La Loi sur les langues officielles (LLO) a pour objectif d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada. Par l'entremise de cette loi, des règlements et des politiques en vigueur, les institutions fédérales sont guidées par un certain nombre de principes fondamentaux qui les aident à assurer l'égalité de statut et d'usage de ces deux langues, tant dans leur fonctionnement interne, qu'avec leurs employés et à l'égard du public.
La LLO énonce le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d'être servi par elles dans la langue officielle de son choix. C'est au sujet du secteur des services au public que le commissaire aux langues officielles reçoit le plus grand nombre de plaintes année après année. Le nombre de ces plaintes connaît une hausse constante depuis 2012‑2013. Cela tient notamment au fait que les institutions fédérales ne sont pas bien au courant de leurs obligations en la matière ou qu'elles n'en tiennent pas compte adéquatement dans tous les contextes, y compris l'univers numérique. L'offre active de services dans les deux langues officielles, l'offre de services bilingues aux voyageurs et l'offre de services bilingues par les tiers pour le compte des institutions fédérales font partie des défis à relever.
En 2019, le gouvernement fédéral a apporté des changements aux critères qui guident l'offre de services à la population dans les deux langues officielles. Il a révisé son cadre réglementaire afin que les services offerts au public soient conformes à ce que dicte la LLO. D'ici 2024, un plus grand nombre de Canadiens et de Canadiennes auront la possibilité d'obtenir des services dans la langue officielle de leur choix auprès des institutions fédérales. De plus, en 2023, la LLO a fait l'objet de modifications importantes pour l'adapter aux réalités technologiques, sociodémographiques et juridiques de notre époque. Ces modifications couvrent certains aspects des communications et des services offerts au public en français et en anglais.
La LLO énonce par ailleurs le droit des employés des institutions fédérales de travailler dans la langue officielle de leur choix. Ce droit s'applique seulement dans les régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail. Depuis 2012‑2013, il fait lui aussi l'objet d'un nombre grandissant de plaintes auprès du commissaire aux langues officielles. Des initiatives qui ont vu le jour en 2017 montrent que la culture de la dualité linguistique en milieu de travail n'est pas encore pleinement implantée. Le français demeure sous‑utilisé tant pour les interactions avec les superviseurs et la rédaction de documents que pour la tenue de réunions. Des mesures ont été mises en œuvre pour accroître les responsabilités des gestionnaires et assurer une meilleure surveillance. Les modifications législatives de 2023 ont aussi clarifié certains aspects du droit de travailler en français et en anglais dans les institutions fédérales.
La LLO énonce en outre l'engagement du gouvernement à donner aux Canadiens et aux Canadiennes d'expression française et à ceux et celles d'expression anglaise des chances égales d'emploi et d'avancement au sein des institutions fédérales. Elle prévoit aussi des exigences linguistiques dans le cadre d'un processus de dotation en personnel. Le nombre de plaintes liées à cet enjeu n'a cessé de croître depuis 2012‑2013, forçant le gouvernement fédéral à prendre des mesures pour renverser la tendance. Le commissaire aux langues officielles a toutefois constaté que les progrès en la matière se font attendre. De manière générale, les attentes à l'égard de la gestion des langues officielles sont grandes et les modifications législatives de 2023 apportent de l'espoir pour les années à venir.
En dépit des progrès réalisés dans le domaine, les deux langues officielles n'occupent pas encore une place égale dans la fonction publique fédérale. Les situations d'urgence ou de crise, comme la pandémie de COVID‑19, et l'usage grandissant des technologies en milieu de travail mettent en lumière les défis que doivent surmonter les institutions fédérales pour respecter leurs obligations linguistiques. La modernisation de la LLO a été l'occasion de renforcer les obligations existantes et de préciser les responsabilités des joueurs clés. Cette étude de la Colline fait état des enjeux les plus récents en la matière et attire l'attention sur les enjeux à surveiller au cours des prochaines années.
La présente étude de la Colline décrit les principes fondamentaux qui guident le respect des langues officielles dans la fonction publique fédérale, explique les responsabilités des différents joueurs clés en la matière et aborde un certain nombre d'enjeux qui ont récemment fait l'objet de débats sur le statut du français et de l'anglais au sein des ministères, organismes, agences et sociétés d'État visés par la Loi sur les langues officielles (LLO) 1. Elle traite des modifications apportées à la LLO par l'entremise du projet de loi C‑13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l'usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d'autres lois, qui a reçu la sanction royale le 20 juin 2023 2.
Toutefois, cette étude de la Colline n'aborde pas le nouveau régime linguistique applicable au secteur privé de compétence fédérale, qui fait l'objet d'une loi distincte : la Loi sur l'usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale 3. De plus, bien que la LLO reconnaisse désormais l'importance de travailler à la réappropriation, à la revitalisation et au renforcement des langues autochtones, cette étude de la Colline ne traite pas des efforts récents pour favoriser la reconnaissance des droits linguistiques des employés fédéraux autochtones 4.
La LLO énonce trois grands principes relativement au respect des langues officielles dans la fonction publique fédérale :
Au fil des ans, le gouvernement fédéral a mis en œuvre diverses politiques pour assurer l'application de ces principes au sein des institutions fédérales.
Le premier principe concerne le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d'être servi par celles‑ci dans la langue officielle de son choix. Ce droit est inscrit à l'article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés 5 et dans la partie IV de la LLO. Il suppose que c'est l'État qui doit s'adapter aux besoins linguistiques de la population, et non le contraire. C'est ce que nous appelons le bilinguisme institutionnel.
Tous les bureaux des institutions fédérales ne sont pas tenus d'offrir des services dans les deux langues officielles. Les services sont offerts dans les deux langues lorsque l'emploi du français et de l'anglais :
Le Règlement sur les langues officielles – communications avec le public et prestation des services (Règlement sur les langues officielles) 8 énonce les critères qui permettent de dresser la liste des bureaux et des points de services devant offrir des services bilingues, notamment :
Les bureaux et les points de services visés par le Règlement sur les langues officielles doivent offrir activement leurs services dans les deux langues et en informer le public au moyen d'une signalisation appropriée, d'un avis ou de toute autre documentation pertinente. Les communications avec le public doivent se faire au moyen de médias qui assureront une diffusion efficace de l'information auprès de la clientèle linguistique visée. Les modifications législatives de 2023 ont précisé que ces obligations s'appliquent à toute forme de communication, de publication ou de service offert, que ce soit à l'oral, à l'écrit, par voie électronique, virtuelle ou autre.
Tous les 10 ans, le gouvernement fédéral procède à une révision de l'application du Règlement sur les langues officielles en vue de déterminer les endroits où il y a obligation de fournir des services dans les deux langues officielles, conformément au critère de la demande importante. Elle se fonde sur les données sur les langues officielles tirées du recensement de la population et sur le volume des services offerts à la population. Un exercice de révision de l'application du Règlement sur les langues officielles est en cours et doit se terminer en 2024. Cet exercice tient également compte des révisions réglementaires effectuées en 2019 en vue d'offrir un plus large éventail de services bilingues à la population canadienne 10.
À partir de 2019 et jusqu'en 2024, les institutions fédérales sont appelées à suivre les quatre étapes suivantes et à se conformer à la Directive sur l'application du Règlement sur les langues officielles – communications avec le public et prestation des services 11 :
Les services offerts au public par vidéoconférence sont désormais couverts par le nouveau Règlement sur les langues officielles, un concept renforcé par les modifications apportées à la LLO en 2023. Tout comme c'est le cas pour la LLO nouvellement modifiée, le gouvernement fédéral devra examiner le contenu du Règlement sur les langues officielles et son application tous les 10 ans, et en faire rapport au Parlement 16. Selon les estimations fournies par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT), plus de 700 bureaux fédéraux seraient nouvellement désignés bilingues grâce à ces modifications réglementaires 17.
Le deuxième principe concerne le droit des employés des institutions fédérales de travailler dans la langue officielle de leur choix. Ce droit est inscrit dans la partie V de la LLO. Il s'applique aux régions désignées bilingues, notamment la région de la capitale nationale, certaines parties du nord et de l'est de l'Ontario, la région de Montréal, certaines parties des Cantons de l'Est, de la Gaspésie et de l'ouest du Québec, ainsi que le Nouveau‑Brunswick, comme le montre la figure 1.
Sources : Carte produite par la Bibliothèque du Parlement, 2023, à partir de données de l'Université de Toronto, 1971 Census: Geospatial data and maps; et Gouvernement du Canada, Liste des régions bilingues du Canada aux fins de la langue de travail. Logiciel utilisé : Esri, ArcGIS Pro, version 3.1.2. Contient de l'information visée par la Licence du gouvernement ouvert – Canada et Licence ouverte de Statistique Canada.
Les institutions fédérales doivent favoriser un milieu de travail propice à l'usage des deux langues officielles dans les régions désignées bilingues. Cela suppose que la haute direction communique efficacement dans les deux langues officielles avec les employés de l'institution et qu'elle exerce un leadership pour créer un milieu de travail bilingue. D'ailleurs, les modifications législatives de 2023 ont précisé les responsabilités des gestionnaires et des superviseurs à cet égard.
L'usage du français et de l'anglais doit être encouragé au cours des réunions. Les employés de la fonction publique travaillant dans ces régions utilisent la langue de leur choix pour :
La fonction publique fédérale désigne un certain pourcentage de ses postes bilingues en tenant compte des obligations relatives au service au public et à la langue de travail. En cas d'incompatibilité entre les dispositions sur la langue de travail (partie V de la LLO) et celles sur le service au public (partie IV de la LLO), ces dernières priment 18. Cela dit, les employés bilingues travaillant dans les régions désignées bilingues ont le droit d'être outillés dans le cadre de leur travail pour pouvoir offrir des services de qualité au public dans les deux langues officielles 19. Les employés de la fonction publique ne doivent pas tous être bilingues. Le profil linguistique des postes bilingues est établi selon les fonctions et les responsabilités du poste. Les employés qui occupent un poste bilingue et qui, à la lumière des résultats obtenus à l'Évaluation de langue seconde, satisfont aux exigences de leur poste sont admissibles à la prime au bilinguisme 20.
Contrairement aux précisions apportées quant aux modes de communication, de publication ou de service couverts par la LLO, les modifications législatives de 2023 n'ont pas précisé si les obligations relatives à la langue de travail s'appliquent à la fois en mode présentiel, hybride ou virtuel. Depuis la pandémie de COVID‑19, ces deux derniers modes de travail se sont généralisés au sein de la fonction publique fédérale.
Aucun règlement n'encadre les principes d'application de la partie V de la LLO.
Le troisième principe concerne l'engagement du gouvernement à donner aux Canadiens d'expression française et à ceux d'expression anglaise des chances égales d'emploi et d'avancement dans les institutions fédérales. Cet engagement est inscrit dans la partie VI de la LLO. La fonction publique doit refléter la présence des collectivités francophone et anglophone dans l'ensemble de la population. Le taux de participation des deux groupes linguistiques varie selon le mandat de l'institution, le public à servir, l'endroit où se situent les bureaux et les catégories d'emploi. Selon les principes énoncés à l'article 39 de la LLO, les institutions fédérales ne peuvent ni favoriser l'embauche de représentants d'un groupe linguistique en particulier ni porter atteinte au principe du mérite en matière de dotation du personnel.
Aucun règlement n'encadre les principes d'application de la partie VI de la LLO.
Le président du Conseil du Trésor met en œuvre et surveille l'application des parties IV, V et VI de la LLO. Il fait rapport annuellement au Parlement sur les réalisations des institutions fédérales en matière de langues officielles 21. En 2023, ses responsabilités ont été renforcées et élargies. En plus de ses pouvoirs relatifs au respect des langues officielles dans la fonction publique fédérale, le président du Conseil du Trésor est désormais responsable d'établir les principes d'application touchant à la mise en œuvre des mesures positives et des accords avec les gouvernements provinciaux et territoriaux (partie VII de la LLO). Il est également chargé d'assumer un rôle de premier plan pour la mise en œuvre et la coordination générale de la LLO et doit appuyer le ministre du Patrimoine canadien dans l'exercice de ses responsabilités.
Au fil des ans, le gouvernement fédéral a adopté diverses politiques et lignes directrices pour assurer l'application des trois principes énoncés dans la LLO. L'actuel ensemble de politiques en matière de langues officielles est entré en vigueur le 19 novembre 2012 22. Il a entraîné l'adoption de la Politique sur les langues officielles et de trois directives afin d'aider les institutions concernées à mettre en œuvre cette dernière :
Toutes les institutions fédérales sont assujetties à la politique et à ses trois directives, à l'exception du Sénat, de la Chambre des communes, de la Bibliothèque du Parlement, du Bureau du conseiller sénatorial en éthique, du Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique, du Service de protection parlementaire et du Bureau du directeur parlementaire du budget 23.
En 2021, le gouvernement fédéral s'est engagé à revoir et instaurer de nouveaux instruments de politiques dans la foulée des mesures législatives nouvellement adoptées 24. Il a également annoncé des investissements pour un centre de renforcement de la partie VII de la LLO qui aidera les institutions fédérales à s'acquitter de leurs responsabilités en vertu de cette partie, dont Patrimoine canadien assumera la responsabilité en partenariat avec le Secrétariat du Conseil du Trésor 25.
Les postes désignés bilingues doivent être dotés par des candidats qui satisfont aux exigences linguistiques de ces postes. Depuis mars 2007, cette obligation s'applique également aux postes des niveaux EX‑02 à EX‑05. Depuis juin 2023, la LLO précise que les gestionnaires et les superviseurs doivent être aptes à communiquer avec leurs employés dans la langue officielle de leur choix, sans égard à l'identification linguistique des postes de ces derniers 26. De plus, la LLO n'exige pas la maîtrise des deux langues officielles par les sous‑ministres et les sous‑ministres délégués, mais elle précise désormais qu'ils doivent suivre une formation linguistique au moment de leur nomination 27.
Des exceptions peuvent être faites en vertu du Décret d'exemption concernant les langues officielles dans la fonction publique 28, aux termes duquel une personne déclare par écrit qu'elle :
De plus, la formation linguistique est envisagée comme un outil de perfectionnement professionnel et de progression de carrière accessible à tous les employés de la fonction publique. En 2021, le gouvernement fédéral s'est d'ailleurs engagé à élaborer un nouveau cadre de formation en langue seconde pour la fonction publique adapté aux caractéristiques et aux réalités des apprenants 29.
C'est le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines du SCT qui coordonne le Programme des langues officielles dans les institutions fédérales assujetties aux parties IV, V et VI de la LLO. Ces dernières années, un grand nombre de responsabilités à l'égard de la gestion des langues officielles (p. ex. la formation linguistique, la dotation) avaient été déléguées aux administrateurs généraux des institutions fédérales, mais le pouvoir de délégation aux administrateurs généraux des institutions fédérales a été abrogé par les modifications législatives de 2023 30.
L'évaluation de la conformité des institutions fédérales aux exigences concernant le respect des langues officielles dans la fonction publique fédérale se fait de différentes façons, notamment par le truchement :
Les parties IV et V de la LLO peuvent donner lieu à des plaintes auprès du commissaire aux langues officielles ou à des recours judiciaires devant la Cour fédérale. Il en est de même pour l'article 91 de la LLO, qui traite des exigences linguistiques lors d'une dotation en personnel. Toutefois, aucun recours judiciaire ne peut être formé devant la Cour fédérale en vertu de la partie VI.
La sanction royale du projet de loi C‑13 en 2023 a consacré la plus récente mise à jour de la LLO et a mis un terme à de nombreux débats tenus au Parlement à ce sujet depuis 2017 36. Dans des rapports déposés en 2019, des intervenants avaient recommandé que des changements soient apportés à certains aspects de la LLO qui touchent à la fonction publique 37 et certaines de leurs propositions ont été retenues. D'autres propositions ont été faites dans le contexte de la pandémie de COVID‑19. Voici quelques changements importants à noter :
Dans un document de réforme des langues officielles dévoilé en février 2021, le gouvernement fédéral a également proposé des modifications de nature réglementaire et administrative 40. Toutefois, aucun nouveau règlement pour encadrer le respect des obligations relatives aux langues officielles dans la fonction publique ne devrait être pris pour l'instant, sauf en ce qui concerne la partie VII et les sanctions administratives pécuniaires.
La majorité des plaintes reçues chaque année par le commissaire aux langues officielles portent sur les communications avec le public et la prestation des services 41. Bien que des progrès aient été réalisés dans ce secteur, certains problèmes continuent de survenir, notamment en ce qui concerne l'offre active, les services offerts aux voyageurs en français et en anglais et les services fournis par les tiers pour le compte des institutions fédérales. Cela tient à plusieurs facteurs. En effet, la LLO est parfois mal comprise. Certaines institutions fédérales manquent de volonté pour l'appliquer, tandis que d'autres ont une planification déficiente ou omettent de surveiller les répercussions de leurs actions. Le recours plus fréquent à de nouveaux modes de communication dans l'univers numérique complexifie la situation et suscite de plus en plus de plaintes.
Depuis 2012‑2013, le nombre de plaintes liées à la langue de service a plus que triplé, comme le montre la figure 2. En 2022‑2023, 45 % des plaintes reçues par le commissaire aux langues officielles concernaient la langue de service.
Sources : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Commissariat aux langues officielles (CLO), Rapport annuel 2021‑2022 et CLO, Rapport annuel 2022‑2023.
Le jugement rendu par la Cour suprême du Canada en 2009 dans l'affaire DesRochers c. Canada (Industrie) met l'accent sur l'importance d'offrir des services de qualité égale dans les deux langues officielles 42. Dans la foulée de ce jugement, le SCT a publié une grille d'analyse pour aider les institutions fédérales à appliquer le principe d'égalité réelle à leurs programmes et services 43. En 2019, dans l'affaire Thibodeau c. Air Canada, la Cour fédérale a confirmé que l'égalité des deux langues officielles comporte quatre volets : l'égalité de statut, l'égalité d'usage, l'égalité d'accès et l'égalité de qualité 44. Le principe d'égalité réelle, dont la mise en œuvre a connu de grandes variations au début des années 2010, a trouvé sa place dans la LLO telle que modifiée en 2023. Celle‑ci en fait même l'un des principes clés d'interprétation des droits linguistiques 45.
L'offre active de services en personne demeure l'un des maillons faibles de l'application de la LLO, ce qui peut s'expliquer par un manque de leadership, par des lacunes dans la communication de l'importance de cette obligation ou par les aspects humains liés au service de première ligne. C'est d'ailleurs à ce chapitre que le rendement des institutions fédérales est le plus bas 46. Le commissaire aux langues officielles a constaté que l'offre active n'est pas généralisée dans l'ensemble de celles‑ci et que la situation est particulièrement problématique dans les institutions fédérales qui offrent des services aux voyageurs 47. En outre, le SCT a qualifié l'offre active de défi récurrent et de maillon faible de la mise en œuvre de la LLO, surtout l'offre active en personne 48.
Le commissaire aux langues officielles a publié en juillet 2016 une étude sur l'accueil bilingue dans les institutions fédérales, dans laquelle il décrit les facteurs personnels, organisationnels et sociaux qui ont une incidence sur la décision de faire ou non une offre active de services dans les deux langues officielles 49. Il a par la suite publié un guide sur l'offre active 50. La modernisation de la LLO n'a pas permis de clarifier ce principe comme l'avaient réclamé certains intervenants en 2019, mais des avancées sur la scène provinciale offrent un cadre renouvelé d'interprétation de l'offre active 51.
L'offre de services aux voyageurs a attiré l'attention du commissaire aux langues officielles ces 10 dernières années et continue de soulever des défis. De nombreuses plaintes sont déposées dans ce secteur chaque année. L'utilisation des nouvelles technologies ne garantit pas une prestation de services de qualité égale en français et en anglais, ce qui a poussé le commissaire à recommander l'élaboration de nouveaux outils pour mieux faire respecter la LLO 52. Les modifications législatives de 2023 ont clarifié les obligations linguistiques en la matière, dans le but :
L'inclusion de dispositions linguistiques dans les accords et les contrats conclus avec les tiers et l'offre de services dans les deux langues officielles pour le compte des institutions fédérales connaissent des ratées et requièrent des efforts constants de la part des institutions fédérales 55. Les modifications législatives de 2023 ont clarifié les obligations linguistiques en la matière, dans le but de refléter une décision de la Cour d'appel fédérale rendue en 2022 et de définir en quoi consiste un service offert pour le compte d'une institution fédérale 56.
En septembre 2017, le greffier du Conseil privé a fait paraître un rapport sur l'état du bilinguisme dans la fonction publique fédérale dans lequel étaient formulées des recommandations pour améliorer la place qu'occupent les deux langues officielles en milieu de travail 57. Le Comité des sous‑ministres adjoints sur les langues officielles a reçu le mandat d'y donner suite. Un tableau de bord a permis de suivre le statut de mise en œuvre des recommandations ciblées à court terme (2017‑2019), à moyen terme (2020‑2021) et à long terme (à compter de 2021) 58. Le suivi des recommandations relatives à la formation linguistique et au profil linguistique des postes de supervision a été confié au SCT 59.
Les engagements à l'égard de la langue de travail tardent à se concrétiser. Plusieurs rapports du commissaire aux langues officielles publiés durant les 20 dernières années montrent que le français demeure sous‑utilisé et que l'anglais est prédominant dans la culture organisationnelle de la fonction publique fédérale. Selon ces rapports, les institutions fédérales font piètre figure pour ce qui est de la possibilité d'utiliser la langue officielle de son choix avec son superviseur, dans la rédaction de documents ainsi que pour la tenue des réunions, ce que confirme les rapports annuels du SCT sur les langues officielles publiés en 2022 et 2023 60.
Les Sondages auprès des fonctionnaires fédéraux et les données du Recensement de 2021 ont confirmé cette tendance 61. Cela dit, depuis 2017, les données sur l'utilisation des langues officielles au travail ne sont plus collectées de manière systématique. Cela a poussé le commissaire aux langues officielles à recommander des améliorations, en 2022‑2023, après avoir constaté des problèmes de mesure de la capacité réelle des fonctionnaires fédéraux de travailler dans la langue officielle de leur choix 62.
Par ailleurs, les employés de la fonction publique fédérale éprouvent de l'insécurité linguistique au travail, une situation qui perdure et qui a forcé le SCT à créer un groupe de travail pour examiner la question 63.
En situation d'urgence ou de crise, les institutions fédérales ont encore plus de mal à respecter leurs obligations en matière de langue de travail, ce qui a poussé le commissaire aux langues officielles à présenter des recommandations pour clarifier les procédures à suivre en pareille circonstance 64.
Dans le contexte de la pandémie de COVID‑19, les modes de travail hybrides ou virtuels se sont généralisés au sein de la fonction publique fédérale. Le commissaire aux langues officielles a exprimé des inquiétudes pour ce qui est du respect des droits linguistiques des fonctionnaires fédéraux 65. Les modifications législatives de 2023 n'ont pas précisé que les employés dont le bureau se trouve dans une région désignée bilingue conservent leurs droits linguistiques s'ils travaillent de manière virtuelle à partir d'une région désignée unilingue aux fins de la langue de travail. Elles n'ont pas non plus modifié le concept de régions désignées bilingues. Le commissaire a d'ailleurs ouvert la porte à un élargissement de ce concept, comme l'avaient fait d'autres intervenants durant les débats sur la modernisation de la LLO en 2019. Le but recherché était notamment d'assurer une plus grande cohérence entre les obligations des parties IV et V de la LLO 66.
L'amélioration des capacités linguistiques des employés, le renforcement de la capacité des institutions fédérales en matière de langues officielles et l'expression d'un leadership clair et soutenu sont parmi les éléments envisagés pour assurer un traitement égalitaire des deux langues officielles en milieu de travail. Un ouvrage publié en 2019, qui retrace l'histoire de la mise en œuvre de la politique des langues officielles dans la fonction publique fédérale des années 1960 à nos jours, confirme que le statut de l'anglais demeure prédominant et que cela tient en grande partie au comportement des gestionnaires 67. Les modifications législatives de 2023 suscitent des espoirs en vue d'améliorer la place du français en milieu de travail.
Entre 2012‑2013 et 2022‑2023, le nombre de plaintes liées à la langue de travail a plus que doublé, comme le montre la figure 3. En 2022‑2023, elles représentaient 12 % des plaintes reçues par le commissaire aux langues officielles.
Sources : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Commissariat aux langues officielles (CLO), Rapport annuel 2021‑2022 et CLO, Rapport annuel 2022‑2023.
Le plan d'action du gouvernement du Canada pour les langues officielles pour 2003‑2008 prévoyait des mesures pour rendre la fonction publique exemplaire en matière de langues officielles 68. Le gouvernement avait comme objectif de renforcer la capacité bilingue des fonctionnaires fédéraux et d'améliorer la qualité des services offerts dans les deux langues. Dans les quatre stratégies pangouvernementales qui ont suivi, c'est‑à‑dire la Feuille de route pour la dualité linguistique canadienne 2008‑2013, la Feuille de route sur les langues officielles du Canada 2013‑2018, le Plan d'action pour les langues officielles 2018‑2023 et le Plan d'action pour les langues officielles 2023‑2028 69, la question du respect des langues officielles dans la fonction publique est passée presque inaperçue.
Au fil des ans, un grand nombre de responsabilités en matière de langues officielles ont été déléguées aux administrateurs généraux des institutions fédérales. Des inquiétudes ont été soulevées au sujet de la structure de gouvernance dans la fonction publique, la gestion défaillante des langues officielles et le manque d'activités de surveillance. Dans son rapport annuel 2018‑2019, le commissaire aux langues officielles estimait que les principes suivants devaient faire partie d'une gouvernance renouvelée en matière de langues officielles :
Les modifications législatives de 2023, faites dans le but de répondre aux préoccupations concernant la gouvernance, ont renforcé les capacités d'application et de surveillance du Conseil du Trésor à l'égard des parties IV, V et VI de la LLO et lui ont donné de nouvelles responsabilités en matière de mise en œuvre et de coordination générale de la LLO. Le gouvernement fédéral s'est aussi engagé à :
La gestion des langues officielles au sein des institutions fédérales pose des défis. Notamment, les gestionnaires ont de la difficulté à établir objectivement les exigences linguistiques des postes lors d'une dotation en personnel. Le commissaire aux langues officielles a qualifié ce défi de systémique, le poussant à publier un rapport sur les problèmes liés à la mise en œuvre de l'article 91 de la LLO ainsi qu'un guide à l'intention des gestionnaires sur l'identification linguistique des postes 72.
Les gestionnaires doivent s'assurer que les profils linguistiques des postes qui relèvent d'eux tiennent compte des obligations relatives au service au public et à la langue de travail. En sous‑estimant le niveau de compétence linguistique requis pour doter ces postes, ils risquent de compromettre :
Depuis l'exercice 2019‑2020, le SCT demande aux institutions fédérales de cerner les problèmes associés à la mise en œuvre de l'article 91 de la LLO dans leur bilan sur les langues officielles 74. De son côté, le commissaire aux langues officielles envoie au SCT un rapport trimestriel faisant état des plaintes reçues à cet égard 75. Il lui a d'ailleurs recommandé de revoir les politiques et outils en place, d'offrir une formation adéquate aux gestionnaires et de mettre en place des mécanismes de contrôle et d'évaluation appropriés 76. En 2022‑2023, le commissaire a déploré la lenteur des progrès réalisés et a recommandé au président du Conseil du Trésor de mettre en œuvre un plan d'action qui assurera la conformité des institutions fédérales à l'article 91 de la LLO d'ici juin 2025 77.
Le nombre de plaintes liées aux exigences linguistiques lors d'une dotation en personnel a atteint un sommet inégalé en 2015‑2016, avec un total de 156 plaintes, un chiffre qui n'a cessé de croître par la suite. Depuis 2012‑2013, le nombre de plaintes liées aux exigences linguistiques des postes est près de 24 fois plus élevé, comme le montre la figure 4. Elles représentaient 40 % des plaintes reçues par le commissaire aux langues officielles en 2022‑2023. Dans son rapport sur la mise en œuvre de l'article 91 de la LLO, publié en novembre 2020, le commissaire aux langues officielles a noté que les plaintes fondées en vertu de l'article 91 de la LLO visaient une quantité importante d'institutions fédérales, ainsi que des postes de groupes et de niveaux variés 78.
Sources : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Commissariat aux langues officielles (CLO), Rapport annuel 2021‑2022 et CLO, Rapport annuel 2022‑2023.
En 2013‑2014, le SCT a mené à bien, en collaboration avec Patrimoine canadien, le premier cycle triennal de collecte de données auprès des institutions fédérales concernant la mise en œuvre des parties IV, V, VI et VII de la LLO. Ce processus échelonné sur trois ans s'est amorcé en 2011‑2012 pour s'achever en 2013‑2014, et est mené tous les trois ans depuis dans le but d'assurer une meilleure coordination entre les institutions fédérales. Les institutions fédérales produisent un bilan sur l'atteinte de certains objectifs de la LLO, sous la forme d'une auto‑évaluation de leur performance. Le SCT s'en sert pour produire son rapport annuel sur les langues officielles.
La forme et la fréquence des rapports varient selon la taille et le mandat de l'institution 79. Les petites institutions (moins de 500 employés) remplissent un questionnaire court. Les grandes institutions (500 employés et plus) remplissent un questionnaire long. Parmi l'ensemble des institutions, une vingtaine doit soumettre un bilan au SCT tous les ans; une quarantaine doit soumettre un bilan à Patrimoine canadien tous les ans en raison de la proximité avec le public et du rôle particulier envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Dans son rapport annuel déposé en 2018, le commissaire aux langues officielles a critiqué les outils utilisés par le SCT et Patrimoine canadien et a recommandé de les modifier pour permettre de brosser un portrait plus clair de la situation des langues officielles dans l'ensemble de la fonction publique fédérale 80. En juin 2019, le commissaire a dévoilé le Modèle de maturité des langues officielles conçu pour aider les institutions fédérales à poser un meilleur diagnostic de leur performance dans l'application de la LLO 81. Ce modèle, structuré en trois secteurs d'activité, a cessé de faire l'objet de suivis en 2022‑2023 en raison des modifications apportées à la LLO, mais restera à la disposition des institutions fédérales qui souhaitent l'utiliser 82.
En somme, l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais dans les institutions fédérales n'est toujours pas pleinement assurée, même s'il s'agit d'une exigence inscrite dans l'objet de la LLO. Plusieurs fondent de l'espoir sur les cadres législatif et réglementaire modernisés, ainsi que sur la mise à jour à venir des politiques et de la structure de gouvernance du régime linguistique fédéral, dans le but d'assurer une meilleure conformité à l'esprit et à la lettre de la LLO. Plusieurs enjeux soulevés dans cette étude de la Colline continueront de retenir l'attention au cours des prochaines années, jusqu'à la prochaine révision de la LLO et de ses règlements, prévue dans 10 ans.
Le gouvernement fédéral a brièvement fait mention dans son document de réforme des langues officielles publié en février 2021 de son engagement à tenir compte des langues autochtones dans la fonction publique fédérale, notamment dans son futur cadre de formation en langue seconde pour la fonction publique. Voir Gouvernement du Canada, Français et anglais : Vers une égalité réelle des langues officielles au Canada.
Durant l'étude du projet de loi C‑13, en 2022 et 2023, des suggestions ont été faites pour améliorer la situation des employés fédéraux autochtones, en parallèle aux améliorations apportées au régime des langues officielles dans la fonction publique fédérale. Voir Assemblée des Premières Nations, Projet de loi C‑13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l'usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d'autres lois (286 Ko, 14 pages), Mémoire présenté au Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, 31 octobre 2022; Sommet des Premières Nations, Mémoire présenté au Comité permanent des langues officielles (952 Ko, 10 pages) de la Chambre des communes; Sénat, Comité permanent des langues officielles, Troisième rapport, 13 juin 2023; Sénat, Débats, 14 juin 2023; et Sénat, Débats, 15 juin 2023.
[ Retour au texte ]Le critère de vitalité prévu dans la nouvelle réglementation permet de tenir compte de la présence d'une école primaire ou secondaire de langue officielle minoritaire dans l'aire de service des bureaux fédéraux pour définir l'obligation de ces derniers d'offrir des communications et des services au public dans les deux langues officielles.
La liste des services clés assujettis aux règles générales est élargie pour y inclure la Banque de développement du Canada, les organismes de développement économique régional ainsi que tous les services fournis par les centres de Service Canada et par les bureaux de passeport.
Les données du Recensement de 2021 ont été publiées en 2022. Les institutions fédérales ont jusqu'en 2024 pour appliquer les nouvelles règles en vigueur.
[ Retour au texte ]Au terme du processus, la base de données Burolis précisera pour chaque institution fédérale s'il y a ou non une obligation de communiquer avec le public et d'offrir des services dans les deux langues officielles.
[ Retour au texte ]La Cour fédérale du Canada a confirmé ce principe dans une décision rendue le 30 octobre 2015 : Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230.
[ Retour au texte ]Avec les années, la responsabilité de la formation linguistique a été transférée aux administrateurs généraux des institutions fédérales. Des lacunes dans la prestation des services de formation linguistique et dans la reddition de compte touchant ces services ont été constatées. Depuis 1999, les données sur l'offre de formation linguistique par les institutions fédérales ne sont plus compilées de manière systématique. Selon un rapport publié en 2018 et un article publié en 2023, le calibre et la qualité de la formation linguistique ont diminué. Voir Conseil national mixte, Rapport du Comité des LO sur l'état du bilinguisme dans la fonction publique, 4 septembre 2018; et Lila Mouch‑Essers, « Le français dans la fonction publique : un apprentissage au rabais », ONFR+, 15 mai 2023.
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