. Ils s’interrogent sur le caractère suffisant des activités de surveillance de l’industrie par les organismes d’application de la loi, et réclament que le gouvernement déploie de plus grands efforts pour aider les travailleurs et travailleuses du sexe qui souhaitent sortir du milieu à y parvenir, afin de prévenir leur coercition et leur exploitation 28.
En juin 2003, le gouvernement de la Nouvelle‑Zélande a entrepris des réformes législatives radicales de ses lois en matière de prostitution pour décriminaliser entièrement le travail du sexe par des adultes. Il a abrogé plusieurs lois centenaires qui interdisaient le racolage, l’exploitation de bordels et la possibilité de vivre des produits de la prostitution. Avant l’adoption de la Prostitution Reform Act 2003 29, la prostitution n’était pas illégale en Nouvelle‑Zélande, mais divers interdits connexes rendaient pratiquement impossibles la vente et l’achat de services sexuels en toute légalité.
Les objectifs de la Prostitution Reform Act 2003 sont précisés à l’article 3 :
La présente loi a pour objet de décriminaliser la prostitution (sans toutefois appuyer ou cautionner moralement la prostitution ou l’utilisation de la prostitution) et de créer un cadre pour :
a) protéger les droits des travailleurs et travailleuses du sexe et les protéger contre l’exploitation;
b) promouvoir le bien‑être ainsi que la santé et la sécurité au travail des travailleurs et travailleuses du sexe;
c) favoriser la santé publique;
d) interdire l’emploi de personnes de moins de 18 ans dans la prostitution;
e) mettre en œuvre certaines réformes connexes 30.
La Prostitution Reform Act 2003 visait essentiellement à empêcher l’industrie du sexe d’entrer dans la clandestinité en autorisant les travailleurs et travailleuses du sexe ainsi que les établissements de prostitution à exercer leurs activités au grand jour. L’objectif était de créer des milieux plus sains et plus sécuritaires pour les personnes qui vendent des services sexuels.
En pratique, la Prostitution Reform Act 2003 établit un cadre dans lequel le travail du sexe de la rue est autorisé et permet aux travailleurs et travailleuses du sexe autonomes d’exercer leurs activités dans un milieu non réglementé. On n’a pas constitué de quartiers réservés à la prostitution. Pour ce qui est de la prostitution en établissement, un maximum de quatre personnes indépendantes peuvent exercer leurs activités dans un même endroit sans avoir à détenir de permis; si elles sont plus nombreuses, ou si elles travaillent pour un tiers, elles sont réglementées et doivent détenir un permis. Il n’y a pas de restriction quant au nombre de personnes qui peuvent travailler pour un exploitant. Le greffier de la Cour accorde et détient les certificats d’exploitant, ce qui permet de garantir que l’identité des exploitants demeure confidentielle 31.
La Prostitution Reform Act 2003 a contribué à imposer aux administrations locales une grande responsabilité en matière de réglementation des bordels, notamment le zonage, l’attribution de permis ainsi que la publicité. Ces administrations peuvent adopter des règlements sur la publicité si elles déterminent que des affiches annonçant des services sexuels sont susceptibles de causer du désordre ou de choquer gravement la population locale, ou que ces affiches détonneraient dans le milieu. Elles conservent également le pouvoir d’adopter des règlements pour réprimer les comportements répréhensibles, à condition de ne pas carrément interdire l’industrie du sexe.
D’autres lois générales sur les entreprises s’appliquent à l’industrie du sexe, et des dispositions spéciales permettent notamment de préciser les limites d’âge et les restrictions relatives aux personnes qui peuvent vendre des services sexuels, ou encore posséder, financer, exploiter ou administrer un établissement de commerce du sexe. Les petits bordels exploités par leur propriétaire doivent respecter les règles des administrations locales qui s’appliquent aux petites entreprises à domicile. Les codes de santé et de sécurité au travail ont été modifiés et s’appliquent désormais au travail du sexe; ainsi, les inspecteurs peuvent pénétrer à n’importe quel moment raisonnable dans un bâtiment considéré comme un établissement de commerce du sexe pour vérifier si celui‑ci est conforme à la Health and Safety at Work Act 2015, et si dans le cadre des activités, les travailleurs et travailleuses du sexe ainsi que les clients et clientes adoptent des pratiques sexuelles sécuritaires. Dans le cadre de ces pratiques sexuelles sécuritaires, les personnes concernées doivent prendre toutes les mesures raisonnables pour s’assurer de l’utilisation de condoms, et de leur distribution gratuite par l’employeur. Les exploitants doivent aussi fournir de l’information sur la santé aux personnes qui vendent des services sexuels et à leurs clients 32.
En cherchant à combattre l’exploitation des personnes, la Prostitution Reform Act 2003 refuse d’accorder un permis d’immigration aux personnes qui ont l’intention d’exploiter un établissement de commerce du sexe en Nouvelle‑Zélande, d’y travailler ou d’y investir des fonds; ces mêmes restrictions s’appliquent à toute personne déjà au pays en vertu d’un permis de séjour temporaire ou restreint 33. De plus, la Prostitution Reform Act 2003 a durci les sanctions en cas de pratiques abusives, notamment en imposant de lourdes peines aux clients et aux exploitants qui prennent part à l’exploitation commerciale d’enfants 34.
Depuis 2003, quelques tentatives ont été faites pour annuler ces modifications législatives. Un groupe de lutte contre la prostitution a fait circuler une pétition visant l’abrogation intégrale de la Prostitution Reform Act 2003, mais il n’a pas réussi à recueillir le nombre de signatures requis pour obliger la tenue d’un référendum sur la question en 2005 35. En 2013, une autre pétition, dans laquelle la décriminalisation de la prostitution était liée à de nombreux problèmes à caractère social et criminel, dont la traite de personnes, proposait de criminaliser la prostitution. Les membres du Comité de la justice et des élections ont examiné la pétition et, dans leur rapport, se sont prononcés contre la criminalisation, affirmant que l’interdiction de la prostitution de rue pouvait entraîner des conséquences négatives pour la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe 36.
Certaines administrations locales de la Nouvelle‑Zélande utilisent leurs pouvoirs pour réglementer rigoureusement l’industrie du sexe. Ainsi, dans certains territoires où l’opinion publique s’oppose à la vente de services sexuels à partir du domicile, des règlements ont été adoptés qui rendent difficile l’établissement de petits bordels. En outre, les membres de certains conseils locaux ont subi des pressions de citoyens qui voulaient éviter le dérangement causé par le travail du sexe dans leur quartier. Par conséquent, diverses administrations municipales ont choisi de limiter l’établissement de bordels à certains emplacements 37 (dans des zones du centre‑ville et des secteurs industriels) ou ont adopté des règlements interdisant l’implantation d’établissements de commerce du sexe à proximité des écoles, des garderies, des immeubles du gouvernement, des lieux de culte et des zones d’habitation résidentielles. Dans certaines villes, ce recours à la réglementation locale pour quasi interdire ou considérablement limiter la prostitution frustre ceux et celles qui militent pour la décriminalisation, pour qui les mesures de contrôle local atténuent considérablement l’effet de la Prostitution Reform Act 2003.
Cinq ans après la mise en œuvre de la Prostitution Reform Act 2003, le ministre de la Justice a mis sur pied un comité chargé de l’examen de la loi, composé de membres désignés par l’Aotearoa New Zealand Sex Workers Collective (NZPC), tenant de la décriminalisation, des ministres responsables des portefeuilles concernés (justice, condition féminine, jeunesse, santé, police et commerce) et des administrations locales. Le rapport du comité a été rendu public en mai 2008 38, et ses membres ont convenu de façon générale que la décriminalisation avait jusqu’alors eu, dans l’ensemble, des effets positifs. D’ailleurs, ils ont examiné les statistiques et conclu que, contrairement à l’opinion publique, il n’y avait pas eu d’augmentation importante du nombre de personnes travaillant dans l’industrie du sexe depuis l’entrée en vigueur de la loi. Ils ont également constaté que, au chapitre des droits de la personne et de l’exploitation, les changements avaient contribué à améliorer la capacité des travailleurs et travailleuses du sexe de refuser certains clients et certaines pratiques, même si l’on pouvait faire mieux.
Par exemple, 60 % des travailleurs et travailleuses du sexe ont indiqué avoir davantage la faculté de refuser des clients grâce à la Prostitution Reform Act 2003. En ce qui concerne la coercition, 4 % ont déclaré avoir subi des pressions pour travailler dans l’industrie du sexe. Les membres du comité ont aussi appris que 1,3 % des personnes travaillant dans l’industrie du sexe avaient moins de 18 ans, ce qui ne représentait pas une augmentation. En outre, ils ont fait remarquer que la Prostitution Reform Act 2003 avait en fait permis de davantage sensibiliser les gens au problème de l’exploitation sexuelle des enfants.
En ce qui a trait à l’amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe, les membres du comité ont conclu qu’ils continuaient à être victimes d’incidents, notamment de violences, et que plusieurs persistaient à ne pas les déclarer. Ils n’ont pas constaté d’améliorations importantes des conditions d’emploi.
En dernière analyse, ils ont conclu que, malgré certaines frustrations des administrations locales concernant le travail du sexe de la rue et la présence de petits bordels exploités par leur propriétaire dans des quartiers résidentiels, la décriminalisation de ce travail en Nouvelle‑Zélande était efficace. On continuait à régler des détails, le travail du sexe et la traite des personnes n’étaient, dans l’ensemble, pas en hausse, les travailleurs et travailleuses du sexe trouvaient le faible niveau d’exploitation encourageant et la population était davantage sensibilisée au problème de l’exploitation sexuelle des enfants.
Depuis la publication du rapport du comité, les recherches ont continué de soutenir le mouvement continu vers de meilleurs résultats en matière de santé publique et d’amélioration des conditions de travail pour les travailleurs et travailleuses du sexe par suite de la décriminalisation. Le modèle néo‑zélandais a toutefois commencé à être critiqué. Les défenseurs des droits des travailleurs et travailleuses du sexe s’opposent à l’interdiction faite aux personnes immigrantes d’œuvrer dans cette industrie, soutenant que les mesures de protection et les avantages offerts aux travailleurs et travailleuses du sexe néo‑zélandais ne s’étendent pas aux travailleurs et travailleuses immigrants, ce qui crée une classe marginale de femmes vulnérables à l’exploitation 39.
Dans le rapport annuel 2021 du département d’État des États‑Unis sur la traite des personnes, la Nouvelle‑Zélande a été déclassée d’un pays de niveau 1 à un pays de niveau 2. On y précisait que :
Bien que le gouvernement ait condamné des délinquants dans plus de cas de traite d’enfants à des fins sexuelles que par les années précédentes, il n’a désigné aucune des victimes comme étant des victimes de la traite et n’a pas utilisé de système permettant de déterminer expressément qu’il s’agissait de victimes de la traite. En outre, de nombreux fonctionnaires et fournisseurs de services ne comprenaient pas toutes les formes de traite, ce qui a nui à la protection des victimes et peut avoir miné la capacité du gouvernement de reconnaître les tendances actuelles liées à la traite de personnes dans le pays. Le gouvernement n’a jamais déclaré non plus avoir identifié un adulte victime de traite sexuelle. […] De plus, en ne condamnant pas la majorité des trafiquants à des peines d’emprisonnement […], il a nettement affaibli la dissuasion, a sapé les efforts visant à tenir les trafiquants responsables de leurs actes et n’a pas suffisamment pris en considération la nature du crime 40.
En outre, quelques organisations ont vu le jour en Nouvelle‑Zélande pour protester contre le modèle de décriminalisation. À la tête de la plupart de ces organisations se trouvent d’anciens travailleurs et travailleuses du sexe qui allèguent avoir été exploités ou avoir subi d’autres préjudices alors qu’ils travaillaient dans l’industrie, après la décriminalisation. Par exemple, Wahine Toa Rising reproche à la Prostitution Reform Act 2003 de ne pas contenir de dispositions pour aider les femmes adultes à quitter l’industrie, soutenant que les difficultés bien connues auxquelles sont aux prises les femmes victimes de violence familiale ne sont pas différentes des difficultés de celles qui vivent des situations de violence commerciale 41. Selon Sabrinna Valisce, une ancienne travailleuse du sexe qui a déjà préconisé la décriminalisation en Nouvelle‑Zélande et qui prône maintenant le modèle d’abolition à l’échelle internationale, la décriminalisation permet aux exploitants de maisons de prostitution de jouir d’un plus grand pouvoir sur les travailleurs et travailleuses du sexe, ce qui les empêche d’avoir le contrôle de leur vie et rend leur travail moins sécuritaire 42.
Si la plupart des réactions à la décriminalisation du travail du sexe que les membres du comité ont recueillies en Nouvelle‑Zélande au cours de leur examen évoquent les retombées positives de cette décriminalisation, certaines portent aussi sur ses inconvénients. Les détracteurs s’opposent à la forte dépendance à l’égard du NZPC tout au long des consultations sur la loi et du processus d’examen de la loi par le comité, déplorant que leurs points de vue aient été et demeurent marginalisés sur le plan politique 43.
Aux Pays‑Bas, les bordels ont été illégaux pendant presque tout le xxe siècle. C’est en 1911 que le gouvernement néerlandais a décidé de criminaliser leur exploitation, même si la prostitution elle‑même restait légale. Néanmoins, bien qu’interdits en théorie, les bordels ont continué à prospérer aux Pays‑Bas. À l’époque, l’attitude de la population néerlandaise à l’égard de la prostitution a été qualifiée de « tolérance pragmatique » (gedogen 44). Plutôt que de faire fi de l’existence du commerce du sexe, la gedogen consistait à limiter les poursuites à certaines situations seulement. Les politiques officielles du gouvernement et les règlements municipaux réglementaient l’exploitation des bordels et les maintenaient dans certaines zones. La prostitution organisée dans les établissements privés était donc permise, dans la mesure où elle ne troublait pas l’ordre public 45.
Dans les années 1980 et 1990, le gouvernement néerlandais subissait des pressions considérables en faveur de la réforme du Code pénal. Les groupes de défense des travailleurs et travailleuses du sexe réclamaient notamment pour ceux‑ci de meilleures conditions de travail et la reconnaissance de leurs droits en matière de travail. À la fin des années 1990, nombre de travailleurs et travailleuses du sexe néerlandais avaient quitté les quartiers réservés (ou « chauds ») pour s’installer dans des établissements qui leur offraient une rémunération plus généreuse et un statut plus intéressant. Des personnes immigrantes (notamment celles sans papiers) ont pris leur place derrière les vitrines et dans les bordels meilleur marché 46. Selon les estimations, de 50 % à 68 % des personnes qui vendaient des services sexuels n’étaient pas néerlandaises à la fin des années 1990 47. Par ailleurs, les représentants du gouvernement et des communautés se préoccupaient de la présence croissante du crime organisé et de son rôle dans l’industrie du sexe 48.
C’est pourquoi, en 2000, les Pays‑Bas ont abrogé la très ancienne loi interdisant les bordels et adopté un système d’attribution de permis pour réglementer l’industrie de la prostitution. Pour le ministère de la Justice, cette réforme législative était nécessaire parce que « la prostitution est indéniable, même pour le gouvernement. Elle exige une réponse réaliste et non moralisatrice 49 ». Selon le ministère des Affaires étrangères, on comptait environ 25 000 travailleurs et travailleuses du sexe aux Pays‑Bas lorsque l’interdiction a été levée 50.
L’alinéa 273f) du Code pénal néerlandais vise à établir une distinction entre prostitution volontaire et involontaire. En effet, les personnes qui choisissent de faire le commerce du sexe jouissent des mêmes droits que les autres travailleurs et travailleuses tandis que quiconque contraint ou exploite d’autres personnes dans l’industrie du sexe doit être sévèrement puni (par une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 18 ans s’il y a des circonstances aggravantes). Les objectifs de cet article étaient les suivants :
La légalisation a donné aux municipalités le soin de réglementer le commerce du sexe au sein de leurs limites. Dans la vaste majorité des agglomérations (environ 95 %), la prostitution est réglementée à l’aide de permis 52. Dans la pratique, le soin d’inspecter les établissements pour y déceler la présence de travailleurs ou travailleuses d’âge mineur ou n’ayant pas de papiers est généralement laissé à la police. Si tel est le cas, les sanctions pour les propriétaires et les exploitants de bordels vont de l’avertissement à l’amende, en passant par la révocation temporaire ou permanente de leur permis. Lorsque des cas d’exploitation sexuelle sont découverts, le propriétaire, l’exploitant ou les deux peuvent être poursuivis en vertu du Code pénal.
Le gouvernement des Pays‑Bas n’impose pas de test de dépistage des infections transmissibles sexuellement (ITS) ou du VIH/sida aux personnes qui vendent des services sexuels. Des cliniques et d’autres services médicaux sont disponibles dans les quartiers réservés où le racolage est autorisé.
Aux Pays‑Bas, la prostitution légale se produit dans des entreprises de travail du sexe bien établies comme des vitrines, des bordels, des agences d’escortes ou des salons de massage ainsi que dans les quartiers réservés 53. Le commerce du sexe dans la rue est réglementé par des arrêts municipaux et est interdit partout au pays, sauf dans les trois derniers districts de « putes de trottoir » dans les villes de Groningen, d’Arnhem et de Nimègue, les membres du conseil municipal d’Utrecht ayant voté pour la fermeture de son district le 30 juin 2021. Depuis 2009, un projet de loi visant l’encadrement de la prostitution et la lutte contre les abus dans l’industrie du sexe franchit les diverses étapes au Parlement néerlandais. Il a été amendé en 2014, et, depuis, on attend un décret royal pour son entrée en vigueur, même si, sur de nombreux sites Web du gouvernement, on qualifie celle‑ci d’imminente 54. Dans le projet de loi, on propose de hausser à 21 ans l’âge d’admissibilité des travailleurs et travailleuses du sexe et d’exiger de l’ensemble des personnes et entreprises du secteur qu’elles soient titulaires du permis nécessaire pour exercer leurs activités en vertu de normes nationalisées, ainsi que de créer un registre national à cette fin.
Les travailleurs et travailleuses du sexe signalent plusieurs effets positifs de la légalisation sur la qualité de leurs conditions de travail et de leur vie. Parmi les améliorations, citons la sécurité accrue des quartiers réservés, la création et l’application de normes d’hygiène et de sécurité dans les établissements légaux ainsi que le dépistage gratuit des maladies 55.
Toutefois, en 2006, des membres de l’équipe de recherche du groupe de défense des intérêts des travailleurs et travailleuses du sexe Red Thread ont conclu que les conditions de travail dans les centaines de maisons closes légales qu’ils avaient visitées étaient quasi nulles et que les travailleurs et travailleuses du sexe dépendaient encore beaucoup de leur employeur 56. Les nouvelles obligations fiscales et les nouveaux arrangements financiers mis en place à la suite de la légalisation de l’industrie du sexe entraînent des frais accrus pour les travailleurs et travailleuses de cette industrie, plusieurs faisant état d’un coût équivalant aux revenus générés par quatre à cinq clients par jour, ce qui les incite à acquiescer à des demandes pour un travail plus risqué, mais plus lucratif 57. À la suite d’un autre projet de recherche mené en 2018 par une coalition de groupes de défense du travail du sexe, on a constaté qu’au cours des 12 mois précédents, 60 % de ces travailleurs et travailleuses avaient subi de la violence physique, 78 % de la violence sexuelle, 58 % de la violence financière ou économique et 93 % de la violence socio‑émotionnelle 58.
Outre ces critiques, certaines études démontrent que la légalisation n’a pas tout à fait réussi à contribuer à la réglementation de l’industrie de la prostitution au pays. En 2007, une évaluation commandée par le gouvernement a révélé que la majorité des membres de l’industrie qui opéraient illégalement ou en dehors des bordels légaux continuaient d’échapper au contrôle du gouvernement 59. Selon les défenseurs du commerce du sexe, bien que la légalisation ait apporté aux travailleurs et travailleuses du sexe européens des avantages comme l’admissibilité à des services juridiques, sanitaires et sociaux, les personnes immigrantes sans papiers et mineures sont de plus en plus poussées vers la clandestinité 60 et, par conséquent, encore davantage exposées à la violence et à l’exploitation. De plus, les autorités locales imposant des restrictions, il est de plus en plus difficile de pratiquer la prostitution légalement, et, en 2017, le nombre de commerces du sexe légaux avait chuté d’environ 40 % aux Pays‑Bas 61. Le travail sexuel illégal est soumis aux mêmes problèmes que la criminalisation ailleurs, notamment la peur du signalement de la maltraitance et un risque accru de violence et d’exploitation 62.
Depuis la légalisation, la population s’inquiète de plus en plus du fait que la loi ne contribue pas à lutter contre la traite. L’examen effectué en 2007 par le gouvernement a permis de conclure que, malgré l’accroissement de la sensibilisation à l’exploitation au sein de l’industrie, les proxénètes y demeurent très actifs 63. En 2008, ces inquiétudes se sont avérées fondées avec la poursuite très médiatisée intentée contre une organisation criminelle germano‑turque qui, après avoir fait entrer plus de 120 femmes aux Pays‑Bas, les avait soumises à un traitement extrêmement violent alors qu’elles travaillaient dans l’industrie du sexe légalisée 64. Dans un rapport de police consécutif à cette affaire, on estimait qu’entre 50 et 90 % des femmes qui se livrent à la prostitution sous licence le font contre leur gré 65.
Le gouvernement a tenté à plusieurs reprises de lutter contre la traite. En 2008, le ministre de la Justice a mis sur pied un groupe de travail sur la traite de personnes, présidé par le procureur général en chef du tribunal de district d’Amsterdam 66. En 2012, des juges spécialisés dans la traite ont été nommés, et, en 2013, des tribunaux spéciaux ont été assignés au traitement des cas complexes de traite 67. On a également déployé des efforts pour cibler la demande, y compris en diminuant le nombre de permis de travail légal en circulation.
Or, d’après les critiques, ces mesures ne font qu’encourager les personnes qui font le commerce du sexe à mener leurs activités illégalement. En outre, ces travailleurs et travailleuses affirment que l’accroissement des activités de lutte contre la traite de personnes, de même que l’amalgame entre le travail du sexe et la traite entraînent leur stigmatisation et celle de leur travail 68. En raison de cette stigmatisation, les travailleurs et travailleuses du sexe continuent d’être isolés et exclus de la société, et ce, même dans un cadre légal, et ils ont beaucoup de mal à obtenir les services de comptables, de banques et de sociétés d’assurance 69. Plusieurs ont aussi maintenant de la difficulté à garder leur métier secret. Compte tenu de leur marginalisation, les travailleurs et travailleuses du sexe s’inquiètent des mesures qui menacent leur vie privée, comme le registre national proposé qui deviendrait obligatoire 70.
Comme les Pays‑Bas, la Suède attire beaucoup l’attention des gouvernements des autres pays depuis l’entrée en vigueur, en 1999, de sa loi sur la prostitution. Son approche néo‑abolitionniste, surnommée familièrement le modèle suédois ou nordique, inspire depuis les gouvernements de nombreux autres pays à emboîter le pas, notamment la Norvège, l’Islande, le Canada, l’Irlande du Nord, l’Irlande, la France et l’État d’Israël. Alors que les travailleurs et travailleuses du sexe de la Suède ne peuvent y être accusés de racoler ou d’offrir des services sexuels contre rémunération, les clients et les entremetteurs peuvent pour leur part être inculpés. Quiconque obtient ou tente d’obtenir des services sexuels en échange d’un paiement est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an (selon la modification apportée en 2011). Dans les cas de proxénétisme aggravé, les proxénètes risquent jusqu’à huit ans de prison. Il convient de noter que la peine la plus sévère prévue au Code criminel suédois est de 10 ans d’emprisonnement. En fin de compte, le gouvernement de la Suède criminalise les activités des clients et des autres intervenants de l’industrie du sexe plutôt que celles des personnes qui vendent des services sexuels, qui sont perçues comme des victimes d’exploitation.
La Loi interdisant l’achat de services sexuels (1998) fait partie d’un ensemble de textes législatifs plus généraux du gouvernement visant à lutter contre la violence faite aux femmes. La décision d’inclure cette loi dans le cadre d’une législation plus générale est fidèle au sens que le gouvernement donne à la prostitution et à sa position à cet égard. Selon une ancienne vice‑première ministre, cette loi démontre que le gouvernement est déterminé à éradiquer l’inégalité entre les sexes sous toutes ses formes. Ainsi, le gouvernement de la Suède définit la prostitution comme « une forme, et une forme grave, de violence des hommes contre les femmes 71 ». En 2005, ces dispositions ont été incorporées au chapitre 6, article 11, du Code pénal suédois.
Le gouvernement suédois estime que la criminalisation des activités des clients et des proxénètes a une double finalité. D’une part, elle vise les individus que le gouvernement juge responsables de la prostitution. D’autre part, elle aide à préciser la position du gouvernement, à savoir que la prostitution consiste à considérer les êtres humains comme des marchandises. Selon la théorie qui sous‑tend la loi, la réduction de la demande permettra de mettre fin à l’oppression sexuelle des parties prenantes de l’industrie.
En fin de compte, le gouvernement suédois souscrit à l’idée que toutes les personnes qui vendent des services sexuels sont des victimes, exploitées à la fois par les proxénètes et par leurs clients. Les travailleurs et travailleuses du sexe ne sont pas des criminels : ils sont plutôt coincés dans une situation sociale et économique. Le gouvernement de la Suède s’efforce donc de leur offrir le soutien dont ils ont besoin pour quitter l’industrie. Ce soutien prend la forme de services d’aide sociale, d’autres options d’emploi et d’accès aux soins de santé 72. Les sanctions criminelles ne sont pas considérées comme une solution constructive, parce qu’elles empêchent les travailleurs et travailleuses du sexe de chercher d’autres possibilités d’emploi.
La loi de la Suède sur l’achat de services sexuels a été l’objet d’une imposante campagne de sensibilisation et a fait couler beaucoup d’encre, mais les données disponibles concernant la prostitution depuis l’entrée en vigueur de la loi démontrent que son effet est mitigé.
Les examens de la loi réalisés à la demande du gouvernement en 2010 et en 2014 ont été extrêmement positifs 73. Par rapport à d’autres pays européens, en Suède, l’industrie de la prostitution n’a jamais été importante. En 1998, selon les services sociaux, le pays comptait 730 travailleurs et travailleuses du sexe de la rue, et le gouvernement a estimé qu’en 1993, entre 2 500 et 3 000 femmes travaillaient dans l’industrie du sexe. Selon les données du gouvernement, depuis l’entrée en vigueur de la loi, la prostitution de rue a diminué de moitié, et les autres formes de prostitution sont demeurées stables ou n’ont pas connu d’augmentation supérieure à celle dans les autres pays, ce qui signifie que les travailleurs et travailleuses du sexe de la rue n’optent pas pour un autre secteur de l’industrie. Dans le rapport, on indique également que la loi a permis de contrecarrer le crime organisé en Suède, et ce, sans que la violence contre les travailleurs et travailleuses du sexe augmente 74. La Loi interdisant l’achat de services sexuels jouit de l’appui de la population suédoise. Les plus récentes données concernant l’opinion publique, datant de 2014, démontrent que 72 % des citoyens étaient en faveur de celle‑ci, soit 85 % des femmes et 60 % des hommes 75.
Selon l’évaluation de l’interdiction d’achat de services de prostitution réalisée par le gouvernement en 2010, en dépit d’une période d’incertitude initiale, les forces de l’ordre et les procureurs voient maintenant cette interdiction d’un bon œil, même s’il est évident qu’une application efficace dépend des ressources et des priorités au sein du système de justice 76. En 2015, en 2016 et en 2017, on a signalé respectivement 330, 334 et 222 cas d’achat de services sexuels; la plupart ont été traités au moyen de jugements rendus en cour de district ou de déclarations de culpabilité par procédure sommaire. Aucune personne déclarée coupable de l’achat de services sexuels ne s’est vu imposer de peine d’emprisonnement 77.
Les détracteurs remettent cependant en cause l’efficacité de la loi interdisant l’achat de services sexuels à réduire la prévalence de la prostitution. On s’entend généralement pour dire que le nombre de personnes impliquées dans la prostitution de rue a diminué depuis 1999, mais plusieurs affirment que même une telle opinion repose sur un manque de données empiriques et qu’en plus, elle n’est pas nécessairement liée aux activités globales de prostitution qui ont cours en Suède. La montée de l’utilisation d’Internet et du cellulaire depuis l’adoption de cette loi a donné lieu à un changement des méthodes de sollicitation, qui sont moins manifestes. Il semble aussi que la prostitution ait lieu dans les hôtels, les restaurants et les logements plutôt que dans la rue. Les détracteurs font donc valoir que la loi n’a pas eu pour effet de réduire le nombre de travailleurs et travailleuses du sexe en Suède, mais que l’industrie s’est plutôt réorganisée et est moins ostensible qu’avant 78.
D’autres défenseurs du travail du sexe dénoncent ce qu’ils considèrent être une recrudescence de la violence et des mauvais traitements à l’égard des travailleurs et travailleuses du sexe à cause de la loi. Cette violence et ces abus se produisent dans les rues, car les travailleurs et travailleuses y ont moins de temps pour négocier avec les clients et les évaluer, et ces derniers refusent de donner des renseignements personnels, par crainte de se faire arrêter. Du fait de la baisse du nombre de clients et de la difficulté à trouver des lieux sécuritaires pour travailler, des travailleurs et travailleuses du sexe commencent à dépendre de tiers, comme les locateurs et les proxénètes 79.
En raison de la loi, l’accès aux services sociaux et de santé pose également problème pour bon nombre de personnes actives dans le commerce du sexe. Ces travailleurs et travailleuses se plaignent d’être la cible de discrimination, de subir des pressions pour se positionner comme des victimes et de ne pas avoir accès à des services de réduction des risques, comme le dépistage du VIH et la distribution de préservatifs 80. Le risque de ne pouvoir accéder aux services sociaux et de santé est encore plus grand pour les travailleurs et travailleuses du sexe LGBT et migrants (en particulier les hommes migrants). La stigmatisation qui en résulte a une incidence sur ces groupes, qui sont écartés des conversations au sujet des lois et politiques sur la prostitution en Suède 81.
L’Angleterre s’appuie pour l’essentiel sur des lois concernant la prostitution promulguées pour la première fois dans les années 1950. Dans ce pays, l’échange consensuel d’argent contre des services sexuels n’est pas illégal, mais la plupart des activités connexes le sont. Les dispositions de la Sexual Offences Act 1956 et de la Street Offences Act 1959 interdisent aux travailleurs et travailleuses du sexe de racoler ou de flâner. Par ailleurs, sous le régime de la Sexual Offences Act 1985, les clients peuvent être accusés de sollicitation sur la voie publique 82, c’est‑à‑dire de demander, à partir d’un véhicule automobile ou dans un endroit public, les services d’un travailleur ou d’une travailleuse du sexe. Il est également interdit de se livrer au proxénétisme, d’exploiter un bordel et de vivre des produits de la prostitution d’une autre personne.
En revanche, malgré l’interdiction de tenir un bordel en Angleterre, il n’est pas illégal pour une personne de se livrer à la prostitution, pourvu qu’elle travaille seule à son domicile, ce qui n’est pas considéré comme le fait de tenir un bordel au sens de la loi 83. Cet énoncé général comporte plusieurs réserves. D’abord, si plus d’une personne offre des services sexuels dans un même endroit, qu’elles travaillent en même temps ou pas, l’activité devient illégale. De même, si des chambres d’un immeuble sont louées à plus d’une personne offrant des services sexuels, cet immeuble sera considéré comme un bordel si l’on peut prouver que les locataires travaillent vraiment ensemble. Par exemple, un hôtel dans lequel se trouvent plusieurs travailleurs ou travailleuses du sexe le même soir pourrait être considéré comme un bordel si l’on peut prouver que ces personnes travaillent ensemble.
En 2003, les membres du Comité des affaires intérieures de la Chambre des communes ont signalé qu’il fallait moderniser les lois portant sur la prostitution pour pouvoir mieux traiter d’enjeux comme la prévention et la protection, signalant ainsi un léger changement de perception. De fait, on ne considérait plus la prostitution uniquement comme une nuisance publique, mais on reconnaissait qu’elle entraînait un problème d’exploitation et de traite 84. La Sexual Offences Act 2003 qui en a découlé et qui est entrée en vigueur en mai 2004 n’a pas entraîné de changement radical de la position du gouvernement sur la prostitution, mais elle a donné lieu à la création d’une nouvelle infraction, à savoir l’exploitation sexuelle commerciale d’adultes, en plus de cesser de faire de la discrimination entre les sexes 85.
Aux termes de la Sexual Offences Act 2003, l’infraction consistant à tenir un bordel est liée au contrôle et à la gestion du bordel, plutôt qu’au commerce du sexe comme tel, et peut entraîner une peine pouvant aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement. Par conséquent, alors que les bordels sont illégaux, il n’est pas illégal de travailler dans un tel établissement en tant que travailleur ou travailleuse du sexe. Les propriétaires et les exploitants de ces endroits sont passibles d’une poursuite au criminel en vertu des dispositions sur l’exploitation de la prostitution, qui prévoient également une peine pouvant atteindre sept ans d’emprisonnement.
En 2004, en réponse au mécontentement du public à propos de ce qui était perçu comme une approche inefficace à l’égard de l’industrie de la prostitution, le gouvernement a publié un document de consultation 86. En janvier 2006, il a donné suite à cette consultation en proposant une nouvelle stratégie visant à réduire la prostitution de la rue, à améliorer la qualité de vie dans les collectivités où on retrouve des milieux de prostitution et à diminuer toutes les formes d’exploitation sexuelle commerciale 87. En novembre 2008, le ministère de l’Intérieur a mené un examen afin de déterminer les mesures additionnelles qui pourraient être prises pour réduire la demande 88, ce qui s’est traduit par l’adoption de la Policing and Crime Act 2009. Lors de son entrée en vigueur en 2010, la loi modifiait la Sexual Offences Act 2003 de manière à :
- interdire l’achat de rapports sexuels avec une personne qui est « forcée » de se prostituer, même lorsque le client n’est pas au courant de la situation;
- apporter des modifications de forme aux infractions de flânerie et de sollicitation dans un endroit public (la personne à l’origine de l’infraction peut être poursuivie sans qu’il soit nécessaire de prouver la « persistance des actes »);
- autoriser la cour à ordonner la fermeture de lieux lorsqu’ils sont utilisés pour certaines infractions liées à la prostitution 89.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi modifiée, la police craint que la disposition selon laquelle la personne est « forcée » de se prostituer soit difficile à appliquer, et dans le milieu juridique, on dénonce les iniquités possibles 90.
Parmi les lois connexes figurent la Modern Slavery Act 2015 91, qui porte sur la traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle, et la Serious Crime Act 2015 92, qui traite de l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.
Comme bien d’autres pays, l’Angleterre s’est demandé comment protéger les personnes qui vendent des services sexuels contre les abus et l’exploitation, tout en veillant à ce que les communautés ne soient pas victimisées dans la foulée. La question de savoir si les stratégies d’exécution de la loi profitent effectivement aux travailleurs et travailleuses du sexe ou aux communautés suscite une grande controverse.
En 2019, le Conseil national de chefs de police a publié une version à jour des directives nationales sur la surveillance policière du travail du sexe et de la prostitution à l’intention des corps policiers d’Angleterre et du pays de Galles. L’accent est mis sur l’augmentation du travail du sexe en ligne et les forces sont encouragées à s’efforcer d’accroître la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe et à cibler les personnes qui exploitent d’autres personnes ou qui portent préjudice à autrui 93.
L’élaboration d’une stratégie policière nationale et l’accent qui y est mis sur la protection des travailleurs et travailleuses du sexe s’expliquent probablement par les vives critiques formulées à l’encontre de l’application locale décentralisée des lois en matière de prostitution en Angleterre de même que par le fait que les travailleurs et travailleuses du sexe sont plus souvent la cible de la police que leurs clients. Les témoignages qui ont été fournis aux membres du Comité des affaires intérieures dans leur étude de 2017 sur la prostitution venaient appuyer les deux positions exprimées. Le rapport de ce comité mettait en lumière le fait que, généralement, les forces de police ne protègent pas les travailleurs et travailleuses du sexe, et soulignait que les nombres d’arrestations étaient beaucoup plus élevés chez les vendeurs et vendeuses que chez les acheteurs et acheteuses de services sexuels 94.
Les travailleurs et travailleuses du sexe, en particulier ceux de la rue, risquent d’être victimes de violence – notamment d’humiliations verbales ainsi que d’agressions physiques et sexuelles – de la part de leurs proxénètes et de leurs clients. Leurs défenseurs estiment que le régime législatif actuel accroît ces risques. Ils rappellent que la crainte de se faire arrêter empêche effectivement les travailleurs et travailleuses de la rue de se protéger. Comme la plupart des activités entourant la prostitution sont illégales, les travailleurs et travailleuses du sexe doivent s’isoler ou compter sur la protection d’un proxénète. De plus, les stratégies policières tendent généralement à cibler les migrants, ce qui a mené à l’expulsion de travailleurs et travailleuses du sexe sous le couvert d’opérations « de lutte contre la traite des personnes 95 ». Pour ces raisons, les détracteurs soutiennent que les travailleurs et travailleuses de la rue sont de plus en plus vulnérables.
Cependant, comme dans d’autres pays, les estimations quant au nombre de personnes engagées dans la prostitution en Angleterre révèlent que la majorité des activités des travailleurs et travailleuses du sexe se déroulent en établissement et que leur nombre a augmenté avec l’utilisation accrue d’Internet. En effet, le secteur en ligne est le plus important de l’industrie du sexe au pays. Les estimations du nombre total de personnes effectuant un travail du sexe en ligne varient énormément, mais une équipe de recherche a conclu que pendant une période de trois mois en 2017, près de 30 000 travailleurs et travailleuses étaient inscrits sur le principal réseau de l’industrie au pays 96. Parmi la panoplie d’avantages que leur procure l’Internet, les travailleurs et travailleuses du sexe mentionnent :
Bien que la police ait par le passé essentiellement fermé les yeux sur la prostitution hors rue, l’inquiétude croissante suscitée par l’exploitation des enfants et la traite des personnes a incité les autorités à intervenir plus vigoureusement dans les quartiers réservés 97. Par exemple, le nombre de condamnations pour l’exploitation d’une maison de prostitution est passé de 55 en 2014 à 96 en 2015, et 408 personnes ont été détenues pour cette infraction entre janvier 2017 et octobre 2020 98. En décembre 2013, lors d’une seule très grosse opération de lutte contre la traite de personnes, la police a fait des descentes dans 18 bordels de Soho à la suite de soupçons concernant le trafic de drogues et la traite de personnes. Aucune victime de la traite des personnes n’a été trouvée 99. Selon les défenseurs des droits des travailleurs et travailleuses du sexe, ces mouvements de répression accroissent les tensions entre les forces policières et les travailleurs et travailleuses du sexe, et les descentes de police contraignent les femmes à travailler dans la rue, où leur santé et leur sécurité sont menacées 100.
On estime que d’autres pratiques policières mettent en danger la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe en établissement. Une étude effectuée en 2020 par les National Ugly Mugs, un groupe de défense qui œuvre pour mettre fin à la violence faite aux travailleurs et travailleuses du sexe, a révélé que le nombre de ceux qui travaillent en établissement et qui sont prêts à porter plainte à la police avait considérablement diminué entre 2012 et 2020 101. Les pratiques policières, telles que l’imposition d’amendes, la restriction des zones, les descentes, les visites « pour s’enquérir du bien‑être » et les menaces d’expulsion des travailleurs et travailleuses du sexe migrants, ont toutes été citées comme motifs expliquant la diminution du niveau de confiance. Il en résulte que les travailleurs et travailleuses du sexe, en particulier ceux issus de minorités et migrants, considèrent généralement les policiers et policières comme s’occupant uniquement de répression plutôt que d’agir dans l’intérêt public 102.
En 2018, les membres d’un groupe parlementaire multipartite chargé d’étudier la question de l’exploitation sexuelle organisée en Angleterre et au Pays de Galles ont évoqué la participation de nombreuses organisations de criminalité organisée et la présence de la traite dans l’industrie du sexe. En guise de solution, ils ont recommandé de mettre en œuvre le modèle nordique de criminalisation des acheteurs et acheteuses de services sexuels 103. Toutefois, dans le rapport publié par le Comité des affaires intérieures en 2017 à la suite de son enquête sur les lois en matière de prostitution dans ce pays, on peut lire : « Nous ne sommes pas encore convaincus qu’une loi sur les consommateurs et consommatrices de sexe contribuerait à réduire la demande ou à améliorer la qualité de vie des travailleurs et travailleuses du sexe 104. » On y recommandait plutôt de supprimer les lois interdisant l’exploitation d’une maison de prostitution et la sollicitation pour améliorer la sécurité de ces travailleurs et travailleuses. À ce jour, aucune modification n’a été apportée à la loi.
Aux États‑Unis, on applique des politiques prohibitionnistes et abolitionnistes pour contrôler la prostitution.
À l’échelon fédéral, le gouvernement des États‑Unis promulgue des lois pour protéger les militaires de la prostitution et pour cibler les activités de traite de personnes. Il est interdit de se livrer à la prostitution ou de solliciter les services de personnes prostituées à moins d’une distance jugée « raisonnable » d’un détachement ou d’une zone d’opération militaire. Il est également interdit de transporter des personnes d’un État à l’autre ou de leur faire traverser la frontière américaine à des fins de prostitution 105. Récemment, deux nouvelles lois ciblant la publicité en ligne de services sexuels ont été promulguées : Allow States and Victims to Fight Online Sex Trafficking Act of 2017, qui impose des sanctions à quiconque utilise des sites en ligne pour promouvoir ou faciliter la prostitution d’une personne 106, et Stop Enabling Sex Traffickers Act of 2017 107, qui précise que les fournisseurs et les utilisateurs de sites Web peuvent être poursuivis pour avoir facilité la traite de personnes.
Dans certains cas, le gouvernement fédéral réglemente la prostitution, mais la plupart des lois la régissant relèvent de la compétence des États. La prostitution reste un sujet controversé au pays. Bien que nombre de citoyens des États‑Unis s’accordent à reconnaître que l’élimination de la prostitution (ou du moins de ses formes visibles) est un objectif à long terme, il n’y a pas unanimité sur le meilleur moyen d’y parvenir. La légalisation et la décriminalisation, proposées dans plusieurs pays, sont rarement considérées comme des solutions acceptables aux États‑Unis. Pour l’essentiel, donc, les États‑Unis semblent avoir décidé d’éliminer la prostitution en infligeant des sanctions plus sévères et en élargissant l’éventail des interdictions pénales et civiles 108. Les lois varient d’un État à l’autre, bien que, dans tous les États, les personnes qui fournissent des services sexuels commerciaux puissent faire l’objet de poursuites judiciaires 109. Les sections suivantes du présent document portent sur les lois en Californie et au Nevada, deux États ayant adopté des approches très différentes.
En Californie, la prostitution est illégale. Selon le Code pénal de la Californie, il est interdit aussi bien de convenir de pratiquer la prostitution que de la pratiquer effectivement 110. La flânerie à des fins de prostitution est interdite, tout comme le racolage, tant dans les lieux publics que dans les endroits privés. Ces infractions sont toutes des délits mineurs, mais une personne peut être accusée d’infraction majeure si elle a déjà obtenu un résultat positif au test de dépistage du VIH. Le Code pénal de la Californie comporte de nombreuses dispositions criminalisant le proxénétisme (que ce soit au moyen de mesures d’intimidation, de la force physique ou de la persuasion) et le fait de vivre des produits de la prostitution.
En 2018, deux modifications ont été apportées à la loi dans le cadre de l’adoption du projet de loi du Sénat 233, lesquelles reflétaient une prise de conscience, faible, mais de plus en plus grande, des effets néfastes découlant de la criminalisation pour les travailleurs et travailleuses du sexe. Le projet de loi prévoit l’immunité contre les poursuites en vertu des lois relatives à la prostitution si une personne signale certains autres crimes graves, et il interdit d’utiliser la possession de préservatifs comme preuve dans la poursuite d’une personne pour des infractions liées à la prostitution (pour empêcher les travailleurs et travailleuses du sexe de craindre d’avoir des condoms en leur possession et de les utiliser dans le cadre de leur travail 111).
En Californie, chaque administration adopte des approches légèrement différentes pour tenter d’éliminer la prostitution. San Francisco figure parmi les premières villes où a été établie une « john school », ayant pour objectif de réduire la demande de sexe commercial en sensibilisant les clients (« johns » en anglais) aux conséquences néfastes de la prostitution 112. Cette initiative s’inscrit dans un programme plus vaste dans le cadre duquel on aide les travailleurs et travailleuses du sexe à sortir de l’industrie, en plus de leur offrir des solutions de rechange en matière de détermination de la peine, comme des possibilités d’éducation. La Ville de Los Angeles a pour sa part mis en place une mesure de restriction des virages à droite la nuit dans certains secteurs reconnus comme des lieux de prostitution de rue. Cette mesure a engendré une diminution de ce type de prostitution dans quelques secteurs, ce qui a mené d’autres quartiers à envisager de l’adopter 113.
La criminalisation de la prostitution en Californie, et aux États‑Unis en général, s’explique de plusieurs façons. Alors qu’au xixe siècle, elle découle en grande partie de la peur de l’érosion des valeurs familiales, de nouvelles préoccupations en matière de morale et de santé publique dominent aujourd’hui parmi les arguments en faveur du maintien d’un régime prohibitionniste. Les partisans de l’interdiction de la prostitution établissent aussi des liens de plus en plus étroits entre la traite de personnes et l’industrie du sexe, incitant ainsi à un soutien généralisé des lois et des politiques de lutte contre la prostitution 114. Les prohibitionnistes, qui considèrent que la prostitution est dangereuse, cherchent donc à la limiter par voie législative 115.
Toutefois, la criminalisation risque d’entraîner des conséquences négatives graves pour nombre de travailleurs et travailleuses du sexe et tend à avoir une incidence disproportionnée sur les travailleurs et travailleuses de rue issus de minorités 116. Il est en effet plus difficile pour des personnes possédant un dossier d’arrestation et de condamnation de quitter l’industrie et cela renforce les obstacles auxquels sont confrontés les travailleurs et travailleuses du sexe qui cherchent à obtenir un logement, des prestations et des soins de santé. Ils ont aussi tendance à travailler dans des conditions moins sécuritaires, assorties de moins de stratégies de diminution des risques, peuvent moins se fier à la protection de la police, et risquent davantage d’être exposés au VIH et à des ITS 117.
En général, les personnes qui travaillent dans les agences d’escortes, les salons de massage et les bordels sont moins susceptibles d’avoir des démêlés avec le système de justice pénale que leurs collègues de la rue 118. Toutefois, de nouvelles lois fédérales votées en 2018, qui visent à limiter les annonces de services sexuels en ligne et à tenir les tiers propriétaires de sites d’hébergement responsables de ces annonces, sont le reflet de l’accroissement de la sensibilisation et d’un ciblage conséquent de la prostitution en établissement. Les détracteurs de ces lois soutiennent qu’elles compromettent la capacité des travailleurs et travailleuses du sexe d’évaluer les clients et les rendent davantage susceptibles de travailler dans la rue, ce qui est plus dangereux, et de compter sur la protection d’un proxénète 119.
L’application du Code pénal par la police tend à être axée sur les travailleurs et travailleuses du sexe de la rue, qui sont plus susceptibles d’être pauvres et non blancs 120. En conséquence, bien qu’on estime la prostitution de la rue à moins de 20 % de l’industrie du sexe, les personnes qui y travaillent représentent environ 90 % des travailleurs et travailleuses du sexe arrêtés aux États‑Unis 121.
Enfin, nombre de détracteurs mettent en cause le niveau de ressources attribué au contrôle de la prostitution. Il existe peu d’évaluations exhaustives des coûts, mais selon les plus récentes estimations, en 2014, chaque arrestation et chaque poursuite pour une infraction se rapportant à la prostitution coûtait 4 324 dollars américains 122. En tout, le coût annuel de la poursuite des infractions liées à la prostitution au pays est d’environ 270,9 millions de dollars américains 123. Les analystes signalent que la criminalisation de l’industrie ne permet pas non plus de percevoir les recettes fiscales sur le revenu et sur les sociétés qui sont générées par les régimes de légalisation ou de décriminalisation 124.
Le Nevada est le seul État américain à avoir officiellement légalisé une forme de prostitution. Il s’appuie sur un ensemble de lois pénales, de lois administratives et d’arrêtés municipaux et sur des traditions sans caractère officiel pour réglementer le secteur de la prostitution. Essentiellement, la prostitution n’est autorisée que dans les bordels détenteurs d’un permis. Toutes les autres formes de prostitution (p. ex. la prostitution de rue, les agences d’escorte et les salons de massage) sont illégales. Les lois de l’État et les ordonnances municipales visent à créer un cadre de gestion des risques médicaux associés au commerce du sexe tout en laissant aux autorités de chaque comté le soin de décider la manière de le réglementer, le cas échéant 125.
L’article 244.345 des Nevada Revised Statutes donne aux comtés de moins de 700 000 habitants le pouvoir d’accorder des permis à des bordels 126. La prostitution et le racolage à l’extérieur de ces établissements légaux constituent des délits mineurs 127. À l’heure actuelle, sept comtés sur seize comptent des établissements légaux pour la prostitution, et les bordels demeurent illégaux à Las Vegas et à Reno.
Généralement, dans les comtés où des bordels peuvent être exploités légalement, des règlements stricts concernant leurs activités sont imposés aux propriétaires et au personnel. Ces règlements varient cependant beaucoup d’un comté à l’autre. Il en va de même des exigences et des frais liés aux demandes de permis. En 2018, dans le comté de Lyon, les droits de licence des maisons closes se situaient entre 20 000 et 26 000 dollars américains par trimestre, alors que dans le comté de Nye, les propriétaires de petits bordels payaient 2 300 dollars américains et ceux des grands, 46 900 dollars américains 128.
Les articles 201.430 et 201.440 des Nevada Revised Statutes limitent également le droit qu’ont les propriétaires de bordels d’annoncer leurs services 129. Selon la loi de l’État, les bordels ne peuvent pas faire de publicité dans les rues et sur les autoroutes ou dans les cinémas. En 2010, la United States Court of Appeals, 9th Circuit, a maintenu l’interdiction de faire de la publicité dans les comtés du Nevada où la prostitution est illégale 130.
Les travailleurs et travailleuses du sexe sont aussi assujettis à des règlements et à des contrôles. Quiconque vend des services sexuels dans un bordel du Nevada doit s’inscrire auprès de la police, et reçoit un permis de travail après avoir subi le test obligatoire de dépistage du VIH et des ITS. Les travailleurs et travailleuses du sexe doivent assumer des frais pour se soumettre à des tests hebdomadaires et mensuels de dépistage de diverses ITS. Toute personne séropositive qui se livre à la prostitution commet une infraction majeure, et les propriétaires de bordel peuvent être passibles de dommages‑intérêts lorsque des clients sont infectés par le VIH 131. Les travailleurs et travailleuses du sexe ayant contracté une ITS sont tenus de se faire soigner. Il existe également des exigences strictes concernant l’utilisation de condoms dans les bordels 132.
Les conditions de travail dans ces endroits suscitent de plus en plus de controverse. Les détracteurs déplorent les contrôles stricts exercés sur la vie des travailleurs et travailleuses du sexe exigés par le régime actuel 133. Par le passé, les responsables d’un certain nombre de comtés et administrations locales ont cherché à limiter leur mobilité, notamment en leur imposant des restrictions concernant la possession et l’utilisation de véhicules automobiles et en exigeant qu’ils demeurent dans le bordel ou qu’ils quittent le comté lorsqu’ils ne travaillent pas. Les travailleurs et travailleuses du sexe sont régis par les règles mises en place par les propriétaires et les exploitants de leur bordel, y compris en ce qui concerne les périodes de travail, et ils versent habituellement au propriétaire environ 50 % de leurs gains, en plus de payer leur logement et leurs repas. En outre, en raison de leur statut, les travailleurs et travailleuses du sexe, que l’on considère comme des entrepreneurs indépendants, ne sont pas couverts par le Code du travail de l’État et n’ont pas accès à l’assurance maladie, à des congés de maladie ou à l’assurance‑emploi, ni à des prestations de retraite 134.
En 2019, ces critiques, auxquelles s’ajoutent les divergences constatées entre les règlements des comtés et le degré de surveillance de la part des responsables de l’État et des comtés, ont incité la députée Lesley Cohen à proposer la création d’un comité législatif chargé d’étudier les bordels au Nevada. Ce comité, a‑t‑elle précisé, se pencherait sur quatre sujets :
- la mesure dans laquelle les règles et les conditions de travail contribuent à garantir la santé, la sécurité et le bien‑être des travailleurs et travailleuses du sexe;
- les moyens par lesquels les ententes entre les travailleurs et travailleuses du sexe et les propriétaires et exploitants de maisons closes permettent de protéger la santé physique et mentale des travailleurs et travailleuses;
- le caractère adéquat de la supervision et de la réglementation par le gouvernement de l’État et les administrations locales en ce qui concerne la santé, la sécurité et le bien‑être général des travailleurs et travailleuses du sexe;
- les questions liées à l’emploi, y compris la classification des travailleurs et travailleuses du sexe comme employés ou entrepreneurs indépendants 135.
Un comité provisoire a été constitué, mais ses membres ne se sont pas encore réunis et n’ont pas produit de rapport.
Or, même si la prostitution est depuis longtemps une infraction dans les grandes villes de l’État (Las Vegas et Reno), elle demeure florissante dans la clandestinité 136. La prostitution illégale prend des formes très variées, allant des services d’escortes haut de gamme aux salons de massage, en passant par les bordels illicites et le travail de rue. Cependant, de nouvelles pressions ont été exercées sur les travailleurs et travailleuses du sexe en établissement partout au pays, y compris au Nevada, après l’adoption de lois fédérales relatives à la traite des personnes, en 2018, qui interdisaient la publicité en ligne associée à des services sexuels, ce qui est venu s’ajouter aux pressions provoquées par la fermeture de bordels et d’autres entreprises de l’industrie du sexe pendant la pandémie de COVID‑19 137.
L’intensification de la lutte contre la traite des personnes aux États‑Unis a entraîné des efforts visant à démanteler l’industrie légale de la prostitution au Nevada. Ces efforts ont été considérés comme étant vains, et, dans certains cas, ont révélé un niveau élevé d’appui de la population à l’égard du régime de bordels légaux. En 2018, dans le comté de Lyon, après que la requête d’un groupe anti‑trafic sexuel eut été accordée, une question consultative a été inscrite sur le bulletin de vote : on demandait si les bordels devaient être criminalisés dans le comté. L’électorat s’est opposé à plus de 75 % à l’interdiction proposée 138. Dans le comté de Nye, les membres d’un groupe anti‑prostitution ont tenté de faire inscrire une question semblable sur le bulletin de vote lors des élections de 2018, mais il leur manquait le nombre requis de signatures 139. Au niveau de l’État, en 2019, un projet de loi visant à criminaliser toute forme de prostitution a également été rejeté 140. De plus, la même année, le gouvernement fédéral a tenté, par une action intentée contre l’État du Nevada, d’y criminaliser la prostitution, la partie défenderesse alléguant avoir été victime de traite pour travailler dans l’industrie du sexe légale. Le juge a rejeté l’affaire, expliquant que la défense n’avait pas réussi à établir de lien solide entre la traite même et les dispositions législatives du Nevada sur la prostitution 141.
On ne s’entend guère sur la façon dont les gouvernements des pays devraient surveiller ou contrôler la prostitution entre adultes consentants. La plupart des pays semblent être aux prises avec une question sous‑jacente, à savoir quel rôle la loi (notamment le droit criminel) doit jouer dans la réglementation de la prostitution chez les adultes. Les tendances législatives vont de la consolidation des dispositions criminalisant la prostitution à leur abrogation. Rien ne donne à penser que l’une ou l’autre approche permette d’atteindre tous les objectifs.
Aucun des gouvernements des pays et des États analysés ici n’a abrogé l’ensemble de ses lois pénales relatives à la prostitution. Toutefois, un certain nombre d’entre eux ont décidé de compléter leurs lois pénales en permettant des règlements locaux, des arrêtés municipaux et d’autres mesures, ce qui laisse entendre que, dans plusieurs de ces pays, la prostitution n’est pas seulement une source de préoccupations pour les législateurs et législatrices. C’est aussi une question sociale et économique qui suppose la mise en place de politiques publiques et d’autres mesures d’intervention sociale permettant de répondre aux besoins des particuliers.
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