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Le projet de loi C‑4, Loi modifiant le Code criminel (thérapie de conversion) 1 a été déposé à la Chambre des communes le 29 novembre 2021 par le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable David Lametti. Il a été adopté à l’unanimité par la Chambre des communes le 1er décembre 2021 et a franchi l’étape de la première lecture au Sénat le lendemain. Il a été adopté à l’unanimité par le Sénat le 7 décembre 2021. Il a reçu la sanction royale le 8 décembre 2021.
Le ministre avait déjà présenté deux projets de loi semblables. Le projet de loi C‑8 a été déposé pendant la 1re session de la 43e législature 2, mais est mort au Feuilleton à la prorogation du Parlement le 18 août 2020. Le projet de loi C‑6 a été déposé pendant la deuxième session de la même législature 3, mais est lui aussi mort au Feuilleton à la dissolution du Parlement le 15 août 2021. L’ancien projet de loi C‑6 est traité plus en détail à la section 1.2.5.2 du présent résumé législatif 4.
Le terme « thérapie de conversion », défini dans le projet de loi C‑4 et paraphrasé par le ministère de la Justice, s’entend de
tout service, pratique ou traitement conçu pour modifier l’orientation sexuelle d’une personne pour la rendre hétérosexuelle, changer son identité de genre pour qu’elle soit cisgenre ou changer son expression de genre pour qu’elle corresponde au sexe qui lui a été attribué à la naissance. Cela comprendrait également les services, pratiques ou traitements conçus pour réprimer ou diminuer l’attirance ou le comportement sexuel non hétérosexuel, ou l’expression de genre qui ne correspondent pas au sexe attribué à la naissance, ou encore pour réprimer l’identité de genre non cisgenre 5.
Le projet de loi C‑4 énonce en préambule que la thérapie de conversion cause des préjudices aux personnes qui y sont soumises. Plus globalement, elle cause des préjudices à la société, notamment parce elle propage des mythes et des stéréotypes au sujet de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre et de l’expression de genre, « dont le mythe selon lequel l’hétérosexualité, l’identité de genre cisgenre et une expression de genre conforme au sexe assigné à la naissance sont à privilégier ». Par conséquent, le projet de loi vise à protéger « la dignité humaine et l’égalité des Canadiens et Canadiennes ».
Le projet de loi C‑4 modifie le Code criminel (le Code) 6 de manière à interdire, notamment, à quiconque :
Le projet de loi C‑4 ajoute aussi des dispositions pour autoriser les tribunaux à rendre certaines ordonnances liées à la promotion de la thérapie de conversion, comme le fait d’exiger le retrait de publicités à propos de services liés à la thérapie de conversion sur Internet ou dans des systèmes informatiques.
Il existe au Canada et ailleurs dans le monde plusieurs définitions de la thérapie de conversion, lesquelles ont évolué au fil du temps. Selon la Société canadienne de psychologie, la thérapie de conversion désigne « toute intervention thérapeutique formelle qui vise à modifier l’orientation sexuelle d’une personne bisexuelle ou homosexuelle dans le but de ramener celle‑ci à l’hétérosexualité 7 ». L’orientation sexuelle est un terme utilisé pour décrire la tendance en matière d’attirance émotionnelle, romantique ou sexuelle d’une personne 8. Cette attirance peut être envers une personne de même sexe (homosexualité) ou de sexe opposé (hétérosexualité), envers les personnes des deux sexes (bisexualité) ou envers ni l’un ni l’autre sexe (asexualité) 9. L’orientation sexuelle diffère de l’identité de genre, qui sera abordée plus loin. L’association américaine de psychologie (American Psychological Association) utilise le terme « efforts de changement d’orientation sexuelle » (sexual orientation change efforts [SOCE]) pour décrire les méthodes qui visent à modifier l’orientation homosexuelle de manière qu’elle devienne une orientation hétérosexuelle 10. Celles‑ci peuvent comprendre des techniques comportementales, des techniques de psychanalyse, des moyens médicaux, ainsi que des démarches spirituelles ou religieuses. Les SOCE sont dirigés tant par des professionnels de la santé mentale que par des profanes, ces derniers comprenant des professionnels religieux, des leaders religieux, des groupes sociaux et d’autres réseaux de profanes, comme des groupes d’entraide 11.
Le terme SOCE s’est élargi pour englober les thérapies qui visent à changer l’identité de genre (sexual orientation and gender identity change efforts [SOGICE]) 12, qui sont des méthodes dont le but est de modifier l’identité ou l’expression de genre d’une personne. L’« identité de genre » est la profonde sensation intérieure et individuelle d’être homme ou femme, ou bien ni homme ni femme 13. L’identité de genre d’une personne peut correspondre ou non au genre habituellement associé au sexe qui lui a été assigné à la naissance, ce dernier étant déterminé d’après les caractéristiques physiologiques et biologiques primaires de la personne à sa naissance 14. Parallèlement, l’« expression de genre » est la manière dont l’identité de genre peut être exprimée par une personne 15. Les efforts visant à changer l’identité et l’expression de genre font intervenir des approches semblables aux efforts qui visent à modifier l’orientation sexuelle. Toutefois, ils ont pour objectif de rendre la personne cisgenre, c’est‑à‑dire faire en sorte que son identité de genre corresponde au sexe biologique assigné à sa naissance 16.
La première thérapie de conversion a été élaborée au XIXe siècle. À l’époque, au Canada, les activités sexuelles entre adultes consentants de même sexe étaient considérées comme un crime qui pouvait mener à une peine d’emprisonnement 17. Dans le domaine de la santé mentale, l’homosexualité était essentiellement perçue comme une pathologie ou une maladie mentale 18. Selon les psychiatres, l’homosexualité était attribuable à une maturité tardive ou à des anomalies génétiques découlant de l’exposition aux hormones durant la grossesse, à la violence parentale ou à l’agression sexuelle 19. Ils ont donc commencé à offrir des traitements afin de corriger ou de soigner l’homosexualité en tant que pathologie. Ces traitements étaient axés sur la dynamique familiale, les techniques d’aversion (électrochocs, de même que nausées et vomissements provoqués), les interventions comportementales (compétences en matière de fréquentations, affirmation de soi et affection à l’égard de l’autre sexe) et les interventions cognitives (recadrage des pensées et des désirs) 20.
Cependant, des travaux réalisés dans les années 1950 et 1960 sur le comportement sexuel humain ont révélé que l’homosexualité était une variante normale du comportement sexuel 21. Dans les années 1960, de grands mouvements de pensée sociétaux à l’égard de l’homosexualité ont amené le Parlement du Canada à adopter des lois qui ont décriminalisé les actes homosexuels commis dans l’intimité entre adultes âgés de 21 ans ou plus 22. Aux États‑Unis, les avancées scientifiques et les changements globaux dans la société concernant les droits des lesbiennes, gais, bisexuels, trans, queers (allosexuels) et bispirituels plus (LGBTQ2+), ont amené l’association américaine de psychologie et l’association américaine de psychiatrie à se pencher sur la littérature scientifique au début des années 1970. Elles ont conclu que l’homosexualité ne pouvait pas être considérée comme un trouble psychologique et l’ont donc retirée, en 1973, du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’association américaine de psychiatrie 23. En 1990, l’Organisation mondiale de la santé a emboîté le pas en retirant l’homosexualité de la Classification statistique internationale des maladies 24 lors de sa 10e révision. Ainsi, dans les années qui ont suivi, la thérapie de conversion est graduellement disparue de la pratique courante en matière de santé mentale 25. Toutefois, certains professionnels de la santé mentale ont continué d’offrir une forme de thérapie de conversion appelée « thérapie réparatrice », et ont fondé l’association nationale de recherche et de thérapie sur l’homosexualité (National Association of Research and Therapy of Homosexuality) 26.
Dans les années 1970, des organismes religieux ont commencé à former des « groupes d’ex‑gais » au sein desquels les personnes ayant des comportements sexuels à l’égard de personnes de même sexe ou des sentiments d’attirance envers des personnes de même sexe avaient l’occasion de guérir sur le plan spirituel grâce à un processus de pénitence et de pardon 27. Ces groupes confessionnels, appelés « ministères des ex‑gais », s’appuyaient sur les théories et les pratiques de conversion psychanalytiques désormais rejetées par la communauté des professionnels en santé mentale, ainsi que sur les pratiques religieuses traditionnelles comme la prière et la lecture biblique 28. Ces services étaient généralement destinés à des personnes appartenant à des communautés protestantes conservatrices qui tentaient d’apaiser le conflit entre leur attirance envers des personnes de même sexe qu’elles et leurs croyances religieuses 29.
Il convient de noter que la démarche prônée par les groupes confessionnels membres du « mouvement des ex‑gais » diffère du counseling pastoral offert de nos jours par de nombreuses organisations confessionnelles, notamment chrétiennes, dans le but de soutenir les personnes LGBTQ2+, mais non à changer leur orientation sexuelle ou leur identité de genre 30.
Les controverses entourant la thérapie de conversion ont amené l’association américaine de psychologie à entreprendre, en 2009, une revue systématique des données scientifiques liées à l’efficacité et aux éventuels effets néfastes de cette thérapie 31. Après avoir analysé la littérature scientifique examinée par des pairs de 1960 à 2006, elle en a conclu que l’orientation sexuelle des personnes exposées aux SOCE n’a pas changé de manière durable dans le temps, et que les changements réels ont été rares ou peu fréquents 32. À l’extérieur d’un environnement clinique, la plupart des participants n’ont pas renoncé à leurs comportements sexuels ni cessé d’éprouver des sentiments ou une attirance envers des personnes de même sexe, et leur exposition aux SOCE n’a pas intensifié non plus leurs comportements sexuels ou leurs sentiments d’attirance envers des personnes de sexe opposé. Les études sur l’incidence des techniques d’aversion ont permis de conclure que les participants ont subi des préjudices graves, tels que la perte de sentiments d’ordre sexuel, la dépression, des idées suicidaires, l’anxiété, ainsi que la dysfonction érectile et relationnelle 33.
L’examen mené par l’association américaine de psychologie a révélé que les études plus récentes sur l’efficacité des techniques non axées sur l’aversion et des démarches confessionnelles qui visent à changer l’orientation sexuelle n’étaient pas rigoureuses sur le plan scientifique 34. Ces études étaient plutôt fondées sur l’auto‑évaluation des avantages, des inconvénients et des changements d’orientation ou d’identité sexuelle perçus. D’autres études énonçaient les préjudices subis du fait de l’exposition aux SOCE, notamment les impacts négatifs sur le plan social ou émotionnel, la détérioration des relations familiales, la perte de soutien social et de la foi, le dysfonctionnement sexuel, les idées suicidaires et la haine de soi 35. Ces études ont été contredites par plusieurs autres études, menées notamment par le Dr Joseph Nicolosi et d’autres personnes, qui ont présenté des cas autodéclarés de différentes personnes qui avaient affirmé avoir ressenti des bienfaits à la suite d’une exposition aux SOCE. Les bienfaits mentionnés comprenaient le soulagement, le bonheur, une meilleure relation avec Dieu et une amélioration perçue de la santé mentale 36. Toutefois, il convient de noter que les sujets de ces études étaient majoritairement des hommes qui avaient précisé que la religion était d’une importance centrale dans leur vie 37.
À la lumière du peu de preuves scientifiques démontrant l’efficacité de la thérapie de conversion, ainsi que des risques importants de préjudice, nombre d’organisations professionnelles de la santé, comme la Société canadienne de psychologie (SCP), l’Association des psychiatres du Canada 38, l’association américaine de psychiatrie, l’association américaine de psychologie et d’autres organisations professionnelles de la santé ont dénoncé la thérapie de conversion 39. Selon la SCP, la recherche scientifique ne permet pas de conclure que la thérapie de conversion est efficace 40. De plus, cette thérapie « est susceptible d’entraîner des résultats négatifs, comme la détresse, l’anxiété, la dépression, l’image négative de soi, un sentiment d’échec personnel, la difficulté à maintenir des liens et le dysfonctionnement sexuel 41 ». Pour sa part, la Société canadienne de pédiatrie recommande en particulier de ne pas faire subir de thérapie de conversion aux personnes d’âge mineur, affirmant que cette thérapie exacerbe l’anxiété et le sentiment de culpabilité chez les adolescents qui tentent de composer avec leur orientation ou leur identité sexuelles, ce qui entraîne de piètres résultats sur le plan de la santé mentale 42.
À l’échelle internationale, 12 entités des Nations Unies ont publié une déclaration commune en 2015, enjoignant aux États de mettre fin à la violence à l’endroit des personnes LGBTQ2+. Selon la déclaration, cette violence comprend la « violence en milieu médical, y compris sous forme de soi‑disant “thérapies” nocives et contraires à l’éthique visant à modifier l’orientation sexuelle 43 ». En 2020, l’expert indépendant des Nations Unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre a publié un rapport sur la thérapie de conversion dans lequel il a fait observer que cette thérapie a des répercussions avilissantes et dégradantes sur les personnes qui la subissent, puisqu’elle traite les personnes LGBTQ2+ « comme des êtres humains inférieurs ». En outre, elle peut « être assimilée à des actes de torture selon les circonstances, à savoir la gravité des souffrances physiques et mentales infligées 44 ». L’expert indépendant demandait une interdiction à l’échelle mondiale de la thérapie de conversion, une interdiction qui devrait s’appuyer sur une définition claire des pratiques visées par l’interdiction, l’interdiction de la publicité, l’instauration d’un système de sanctions en cas de non‑respect de l’interdiction et la mise en place de mécanismes permettant aux victimes d’avoir accès à toutes les formes de réparation 45.
Des données récentes laissent entendre que l’exposition à une quelconque forme de thérapie de conversion au Canada demeure un problème important, mais sous‑déclaré. Selon une enquête publiée en 2019 par la Trans PULSE Canada Team, 11 % des 2 033 personnes transgenres et non binaires sondées ont révélé avoir subi une thérapie de conversion 46. Selon une étude canadienne publiée en 2021 dans la revue PLOS ONE 47, fondée sur des données recueillies par le Centre de recherche communautaire dans le cadre de son enquête Sexe au présent de 2019 48, 21 % des 9 214 répondants « ont indiqué qu’eux‑mêmes ou une personne en situation d’autorité (par exemple, un parent, un soignant) avaient déjà essayé de changer leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, et 10 % ont fait l’expérience » de pratiques de thérapie de conversion. Les réponses étaient plus nombreuses chez les répondants non binaires (20 %) et transgenres (19 %), et 67 % d’entre eux ont vécu leur expérience dans des contextes religieux/confessionnels (67 %) ou dans le bureau de fournisseurs de soins de santé autorisés (20 %) 49.
Selon une étude menée en 2020 au sujet de l’enquête Sexe au présent de 2011‑2012, environ 3,5 % des 8 388 hommes issus d’une minorité sexuelle 50 interrogés ont été soumis à une thérapie de conversion au Canada 51. L’enquête révèle que 78,3 % des personnes qui ont été exposées à une telle thérapie l’avaient été plus d’un an avant l’étude, mais également que 7,9 % des personnes exposées l’avaient été au cours des 12 mois précédant l’étude, ce qui laisse entendre que cette pratique a toujours cours au Canada. L’enquête a par ailleurs révélé que l’exposition à la thérapie de conversion est associée à d’importants préjudices, comme la solitude, la consommation régulière de drogues illicites, les idées suicidaires et les tentatives de suicide.
Il convient de noter que les données utilisées dans le cadre des études susmentionnées sont limitées en ce qu’elles n’englobent pas les femmes issues d’une minorité sexuelle au Canada 52.
En présentant le projet de loi C‑4, le gouvernement fédéral s’appuie sur le pouvoir du Parlement de légiférer en matière criminelle, conformément au paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 53. La Cour suprême du Canada a déterminé que, pour relever de la compétence du Parlement en matière de droit criminel, une loi doit contenir des interdictions assorties de sanctions pénales et viser un objectif public (comme la paix, la sécurité, la santé ou la moralité) 54. En outre, puisque les soins de santé relèvent majoritairement de la compétence des provinces, les lois criminelles liées à la protection de la santé doivent s’attaquer à un « mal légitime pour la santé publique 55 ».
Quelques gouvernements provinciaux et certaines administrations municipales ont déjà donné suite aux risques que posent la thérapie de conversion ou certaines activités connexes en les interdisant ou en les restreignant, à l’intérieur des limites de leur compétence. Bien que ces mesures restreignent ou découragent cette pratique, elles ne la criminalisent pas, car cela relèverait de la compétence fédérale.
En vertu de leurs pouvoirs en matière de « propriété et [de] droits civils dans la province », énoncés au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, les provinces peuvent réglementer les activités des professionnels de la santé et la prestation de l’assurance maladie 56. À ce jour, l’Ontario 57, la Nouvelle‑Écosse 58, l’Île‑du‑Prince‑Édouard 59 et le Yukon 60 ont adopté des lois interdisant aux professionnels de la santé réglementés de fournir des traitements ou des services qui visent à changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne âgée de moins de 18 ou de 19 ans, selon la province 61. Le Québec a également adopté une loi qui interdit le fait de faire subir des thérapies de conversion à des personnes, peu importe leur âge 62. Ces lois interdisent également que la thérapie de conversion soit considérée comme un soin de santé assuré au titre des régimes publics dans ces provinces ou territoires 63.
En Nouvelle‑Écosse, la loi sur la protection de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre interdit à une personne en situation de confiance ou d’autorité vis‑à‑vis d’un jeune de soumettre ce dernier à une thérapie de conversion (appelée « effort de changement » dans la loi) 64. Elle permet cependant d’offrir une thérapie de conversion aux mineurs matures âgés de 16 ans ou plus à condition qu’ils consentent au traitement 65. En Ontario, la thérapie de conversion n’est pas interdite pour les adultes ou pour les jeunes de moins de 18 ans qui ont la capacité de consentir au traitement et qui y consentent 66. En Ontario comme en Nouvelle‑Écosse, les parents, tuteurs et autres mandataires ne peuvent pas donner leur consentement à une thérapie de conversion au nom d’une autre personne 67. À l’Île‑du‑Prince‑Édouard, la loi interdit à un mandataire de consentir à une thérapie de conversion au nom d’un patient incapable 68. Au Yukon, un décisionnaire adjoint n’a pas le pouvoir de donner le consentement à une thérapie de conversion pour une personne et il est interdit de fournir une thérapie de conversion à un adulte pour lequel un tuteur a été nommé 69.
Les définitions et les termes utilisés peuvent différer, mais ces lois ou projets de loi de l’Ontario, de la Nouvelle‑Écosse, de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, du Québec et du Yukon précisent en substance, selon un libellé qui leur est propre, que la thérapie de conversion ne comprend pas ce qui suit :
a) les services consistant à offrir acceptation, soutien ou compréhension à une personne, ou à faciliter l’adaptation, l’accompagnement social ou l’exploration ou le développement identitaires de celle‑ci;
b) la chirurgie de changement de sexe ou tout service qui s’y rapporte70.
Le Manitoba n’a pas adopté de loi, mais plutôt une politique énonçant que « la thérapie de conversion n’a pas sa place dans le système de soins de santé public de la province 71 ». Dans d’autres provinces et territoires où il n’existe actuellement aucune législation en la matière, certaines municipalités (dont les pouvoirs leur sont délégués par la province) ont adopté des règlements administratifs interdisant aux entreprises d’offrir des thérapies de conversion, d’en faire la publicité ou d’obtenir une rétribution en échange de telles thérapies 72. Par exemple, la ville de Vancouver, en Colombie‑Britannique, a adopté le règlement administratif intitulé By‑law No. 12147, A By‑law to Amend Business Prohibition By‑law No. 5156 Regarding Conversion therapy, qui interdit aux entreprises de la ville de « demander des frais pour la prestation de tout service visant à changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne 73 ». D’autres municipalités ont adopté des règlements administratifs plus généraux. Par exemple, le règlement administratif no 19061 d’Edmonton interdit aux entreprises d’offrir des thérapies de conversion, qu’elles soient rémunérées ou non pour la prestation de telles thérapies 74. Ce règlement définit aussi les entreprises au sens large pour y inclure les associations de personnes ainsi que les organisations à but lucratif et non lucratif 75.
Comme il est mentionné ci‑dessus, le projet de loi C‑4 ressemble à deux projets de loi du gouvernement portant le même nom, présentés pendant la 43e législature et morts au Feuilleton, en l’occurrence le projet de loi C‑8, présenté au cours de la première session, et le projet de loi C‑6, présenté pendant la deuxième session. Si le projet de loi C‑8 n’a franchi que l’étape de la première lecture durant la première session de cette législature, le projet de loi C‑6 a quant à lui été adopté par la Chambre des communes, après avoir été modifié par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre (le comité JUST) 76. Cependant, il est mort au Feuilleton au Sénat à la dissolution de la 43e législature.
L’ancien projet de loi C‑6 se distinguait du projet de loi C‑4 de plusieurs façons, notamment à l’égard des nouvelles infractions criminelles qu’il proposait. S’il avait été adopté, il aurait fait en sorte que quiconque fait suivre une thérapie de conversion à une personne âgée de moins de 18 ans commet une infraction. En d’autres mots, un enfant n’aurait pas pu consentir à suivre une thérapie de conversion, pas plus qu’un parent ou un tuteur n’aurait pu le faire en son nom. Pour un adulte, il aurait seulement rendu illégal le fait de faire suivre une thérapie de conversion à une personne « sans son consentement ». Cela signifie qu’il aurait été légal de fournir une thérapie de conversion à un adulte consentant dans la mesure où cela ne l’aurait pas été pour bénéficier d’un avantage matériel ou pécuniaire. À l’instar du projet de loi C‑4, le projet de loi C‑6 n’a pas érigé en infraction criminelle le fait pour une personne de demander ou de recevoir une thérapie de conversion. La définition de thérapie de conversion contenue dans le projet de loi C‑6 avait une portée similaire à celle du projet de loi C‑4, mais utilisait des formulations et des mots différents 77.
Avant les projets de loi C‑8 et C‑6, le projet de loi S‑260, Loi modifiant le Code criminel (thérapie de conversion), a été déposé au Sénat par l’ancien sénateur Serge Joyal et y a franchi l’étape de la première lecture le 9 avril 2019 78. Il est mort au Feuilleton le 11 septembre 2019 à la dissolution de la 42e législature en vue du déclenchement de l’élection générale de 2019.
Le projet de loi S‑260 aurait modifié le Code de manière à « protéger » les Canadiens et Canadiennes, en particulier les jeunes, contre « les dommages causés par les pratiques et traitements visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’un individu 79 ». Le projet de loi aurait ajouté au Code le nouveau paragraphe 172.01(2), en vertu duquel la publicité pour offrir une thérapie de conversion aurait constitué une infraction mixte. De plus, le nouveau paragraphe 172.01(3) du Code aurait qualifié d’infraction mixte le fait de bénéficier d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, provenant ou ayant été obtenu, directement ou indirectement, de la prestation d’une thérapie de conversion à une personne âgée de moins de 18 ans. Une personne reconnue coupable de l’une ou l’autre de ces infractions mixtes aurait pu être condamnée à une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans sur acte d’accusation ou à une peine d’emprisonnement maximale de deux ans moins un jour sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Comme il a été mentionné à la section 1.1 du présent résumé législatif, le préambule du projet de loi C‑4 établit sa prémisse et son objet 80. Il énonce que les thérapies de conversion causent des préjudices aux personnes qui y sont soumises. Il ajoute qu’elles causent des préjudices plus larges à la société, notamment parce qu’elles
se fondent sur des mythes et stéréotypes qu’elles contribuent à propager au sujet de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre et de l’expression de genre, dont le mythe selon lequel l’hétérosexualité, l’identité de genre cisgenre et une expression de genre conforme au sexe assigné à la naissance sont à privilégier.
Le projet de loi C‑4 vise à s’attaquer à ces préjudices ainsi qu’à en « décourager et [en] dénoncer la prestation pour protéger la dignité humaine et l’égalité des Canadiens et Canadiennes ». Les dispositions qui suivent le préambule visent l’atteinte de cet objectif en criminalisant la prestation de la thérapie de conversion et certains aspects qui y sont liés.
L’article 5 du projet de loi C‑4 ajoute trois articles au Code, lesquels interdisent les pratiques et activités de base liées à la prestation d’une thérapie de conversion :
Ces nouvelles dispositions sont insérées à la fin de la partie VIII du Code, qui aborde les « Infractions contre la personne et la réputation ». La négligence criminelle, l’homicide, l’enlèvement et le trafic des personnes ainsi que la propagande haineuse figurent également au nombre des autres infractions abordées dans cette partie.
Le premier nouvel article du Code en vertu du projet de loi C‑4 est l’article 320.101, qui définit la « thérapie de conversion » comme une pratique, un traitement ou un service qui vise :
On y indique par ailleurs qu’« il est entendu » que la définition de « thérapie de conversion » ne vise pas les pratiques, les traitements ou les services qui se rapportent à
l’exploration et au développement d’une identité personnelle intégrée – notamment ceux qui se rapportent à la transition de genre d’une personne – et qui ne sont pas fondés sur la supposition selon laquelle une quelconque orientation sexuelle, identité de genre ou expression de genre est à privilégier.
Le terme « cisgenre » est introduit dans la loi canadienne au nouvel article 320.101 du Code, bien que ce terme ne soit pas défini dans le projet de loi. Comme il a été mentionné à la section 1.2.1 du présent résumé législatif, ce terme désigne une personne dont l’identité de genre correspond au sexe qui lui a été assigné à la naissance 81.
Le nouvel article 320.102 du Code érige en infraction le fait de faire suivre sciemment une thérapie de conversion à une personne, notamment en la lui fournissant. Le mot « sciemment » fait référence à l’intention coupable (c.‑à‑d. la mens rea) ou à la conscience requise pour condamner un accusé : l’accusé devait savoir qu’il faisait suivre la thérapie à une personne ou qu’il la lui fournissait pour être condamné. En d’autres termes, le procureur de la Couronne doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l’accusé savait que l’activité en question constituait une thérapie de conversion.
Les personnes reconnues coupables d’une infraction aux termes de ce nouvel article sont passibles, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans moins un jour ou, sur mise en accusation, d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans.
Le nouvel article 320.103 du Code érige en infraction le fait de faire sciemment de la promotion ou de la publicité pour une thérapie de conversion. Les personnes reconnues coupables en vertu de cet article sont passibles, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans moins un jour ou, sur mise en accusation, d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans.
Le nouvel article 320.104 du Code érige en infraction le fait de bénéficier d’un avantage matériel, notamment pécuniaire 82, en sachant que cet avantage provient ou a été obtenu, directement ou indirectement, de la prestation de thérapies de conversion. Les personnes reconnues coupables en vertu de cette disposition sont passibles, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans moins un jour ou, sur mise en accusation, d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans.
Les nouveaux articles 320.103 et 320.104 reprennent essentiellement les termes utilisés aux articles 286.2 et 286.4 du Code, respectivement, interdisant la prestation de services sexuels contre rétribution et la publicité pour offrir des services sexuels 83. Ces dispositions s’inscrivent dans l’approche du Canada en matière de prostitution, où certaines activités sont criminalisées pour dissuader et dénoncer la pratique, mais où d’autres éléments ne sont pas interdits, de manière à atteindre d’autres objectifs, comme la protection des travailleurs du sexe.
Le projet de loi C‑4 ne criminalise pas le fait de suivre une thérapie de conversion.
Alors que l’ancien projet de loi C‑6 faisait l’objet d’un débat à la Chambre des communes, la définition de la thérapie de conversion a beaucoup retenu l’attention, tant au Parlement que dans les médias. Par exemple, certains témoins ayant comparu devant le Comité de la justice ont déclaré que la définition était trop large et qu’elle pouvait involontairement englober les conseils, les discussions ou les conversations privées sur la sexualité et le genre, qu’ils soient fournis par des conseillers, des membres de communautés religieuses ou même des amis et des membres de la famille 84.
Le ministre Lametti et le ministère de la Justice ont formulé des observations sur le genre de comportement qui est ou qui n’est pas considéré comme criminel au sens de l’ancien projet de loi C‑6 ou du projet de loi C‑4. Selon l’Énoncé concernant la Charte déposé à la Chambre des communes par le ministre pour le projet de loi C‑4 :
L’infraction proposée serait limitée aux « pratiques, traitements ou services », qui supposent tous une intervention établie ou formalisée. Elle ne criminaliserait pas les conversations dans lesquelles une personne exprime une opinion sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou l’expression de genre, à moins que cette conversation ne fasse partie d’une intervention visant à rendre une personne hétérosexuelle ou cisgenre. Les interventions qui soutiennent l’exploration et le développement de l’identité d’une personne ne seraient pas interdites, à condition qu’elles ne soient pas fondées sur l’hypothèse qu’une orientation sexuelle, une identité de genre ou une expression de genre particulière doit être privilégiée par rapport à une autre 85.
Le ministère de la Justice a également ajouté que le projet de loi C‑4 ne criminaliserait pas « les interventions liées à la transition sexuelle » ou « qui ne constituent pas des pratiques, des traitements ou des services, comme l’expression d’avis personnels sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou l’expression de genre » 86.
Voilà ce qu’a aussi affirmé le ministre lors de sa comparution devant le comité JUST au sujet du projet de loi C‑6 :
Nous ne voulons pas criminaliser les conversations légitimes qui visent à accompagner une personne dans une démarche, que ce soit par un pasteur ou un membre de la famille – entre des parents et leurs enfants, ou des grands‑parents et leurs petits‑enfants, par exemple –, et qui découlent d’une question du type « qui suis‑je et comment puis‑je m’épanouir dans ce cadre? » 87.
Il a également expliqué comment les mots « traitements », « services » et « pratiques » sont utilisés dans le Code et dans diverses autres lois fédérales et provinciales, notamment dans les définitions de la thérapie de conversion contenues dans les lois provinciales relatives à la thérapie de conversion.
Le projet de loi C‑4 ajoute plusieurs dispositions liées aux mandats et à la saisie, à la disposition et à la destruction de la matière liée aux publicités des thérapies de conversion. Elles sont ajoutées au paragraphe « Infractions tendant à corrompre les mœurs » à la partie V du Code, intitulée « Infractions d’ordre sexuel, actes contraires aux bonnes mœurs, inconduite ».
Selon le paragraphe 164(1) du Code, le juge peut délivrer un mandat autorisant la saisie des exemplaires d’une publication ou des copies d’une représentation, d’un écrit ou d’un enregistrement s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il s’agit d’un enregistrement voyeuriste, d’une image intime, d’une publication obscène, de pornographie juvénile ou de la publicité de services sexuels 88.
Les autres paragraphes de l’article 164 portent sur les procédures pour autoriser la confiscation au profit de la Couronne de toute matière saisie à la suite de l’exécution d’un mandat. L’occupant du local où la matière a été saisie ou le propriétaire ou l’auteur de la matière saisie peut s’opposer à cette confiscation. Si le tribunal n’est pas convaincu que la matière répond aux critères énoncés au paragraphe 164(1), il peut alors ordonner qu’elle soit restituée.
Le projet de loi C‑4 ajoute les publicités de thérapies de conversion aux types de matière interdits pour lesquels un mandat peut être délivré et qui peuvent être saisis en vertu de l’article 164 du Code.
Certains termes liés à la matière énoncés au paragraphe 164(1) du Code sont définis au paragraphe 164(8). L’article 1 du projet de loi C‑4 ajoute la définition suivante de la « publicité de thérapie de conversion » :
Tout matériel – enregistrement photographique, filmé, vidéo, sonore ou autre, réalisé par tout moyen, représentation visuelle ou écrit – qui est utilisé pour faire de la publicité en vue d’offrir de la thérapie de conversion en contravention de l’article 320.103.
L’article 2 du projet de loi ajoute les publicités de thérapie de conversion à l’article 164.1 du Code, et permet la prise de mandats de saisie et d’autres procédures lorsqu’une matière interdite de même type que celle visée à l’article 164 est emmagasinée et rendue accessible au moyen d’un ordinateur situé dans le ressort du tribunal.
Le paragraphe 164.1(1) du Code permet au juge de prendre une ordonnance s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il existe une matière emmagasinée et rendue accessible au moyen d’un ordinateur. Cette ordonnance peut viser le gardien de l’ordinateur afin qu’il remette une copie électronique de la matière au tribunal, qu’il s’assure que la matière n’est plus emmagasinée ni accessible au moyen de l’ordinateur ou qu’il fournisse les renseignements nécessaires pour trouver la personne qui a affiché la matière. D’autres paragraphes permettent de détruire la matière, d’autoriser la personne qui a affiché la matière à s’opposer à sa destruction, de procéder à l’audition et à la décision des procédures en l’absence de cette personne, et de restituer la matière s’il a été déterminé qu’il ne s’agissait pas d’une matière interdite.
L’article 273.3 du Code interdit à quiconque de faire passer une personne âgée de moins de 16 ans ou de moins de 18 ans (selon l’infraction) à l’étranger en vue de permettre la commission d’un acte qui constituerait l’une des nombreuses infractions énumérées, la plupart à caractère sexuel. Il s’agit d’une infraction mixte pouvant faire l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation assortie d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans, ou par procédure sommaire pour une durée maximale de deux ans moins un jour.
L’article 4 du projet de loi C‑4 ajoute le nouvel article 320.102 à la liste des infractions énumérées à l’alinéa 273.3(1)c) du Code 89, érigeant en infraction le fait de faire passer à l’étranger une personne âgée de moins de 18 ans résidant habituellement au Canada dans l’intention de lui faire suivre une thérapie de conversion.
La partie VI du Code comprend des dispositions visant à permettre aux policiers et aux agents désignés d’obtenir une autorisation judiciaire pour effectuer une surveillance électronique aux fins des enquêtes criminelles sur les infractions énumérées à l’article 183 du Code (p. ex. facilitation d’une activité terroriste, trafic d’armes, pornographie juvénile, enlèvement d’enfants, trafic de substances et infractions au profit d’une organisation criminelle). L’article 3 du projet de loi C‑4 modifie l’article 183 du Code par l’ajout de deux infractions à la liste :
Aux articles 320.102 à 320.105, thérapie de conversion s’entend d’une pratique, d’un traitement ou d’un service qui vise à modifier l’orientation sexuelle d’une personne pour la rendre hétérosexuelle, à modifier l’identité de genre ou l’expression de genre d’une personne pour la rendre cisgenre ou à réprimer ou à réduire toute attirance ou tout comportement sexuel non hétérosexuels ou toute expression de genre non cisgenre. Il est entendu que la présente définition ne vise pas les pratiques, les traitements ou les services qui se rapportent à l’exploration et au développement d’une identité personnelle intégrée sans privilégier une quelconque orientation sexuelle, identité de genre ou expression de genre.
Comme il est mentionné, cette définition est semblable à celle se trouvant dans le projet de loi C‑4, à quelques différences près en ce qui concerne la formulation. Le projet de loi C‑6 n’excluait toutefois pas de manière explicite les pratiques, les traitements ou les services se rapportant « à la transition de genre d’une personne » (comme le fait le projet de loi C‑4).
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