Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C‑51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi 1, a été déposé à la Chambre des communes le 6 juin 2017 par la ministre de la Justice. Après la deuxième lecture, le 15 juin 2017, le projet de loi a été renvoyé au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, qui en a fait rapport à la Chambre des communes avec plusieurs amendements le 20 novembre 2017 2. Le projet de loi a été adopté en troisième lecture par la Chambre des communes tel que modifié, le 11 décembre 2017.
Le projet de loi a été lu une première fois au Sénat, le 12 décembre 2017. Après avoir franchi l’étape de la deuxième lecture, il a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le 10 mai 2018. Ce comité a présenté son rapport au Sénat le 25 septembre 2018 sans amendement, mais avec une observation en annexe3 Le 30 octobre 2018, deux amendements ont été adoptés à l’étape de la troisième lecture 4. Toutefois, la Chambre des communes a rejeté ces amendements le 10 décembre 2018. Le Sénat n’ayant pas insisté à ce sujet, le projet de loi a reçu la sanction royale le 13 décembre 2018.
Le projet de loi C‑51 comporte trois volets. Premièrement, il modifie le Code criminel (le Code) 5 pour modifier ou abroger des dispositions qui ont été jugées inconstitutionnelles par les tribunaux ou qui soulèvent des risques au regard de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) 6. Par ailleurs, il modifie ou abroge aussi des dispositions du Code qui pourraient être considérées comme désuètes ou redondantes.
Deuxièmement, le projet de loi C‑51 modifie des dispositions du Code relatives aux crimes à caractère sexuel. Plus précisément, il établit une procédure visant à déterminer la recevabilité en preuve des dossiers du plaignant et leur utilisation lorsqu’ils sont en la possession de l’accusé.
Enfin, le projet de loi C‑51 modifie la Loi sur le ministère de la Justice 7 pour exiger que le ministre de la Justice dépose, pour chaque projet de loi émanant du gouvernement présenté dans l’une ou l’autre des chambres du Parlement, un énoncé des répercussions éventuelles du projet de loi sur les droits et libertés garantis par la Charte.
On trouvera dans le présent résumé législatif un aperçu de ces trois volets, ainsi qu’une analyse détaillée des changements de fond qui y sont prévus plutôt qu’une description de chaque disposition.
Une déclaration judiciaire portant qu’une loi est incompatible avec la Charte n’entraîne pas automatiquement la suppression des dispositions inconstitutionnelles des recueils de lois, puisque la modification du texte des lois fédérales nécessite l’adoption d’une loi. Cela signifie, cependant, que les dispositions inconstitutionnelles figurant encore dans les recueils de lois peuvent n’avoir aucun effet juridique.
Ce volet du projet de loi C‑51 peut être considéré comme relevant du respect de la primauté du droit, que le préambule de la Charte reconnaît comme l’un des principes constitutionnels fondamentaux du Canada. L’un des principes fondamentaux de la primauté du droit est que les lois doivent être « compréhensibles et accessibles » à tous 8. Le fait qu’il y ait encore des lois inapplicables dans les recueils de lois peut donner lieu à des problèmes tels que la condamnation pour meurtre de Travis Vader en 2016 9 en vertu d’une disposition du Code qui avait été annulée par la Cour suprême du Canada en 1990 au motif qu’elle allait à l’encontre de la Charte 10. La décision rendue par la Cour Suprême peut ne pas être évidente pour une personne qui consulte le Code en ligne ou dans une version imprimée qui n’est pas annotée, parce que la disposition inopérante figure encore au Code.
Par suite de l’affaire Vader, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a écrit à la ministre de la Justice, l’honorable Jody Wilson‑Raybould, recommandant au ministère d’accorder la priorité à la présentation d’un projet de loi abrogeant « toutes les dispositions du Code criminel ayant été déclarées inconstitutionnelles ou inopérantes », ajoutant que de « telles mesures législatives permettront d’éviter des cessations de procès et des appels, en plus de réduire les retards injustifiés et les coûts. Elles favoriseraient en outre la confiance du public à l’égard du système de justice criminelle 11». Dans une réponse datée du 17 janvier 2017, la ministre de la Justice a indiqué qu’elle avait demandé aux fonctionnaires du ministère de mener un examen des dispositions inconstitutionnelles qui se trouvaient encore dans le Code. Le but était de veiller à ce que le Code soit représentatif de l’état actuel du droit et à ce qu’il applique le principe de la primauté du droit 12.
Le gouvernement du Canada a indiqué que le projet de loi C-51 rend le droit plus clair et qu’il aidera à éviter erreurs et malentendus en faisant en sorte que les lois sur papier reflètent les lois en vigueur. Il a également affirmé que l’abrogation de dispositions qui sont très semblables à celles qui ont été jugées inconstitutionnelles par les tribunaux permettra d’éviter des litiges longs et coûteux pour obtenir le même résultat, ainsi que les retards judiciaires 13.
Le projet de loi C‑51 abroge par ailleurs certains articles du Code dont on juge qu’ils ne sont plus nécessaires. Ces articles sont considérés comme désuets, parce qu’ils concernent des infractions faisant rarement, voire jamais, l’objet d’accusations. Ils se trouvent encore dans le Code parce qu’ils font partie de son histoire, mais ils ne sont pas considérés comme faisant partie de son avenir.
Le projet de loi abroge également d’autres articles du Code jugés redondants du fait que l’activité criminelle dont il y est question peut être visée par un autre article. Pour éliminer toute incertitude quant à la disposition qui s’applique, on a choisi d’abroger les articles visant des exemples spécifiques d’infractions générales. Par exemple, l’infraction relative au fait de prétendre pratiquer la sorcellerie peut être considérée comme un exemple spécifique d’une forme de fraude, de sorte que la disposition visant cette infraction est abrogée en faveur de celle visant l’infraction générale de fraude. Comme l’infraction de prétendre pratiquer la sorcellerie donne vraisemblablement rarement lieu à des accusations, elle constitue un exemple d’infraction à la fois désuète et redondante.
Les articles 5 à 7, 9, 14, 18, 26, 27, 29, 32, 34 à 38, 43, 45, 46, 48, 49, 51, 55 à 60, 62, 67, 68 et 69 à 72 du projet de loi suppriment les dispositions portant « renversement du fardeau de la preuve », à savoir l’obligation pour l’accusé d’établir une excuse légitime ou d’infirmer une conclusion pouvant entraîner une déclaration de culpabilité.
Le principe du « renversement du fardeau de la preuve » dans le cas d’une infraction criminelle a été jugé problématique par les tribunaux, parce qu’il peut contrevenir à l’alinéa 11d) de la Charte selon lequel :
Tout inculpé a le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable.
Les décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Whyte 14 et R. c. Keegstra 15 montrent que le réel problème que suscite le renversement du fardeau de la preuve tient au fait qu’un accusé peut être déclaré coupable lorsqu’il existe un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Autrement dit, la disposition contrevient au principe de la présomption d’innocence lorsque l’accusé doit démontrer certains faits suivant la prépondérance des probabilités pour éviter d’être déclaré coupable, parce que la disposition permet une déclaration de culpabilité malgré l’existence d’un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé. Lorsque cette possibilité existe, la disposition porte atteinte à la présomption d’innocence. Cette violation peut être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte, comme c’était le cas dans l’arrêt Keegstra. Dans cette affaire, la Cour suprême a maintenu qu’il incombait à l’accusé de prouver que les déclarations haineuses étaient vraies, compte tenu du droit du Parlement d’établir un juste compromis entre deux impératifs, à savoir la prévention des préjudices causés par la littérature haineuse et l’importance de la liberté d’expression.
Les amendements énumérés ci‑dessous suppriment le renversement du fardeau de la preuve de deux manières différentes.
Les articles suivants du Code sont modifiés de manière à supprimer les mots « dont la preuve lui incombe » relativement à une excuse légitime :
Les articles suivants du Code sont modifiés de manière à remplacer l’expression « dans des circonstances qui permettent raisonnablement de conclure » par le mot « sachant » ou les mots « dans l’intention de » afin d’éliminer la possibilité de conclure d’emblée que le dispositif, l’instrument ou le document d’identité en question a été utilisé afin ou dans l’intention de commettre l’infraction :
Les autres dispositions portant renversement du fardeau de la preuve qui sont modifiées ou abrogées sont les suivantes :
Une présomption est un raisonnement voulant que, dans une certaine mesure, la preuve d’un fait constitue l’indice d’un autre fait. Par exemple, si l’on démontre qu’une personne est âgée de plus de 18 ans, celle‑ci sera présumée juridiquement apte. Là où le Code prévoit qu’une conclusion factuelle doit être tirée « sauf preuve du contraire », il y a présomption obligatoire. Ces présomptions permettent au poursuivant de prouver un élément d’une infraction par la preuve d’un autre fait qui n’est pas un élément de l’infraction, mais qui lui est lié. Sur le plan juridique, la difficulté que posent les présomptions en matière de preuve est la même que celle relative aux dispositions portant renversement du fardeau de la preuve, à savoir qu’elles peuvent mener à une condamnation même si un doute raisonnable a été suscité quant à la culpabilité de l’accusé, ce qui porte atteinte à la présomption d’innocence garantie par l’alinéa 11d) de la Charte.
L’article 16 du projet de loi C‑51 abroge l’article 198 du Code. Celui‑ci énonce un certain nombre de présomptions concernant diverses infractions prévues à la partie VII : Maisons de désordre, jeu et pari. Par exemple, il existe une présomption réfutable selon laquelle un local que l’on trouve muni d’un appareil à sous est présumé être une maison de jeu.
L’article 39 du projet de loi C‑51 modifie le paragraphe 354(2) du Code. L’article 354 décrit l’infraction relative à la possession de biens criminellement obtenus. Le paragraphe 354(2) établit une présomption selon laquelle la possession d’un véhicule ou d’une pièce de véhicule dont le numéro d’identification a été oblitéré prouve que le véhicule automobile a été obtenu criminellement, ainsi qu’une présomption selon laquelle la personne qui a en sa possession un tel véhicule savait que le véhicule automobile a été obtenu criminellement. L’article 39 du projet de loi supprime cette dernière présomption.
L’article 28 du projet de loi C‑51 abroge l’article 288 du Code. Selon cet article, commet une infraction quiconque fournit ou procure une drogue ou un instrument qui doit servir à causer l’avortement d’une personne du sexe féminin. L’article 287 qui prévoit l’infraction connexe consistant à procurer un avortement a été jugé inconstitutionnel 18.
L’article 299 du Code porte qu’une personne publie un libelle diffamatoire si le libelle est montré ou délivré dans l’intention qu’il soit lu ou vu par la personne qu’il diffame ou par toute autre personne. L’article 31 du projet de loi C‑51 modifie l’alinéa 299c) afin de circonscrire l’intention au fait que le libelle allégué soit lu ou vu par toute autre personne que celle qu’il diffame.
Cette modification résulte de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Lucas où la Cour a conclu que l’élément fondamental du libelle est la publication destinée à une personne autre que la personne diffamée et a recommandé que les mots « par la personne qu’il diffame ou » soient retranchés de l’alinéa 299c) 19. La Cour a fait valoir que le libellé actuel de la disposition est trop général et qu’il contribue peu à la protection de la réputation étant donné que la réputation d’une personne ne sera pas entachée si la déclaration diffamatoire n’est montrée qu’à cette personne seulement. Toute atteinte à un droit garanti par la Charte, comme, en l’espèce, le droit à la liberté d’expression garanti à l’alinéa 2b), doit être interprétée le plus strictement possible.
L’article 40 du projet de loi C‑51 abroge les articles 359 et 360 du Code. L’article 359 énonce les dispositions en matière de preuve qu’un poursuivant peut invoquer dans le cadre de procédures visées aux articles 342 (vol, etc., de cartes de crédit) et 354 (possession de biens criminellement obtenus) et à l’alinéa 356(1)b) (avoir en sa possession une chose dont l’individu sait qu’elle a servi à la perpétration de l’infraction relative au vol de courrier). En vertu de l’article 359, est admissible, à toute étape des procédures, une preuve établissant que des biens autres que ceux qui font l’objet des procédures ont été trouvés en la possession du prévenu et ont été volés dans les 12 mois qui ont précédé le commencement des procédures, et cette preuve peut être considérée pour établir que le prévenu savait que les biens visés par les procédures étaient volés. L’article 360 autorise la Couronne à présenter, dans le cadre des procédures visées à l’article 354 ou à l’alinéa 356(1)b) du Code, la preuve que l’accusé a été déclaré coupable, dans les cinq ans qui précèdent le début des procédures en cours, d’une infraction comportant vol, ou d’une infraction aux termes de l’article 354. Une telle preuve peut être considérée en vue d’établir que le prévenu savait que les biens qui font l’objet des procédures avaient été obtenus illégalement.
Les articles 359 et 360 ont fait l’objet d’un certain nombre de décisions de tribunaux d’instance inférieure qui ont jugé qu’ils contrevenaient à l’article 7 de la Charte, selon lequel chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. L’article 359 a été jugé contrevenir à l’article 7 parce que la preuve de mauvaise moralité peut être présentée même si elle ne révèle rien d’autre qu’une mauvaise moralité 20. L’article 360 a été jugé contrevenir à l’article 7 parce qu’il n’y a aucun lien logique entre une condamnation antérieure et l’affaire dont la cour est saisie. En outre, la mention d’une condamnation antérieure peut avoir une influence indue sur un jury ou même sur un juge 21.
L’article 719 du Code précise le moment où commence une peine et porte que le tribunal peut prendre en compte le temps passé sous garde avant qu’une sentence ne soit imposée. Le paragraphe 719(3) énonce la règle générale selon laquelle le tribunal qui détermine la peine peut prendre en compte le temps passé sous garde, mais que le crédit accordé à cet égard est limité à un maximum d’un jour pour chaque jour passé sous garde. Aux termes du paragraphe 719(3.1), toutefois, les circonstances peuvent justifier un crédit de 1,5 jour pour chaque jour passé sous garde, mais ce crédit majoré ne peut pas être appliqué si le motif principal de la détention était une condamnation antérieure ou si l’accusé a fait l’objet d’une ordonnance de détention en vertu de l’article 524 du Code pour avoir enfreint une ordonnance de mise en liberté.
La Cour suprême du Canada s’est penchée sur le paragraphe 719(3.1) dans l’arrêt R. c. Safarzadeh‑Markhali 22. En l’espèce, une personne a été arrêtée et s’est vu refuser la mise en liberté sous caution parce qu’elle avait un casier judiciaire. La Cour suprême a fait valoir que l’exclusion du crédit majoré pour détention présentencielle dans le cas des délinquants qui se voient refuser leur mise en liberté sous caution principalement en raison d’une condamnation antérieure a une portée excessive parce qu’elle s’applique selon des modalités qui n’ont rien à voir avec l’objectif législatif qui sous‑tend le paragraphe 719(3.1) du Code, à savoir améliorer la sûreté et la sécurité publique. Par conséquent, la Cour a estimé que ledit paragraphe contrevient à l’article 7 de la Charte, qui garantit le droit à la justice fondamentale, ajoutant par ailleurs qu’une telle atteinte à l’article 7 de la Charte ne peut être justifiée en invoquant l’article premier de la Charte. La Cour a conclu que la portée excessive de la disposition fait en sorte qu’un délinquant qui n’a pas commis une infraction avec violence et qui ne présente pas non plus un risque pour la sûreté publique se voit inutilement privé de sa liberté.
L’article 66 du projet de loi C‑51 modifie le paragraphe 719(3.1) afin de le rendre conforme à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Safarzadeh‑Markhali en supprimant l’interdiction du crédit majoré lorsque la détention d’un prévenu est motivée principalement par une condamnation antérieure ou par un défaut de respecter des conditions de libération sous caution. Aux termes des modifications présentées dans le projet de loi C‑51, le paragraphe 719(3.1) porte que, si les circonstances le justifient, le crédit maximum pour une détention présentencielle est de 1,5 jour pour chaque jour passé sous garde 23.
L’article premier du projet de loi C‑51 abroge l’article 49 du Code, lequel érige en infraction le fait de commettre des actes destinés à alarmer Sa Majesté ou à violer la paix publique. Ce même article interdit également de commettre un acte destiné ou de nature à causer des lésions corporelles à Sa Majesté. D’après des recherches menées dans les dossiers de cas électroniques, il semble qu’aucune poursuite n’ait été intentée en vertu de cet article. De plus, certains éléments de l’article 49 sont couverts à l’article 46 du Code qui interdit de tuer ou de tenter de tuer Sa Majesté, ou de lui causer quelque lésion corporelle.
Les articles 2, 63 et 65 du projet de loi suppriment en conséquence les renvois à l’article 49 du Code figurant à l’article 55 et aux paragraphes 581(4) et 601(9) du Code respectivement. Ces dispositions font état de la nécessité d’indiquer dans l’acte d’accusation tout acte manifeste que l’on entend invoquer pour étayer, entre autres, une inculpation, en vertu de l’article 49.
L’article 4 du projet de loi C‑51 abroge l’article 71 du Code. Cet article interdit de défier ou de provoquer une autre personne à se battre en duel ou d’accepter un défi à se battre en duel. Il n’est pas nécessaire que le duel ait réellement lieu pour que l’infraction soit démontrée. Cet article est tombé en désuétude et n’est donc plus jugé nécessaire 24.
L’article 8 du projet de loi C‑51 abroge l’article 143 du Code aux termes duquel le fait de promettre publiquement une récompense et l’immunité (« il ne sera posé aucune question ») pour la remise de biens perdus ou volés constitue une infraction punissable par procédure sommaire. Le document d’information du ministère de la Justice qui accompagne le projet de loi C‑51 indique qu’il s’agit de l’une des infractions au Code qui a été jugée désuète ou inutile 25.
Selon l’article 163 du Code, commet une infraction quiconque produit, publie ou distribue du matériel obscène ou des histoires illustrées de crime. Une « histoire illustrée de crime » s’entend :
L’article 11 du projet de loi C‑51 supprime toute mention des histoires illustrées de crime à l’article 163. Le document d’information du ministère de la Justice indique qu’il s’agit de l’une des infractions au Code qui a été jugée désuète ou inutile. L’article 12 du projet de loi supprime toute mention des histoires illustrées de crime à l’article 164 du Code qui octroie des pouvoirs spéciaux en matière de perquisition et de saisie relativement, entre autres, aux publications obscènes (selon la définition donnée au paragraphe 163(8) du Code) et aux histoires illustrées de crime. L’article 13 du projet de loi abroge l’article 165 du Code qui interdit de lier la vente d’une publication à la vente d’une autre publication dont l’acheteur craint qu’elle soit obscène ou qu’il s’agisse d’une histoire illustrée de crime.
L’article 11 du projet de loi abroge également les alinéas 163(2)c) et 163(2)d) du Code, lesquels interdisent d’offrir en vente ou d’annoncer quelque moyen, indication, médicament, drogue ou article destiné à provoquer un avortement ou une fausse couche, ainsi que d’annoncer quelque moyen, indication, médicament, drogue ou article ayant pour objet, ou représenté comme un moyen de rétablir la virilité sexuelle, ou de guérir des maladies vénériennes ou maladies des organes génitaux.
Selon le paragraphe 176(1) du Code, est coupable d’un acte criminel quiconque illicitement gêne un membre du clergé, l’arrête ou lui fait violence, et aux termes paragraphe 176(2) du Code, commet une infraction quiconque trouble ou interrompt volontairement un office religieux ou certaines réunions. La version du projet de loi présentée à la Chambre des communes abrogeait l’article 176. La ministre de la Justice a donné deux raisons à cette abrogation. Premièrement, l’activité sous‑jacente est déjà couverte par d’autres infractions criminelles dans le Code; deuxièmement, l’infraction est sous‑inclusive, puisqu’elle protège uniquement les membres du clergé chrétien 26.
À la suite d’amendements apportés à l’étape de l’étude en comité, l’article 13.1 du projet de loi C‑51 modifie les alinéas 176(1)a) et 176(1)b) du Code en vue de remplacer la référence à « un membre du clergé ou un ministre du culte » par une référence à un « officiant ». L’amendement remplace par ailleurs le terme « service divin » par « service religieux ou spirituel ». Ces modifications visent à élargir la portée de l’infraction de manière à interdire l’interruption de cérémonies religieuses et spirituelles de toutes les confessions. En outre, la formulation de l’infraction dans la version anglaise est dorénavant également applicable aux hommes et aux femmes.
Le paragraphe 176(2) du Code ne change pas.
L’article 30 du projet de loi C‑51 abroge l’article 296 du Code. Selon cet article, constitue un acte criminel le fait de publier un libelle blasphématoire. L’expression « libelle blasphématoire » n’est pas définie. Il est précisé que nul ne peut être déclaré coupable de cette infraction si la personne a exprimé de bonne foi et dans un langage convenable une opinion sur un sujet religieux. L’article 64 du projet de loi supprime le renvoi au libelle blasphématoire du paragraphe 584(1) du Code, qui prévoit qu’un chef d’accusation pour avoir publié ou vendu un libelle ou une publication d’une nature obscène n’a pas à contenir précisément les mots qui font l’objet d’une plainte.
Il est envisagé d’abroger cet article pour deux raisons. La première est qu’il n’a donné lieu à aucune déclaration de culpabilité criminelle depuis l’arrêt R. c. Rahard en 1935 27. La seconde est qu’un tribunal pourrait déterminer qu’il constitue une violation de la garantie de la liberté d’expression telle qu’elle est définie à l’alinéa 2b) de la Charte.
L’article 41 du projet de loi C‑51 abroge l’article 365 du Code. Selon cet article, commet une infraction quiconque affecte de s’adonner frauduleusement à la pratique de la magie, de la sorcellerie, de l’enchantement ou de la conjuration, de dire la bonne aventure pour de l’argent et de découvrir, par l’occultisme, où se trouve un objet perdu ou volé ou comment il peut être retrouvé. Étant donné le nombre infime de poursuites, cet article a probablement été jugé désuet. Il pourrait aussi être jugé inutile, car, selon l’article 380 du Code, l’infraction de fraude générale s’entend du fait de frustrer le public de quelque bien ou argent en ayant recours à la supercherie, au mensonge ou à tout autre moyen dolosif. L’article 365 peut donc être considéré comme un exemple spécifique de ce type d’infraction.
L’article 42 du projet de loi C‑51 abroge les articles 370 et 371 du Code. L’article 370 décrit l’infraction relative au fait d’avoir sciemment imprimé un document et de l’avoir fait faussement paraître comme ayant été imprimé par l’imprimeur de la Reine. L’article 371 décrit l’infraction relative à l’expédition d’un message sous un faux nom. Les deux dispositions ont sans doute rarement donné lieu à des poursuites. De plus, les infractions en cause ressemblent aux infractions relatives aux faux documents (art. 366 du Code) et à l’emploi, à la possession et au trafic d’un document contrefait (art. 368 du Code). La falsification correspond à la fabrication d’un faux document le sachant faux, avec l’intention de l’employer comme authentique au préjudice d’une autre personne. L’article 368 établit l’infraction qui consiste à se servir d’un document, de le traiter et d’agir à son égard en sachant ou en croyant qu’il est contrefait.
L’article 44 du projet de loi C‑51 abroge l’article 402 du Code. Selon cet article, commet une infraction quiconque a omis de tenir des livres de compte. Tout commerçant qui doit plus de 1 000 $, qui ne peut payer intégralement ses créanciers et qui n’a pas tenu de livres de comptes dans le cours ordinaire du commerce commet un acte criminel. L’article procure un moyen de défense, laquelle sera établie si le prévenu peut rendre compte de ses pertes et montrer que l’omission de tenir des livres n’était pas destinée à frauder ou que l’omission de tenir des livres s’est produite plus de cinq ans avant le jour où il est devenu incapable de payer ses créanciers.
On peut considérer que cet article abroge une infraction qui est indûment spécifique et porte sur un comportement qui, le cas échéant, peut être pris en compte efficacement par d’autres dispositions du Code. Dans ce cas, la disposition générale relative à la fraude à l’article 380 du Code pourrait s’appliquer, de même que l’article 392 (aliénation de biens avec l’intention de frauder des créanciers) et l’article 397 (falsification de livres et documents).
L’article 402 du Code est également un exemple d’une disposition problématique « portant renversement du fardeau de la preuve » qui exige qu’un prévenu prouve ou réfute quelque chose. Une telle disposition peut donner lieu à une déclaration de culpabilité s’il existe un doute raisonnable quant à la culpabilité du prévenu, ce qui constitue une atteinte au droit du prévenu à la présomption d’innocence garanti par l’alinéa 11d) de la Charte tant qu’il n’est pas prouvé hors de tout doute raisonnable que le prévenu est coupable.
L’article 47 du projet de loi C‑51 abroge l’article 413 du Code. Selon cet article, commet une infraction quiconque affirme faussement que des marchandises sont fabriquées par une personne détenant un brevet royal, ou pour le service de Sa Majesté, d’un membre de la famille royale ou d’un ministère public. Il s’agit d’un autre article du Code qui est très spécifique et dont la teneur est visée par d’autres dispositions du Code. En l’espèce, l’infraction prévue à l’article 413 peut être couverte par l’infraction générale de fraude prévue à l’article 380 du Code.
L’article 43.1 du projet de loi C‑51 modifie l’article 379 du Code par abrogation de la définition de « bons‑primes ». En outre, l’article 50 du projet de loi abroge l’article 427 du Code, selon lequel commet une infraction quiconque donne, vend ou émet des bons‑primes à un marchand ou négociant en marchandises pour emploi dans son commerce. Il est également interdit à un marchand ou à un négociant en marchandises de distribuer des bons‑timbres à des acheteurs. Compte tenu du nombre infime de poursuites engagées en vertu de ces dispositions, il est probable que cette infraction a été jugée désuète.
Les infractions relatives au fait de tuer ou de blesser des animaux se divisent en infractions perpétrées contre le bétail et infractions perpétrées contre les autres animaux. Le projet de loi C‑51 élimine cette distinction en abrogeant l’article 444 du Code, qui a trait au bétail, et remplace le titre « Bétail et autres animaux » par « Animaux ». Le projet de loi modifie également les définitions des animaux protégés en vertu de l’article 445 du Code pour en éliminer la mention d’animaux « qui ne sont pas des bestiaux ». Enfin, la peine infligée pour la mise en danger des bestiaux est retirée à des fins de référence du pouvoir d’ordonner la prohibition ou le dédommagement prévu à l’article 447.1 du Code.
On trouvera ci‑dessous des renseignements généraux au sujet de l’évolution du droit en matière d’agression sexuelle au Canada, suivis de considérations sur les modifications législatives proposées dans le projet de loi C‑51, qui portent sur le consentement, la protection des victimes de viol, les dossiers en la possession d’un tiers et l’admissibilité de dossiers concernant le plaignant qui sont en la possession de l’accusé.
Les femmes et les enfants constituent la très grande majorité des victimes d’infractions d’ordre sexuel. Or, au fil des ans, le droit criminel a intégré un certain nombre de mythes discriminatoires qui portent atteinte au droit des femmes et des enfants à la même protection et au même bénéfice de la loi que tous aux termes de l’article 15 de la Charte, et contreviennent par ailleurs à l’article 28 de la Charte, qui prévoit que l’ensemble des droits et libertés mentionnés dans la Charte sont garantis également aux personnes des deux sexes.
Des réformes majeures ont été apportées au régime des infractions sexuelles du Code en 1975, 1982, 1985, 1987, 1992 et 1997 28. Elles ont donné lieu à un certain nombre de changements afin d’abroger des dispositions discriminatoires en matière d’infractions sexuelles et de les remplacer par des infractions sexuelles à l’égard des enfants et des adultes ne comportant pas de distinction fondée sur le sexe. Par exemple, l’infraction de viol, pour laquelle la Couronne devait prouver hors de tout doute raisonnable qu’un homme avait sexuellement pénétré une femme, a été abrogée dans les modifications apportées au Code en 1982. À la place, des infractions d’agression sexuelle n’établissant aucune distinction fondée sur le sexe ont été introduites, exigeant que la Couronne prouve l’existence d’attouchements sexuels sans consentement (et également l’existence de toute violence associée, si elle se rapporte à l’infraction).
En outre, ces réformes législatives ont :
Des dispositions ont aussi été adoptées afin d’empêcher que des plaignants ne soient interrogés au sujet de leur comportement sexuel antérieur si l’examen « vise uniquement à appuyer l’inférence que le plaignant est de ce fait : a) plus susceptible d’avoir consenti aux actes sexuels à l’origine du procès; ou b) moins digne de foi comme témoin » (dispositions sur la protection des victimes de viol) 34. En outre, un régime législatif a été établi pour encadrer les demandes d’accès à des dossiers personnels de plaignants victimes d’une infraction sexuelle 35 se trouvant en la possession de tiers (p. ex. des dossiers de counseling préparés par des psychologues) présentées par la défense. Ces procédures sont appelées demandes de dossiers en la possession de tiers.
Depuis 2000, de nouvelles lois ont été introduites afin de criminaliser la traite des personnes, et des changements majeurs ont été apportés aux dispositions législatives concernant la prostitution 36.
L’entrée en vigueur des garanties d’égalité énoncées à l’article 15 de la Charte en 1985 a constitué un facteur important à la base des modifications législatives qui ont été apportées par le Parlement en ce qui concerne le droit en matière d’infractions sexuelles. Toutes ces réformes visaient à protéger le droit des femmes à l’égalité, à la vie privée et à la sécurité, en s’attaquant aux mythes et aux stéréotypes au sujet des plaignantes victimes d’agression sexuelle. Ces mythes incluent des croyances fermement ancrées au sujet de la façon dont une « vraie » victime d’agression sexuelle réagit (p. ex. en résistant et en déposant immédiatement une plainte auprès des autorités), et des mythes au sujet de la fiabilité et de l’esprit de vengeance des femmes qui déposent une plainte pour agression sexuelle (p. ex. une personne aux « mœurs faciles » a l’esprit troublé et est en soi peu fiable; les femmes sont prédisposées à accuser les hommes de viol par dépit; les femmes sont hystériques et portées à exagérer). D’autres mythes ont trait à la disponibilité sexuelle des femmes qui ont des relations intimes hors du mariage (p. ex. une femme qui a des relations sexuelles hors du mariage est de mauvaise moralité et est, par conséquent, une personne non fiable en soi; une femme qui consent à avoir une relation sexuelle avec une autre personne est susceptible d’avoir consenti à avoir des relations sexuelles avec d’autres; les femmes « de mœurs légères » et les prostituées « méritent » d’être agressées sexuellement ou sont perçues comme étant responsables de leur propre victimisation).
Les réformes législatives susmentionnées ont fait l’objet d’importantes contestations sur le plan constitutionnel, qui ont donné l’occasion à la Cour suprême de préciser la relation juridique qui existe entre le droit d’un accusé de présenter une défense pleine et entière d’une part, et les droits à l’égalité et à la vie privée des plaignants victimes d’infractions sexuelles d’autre part 37.
La jurisprudence de la Cour suprême des 30 dernières années relative aux infractions sexuelles a clairement indiqué que la preuve fondée sur des mythes et des stéréotypes au sujet du viol est inacceptable puisqu’elle fait dérailler l’objectif de recherche de la vérité d’un procès criminel. Les droits à l’égalité et à la vie privée des plaignants doivent être pris en compte et protégés. Cela dit, la Cour suprême a souligné que le droit d’un accusé à une défense pleine et entière est primordial. Les juges de première instance doivent jouir d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant de soupeser des droits constitutionnels concurrents dans le contexte factuel précis des affaires en cause et de rendre des décisions propres à chaque cas en matière de pertinence et d’admissibilité.
Malgré les réformes législatives et les arrêts de la Cour suprême énonçant que les mythes et les stéréotypes n’ont pas leur place dans un procès criminel, on continue de déplorer la persistance de mythes et de stéréotypes dans le cadre des instances en matière d’infractions sexuelles 38. Certains universitaires ont également fait observer que le système de justice criminelle dans son ensemble n’accorde pas assez de poids aux droits des femmes à l’égalité. Ainsi, des mythes et des stéréotypes continueraient d’entacher le raisonnement judiciaire dans les contextes suivants :
Suivant l’alinéa 265(1)a) du Code, commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas : d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement [souligné par les auteurs]. En droit canadien, le concept de « force » englobe l’attouchement et peut comprendre le fait d’être contraint à toucher son agresseur.
Les crimes d’agression sexuelle (art. 271 du Code), d’agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles (art. 272 du Code) et d’agression sexuelle grave (art. 273 du Code) constituent des crimes d’agression commis dans un contexte sexuel.
Étant donné que, dans le Code, les voies de fait sont définies comme étant l’emploi intentionnel de la force sans consentement, aucune agression n’est commise si l’accusé peut soulever un doute raisonnable quant au consentement du plaignant à l’emploi de la force. Dans le contexte d’une agression sexuelle, le consentement consiste « en l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle 39 », ce qui signifie que le consentement de la personne concernée est requis à « chaque acte sexuel », au moment où il se produit 40. Qui plus est, le consentement peut être retiré en tout temps.
Le Code établit une liste non exhaustive des circonstances dans lesquelles il y a absence de consentement, y compris les cas où le consentement est donné par une personne autre que le plaignant, les situations d’abus de confiance, de pouvoir ou d’autorité, les cas où le plaignant exprime l’absence de consentement ou d’accord à la poursuite de l’activité, et les cas où le plaignant est incapable d’exprimer son consentement 41.
Le fait que le consentement ait ou non été donné dans un cas particulier est apprécié subjectivement, du point de vue du plaignant au moment où l’attouchement/le contact s’est produit. Comme l’a précisé la Cour suprême dans l’affaire R. c. Ewanchuk, dans le contexte de l’agression sexuelle, la notion de consentement « signifie que, dans son esprit, la plaignante souhaitait que les attouchements sexuels aient lieu 42 ». Il s’agit de l’élément matériel, ou l’actus reus, de l’infraction 43.
Le droit criminel canadien exige également que la Couronne prouve que l’accusé avait l’intention de commettre un crime, c’est‑à‑dire que l’accusé avait une « intention coupable ». En matière d’agression sexuelle, l’accusé devait avoir l’intention de se livrer aux actes sexuels en question sans le consentement du plaignant. Il s’agit de l’élément moral de l’infraction, ou le mens rea.
L’accusé peut faire valoir qu’il avait croyait honnêtement, mais à tort, que le plaignant consentait aux actes sexuels en question. Le Code précise toutefois que cet argument de défense ne s’applique pas à l’accusé qui croyait que le plaignant avait consenti si cette croyance provient de l’affaiblissement volontaire de ses facultés, de son insouciance ou d’un aveuglement volontaire, ou du fait que l’accusé n’a pas pris les mesures raisonnables pour s’assurer du consentement du plaignant 44.
Lorsque l’accusé fait valoir l’erreur de bonne foi dans l’interprétation du consentement, le juge ou le jury doit déterminer si des motifs raisonnables peuvent expliquer l’erreur d’interprétation 45. L’accusé ne peut invoquer l’erreur de bonne foi dans l’interprétation du consentement s’il n’a pas pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement du plaignant 46. Les tribunaux canadiens ont précisé qu’il s’agit de « déterminer si la plaignante a véritablement affirmé sa volonté de participer à l’activité sexuelle et non si elle l’a refusée expressément 47 ».
Ainsi, la notion de « consentement » dans le droit en matière de voies de fait comporte à la fois une composante juridique (la façon dont le consentement est défini) et une composante factuelle (la question de savoir s’il y a eu consentement subjectif du plaignant et si l’accusé a sincèrement cru, mais à tort au consentement). Les modifications énoncées dans les articles 10, 19 et 20 du projet de loi C‑51 visent à clarifier ces deux composantes.
Les modifications énoncées dans les articles 10 et 19 du projet de loi, décrites à la section 3.2.2 du présent résumé législatif, reflètent la décision de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. J.A. (2011). On trouvera donc ci-dessous un résumé des raisonnements, des conclusions et des solutions présentés dans l’opinion de la majorité et dans l’opinion dissidente.
Dans l’arrêt R. c. J.A., la Cour suprême a interprété le texte en vigueur de l’article 273.1 du Code. La juge en chef McLachlin a cerné la question importante à trancher en l’espèce, soit « de savoir si une personne peut se livrer à des actes sexuels sur une personne inconsciente qui a consenti à ces actes avant d’être rendue inconsciente 48 ».
Elle a répondu à cette question par la négative, soutenant que le Code exige, en vertu de l’article 273.1,
qu’une personne soit consciente pendant toute la durée d’une activité sexuelle pour donner un consentement valable. C’est pour prévenir l’exploitation sexuelle des hommes et des femmes et pour assurer aux personnes qui se livrent à une activité sexuelle la possibilité de demander à leur partenaire de cesser à tout moment que le législateur requiert un consentement conscient de tous les instants 49
L’« accord volontaire du plaignant à chacun des actes sexuels accomplis à une occasion précise » est exigé 50. Ce consentement doit être donné par une « personne lucide 51 ». Par conséquent, la juge McLachlin a conclu qu’une personne ne peut consentir à l’avance à une activité sexuelle qui aura lieu pendant qu’elle sera inconsciente 52.
La juge en chef a conclu son jugement par les remarques suivantes au sujet du rôle du Parlement :
Le législateur a défini l’agression sexuelle comme des attouchements sexuels sans consentement. Il ressort clairement des dispositions édictées que le consentement requis est un consentement conscient, de tous les instants, « à l’activité sexuelle ». Cette conception du consentement produit des résultats équitables dans la grande majorité des cas. Elle s’est avérée fort utile pour combattre les stéréotypes historiques qui entourent le consentement aux relations sexuelles et entravent la sanction juridique de l’infraction d’agression sexuelle. Dans certains cas, le consentement au sens où l’entend le législateur peut sembler irréaliste. Toutefois, la Cour ne doit pas créer d’exceptions qui contreviennent à la volonté de ce dernier. En l’absence de contestation constitutionnelle, c’est au législateur qu’il appartient de modifier les règles du consentement en matière d’agression sexuelle s’il le juge nécessaire 53.
Le juge Fish, dissident, a fait valoir que la décision de la majorité « privera les femmes de la liberté de s’engager par choix dans des aventures sexuelles ne leur causant, et ne causant à qui que ce soit, aucun préjudice démontré 54 ». Il a ensuite souligné l’importance du respect de la vie privée et de l’autonomie sexuelle des adultes consentants, en déclarant :
Je ne peux conclure que le législateur, en protégeant le droit de refuserdes contacts sexuels, a restreint le droit des adultes – hommes ou femmes – de consentir volontairement et consciemment à participer en privé à des actes sexuels qui ne causent pas de lésions corporelles et n’outrepassent pas les limites du consentement donné librement. De toute évidence, le droit d’une personne de décider ce qu’elle veut faire de son propre corps englobe ces deux droits 55.
Le juge Fish a également exprimé des réserves, précisant que l’interprétation de l’article 273.1 préconisée par la majorité aurait pour effet de criminaliser certains comportements, « tout particulièrement, embrasser ou caresser un partenaire endormi, même doucement et tendrement », ce qui serait selon lui une absurdité ne pouvant constituer l’intention du législateur 56. À son avis, le législateur pourrait créer « une présomption de non-consentement en faveur de la poursuite lorsqu’il est prouvé que l’accusé a eu des contacts sexuels avec une personne inconsciente 57 ». Suivant ce principe, un plaignant inconscient serait présumé ne pas avoir consenti à des actes sexuels à moins que la défense ne fournisse des éléments de preuve démontrant que le plaignant a vraisemblablement donné son consentement 58.
Aux termes du Code, le consentement est défini de la même façon pour les infractions d’agression sexuelle (art. 273.1 du Code) que pour l’infraction d’exploitation sexuelle d’une personne ayant une déficience mentale ou physique (art. 153.1 du Code). Selon les deux articles, le « consentement » signifie l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle. Les deux articles dressent une liste identique non exhaustive des circonstances entraînant une conclusion d’absence de consentement, notamment lorsque le plaignant est incapable de donner son consentement à l’activité (par. 273.1(2) et 153.1(3) du Code respectivement).
Le projet de loi C‑51 apporte des modifications précisant explicitement qu’il doit y avoir consentement au moment où l’activité sexuelle en question a lieu (le par. 10(1) du projet de loi ajoute le par. 153.1(2.1) au Code et le par. 19(1) du projet de loi ajoute le par. 273.1(1.1) au Code).
Qui plus est, la question de savoir s’il n’y a pas de consentement aux termes des paragraphes 153.1(3), 153.1(4), 265(3) ou 273.1 du Code est expressément décrite comme étant une question de droit aux paragraphes 10(1) et 19(1) du projet de loi (nouveaux paragraphes 153.1(2.2) et 273.1(1.2) du Code).
Le projet de loi énonce clairement qu’aucun consentement n’est obtenu lorsque la personne est inconsciente (le par. 10(2.1) du projet de loi ajoute l’al. 153.1(3)a.1) au Code et le par. 19(2.1) du projet de loi ajoute l’al. 273.1(2)a.1) au Code).
Les paragraphes 10(2.1) et 19(2.1) du projet de loi modifient aussi les alinéas 153.1(3)b) et 273.1(2)b) du Code, qui stipulent tous les deux qu’aucun consentement n’est obtenu lorsque la personne est incapable de consentement, de manière à préciser que l’inconscience n’est pas la seule situation où une personne peut être incapable de donner son consentement à une activité sexuelle.
Ces modifications ont pour but de tenir compte de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. J.A., laquelle exige « un consentement réel et actif à chaque étape de l’activité sexuelle 59 ».
Le paragraphe 153.1(5) et l’article 273.2 du Code énumèrent les circonstances dans lesquelles le fait qu’un accusé croyait que la personne avait consenti à l’activité ne constitue pas un moyen de défense (p. ex. affaiblissement volontaire de ses facultés, insouciance ou aveuglement volontaire). Les paragraphes 10(5) et 20(2) du projet de loi ajoutent les sous‑alinéas 153.1(5)a)(iii) et 273.2a)(iii) respectivement au Code afin de préciser que le fait que l’accusé ait cru qu’il y avait consentement ne constitue un argument de défense dans aucune des circonstances énoncées aux paragraphes 153.1(3), 153.1(4), 265(3), 273.1(2) ou 273.1(3) du Code « dans lesquelles il n’y a pas de consentement de la part du plaignant », c’est‑à‑dire :
Les paragraphes 153.1(4) et 273.1(3) du Code précisent que les circonstances dans lesquelles le consentement n’est pas obtenu ne se limitent pas à celles prévues aux paragraphes 153.1(3) et 273.1(2) du Code ni à celles énumérées ci‑dessus.
Les paragraphes 10(6) et 20(3) du projet de loi créent une autre catégorie de circonstances dans lesquelles l’accusé ne peut pas invoquer en défense la croyance raisonnable, mais erronée au consentement : lorsqu’il n’y a « aucune preuve que l’accord volontaire du plaignant à l’activité a été manifesté de façon explicite par ses paroles ou son comportement » (nouveaux al. 153.1(5)c) et 273.2c) du Code). Cette exigence reflète la décision de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Ewanchuk, où le juge Major a déclaré, au nom de la majorité, que lorsque la défense invoque :
l’application de la croyance sincère, mais erronée au consentement – la notion de « consentement » signifie que la plaignante avait, par ses paroles ou son comportement, manifesté son accord à l’activité sexuelle avec l’accusé 60
Le juge Major a précisé que « le fait de croire que le silence, la passivité ou le comportement ambigu de la plaignante valent consentement de sa part est une erreur de droit et ne constitue pas un moyen de défense 61 ».
Le projet de loi C‑51 apporte des modifications à plusieurs articles du Code en ce qui concerne la preuve relative au comportement sexuel, articles formant ce que l’on appelle communément les dispositions sur la « protection des victimes de viol » (actuellement les art. 276 à 276.5 du Code). Les dispositions sur la protection des victimes de viol exigent qu’un accusé présente une demande devant un juge afin d’établir l’admissibilité de la preuve « que le plaignant a eu une activité sexuelle autre que celle à l’origine de l’accusation [avec l’accusé ou un tiers] » dans le cadre d’un procès pour des infractions sexuelles précises 62. La Cour suprême a étudié à deux reprises la constitutionnalité du régime de protection des victimes de viol, en déclarant inopérante la version initiale de l’article 276 dans l’arrêt R. c. Seaboyer en 1991, mais en confirmant cependant dans l’arrêt R. c. Darrach en 2000, la procédure modifiée que l’on retrouve actuellement dans le Code 63.
Dans l’arrêt R. c. Darrach, la Cour a conclu que la version actuelle de l’article 276 ne porte pas atteinte au droit de l’accusé au respect des principes de justice fondamentale suivant l’article 7 de la Charte ou à son droit à un procès équitable suivant l’alinéa 11b), déclarant que :
[L]a mesure législative favorise l’équité de l’audience en excluant les éléments de preuve trompeurs des procès portant sur des infractions d’ordre sexuel. Elle protège le droit de l’accusé de produire une preuve pertinente qui respecte certains critères et ainsi, de présenter une défense pleine et entière 64.
Le paragraphe 276(2) du Code, dans sa version actuelle, interdit à l’accusé de présenter une preuve « que le plaignant a eu une activité sexuelle autre que celle à l’origine de l’accusation, avec l’accusé ou un tiers » (preuve d’activité sexuelle). Conformément au paragraphe 276(1) du Code, une telle preuve ne peut être admise afin d’appuyer un raisonnement prohibé fondé sur des stéréotypes au sujet de l’agression sexuelle; plus précisément, un raisonnement voulant que le plaignant « soit plus susceptible d’avoir consenti à l’activité à l’origine de l’accusation », « soit moins digne de foi ». Ces deux déductions interdites sont souvent appelées les « deux mythes ». La Cour suprême a déclaré que ces mythes « ne sont simplement pas pertinents au procès [parce qu’ils] ne sont pas probants quant au consentement ou à la crédibilité, et ils peuvent dénaturer gravement le procès 65 ».
La Cour suprême a déclaré que le paragraphe 276(1) exclut « comme étant des raisonnements inappropriés, toutes les généralisations discriminatoires concernant la prédisposition de la plaignante à consentir ou sa crédibilité qui sont fondées sur la nature sexuelle de ses activités sexuelles antérieures 66 » [italique dans le texte]. Voici ce que la Cour a ensuite conclu :
[L]es termes « déduire du caractère sexuel de cette activité » à l’art. 276 sont une précision du législateur que les déductions qui sont interdites sont celles qui sont faites à partir du caractère sexuel de l’activité et non pas celles qui sont faites à partir d’autres caractéristiques éventuellement pertinentes de cette activité. Il peut être permis de produire la preuve d’une activité sexuelle en raison des caractéristiques non sexuelles de cette activité, notamment pour démontrer l’existence d’un mode de comportement ou d’une déclaration antérieure incompatible 67 [italique dans le texte].
Il y a d’autres situations dans lesquelles la preuve du comportement sexuel antérieur d’un plaignant pourrait être pertinente à l’égard d’une question en litige au procès et dans lesquelles la valeur probante de la preuve l’emporte sur le préjudice possible causé au plaignant, notamment lorsqu’un accusé invoque le moyen de défense de croyance sincère, mais erronée au consentement basé sur des actes antérieurs de conduite sexuelle avec le plaignant, lorsque la preuve en question peut tendre à démontrer que le plaignant avait un motif de fabriquer la plainte, ou lorsque la défense présente une autre explication quant à l’existence de la preuve matérielle 68.
Dans l’affaire Darrach, l’accusé a également affirmé que la procédure décrite à l’article 276 relativement à une audience d’admissibilité l’a forcé à divulguer ses moyens de défense au ministère public avant la tenue d’un procès. La Cour suprême a rejeté cette affirmation et déclaré ce qui suit :
L’article 276 n’exige pas que l’accusé fasse une divulgation prématurée ou inappropriée au ministère public […] [L]’accusé n’est nullement obligé de s’engager dans le processus décrit à l’art. 276 […] [S]i la défense doit invoquer le comportement sexuel antérieur de la plaignante, elle ne pourra pas le faire de manière à prendre par surprise la plaignante. Le droit à une défense pleine et entière ne comprend pas le droit de recourir à la surprise pour se défendre 69.
Cependant, le raisonnement de la Cour s’applique à la divulgation des moyens de la défense à la Couronne, dont le mandat dans les poursuites criminelles est que justice soit rendue, et non pas qu’une condamnation soit prononcée. La Cour n’a pas envisagé le cas où un plaignant, représenté par un avocat indépendant, aurait le statut d’intervenant à l’audience.
Le paragraphe 276(2) du Code dans sa version actuelle interdit à l’accusé de présenter une preuve d’activité sexuelle, sauf si le juge décide, à la fois :
Le paragraphe 21(1) du projet de loi C‑51 modifie le paragraphe 276(2) du Code afin d’ajouter une nouvelle condition à respecter pour que puisse être admise, dans le cadre d’une poursuite pour infraction sexuelle, une preuve d’activité sexuelle, à savoir que la preuve ne doit pas être présentée afin de permettre les déductions « selon lesquelles, en raison de la nature de l’activité sexuelle, le plaignant est soit plus susceptible d’avoir consenti à l’activité à l’origine de l’accusation, soit moins digne de foi » (par. 21(1) du projet de loi, nouvel al. 276(2)a) du Code) 70.
Le paragraphe 276(3) du Code énumère les facteurs que doit considérer le juge au moment d’établir l’admissibilité de la preuve d’activité sexuelle présentée au titre du paragraphe 276(2). Ces facteurs demeurent inchangés.
Le paragraphe 21(3) du projet de loi précise la portée du terme « activité sexuelle » employé à l’article 276 du Code, auquel s’appliquent les dispositions sur la protection des victimes de viol, de manière à inclure « toute communication à des fins d’ordre sexuel ou dont le contenu est de nature sexuelle ». Cette disposition viserait, par exemple, les courriels, vidéos et autres images qui constituent des formes de communication, s’ils sont faits à des fins d’ordre sexuel ou si leur contenu est de nature sexuelle (nouveau par. 276(4) du Code). En conséquence, certains types de preuve d’activité sexuelle peuvent correspondre à la définition de « dossier » à l’article 23 du projet de loi, lequel modifie l’article 278.1 du Code.
Si une preuve d’activité sexuelle se trouve dans un dossier qui n’est pas en possession de l’accusé, les règles d’admissibilité prévues au paragraphe 276(2), ainsi que les facteurs énumérés au paragraphe 276(3) s’appliquent.
Toutefois, si l’accusé est en possession du dossier relatif au plaignant, le juge doit, pour en déterminer l’admissibilité, tenir compte des facteurs énumérés au nouveau paragraphe 278.92(3) du Code (art. 25 du projet de loi), plutôt que de ceux énumérés au paragraphe 276(3) du Code. Ainsi, le juge devra tenir compte d’un facteur supplémentaire afin de déterminer l’admissibilité du dossier dont l’accusé est en possession et qui respecte la définition de preuve d’activité sexuelle : « l’intérêt qu’a la société à ce que les plaignants, dans les cas d’infraction d’ordre sexuel, suivent des traitements » (nouvel al. 278.92(3)c)). Ces dispositions sont examinées plus en détail à la section 3.5.2 du présent résumé législatif.
Les articles 276.1 à 276.5 du Code énoncent les procédures à suivre dans le cadre des demandes visant l’admissibilité d’éléments de preuve d’activité sexuelle et d’autres aspects qui s’y rattachent. Ces articles sont abrogés par l’article 22 du projet de loi, et sont remplacés par les nouveaux articles 278.93 à 278.97 (art. 25 du projet de loi).
Les nouveaux articles 278.93 et 278.94 du Code remplacent les articles 276.1 et 276.2 respectivement. Ils créent un processus en deux étapes lorsque la défense désire présenter une preuve d’activité sexuelle. Tout d’abord, la défense doit présenter une demande d’audience (nouvel art. 278.93 du Code). Si la demande satisfait aux conditions requises et est acceptée par la cour, une audience sera ensuite tenue afin d’établir si la preuve d’activité sexuelle peut être admise au procès (nouvel art. 278.94 du Code).
En ce qui a trait à la première étape de ce processus, le nouvel article 278.93 du Code reprend les dispositions de fond de l’article 276.1 : il fournit des détails au sujet du contenu de la demande et des conditions à respecter.
Le projet de loi apporte des modifications importantes uniquement aux dispositions régissant la seconde étape du processus : l’audience elle‑même. En plus de réaffirmer la règle actuelle voulant le plaignant ne soit pas un témoin contraignable à l’audience, le nouveau paragraphe 278.94(2) du Code précise qu’un plaignant peut comparaître et présenter ses arguments lors d’une telle audience. De plus, le nouveau paragraphe 278.94(3) fournit, pour la première fois, à un plaignant qui participe à l’audience, le droit d’être représenté par un avocat dans le cadre de procédures relevant de la protection des victimes de viol, et exige que le juge avise les plaignants de ce droit dans les meilleurs délais (art. 22 du projet de loi, abrogeant l’art. 276.2 du Code, et art. 25 du projet de loi, ajoutant le nouvel art. 278.94 au Code). Des dispositions similaires sont déjà prévues au Code dans le contexte des demandes de présentation de dossiers personnels de plaignants en la possession de tiers, aux paragraphes 278.4(2) et 278.4(2.1) du Code. Cependant, les plaignants n’avaient pas le droit auparavant de comparaître et de présenter des arguments dans le cadre des audiences relevant de la protection des victimes de viol.
Les autres dispositions du Code sur la protection des victimes de viol et ayant trait aux interdictions de publication, aux instructions données au jury et aux appels (art. 276.3 à 276.5 du Code) sont abrogées (art. 22 du projet de loi) et remplacées par les articles 278.95 à 278.97 (art. 25 du projet de loi). Ces nouvelles dispositions n’apportent pas de modifications importantes au régime de protection des victimes de viol.
Le fait d’élargir la définition du terme « activité sexuelle » (nouveau paragraphe 276(4) du Code) de manière à inclure « toute communication à des fins d’ordre sexuel ou dont le contenu est de nature sexuelle » signifie que ces communications pourraient répondre à la définition d’un « dossier » (art. 23 du projet de loi, modifiant la définition de dossier énoncée à l’art. 278.1 du Code). La procédure régissant la demande d’audience d’admissibilité présentée par l’accusé demeure la même, peu importe si la preuve d’activité sexuelle est conforme à la définition de « dossier » ou non (nouvel art. 278.93 du Code). Les règles régissant la détermination de l’admissibilité d’une telle preuve sont présentées ci‑dessus, à la section 3.3.1. Si l’accusé demande la présentation d’un dossier comportant une preuve d’activité sexuelle, la procédure à suivre est décrite aux articles 278.1 à 278.91 du Code. Les modifications prévues dans le projet de loi à l’égard de ces dispositions sont abordées ci‑dessous, à la section 3.4.
Le projet de loi ne modifie pas la liste des infractions prévues au paragraphe 276(1) de manière à inclure les anciennes infractions dans le contexte des dispositions sur la protection des victimes de viol. Par contre, une disposition sur les anciennes infractions figure dans le régime actuel de demandes de dossiers en la possession d’un tiers et dans le nouveau régime prévu dans le projet de loi qui régit l’admissibilité des dossiers personnels associés au plaignant qui sont en la possession de l’accusé, y compris ceux qui correspondent à la définition de preuve d’activité sexuelle au paragraphe 276(4) du Code 71.
Présentement, dans une procédure relative à une agression sexuelle, l’accusé peut tenter de soulever un doute raisonnable quant à la crédibilité du plaignant en utilisant de l’information contenue dans des dossiers privés en la possession de tiers. Par exemple, la défense peut souhaiter contre‑interroger une plaignante dans un procès pour agression sexuelle au sujet des notes prises par son intervenante du centre d’aide aux victimes de viol et communiquées à l’accusé avant le procès, notes selon lesquelles la plaignante a dit penser que son comportement avait pu amener l’accusé à croire qu’elle consentait à des relations sexuelles. De tels renseignements pourraient s’avérer utiles pour l’accusé, par exemple, à titre de preuve qu’il croyait sincèrement, mais à tort, qu’il y avait consentement.
En 1995, dans l’arrêt R. c. O’Connor 72, la Cour suprême a énoncé une démarche qui permet à la défense d’avoir accès aux dossiers privés d’un plaignant qui sont en la possession de tiers. La juge L’Heureux‑Dubé a rédigé une opinion dissidente, soutenant que la démarche créée par les juges majoritaires n’accordait pas suffisamment de poids aux droits à l’égalité et à la protection de la vie privée du plaignant. La décision majoritaire a suscité la controverse et, en conséquence, le Parlement a adopté en 1997 un cadre juridique régissant la communication de dossiers en la possession de tiers qui, pour l’essentiel, était modelé sur l’approche préconisée par la juge L’Heureux‑Dubé (art. 278.1 à 278.91 du Code) 73. La constitutionnalité du cadre législatif a été confirmée par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Mills.
Le cadre énoncé dans le Code est une démarche à deux étapes. À la première étape, la défense doit demander à un juge de rendre une ordonnance enjoignant à une personne en possession de dossiers personnels de communiquer ces dossiers au juge pour examen par ce dernier après l’audience. À la deuxième étape, le juge décide si les dossiers seront communiqués à l’accusé.
L’article 24 du projet de loi modifie le paragraphe 278.3(5) du Code en fixant la période de préavis que le poursuivant, le plaignant, le détenteur du dossier ou toute autre partie intéressée reçoit relativement à une demande de communication de dossiers en la possession de tiers. La période de préavis passe de 14 à 60 jours avant la tenue de l’audience pour décider si le détenteur du dossier sera tenu de communiquer les dossiers au juge pour examen.
Les dispositions du projet de loi C‑51 qui créent un cadre pour décider de l’admissibilité des dossiers personnels relatifs au plaignant sont étroitement liées à la fois au cadre de protection des victimes de viol et au cadre régissant la communication des dossiers en la possession de tiers qui figurent dans le Code. La Cour suprême a conclu que les audiences sur la protection des victimes de viol et les audiences sur les dossiers en possession de tiers se ressemblent à de nombreux égards et reposent sur des considérations de principe qui sont les mêmes 74. Dans les deux types de procédures, la Cour suprême a conclu que
[l]e droit à une défense pleine et entière ne s’applique pas lorsque l’accusé cherche à obtenir des renseignements qui ne contribueront qu’à fausser l’objectif de recherche de la vérité d’un procès, et, dans un tel cas, les droits à la vie privée et à l’égalité sont prépondérants. En revanche, si les renseignements contenus dans un dossier influent directement sur le droit à une défense pleine et entière, le droit à la vie privée doit céder le pas à la nécessité d’éviter de déclarer coupable un innocent 75.
Cependant, il y a des différences cruciales entre une procédure visant à contraindre une personne à communiquer des dossiers et une procédure visant à décider de l’admissibilité de la preuve. La Cour suprême a abordé ces différences dans l’affaire R. c. Shearing, où l’accusé souhaitait contre‑interroger une plaignante au sujet du contenu de son journal intime, qu’il avait déjà en sa possession. Dans cette affaire, la majorité de la Cour suprême a conclu que le cadre régissant les documents de tiers énoncé aux articles 278.1 à 278.9 du Code ne s’applique pas à l’utilisation ou à l’admissibilité des dossiers déjà en la possession de l’accusé 76. Le critère applicable en vue d’établir l’admissibilité, selon la Cour, a été exposé dans les arrêts R. c. Osolin et R. c. Seaboyer. Dans l’arrêt Osolin, le juge Cory a déclaré ce qui suit :
[E]n général, un plaignant peut être contre‑interrogé dans le but de faire ressortir des éléments de preuve portant sur le consentement et sur la crédibilité lorsque la valeur probante de cette preuve l’emporte sensiblement sur le risque qu’il en découle un préjudice inéquitable. Le contre‑interrogatoire qui se fonde sur des « mythes sur le viol » afin de démontrer qu’il y a eu consentement ou d’attaquer la crédibilité aura toujours un effet préjudiciable qui dépassera sa valeur probante. Une telle preuve ne répond à aucun objectif légitime, et elle serait par conséquent inadmissible en ce qui a trait aux questions du consentement et de la crédibilité.
Restreindre l’admissibilité des dossiers du plaignant qui sont en la possession de l’accusé comporte des difficultés particulières. Dans l’arrêt Seaboyer, les juges majoritaires ont conclu que :
Les tribunaux canadiens […] ont beaucoup hésité à restreindre le pouvoir de l’accusé de présenter une preuve à l’appui de sa défense, cette hésitation tenant du principe fondamental de notre système judiciaire selon lequel une personne innocente ne doit pas être déclarée coupable.
Néanmoins, il est possible d’imposer certaines limites à la défense afin de promouvoir des objectifs importants et de préserver la recherche de la vérité à titre de but du processus judiciaire. Dans l’arrêt Shearing, le juge Binnie a donné les explications suivantes :
Malgré la grande latitude que, dans la plupart des cas, le processus contradictoire laisse aux contre‑interrogateurs de recourir à des hypothèses et à des insinuations non prouvées pour tenter de désarçonner le témoin qui ment, les affaires d’agression sexuelle présentent des dangers particuliers […] [D]e telles affaires devraient être tranchées sans qu’on recoure à des légendes populaires sur la façon dont des personnes qui n’ont jamais été maltraitées s’attendent à ce que les victimes de sévices réagissent aux traumatismes subis.
Les personnes accusées d’agression sexuelle ne sont pas pour autant des justiciables de deuxième ordre. Cela signifie seulement que la défense doit s’en tenir aux faits au lieu de se fonder sur des insinuations et des hypothèses non prouvées. Il s’ensuit qu’il ne faut pas empêcher la défense d’avoir accès aux faits 77.
Comme l’article 276, la nouvelle démarche établie au nouvel article 278.92 pour décider de l’admissibilité des dossiers personnels d’un plaignant qui sont en la possession de l’accusé est exceptionnelle dans la mesure où elle oblige la défense à dévoiler des éléments de son argumentation, si bien qu’elle perd l’avantage tactique de la surprise. En effet, la procédure régissant les audiences sur ’admissibilité des dossiers personnels d’un plaignant en la possession de l’accusé pourrait faire en sorte que la défense divulguera la preuve qu’elle détient, ainsi que la pertinence de cette preuve, au plaignant et à l’avocat du plaignant, car le plaignant aura désormais qualité pour participer à l’audience sur l’admissibilité. Il reste à voir si cette disposition sera jugée constitutionnelle dans une situation où la tentative de présenter en preuve les dossiers personnels d’un plaignant détenus par l’accusé vise un objectif légitime, par exemple mettre en doute la crédibilité d’un plaignant grâce à des déclarations antérieures contradictoires.
L’article 23 du projet de loi modifie les articles du Code auxquels s’applique la définition de dossier, énoncée à l’article 278.1 du Code. À l’heure actuelle, la définition de « dossier » à l’article 278.1 s’applique aux demandes visant les dossiers en la possession de tiers. L’article 23 du projet de loi étend cette définition au nouvel article 278.92, qui régit l’admissibilité des dossiers « se rapportant à un plaignant qui [sont] en possession de l’accusé ou sous son contrôle » pour un éventail de poursuites pour des infractions ayant une facette sexuelle (art. 25 du projet de loi) 78.
L’article 25 du projet de loi C‑51 établit une série de procédures relatives aux demandes et audiences concernant l’admissibilité de dossiers personnels que l’accusé possède au sujet du plaignant.
Dans les situations où le dossier ne constitue pas de la preuve concernant le comportement sexuel du plaignant suivant le paragraphe 276(4) du Code, le nouvel alinéa 278.92(2)b) du Code applique les règles existantes en matière de preuve afin d’écarter l’admission de la preuve, sauf si celle‑ci est en rapport avec un élément de la cause et que le risque d’effet préjudiciable à la bonne administration de la justice de la preuve ne l’emporte pas sensiblement sur sa valeur probante. Pour décider si la preuve est admissible, le tribunal doit prendre en considération la liste des facteurs figurant au nouveau paragraphe 278.92(3) du Code, à savoir :
Cette liste comprend tous les facteurs dont les juges doivent tenir actuellement compte dans les audiences sur la protection des victimes de viol (par. 276(3) du Code), ainsi qu’un nouveau facteur, à savoir « l’intérêt qu’a la société à ce que les plaignants, dans les cas d’infraction d’ordre sexuel, suivent des traitements » (nouvel al. 278.92(3)c) du Code).
Le nouvel alinéa 278.92(2)a) du Code stipule que le dossier qui constitue une preuve d’activité sexuelle en vertu du paragraphe 276(4) n’est admissible que si le tribunal détermine qu’il respecte les conditions prévues au paragraphe 276(2) modifié, en tenant compte des facteurs énumérés au paragraphe 278.92(3), mentionnés ci‑dessus. Les exigences d’admissibilité de la preuve d’activité sexuelle sont abordées plus en détail à la section 3.3.1 du présent résumé législatif.
Les dispositions des nouveaux articles 278.93 à 278.97 du Code, qui régissent les demandes et audiences relatives à la protection des victimes de viol, s’appliquent aussi aux dossiers personnels du plaignant qui sont en la possession de l’accusé. Le processus prévoit que la demande doit être déposée auprès du juge qui instruit l’affaire (nouveau par. 278.93(1) du Code); cette demande doit énoncer « toutes précisions utiles » au sujet de la preuve en cause et le rapport de celle‑ci avec un élément de la cause (nouveau par. 278.93(2) du Code). Si la demande a été déposée en bonne et due forme au moins sept jours auparavant (ou dans un délai inférieur, avec l’autorisation du juge) et qu’il y a des possibilités que la preuve en cause soit admissible (c.‑à‑d. si elle est conforme aux règles générales concernant l’admissibilité), le juge doit accorder la demande et tenir une audience.
L’audience sur la demande et l’audience sur l’admissibilité de la preuve sont tenues à huis clos (nouveau par. 278.94(1) du Code). Le plaignant ne peut être contraint à comparaître en tant que témoin, mais peut comparaître et présenter des arguments; le juge est tenu d’aviser le plaignant qui participe à l’audience de son droit d’être représenté par un avocat (nouveau par. 278.94(3)). Le tribunal doit fournir les motifs de sa décision concernant l’admissibilité de la preuve en question, en précisant les raisons pour lesquelles la preuve est admissible, les facteurs énoncés dans la loi ayant fondé sa décision et la façon dont la preuve à admettre est en rapport avec un élément de la cause (nouveau par. 278.94(4)). Les motifs du juge doivent être transcrits au procès‑verbal des débats, ou donnés par écrit (nouveau par. 278.94(5)). La procédure fait l’objet d’une interdiction de publication, y compris la décision et les motifs de cette dernière, sauf si le juge rend une ordonnance autorisant la publication (nouvel art. 278.95).
Les procédures relatives aux demandes et audiences d’admissibilité de dossiers personnels que possède l’accusé au sujet du plaignant diffèrent des procédures actuelles relatives à la présentation de dossiers en la possession de tiers, conformément à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Shearing.
La Loi sur le ministère de la Justice crée le ministère de la Justice et énonce les pouvoirs et fonctions du ministre de la Justice et du procureur général du Canada. Au titre de l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice, le ministre de Justice doit examiner chaque projet de loi d’initiative gouvernementale présenté à la Chambre des communes (ainsi que les règlements transmis au greffier du Conseil privé pour enregistrement) en vue de vérifier si l’une de leurs dispositions est incompatible avec les fins et dispositions de la Charte. Toute incompatibilité doit être signalée à la Chambre des communes. Jusqu’à présent, cette exigence n’a jamais été respectée 79. La Déclaration canadienne des droits 80 et la Loi sur les textes réglementaires 81 (telle qu’elle s’applique au greffier du Conseil privé, travaillant en consultation avec le sous‑ministre de la Justice) comportent des dispositions similaires pour ce qui est de l’examen des projets de loi et des règlements (selon le cas) en vue de vérifier leur compatibilité avec les droits et libertés garantis 82.
En 2012, un avocat du ministère de la Justice a lancé une poursuite contre le procureur général du Canada concernant la norme appliquée pour examiner les projets de loi en vue de vérifier leur compatibilité avec la Charte. Le plaignant soutenait que la norme de « l’argument crédible » adoptée par le ministère (selon cette norme, il doit s’agir d’un argument qui est crédible, présenté de bonne foi, et que l’on peut faire valoir avec succès devant les tribunaux) n’était pas assez rigoureuse. Il prônait la norme de l’« incompatibilité probable » (selon cette norme, l’argument fait valoir qu’une disposition du projet de loi est vraisemblablement incompatible avec les droits garantis). La poursuite a été rejetée au procès et lors de l’appel 83
.
Néanmoins, divers observateurs ont lancé un appel en faveur d’un examen plus attentif des projets de loi à la lumière de la Charte. L’Association canadienne des libertés civiles est intervenue dans l’affaire signalée ci‑dessus et a rédigé un rapport intitulé Charter First: A Blueprint for Prioritizing Rights in Canadian Lawmaking (Priorité à la Charte : un plan pour accorder la priorité aux droits dans l’élaboration de lois au Canada) où elle fait la recommandation suivante (recommandation 1) :
Il faudrait que le Parlement modifie l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice de façon à ce que, à la suite de la présentation de tout projet de loi d’initiative gouvernementale au Parlement, le ministre de la Justice soit tenu de publier un énoncé détaillé concernant la compatibilité du projet de loi avec la Charte. Un tel énoncé expliquerait le raisonnement permettant de déterminer dans quelle mesure, selon la prépondérance des probabilités, le projet de loi est conforme aux objectifs et aux dispositions de la Charte. On y ferait état : des droits qui sont touchés par le projet de loi, le cas échéant; des motifs sur lesquels s’appuie le gouvernement pour justifier une atteinte potentielle aux droits en vertu de l’article premier de la Charte; des « critères », des facteurs et des mesures de rechange raisonnables pris en considération pour en arriver à cette conclusion; des éléments de jurisprudence pertinents; et, le cas échéant, du fait que le projet de loi va à l’encontre des normes et des précédents établis 84.
James B. Kelly, spécialiste des droits de la personne et des processus législatifs et professeur à l’Université Concordia, a préconisé des changements similaires 85.
La ministre de la Justice a, à titre volontaire, déposé des énoncés concernant la Charte relativement aux projets de loi qu’elle a présentés à la Chambre des communes 86. Aucun énoncé concernant la Charte n’a été publié relativement aux projets de loi présentés par les autres ministres. Un énoncé concernant la Charte présente les principales considérations qui ont servi de base à l’examen de la conformité d’un projet de loi avec la Charte. Il précise les droits et libertés prévus par la Charte auxquels le projet de loi pourrait porter atteinte, et donne une brève explication des atteintes éventuelles, en fonction des mesures proposées.
Dans d’autres pays, tels que le Royaume‑Uni, la Nouvelle‑Zélande et l’Australie, lorsqu’un gouvernement présente un projet de loi, il doit soumettre à l’Assemblée législative une analyse fondée sur les droits 87. En Nouvelle‑Zélande, par exemple, au titre de l’article 7 de la New Zealand Bill of Rights Act 1990, le procureur général est tenu de « porter à l’attention de la Chambre des représentants toute disposition du projet de loi qui semble incompatible avec les droits et libertés reconnus dans la Déclaration des droits 88 ». Bien que cela puisse sembler comparable à l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice présentement en vigueur au Canada, en Nouvelle‑Zélande les rapports détaillés (désignés sous le nom de rapports au titre de l’art. 7) sont soumis à la Chambre des représentants et rendus publics. De plus, même dans les situations où on arrive à la conclusion que le projet de loi est compatible avec la New Zealand Bill of Rights Act 1990, les avis formulés par les fonctionnaires au procureur général sont rendus publics depuis 2003 89. Ces pratiques s’appliquent à la fois aux projets de loi d’initiative gouvernementale et aux autres projets de loi.
Au Royaume‑Uni, l’article 19 de la Human Rights Act 1998 comporte une exigence similaire visant la préparation d’un énoncé de compatibilité avec cette Loi 90. Les notes explicatives associées à tout projet de loi d’initiative gouvernementale et à certains projets de loi d’initiative parlementaire renferment des analyses concernant la compatibilité avec la Human Rights Act 1998; toutefois, il semble que ces renseignements soient plus limités que ceux fournis en Nouvelle‑Zélande.
En Australie, suivant l’article 8 de la Human Rights (Parliamentary Scrutiny) Act 2011, la personne qui présente un projet de loi doit certifier que ce dernier est compatible avec les droits de la personne 91. Toujours en Australie, dans l’État de Victoria, l’article 28 de la Charter of Human Rights and Responsibilities Act comporte une disposition qui exige la préparation d’un énoncé sur la compatibilité de tout projet de loi avec les droits de la personne garantis par certains traités internationaux en matière de droits de la personne. Cette disposition exige des renseignements plus détaillés que ne le font les lois semblables dans d’autres pays, à savoir expliquer en quoi le projet de loi est compatible avec les droits de la personne et, si une section du projet de loi n’est pas compatible, exposer la nature et l’ampleur de cette incompatibilité (toutefois, la présentation d’une explication de ce genre semble être la pratique dans les autres pays). En outre, la disposition précise qu’un énoncé de compatibilité ne lie pas les cours et les tribunaux 92.
L’article 73 du projet de loi C‑51 ajoute l’article 4.2 à la Loi sur le ministère de la Justice. Suivant ce nouvel article, le ministre de la Justice est tenu de déposer, pour chaque projet de loi d’initiative gouvernementale présenté soit à la Chambre des communes ou au Sénat, un énoncé faisant état de tout effet possible du projet de loi sur les droits et libertés garantis par la Charte. Il faut présenter un tel énoncé, peu importe si le ministre a relevé ou non des incompatibilités avec la Charte, à la suite de l’examen prévu à l’article 4.1. Le but de l’énoncé est d’aviser les membres du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que le public, de tout effet possible de la proposition législative sur les droits et libertés garantis par la Charte. Le nouvel article ne renferme aucune précision additionnelle sur le contenu d’un tel énoncé. Suivant l’article 75 du projet de loi (Dispositions transitoires), il est clair que l’exigence de soumettre un énoncé concernant la Charte s’applique seulement aux projets de loi présentés après l’entrée en vigueur de l’article 4.2. Cet article entrera en vigueur un an après le jour où le projet de loi C‑51 recevra la sanction royale.
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
La suppression des dispositions désuètes ou ayant été déclarées inconstitutionnelles est un bon point de départ pour la révision et la modernisation du Code criminel, quoiqu’il faudrait en faire bien davantage pour rendre cette loi claire, cohérente et exhaustive. Le comité demande au gouvernement du Canada, comme il l’a fortement souligné dans le passé, de procéder à une réforme et à une modernisation plus approfondie du Code criminel.[ Retour au texte ]
On ne peut prétendre de celui qui affirme en toute honnêteté une chose qu’il croit être une revendication légitime qu’il agit sans « apparence de droit », même si cela peut n’être fondé ni en droit ni en fait […] Le terme « apparence de droit » sert aussi à désigner une croyance honnête quant à un état de fait qui, s’il avait effectivement existé, aurait en droit justifié ou excusé le geste posé […] Lorsqu’il est utilisé dans ce dernier sens, le terme n’est que l’application de la doctrine de l’erreur de fait.Puis il ajoute :
Pour qu’il puisse déclencher l’application de la défense d’apparence de droit, un accusé a le fardeau de démontrer la « vraisemblance » de ce moyen de défense invoqué — c.‑à‑d. de démontrer qu’il existe certains éléments de preuve susceptibles de soulever un doute raisonnable quant à l’apparence de droit dans l’esprit d’un juge des faits qui a reçu des directives appropriées et qui agit raisonnablement […] Une fois cet obstacle franchi, il revient au ministère public de réfuter le moyen de défense hors de tout doute raisonnable.Voir R. c. Simpson, 2015 CSC 40, par. 31 et 32. Voir aussi R. c. DeMarco (1973), 13 C.C.C (2d) 369 (C.A. Ont.), p. 372. [ Retour au texte ]
S’il existait une preuve de plainte immédiate, la plaignante devait surmonter des exigences strictes relativement à l’admissibilité de cette preuve. Dans le cas où cette preuve était jugée admissible, elle servait à démontrer que le témoignage de la plaignante était cohérent, mais elle n’était pas admise pour en établir la véracité. L’importance de cette règle de common law ne tient pas au fait qu’elle permet d’accroître la crédibilité de la plaignante, mais plutôt au fait qu’elle permet de réfuter la présomption que la plaignante ment. Par conséquent, dans une large mesure, le mythe que, dans une affaire d’agression sexuelle, la plaignante fabrique ses allégations venait renforcer la doctrine de la plainte immédiate.Voir R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577. Voir aussi Timm c. La Reine, [1981] 2 RCS 315, où les principes de la doctrine sont traités en détail. Plus récemment, voir l’arrêt R. c. D.D., [2000] 2 R.C.S. 275, par. 65. [ Retour au texte ]
© Bibliothèque du Parlement