Majoritairement destiné à l’exportation, le grain cultivé dans l’ouest du Canada alimente un commerce qui repose sur une chaîne logistique complexe dont le transport ferroviaire représente la clé de voûte. Le rail permet à la fois de traverser les grandes distances entre les silos élévateurs – où les agriculteurs livrent leur grain – et les terminaux portuaires – d’où le grain est expédié vers les marchés internationaux. La majorité du trafic ferroviaire du grain se destine aux ports de Vancouver, Thunder Bay et Prince Rupert.
La prédominance du rail dans le transport du grain a poussé très tôt le Parlement à prendre des mesures pour assurer aux producteurs du secteur la possibilité de vendre leurs marchandises. Aujourd’hui, le cadre législatif fédéral couvre non seulement les tarifs, mais également les modalités d’interconnexion permettant aux agriculteurs d’avoir accès aux services d’une compagnie de chemin de fer concurrente. Des goulots d’étranglement récurrents dans le transport ferroviaire au cours des dix dernières années ont conduit à l’adoption d’une série de réformes visant à améliorer la fluidité de la logistique du grain. Ces réformes ont notamment visé à élargir les obligations de transparence des compagnies de chemin de fer et à étendre les distances d’interconnexion.
Les défis contemporains du système de transport du grain sont multiples. En plus d’être captifs d’un nombre limité de compagnies ferroviaires, les producteurs font face à une consolidation internationale des entreprises du commerce du grain, ce qui entrave leur pouvoir de négociation. Le manque de main-d’œuvre dans le transport ferroviaire et les conflits de travail constituent d’autres préoccupations pouvant empêcher les compagnies de chemin de fer d’opérer à plein régime. Enfin, les changements climatiques sont également susceptibles de favoriser la multiplication des événements météorologiques extrêmes pouvant causer des retards dans le système de transport ferroviaire.
Les Prairies constituent un des principaux greniers à grain mondiaux et concentrent près de trois quarts de la production canadienne. Contrairement aux grains cultivés dans les autres régions du monde, les grains de l’Ouest canadien parcourent des distances relativement longues comprises entre 1 400 et 2 000 km et traversent des obstacles naturels considérables comme les montagnes Rocheuses 1 avant d’arriver à bon port. Le secteur du grain privilégie donc le transport ferroviaire pour acheminer son produit à destination.
Ce document brosse un portrait de la manutention du grain dans l’Ouest canadien et de son cadre législatif, et présente les défis et les enjeux émergents auxquels est confronté le système de transport du grain.
La région propice à la culture des grains dans l’Ouest canadien s’étend à travers les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et d’une partie de la Colombie-Britannique 2. Historiquement, la production a largement dépassé les besoins, poussant les agriculteurs à se tourner vers les marchés d’exportation.
La Saskatchewan domine la production de grain et plus particulièrement celle de légumineuses et de blé dur 3. Elle est suivie par l’Alberta qui se spécialise davantage dans le blé de printemps et l’orge. Dans chacune de ces provinces, le canola représente la première ou la seconde culture en ce qui a trait au volume (voir la figure 1).
Source : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Statistique Canada, « Tableau 32-10-0013-01 : Bilan des grains au Canada (x 1 000) », base de données, consultée le 28 juillet 2023.
Environ 70 % du grain produit dans l’Ouest canadien est exporté vers les marchés internationaux. Les destinations de ces exportations varient d’un type de grain à l’autre (voir le tableau 1).
Rang | Blé tendre | Blé dur | Canola | Légumineuses | Orge |
---|---|---|---|---|---|
1 | Chine – 771 | Maroc – 402 | Chine – 2 313 | Chine – 894 | Chine – 752 |
2 | Indonésie – 748 | Algérie – 401 | Japon – 1 585 | Inde – 603 | États-Unis – 92 |
3 | Japon – 679 | Italie – 375 | Mexique – 1 017 | États-Unis – 345 | Japon – 78 |
4 | États-Unis – 565 | États-Unis – 286 | Émirats arabes unis – 456 | Turquie – 330 | Koweït – 12 |
5 | Colombie – 476 | Japon – 101 | Pakistan – 404 | Bangladesh – 264 | Arabie saoudite – 8 |
Total | 6 976 | 2 126 | 6 975 | 3 988 | 952 |
Source : Tableau préparé par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Statistique Canada, « L’application Web sur le commerce international de marchandises du Canada », base de données, consultée le 28 juillet 2023.
Les marchés d’exportation du grain peuvent connaître de profondes évolutions dans le temps. Par exemple, le Royaume-Uni, l’Union soviétique et les États-Unis ont été des partenaires commerciaux importants du Canada à différents moments de son histoire 4. Plus récemment, les producteurs de grain ont dû s’adapter à des bouleversements de la demande, comme en 2019, lorsque la Chine a mis en place des restrictions aux importations de canola canadien 5, ou en 2022, lorsque l’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné une hausse de la demande pour le blé canadien 6.
Selon le Rapport de l’Examen de la Loi sur les transports au Canada 7, le mouvement du grain de l’Ouest canadien vers les marchés d’exportation est caractérisé par le rôle central que joue le rail par lequel transite 94 % du grain exporté. Cette proportion est nettement plus importante que dans d’autres pays comme les États-Unis où 46 % du grain exporté est transporté par barge et où la part du rail ne s’élève qu’à 38 % 8.
Dans l’Ouest canadien, le camionnage joue un rôle limité pour rejoindre les ports, mais tient une place prépondérante localement dans le transport du grain entre les fermes et les silos-élévateurs. Ces derniers jouent aussi un rôle important dans le mouvement du grain, en facilitant à la fois le stockage du grain et son chargement dans les wagons 9. En 2023, on dénombrait 353 silos-élévateurs primaires et 52 silos élévateurs de transformation, soit des silos qui alimentent des installations telles que des minoteries ou des usines de trituration 10.
En vertu de la Loi sur les grains du Canada (LGC) 11, les élévateurs à grains sont détenus par des entreprises privées ou des coopératives agricoles qui doivent être titulaires d’une licence octroyée par la Commission canadienne des grains (CCG) 12 qui peut notamment plafonner les tarifs en vigueur fixés par les compagnies et encadrer l’inspection et l’échantillonnage des grains lors de leur chargement dans les élévateurs 13.
Le grain parcourt ensuite le réseau ferré jusqu’aux ports. Deux entreprises ferroviaires nationales, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et le Canadien Pacifique (CP) 14 contrôlent 85 % du réseau ferroviaire de l’Ouest canadien; les 15 % restants sont contrôlés par des compagnies de chemin de fer de courtes distances 15. Les quatre ports desservant l’Ouest canadien, ceux de Vancouver, Prince Rupert, Thunder Bay et Churchill, reçoivent environ 78 % des cargaisons ferroviaires de grain et représentent à ce titre des infrastructures clés du système logistique régional 16 (voir la figure 2).
Sources : Carte produite par la Bibliothèque du Parlement en 2023 à partir de données tirées de Gouvernement du Canada, « Les silos à grains du Canada », base de données, consultée le 28 juillet 2023; Gouvernement du Canada, « Inventaire annuel des cultures », base de données, consultée le 28 juillet 2023; Natural Earth, 1:10m Cultural Vectors, version 5.1.1; Natural Earth, 1:10m Physical Vectors, version 5.1.1; et Natural Earth, 1:10m Raster Data, version 5.1.1. Logiciel utilisé : QGIS.
Le mouvement du grain se fait principalement en direction des ports de la côte Pacifique. Le port de Vancouver canalise à lui seul plus de la moitié du volume de grain total de l’Ouest canadien et l’essentiel des expéditions de canola, de blé et d’orge vers la Chine et le Japon, et de lentilles vers l’Inde. Le port de Prince Rupert offre également un autre débouché vers le Pacifique et reçoit aujourd’hui environ 10 % du grain destiné à l’exportation 17.
Une partie du mouvement du grain s’effectue d’ouest en est, en direction des ports des Grands Lacs et du Saint-Laurent qui sont mieux positionnés pour desservir l’Afrique et l’Europe. Le port de Thunder Bay représente le principal débouché pour ces expéditions absorbant 14 % des cargaisons ferroviaires de grain et plus particulièrement de blé dur destiné à l’Italie et au Maghreb (voir les figures 3 et 4).
Note : Dans cette figure, « canola » désigne le canola transporté en vrac, en tourteau et sous forme d’huile. En raison de l’absence de données décomposées par denrées, les flux de transport ferroviaire vers les États-Unis ne sont pas représentés.
Sources : Carte produite par la Bibliothèque du Parlement en 2023 à partir de données tirées de Quorum Corporation, « Grain Monitor Program », base de données, consultée le 20 juin 2023; Natural Earth, 1:10m Cultural Vectors, version 5.1.1; et Natural Earth, 1:10m Physical Vectors, version 5.1.1. Logiciels utilisés : QGIS et Inkscape.
Note : Dans cette figure, les céréales comprennent le blé, l’avoine, l’orge et le seigle. En raison de l’absence de données décomposées par denrées, les flux de transport ferroviaire vers les États Unis ne sont pas représentés.
Sources : Carte produite par la Bibliothèque du Parlement en 2023 à partir de données tirées de Quorum Corporation, « Grain Monitor Program », base de données, consultée le 20 juin 2023; Natural Earth, 1:10m Cultural Vectors, version 5.1.1; et Natural Earth, 1:10m Physical Vectors, version 5.1.1. Logiciels utilisés : QGIS et Inkscape.
Jusqu’en 2016, date de sa fermeture, le port de Churchill offrait un débouché complémentaire vers l’Arctique. Le port a rouvert en 2018 après avoir été repris par le groupe Arctic Gateway. Ce consortium détient également les 1 300 km de chemin de fer qui relient le port au reste du Manitoba. Depuis sa réouverture en 2018 et jusqu’en 2022, le port a principalement reçu des livraisons de blé en quantités limitées. Enfin, environ 13 % des expéditions ferroviaires de grain traversent la frontière américaine par voie ferroviaire 18.
Depuis plus d’un siècle, les expéditeurs de marchandises ont le droit d’obtenir des services ferroviaires au Canada. Quant aux compagnies de chemin de fer, elles sont tenues par « l’obligation de transporteur public » de fournir un service convenable afin d’acheminer ces marchandises à destination 19.
Au Canada, le cadre législatif entourant le transport ferroviaire du grain remonte au 19e siècle lorsque le gouvernement fédéral a adopté la Convention du Nid-de-Corbeau en réponse aux problèmes auxquels étaient confrontés les céréaliculteurs de l’Ouest canadien, par exemple le climat rigoureux ou le monopole ferroviaire 20.
Cette convention constituait une entente selon laquelle le gouvernement du Canada octroyait une subvention à la compagnie de chemin de fer du CP pour construire sa ligne ferroviaire dans les montagnes Rocheuses en échange d’une réduction des prix exigés pour transporter du grain 21. Cette entente allait avoir une portée considérable sur la réglementation ferroviaire dans l’Ouest canadien pendant de nombreuses décennies 22.
En 1983, la Loi sur le transport du grain de l’Ouest (LTGO) succédait à cette convention, en établissant une subvention directe à l’exportation des céréales. En 1995, la LTGO a été abrogée, marquant ainsi la fin de cette subvention aux termes des exigences dictées par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce 23 – accord qui avait ouvert la voie à la création de l’Organisation mondiale du commerce 24. Depuis 1996, la Loi sur les transports au Canada (LTC) 25 prévoit les exigences en matière de transport ferroviaire du grain 26.
En vertu de la LTC, l’Office des transports du Canada (OTC) 27 établit le plafond annuel du revenu admissible maximal (RAM) 28 de chaque compagnie de chemin de fer pour le mouvement du grain dans l’Ouest canadien. Essentiellement, le RAM est une forme de réglementation économique qui limite le revenu annuel global que les compagnies ferroviaires peuvent tirer du transport du grain. Le RAM est déterminé en fonction de divers facteurs établis dans la LTC. Aux termes de la LTC, les compagnies de chemins de fer sont libres de fixer les tarifs de leurs services, à la condition que le montant total perçu pour le transport du grain de l’Ouest ne dépasse pas le plafond de revenu imposé par l’OTC 29.
De nombreux intervenants du secteur du grain dépendent des services de transport. Les expéditeurs du grain sont captifs de ce mode de transport et souvent dépendants d’une seule compagnie de chemin de fer.
L’interconnexion, réglementée depuis 1904, est un outil permettant aux expéditeurs d’avoir un accès juste et raisonnable aux services ferroviaires au sein d’un marché ferroviaire captif 30. D’après l’OTC :
L’interconnexion désigne le transfert de marchandises entre deux compagnies de chemin de fer. Une des compagnies transporte les marchandises d’un expéditeur pour une partie du trajet entre le point d’origine et le point de destination. Elle transfère ensuite les marchandises à une compagnie concurrente avec laquelle l’expéditeur a conclu une entente pour le reste du trajet. Le transfert a lieu à un lieu de correspondance – où se rencontrent les lignes des deux compagnies de chemin de fer 31.
En général, l’interconnexion est offerte aux expéditeurs situés dans un rayon de 30 km d’un lieu de correspondance. Cependant, l’OTC peut fixer différentes distances aux fins d’interconnexion. Par les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l’article 128 de la LTC, l’OTC peut :
Le grain étant chargé dans les trains à partir d’un silo-élévateur, c’est la distance entre ce dernier et les lieux de correspondance qui détermine la possibilité pour l’expéditeur d’avoir recours aux services d’une autre compagnie ferroviaire. La carte présentée à la figure 5 montre une estimation de l’admissibilité des silos-élévateurs du nord de l’Alberta à l’interconnexion. Le réseau du CN et celui du CP se croisent à plusieurs points, constituant des lieux de correspondance, par exemple autour d’Edmonton et de Camrose. Les silos-élévateurs à proximité de ces deux villes ont accès à l’interconnexion dans un rayon de 30 km.
Plusieurs projets de loi présentés au Parlement et discutés dans la section suivante ont proposé d’augmenter la distance d’interconnexion à 160 km. À cette distance, de nouveaux silos élévateurs deviennent admissibles à l’interconnexion, comme ceux situés à proximité de Vegreville. Certains silos-élévateurs, comme ceux à proximité de Grande Prairie, demeurent inadmissibles à l’interconnexion, et ce, que cette distance soit maintenue à 30 km ou étendue à 160 km.
Note : Les lieux de correspondance ont été déduits à partir des croisements entre les lignes de deux compagnies ferroviaires et recoupés avec les listes mises à disposition par le Canadien National et le Canadien Pacifique. L’exactitude des renseignements présentés ne peut être garantie.
Sources : Carte produite par la Bibliothèque du Parlement en 2023 à partir de données tirées de Gouvernement du Canada, « Les silos à grains du Canada », base de données, consultée le 20 juin 2023; Canadian Pacific Kansas City, CTA Interswitching Locations; Canadien National, CTA Interswitching Points – Canada; Gouvernement du Canada, « Réseau ferroviaire national – RFN – Série GéoBase », base de données, consultée le 20 juin 2023; Natural Earth, 1:10m Cultural Vectors, version 5.1.1; et Natural Earth, 1:10m Physical Vectors, version 5.1.1. Logiciel utilisé : QGIS.
Au cours des dernières années, le secteur du grain a été confronté à de nombreux défis, notamment les goulots d’étranglement dans le transport ferroviaire subis durant la campagne agricole de 2013-2014. D’après le secteur du grain, les retards de livraison de produits agricoles ont entraîné d’importantes pertes financières dans l’économie canadienne. Le secteur du grain a pressé le gouvernement fédéral d’agir afin d’améliorer le rendement du service ferroviaire 33.
La combinaison d’une récolte record et d’un hiver particulièrement rigoureux durant la campagne agricole de 2013-2014 a posé des difficultés au service ferroviaire, qui se sont traduites par d’importants retards dans la livraison des marchandises 34.
Le gouvernement a réagi en introduisant, en mars 2014, le projet de loi C-30, Loi modifiant la Loi sur les grains du Canada et la Loi sur les transports au Canada et prévoyant d’autres mesures (titre abrégé : « Loi sur le transport ferroviaire équitable pour les producteurs de grain ») 35, qui a reçu la sanction royale le 29 mai 2014. Cette loi visait à transporter le grain vers les marchés avec plus de rapidité et d’efficacité, notamment en augmentant la transparence de la chaîne d’approvisionnement par le partage accru des données et en renforçant les contrats entre les producteurs et les expéditeurs. Les dispositions de la loi prévoyaient aussi d’obliger les compagnies ferroviaires à transporter des quantités minimales de grain hebdomadairement. D’ailleurs, la loi conférait à l’OTC le pouvoir d’élargir les distances d’interconnexion, de 30 à 160 km dans les provinces des Prairies 36.
Bien que les dispositions de cette loi aient permis d’atténuer les problèmes de service ferroviaire et d’améliorer la compétitivité du système de transport, ces mesures d’urgence ne constituaient qu’une solution temporaire et ont pris fin le 1er août 2017 37.
La récolte exceptionnelle et l’hiver rigoureux de 2013-2014 ont donné lieu à un examen accéléré de la LTC afin d’éliminer les retards enregistrés dans le transport du grain 38. À la suite de cet examen et des consultations publiques, le gouvernement fédéral a présenté, en novembre 2016, le plan stratégique pour l’avenir des transports au pays qui s’intitule Transports 2030 – Un plan stratégique pour l’avenir des transports au Canada 39. Ce plan vise à renforcer la compétitivité et l’efficacité du système de transport national à long terme 40.
Dans le but d’améliorer l’efficacité du transport ferroviaire de marchandises, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-49, Loi apportant des modifications à la Loi sur les transports au Canada et à d’autres lois concernant les transports ainsi que des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois (titre abrégé : « Loi sur la modernisation des transports ») 41, qui a reçu la sanction royale le 23 mai 2018. Les dispositions de cette loi visent à aider les expéditeurs et les producteurs de grain à avoir accès à un réseau national de transport ferroviaire des marchandises transparent, équitable, efficace et sécuritaire. Cette loi prévoit, notamment, la possibilité d’appliquer des pénalités réciproques entre les compagnies ferroviaires et les expéditeurs de grain en raison d’un service défaillant et des dispositions portant sur le RAM pour le transport du grain et l’utilisation d’un autre chemin de fer au moyen de l’interconnexion longue distance. Elle prévoit également une transparence accrue des données des compagnies ferroviaires 42.
Le 20 avril 2023, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023 (titre abrégé : « Loi no 1 d’exécution du budget de 2023 ») 43, qui a reçu la sanction royale le 22 juin 2023. La section 22 de la partie 4 de cette loi modifie la LTC pour permettre le partage d’informations afin d’assurer le bon fonctionnement du système de transport national. Cette modification étend aussi le rayon dans lequel l’OTC peut ordonner l’interconnexion pour le faire passer d’une distance de 30 à 160 km d’un lieu de correspondance.
La figure 6 présente l’effet estimé de l’élargissement du rayon d’interconnexion sur l’admissibilité des silos-élévateurs à ce mécanisme.
Note : Les lieux de correspondance ont été déduits à partir des croisements entre les lignes de deux compagnies ferroviaires et recoupés avec les listes mises à disposition par le Canadien National et le Canadien Pacifique. L’exactitude des renseignements présentés ne peut être garantie.
Sources : Carte produite par la Bibliothèque du Parlement en 2023 à partir de données tirées de Gouvernement du Canada, « Les silos à grains du Canada », base de données, consultée le 20 juin 2023; Canadian Pacific Kansas City, CTA Interswitching Locations; Canadien National, CTA Interswitching Points – Canada; Gouvernement du Canada, « Réseau ferroviaire national – RFN – Série GéoBase », base de données, consultée le 20 juin 2023; Natural Earth, 1:10m Cultural Vectors, version 5.1.1; et Natural Earth, 1:10m Physical Vectors, version 5.1.1. Logiciel utilisé : QGIS.
Le commerce international des grains a toujours été dominé par quatre grandes entreprises multinationales, que l’on appelle parfois les entreprises ABCD en référence aux initiales de leurs noms : Archer-Daniels-Midland (dont le siège social est situé à Chicago, aux États-Unis), Bunge Limited (Saint-Louis, États-Unis), Cargill (Minnetonka, États-Unis) et Louis Dreyfus (Rotterdam, Pays-Bas). Selon les estimations, ces entreprises contrôlent entre 50 et 90 % du commerce international des grains 44.
Une puissance émergente importante dans cette industrie est la China National Cereals, Oil and Foodstuffs Corporation (COFCO International), une entreprise de l’État chinois qui a pénétré le marché céréalier international en 2014 par l’acquisition de Nobel Agri, la division agricole de l’entreprise hongkongaise Nobel Group, et de l’entreprise céréalière néerlandaise Nidera. COFCO International détient et opère maintenant une gamme considérable de ports, de gares et d’installations d’entreposage dans plusieurs régions productrices de grains 45.
En vertu de la LGC, la CCG est chargée de la délivrance de permis aux entreprises qui font la manutention et la transformation des grains au Canada. La CCG a délivré des permis à chacune des entreprises ABCD pour leur permettre d’exploiter des infrastructures céréalières au Canada, mais seule Cargill figure parmi les sept plus grandes entreprises au Canada en matière de capacité de stockage des grains. Cette situation pourrait toutefois changer si Bunge Limited acquiert Viterra, le guichet unique de la commercialisation du grain entre 1926 et 2012, anciennement connu sous le nom de la Saskatchewan Wheat Pool 46.
À l’heure actuelle, les sept plus grandes entreprises céréalières au Canada sont : Cargill Limitée, Parrish & Heimbecker Limited, Paterson Grain, Richardson International Limited, Viterra Canada inc., G3 Canada Limited et GrainsConnect Canada. Selon la Quorum Corporation, ces sept entreprises contrôlent 55 % des installations du système de manutention et de transport, ainsi que 76,3 % de sa capacité de stockage 47. Depuis la dissolution de la Commission canadienne du blé (CCB) en 2012, plusieurs de ces entreprises ont cherché à intégrer verticalement leurs opérations, agissant à la fois à titre d’acheteurs, de transformateurs et d’exportateurs du grain. Ce regroupement a apporté d’importants gains d’efficacité dans le système, surtout en ce qui concerne le transport et la logistique, ce qui a permis au Canada d’accroître ses exportations de grains. Certains producteurs se disent toutefois préoccupés de ce changement, qui, selon eux, rend le système anticoncurrentiel 48.
Le secteur céréalier au Canada est moins concentré que plusieurs de ses homologues internationaux; en Australie, par exemple, pas moins de 85 % de l’exportation de grains en vrac du pays ont transité par le réseau portuaire de l’entreprise GrainCorp en 2014 49. Une plus grande concentration dans le secteur après l’abolition du guichet unique de la commercialisation du grain en 2012 a néanmoins eu des répercussions importantes pour les participants. Certains producteurs céréaliers ont dit craindre que l’augmentation de la concentration n’ait entravé leur capacité à accéder au réseau de transport de façon concurrentielle. Selon eux, la concentration de la capacité de stockage a mené des entreprises à regrouper leurs réseaux de silos à grains, augmentant ainsi les frais de transport pour les producteurs et, dans certains cas, les rendant « captifs » du silo à grains le plus proche et du prix qui leur était offert pour leurs grains.
Certaines études décrivent le secteur céréalier actuel comme exerçant parfois des pouvoirs semblables à ceux d’un cartel sur ses producteurs 50. En revanche, d’autres soulignent que le secteur est concurrentiel et qu’il s’est grandement amélioré depuis l’ère des coopératives provinciales de blé, ce qui permet aux agriculteurs, par exemple, de faire pousser différentes variétés de céréales et d’accéder à de nouveaux marchés spécialisés 51.
Les silos à grains jouent un rôle important dans le système de manutention et de transport du grain et leur éventuel regroupement a aussi suscité des préoccupations. Avant la dissolution de la CCB en 2012, les agriculteurs livraient leurs grains à un silo-élévateur désigné, à partir duquel ils entraient dans le bassin de grains provincial. Les agriculteurs recevaient un paiement initial en fonction de la quantité livrée, puis un paiement subséquent selon leur production céréalière totale. La CCB était responsable du transport et de la commercialisation du grain : elle se chargeait de négocier l’approvisionnement en wagons-trémies auprès des deux entreprises ferroviaires nationales et d’assurer la livraison aux manutentionnaires de grains dans les ports. Après sa dissolution, cependant, les entreprises manutentionnaires de grains ont cherché à augmenter leur efficacité et à tirer parti des tarifs réduits pour les livraisons employant des trains plus longs en centralisant leur stockage de grains dans de grandes installations capables de remplir jusqu’à 150 wagons à la fois 52.
Bien que le nombre de silos-élévateurs ait diminué dans l’Ouest canadien, passant de 917 silos en 1999-2000 à 413 silos en 2021-2022, la capacité globale de stockage de ces silos est passée de 7,4 millions de tonnes à 9,4 millions de tonnes pendant la même période 53. En théorie, cette tendance vers des silos à grains moins nombreux mais de plus grande capacité rend le transport plus efficace et réduit la quantité d’expéditions individuelles requises pour acheminer les céréales aux ports. En pratique, les plus gros trains doivent souvent être divisés en raison des limites de la capacité ferroviaire dans les ports, ce qui cause des retards. Certains agriculteurs s’interrogent également sur la mesure dans laquelle les économies réalisées avec cette pratique se répercutent sur les prix qui leur sont offerts pour leurs grains à la livraison.
Les intervenants de l’industrie ferroviaire expliquent qu’il est de plus en plus difficile de recruter des employés dans le secteur et de les maintenir en poste, de sorte que des postes restent vacants longtemps et que les employés en poste doivent s’acquitter d’une plus lourde charge de travail. Ces intervenants expriment également des préoccupations en ce qui concerne l’âge de la main-d’œuvre du secteur ferroviaire. Selon un mémoire de 2022 de l’Association des chemins du fer du Canada, près de 50 % des travailleurs de l’industrie ferroviaire ont entre 45 et 64 ans, ce qui augmente la possibilité d’une pénurie de main-d’œuvre plus importante au cours de la prochaine décennie 54. Par exemple, on prévoit que la demande en réparateurs et réparatrices de wagons au cours de la prochaine décennie dépassera le nombre de candidats et de candidates dans ce domaine d’environ 30 % et on estime que 57 % des postes vacants seront liés aux départs à la retraite 55.
En réponse à cela, les compagnies de chemin de fer et les associations de l’industrie ont élargi leur recrutement au sein de groupes sous-représentés dans le secteur, notamment les femmes.
Les femmes ont toujours été sous-représentées dans le secteur ferroviaire. Par exemple, dans un arrêt de 1984, le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que le CN pratiquait une discrimination systématique à l’égard des femmes dans ses processus d’embauche et de promotion, et a demandé que des programmes soient mis en place pour augmenter leur représentation 56. Malgré ces mesures, en 2021, les femmes, qui représentaient 48 % de la population active au Canada, ne représentaient que 12,7 % des employés dans le secteur ferroviaire au Canada 57. Il s’agit d’un taux plus faible que dans les domaines du camionnage (14,6 %), du transport terrestre de passagers (23,7 %) et de l’ensemble du secteur du transport et de l’entreposage (24,3 %) 58. Cette sous représentation est encore plus évidente dans certains métiers de l’industrie ferroviaire : par exemple, moins de 5 % des chefs de train (y compris les trains de fret et de passagers) sont des femmes en Saskatchewan 59.
Bien que les emplois du secteur ferroviaire paient relativement bien, les efforts de recrutement dans des groupes sous-représentés pourraient être entravés par un manque de conciliation travail-famille pour les employés du secteur ferroviaire. Les syndicats du secteur ferroviaire ont signalé que leurs membres doivent souvent faire de longs quarts de travail, ce qui occasionne de la fatigue et donne lieu à des préoccupations en ce qui concerne la sécurité des travailleurs 60. Le CN a également mentionné que le manque de logements dans les régions rurales près des gares représentait un autre obstacle au recrutement 61.
Les perturbations en lien avec la main-d’œuvre, y compris les arrêts de travail et les grèves, ont interrompu l’activité normale sur les chemins de fer canadiens à plusieurs reprises au cours des dernières années. Celles-ci comprennent notamment :
L’Association des chemins de fer du Canada 65 et le CP ont exprimé leur inquiétude en ce qui concerne le projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles – une mesure législative du gouvernement fédéral déposée à la Chambre des communes le 9 novembre 2023. Ce projet de loi prévoit la modification du Code canadien du travail (CCT) 66 pour empêcher l’utilisation de travailleurs de remplacement dans les secteurs sous réglementation fédérale, y compris les compagnies de chemin de fer de marchandises privées 67. En février 2024, la Chambre des communes a renvoyé ce projet de loi au Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées aux fins d’examen. Au moment de la publication de la présente Étude, le Comité poursuivait son étude du projet de loi.
Depuis 1996, l’article 87.7 du CCT exige que les débardeurs et les autres employés portuaires maintiennent les services aux navires céréaliers en cas de grève. Le ministre du Travail de l’époque expliquait que la raison première était de réduire la probabilité que le Parlement cherche à intervenir pour faire cesser une grève par l’entremise d’une loi spéciale, soulignant du même coup l’importance du secteur céréalier pour l’économie canadienne et les relations commerciales du Canada 68.
Bien que l’on présente le transport ferroviaire de marchandises comme étant une solution de rechange écologique au transport par camion 69, les trains sont principalement alimentés par des moteurs à combustion diesel qui produisent et émettent des gaz à effet de serre. En 2021, le secteur du transport ferroviaire au Canada a émis 6,8 mégatonnes d’équivalent CO2 (Mt d’éq. CO2), soit plus que les secteurs du transport maritime (4,4 Mt d’éq. CO2) ou de l’aviation (5,6 Mt d’éq. CO2) 70. Il convient de souligner que ce chiffre ne tient pas compte des émissions provenant d’équipement à alimentation diesel utilisé dans les cours de triage ferroviaire, tel que les véhicules d’entretien et les grues, qui produisent et émettent également des gaz à effet de serre et peuvent avoir des répercussions négatives sur la qualité de l’air dans les régions avoisinantes.
Selon le Plan de réduction des émissions pour 2030 du gouvernement fédéral, pour que le Canada atteigne ses objectifs en matière de climat, tous les modes de transport devront utiliser des sources énergétiques plus propres. Il invite spécifiquement le secteur ferroviaire à continuer de miser sur les engagements volontaires pour se décarboner entièrement d’ici 2050 en se dotant de locomotives à émission zéro et de locomotives électriques 71.
Décarboner les chemins de fer au Canada nécessiterait cependant des investissements importants dans de nouvelles infrastructures, y compris du nouveau matériel roulant et un nouvel équipement de ravitaillement en carburant, ce qui n’est pas nécessairement à la portée des compagnies de chemin de fer de courtes distances, qui ont tendance à conserver une part moins importante de leurs bénéfices. Une analyse effectuée en 2019 par Transports Canada, et citée par l’Association des chemins de fer du Canada, estimait que l’électrification des chemins de fer de marchandises les plus utilisés au Canada coûterait environ 10,5 milliards de dollars, mais offrirait à ces derniers des économies annuelles en diesel que l’on estime supérieures à 750 millions de dollars 72. Certaines technologies nécessitent également des concessions en matière d’efficacité : les locomotives électriques à batterie, par exemple, peuvent prendre plus d’une heure pour se recharger entièrement; tandis que les piles à hydrogène peuvent être rechargées en seulement cinq minutes, mais requièrent une infrastructure de recharge le long du chemin de fer, ce qui implique un investissement initial considérable.
Le CN et le CP ont annoncé leur projet d’acheter des locomotives à émissions nulles. En novembre 2021, le CN révélait qu’il achèterait des locomotives de fret électriques à batteries dont il se servirait sur un tronçon de 224 km de son chemin de fer Bessemer and Lake Erie aux États Unis, grâce à une subvention de l’État de Pennsylvanie 73. Le même mois, le CP faisait part de son projet de développement et d’exploitation de trois locomotives alimentées à l’hydrogène, ainsi que d’installations de production et de ravitaillement en hydrogène à Calgary et à Edmonton, en Alberta, après avoir reçu une subvention du gouvernement de cette province 74. L’une des locomotives propulsées à l’hydrogène de l’entreprise a effectué son premier voyage commercial en octobre 2022 75. En novembre 2023, le CP a annoncé l’achat de 12 moteurs à pile à combustible supplémentaires pour alimenter des locomotives qui devraient entrer en service en Alberta d’ici la fin de 2024 76.
En plus d’atténuer leurs émissions, les compagnies de chemin de fer cherchent à adapter leur infrastructure pour être plus résilientes en cas d’événements météorologiques exceptionnels, dont la fréquence et la gravité devraient augmenter au cours des prochaines années. Dans son rapport de 2022, le Groupe de travail sur la chaîne d’approvisionnement du gouvernement fédéral a déterminé que les changements climatiques étaient une source importante d’instabilité dans la chaîne d’approvisionnement du transport au Canada, y compris pour ses réseaux ferroviaires 77. De récents événements météorologiques extrêmes ont endommagé des infrastructures ferroviaires et perturbé le transport régulier des marchandises, y compris le transport du grain; par exemple, les inondations et les glissements de terrain survenus en novembre 2021 dans les basses terres du Fraser en Colombie-Britannique ont entraîné d’importants retards au port de Vancouver 78.
La Stratégie nationale d’adaptation du Canada, un document publié par le gouvernement fédéral en 2023 afin de présenter « une approche visant l’ensemble de la société » pour réduire les risques liés aux changements climatiques, souligne l’importance de bâtir et d’entretenir une infrastructure résiliente et fixe un objectif pour prendre en compte les répercussions des changements climatiques dans ses décisions de financement et de planification de l’infrastructure 79. Le Programme d’adaptation aux changements climatiques de Transports Canada a financé approximativement 800 projets qui permettent aux chemins de fer canadiens d’adopter une approche proactive envers la résilience climatique par l’entremise d’investissements qui améliorent la collecte de données et la surveillance météorologique, ainsi que par le renforcement physique de l’infrastructure, notamment l’élévation des voies ferrées pour permettre au service ferroviaire de poursuivre ses activités dans les régions sujettes aux inondations 80.
Le secteur du grain canadien a beaucoup évolué au cours des dernières décennies, notamment grâce à des réformes législatives et à l’amélioration des infrastructures. Le Conseil international des céréales estime que la demande mondiale de grain devrait continuer à progresser au cours des prochaines années 81. En tant que pays exportateur de grain, le Canada doit s’assurer que les entreprises et les agriculteurs canadiens ont accès aux marchés en les dotant d’un système de transport et de logistique fiable et efficace qui leur permette de concurrencer les plus grandes entreprises internationales.
L’OTC se définit comme
un tribunal quasi judiciaire indépendant et un organisme de réglementation qui a, à toute fin liée à l’exercice de sa compétence, toutes les attributions d’une cour supérieure. L’OTC est responsable de l’encadrement du réseau de transport canadien très vaste et complexe, pierre angulaire du bien-être économique et social de la population canadienne.
Voir OTC, Lois et règlements.
[ Retour au texte ]Dans son livre Out of the Shadows: The New Merchants of Grain, Jonathan Kingsman estime que les entreprises Archer-Daniels-Midland, Bunge Limited, Cargill et Louis Dreyfus détiennent « un peu moins de 50 % du commerce international des grains et des oléagineux [traduction] ». Voir Jonathan Kingsman, Out of the Shadows: The New Merchants of Grain, 2019.
Un rapport de 2012 effectué par l’organisation non gouvernementale Oxfam estime toutefois que ces entreprises contrôlent « pas moins de 90 % du commerce international des grains [traduction] ». Voir Sophia Murphy, David Burch et Jennifer Clapp, Cereal Secrets: The world’s largest grain traders and global agriculture, Oxfam International, 3 août 2012.
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