Résumé législatif du projet de loi C-7 : Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)

Résumé Législatif
Résumé législatif du projet de loi C-7 : Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)
Julia Nicol, Division des affaires juridiques et sociales
Marlisa Tiedemann, Division des affaires juridiques et sociales
Publication no 43-1-C7-F
PDF 2069, (22 Pages) PDF
2020-03-27

1  Contexte

Le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), a été déposé à la Chambre des communes le 24 février 2020 par le ministre de la Justice et a été adopté en première lecture le même jour 1.

Ce projet de loi inclut la réponse du gouvernement fédéral à la décision rendue par la Cour supérieure du Québec en septembre 2019 dans l’affaire Truchon c. Procureur général du Canada 2, qui portait sur les dispositions du Code criminel fédéral (le Code) relatives à l’aide médicale à mourir (AMM) 3 et sur la Loi concernant les soins de fin de vie 4 du Québec. Dans sa décision, la Cour a déclaré contraire à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) la disposition du Code selon laquelle une personne ne peut être admissible à l’AMM que si « sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible ».

Certaines modifications apportées au Code par le projet de loi C-7 tiennent aussi compte de questions soulevées depuis l’ajout des premières dispositions sur l’AMM dans le Code, en 2016. Le projet de loi modifie les dispositions du Code sur l’AMM en établissant un ensemble distinct de mesures de sauvegarde pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible et en apportant certaines modifications aux mesures de sauvegarde qui s’appliquent lorsque la mort naturelle est raisonnablement prévisible.

Le projet de loi modifie également les critères d’admissibilité pour préciser que la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap pour la détermination de l’admissibilité à l’AMM.

Après le dépôt du projet de loi C-7, le ministère de la Justice a présenté en mars 2020, un rapport sur les résultats des consultations tenues en janvier et en février de la même année par le gouvernement fédéral sur l’AMM. Ces consultations visaient à recueillir l’opinion des Canadiens sur l’AMM, notamment sur le fait de la rendre accessible ou non aux personnes dont la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale 5.

1.1  Carter c. Canada (Procureur général) et études réalisées dans le sillage de l’arrêt Carter

Les dispositions du Code relatives à l’AMM ont été présentées pour la première fois en 2016 par l’entremise du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) 6.

Le gouvernement a déposé le projet de loi C-14 en réponse au jugement rendu par la Cour suprême du Canada en février 2015 dans l’affaire Carter c. Canada (Procureur général) (l’arrêt Carter7. Dans l’arrêt Carter, la Cour a établi que l’article 14 et l’alinéa 241b) du Code, qui interdisaient d’aider quelqu’un à se donner la mort, portaient atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité, prévus par la Charte, de la personne qui voulait accéder à l’aide à mourir. Par conséquent, elle a déclaré ces dispositions invalides. La Cour a suspendu la prise d’effet de la déclaration d’invalidité pour un an, puis l’a prorogée de quatre mois à la demande du procureur général du Canada.

En août 2015, le gouvernement fédéral a créé le Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada. Le Comité avait pour mandat initial de mener des consultations sur les questions relatives à l’aide à mourir et de formuler des recommandations sur les options législatives. Toutefois, son mandat a ensuite été revu et le Comité a été chargé à la place de résumer les principales constatations effectuées à la suite des consultations. Le Comité a publié son rapport final en décembre 2015 8. Parallèlement, un Groupe consultatif provincial-territorial d’experts sur l’aide médicale à mourir a été mis sur pied en août 2015 et a présenté son rapport final contenant 43 recommandations, le 30 novembre 2015 9.

En décembre 2015, un comité mixte spécial composé de députés et de sénateurs a été créé. Le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir s’est réuni en janvier et février 2016, et a formulé dans son rapport, adopté à la majorité des membres du Comité, des recommandations pour la mise en place d’un cadre législatif sur l’aide médicale à mourir 10. Dans ce rapport, le Comité a souligné qu’il était nécessaire que le gouvernement fédéral collabore avec les provinces sur cette question. Alors que bon nombre des recommandations du Comité ont été intégrées au projet de loi C-14, deux qui ne l’ont pas été ont par la suite fait l’objet d’examens distincts, à savoir :

  • que les mineurs capables et « matures » aient accès à l’AMM dans les trois ans suivant l’entrée en vigueur des dispositions concernant l’AMM pour les adultes capables (et que, durant cette période de trois ans, la question de l’AMM pour les mineurs capables et matures soit étudiée) (recommandation 6);
  • que le recours aux demandes anticipées d’AMM soit autorisé dans certaines circonstances (recommandation 7).

Le Comité mixte spécial a également recommandé que les maladies psychiatriques ne constituent pas un obstacle à l’admissibilité (recommandation 3). Les personnes atteintes d’un trouble psychiatrique ou d’une maladie mentale n’étaient pas explicitement jugées inadmissibles à l’AMM, mais un groupe d’experts dont les membres ont examiné la question de la maladie mentale dans le contexte de l’AMM a indiqué que « [l]a plupart des personnes atteintes d’un trouble mental comme seul problème médical invoqué ne peuvent satisfaire aux critères d’admissibilité actuels de l’AMM 11 ».

1.2  Projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir)12

Le projet de loi C-14, présenté à la Chambre des communes le 14 avril 2016, a reçu la sanction royale le 17 juin 2016 13. L’« aide médicale à mourir » y était définie comme étant le fait pour un médecin ou un infirmier praticien :

  1. d’administrer à une personne, à la demande de celle-ci, une substance qui cause sa mort;
  2. de prescrire ou de fournir une substance à une personne, à la demande de celle-ci, afin qu’elle se l’administre et cause ainsi sa mort.

Le projet de loi prévoyait la modification du Code de manière à ce que certaines personnes qui fournissent l’AMM, dont les médecins et les infirmiers praticiens, de même que certaines personnes qui leur offrent leur assistance, dont les pharmaciens, soient exemptées de la responsabilité pénale. Il prévoyait également l’exemption d’une personne qui apporte son aide à un patient qui a été autorisé à recevoir l’AMM et qui choisit de s’administrer lui-même une substance qui causera sa mort.

D’autres modifications apportées au Code portaient sur les critères d’admissibilité des personnes qui souhaitent obtenir l’AMM et sur les mesures de sauvegarde. Ainsi, pour être admissible à l’AMM, une personne doit :

  • avoir droit à des soins de santé financés par l’État au Canada (al. 241.2(1)a) du Code);
  • être âgée d’au moins 18 ans et être capable de prendre des décisions en ce qui concerne sa santé (al. 241.2(1)b));
  • souffrir de « problèmes de santé graves et irrémédiables » (al. 241.2(1)c));
  • faire une demande d’AMM de manière volontaire, sans pression extérieure (al. 241.2(1)d));
  • donner son consentement de manière éclairée après avoir reçu de l’information sur des façons de soulager ses souffrances (al. 241.2(1)e)).

Pour être considérée comme ayant des « problèmes de santé graves et irrémédiables », la personne doit répondre aux critères suivants :

  • elle est atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables (al. 241.2(2)a));
  • sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités (al. 241.2(2)b));
  • elle éprouve des souffrances physiques ou psychologiques persistantes « qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables » (al. 241.2(2)c));
  • elle se trouve dans un état dans lequel sa « mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu’un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie » (al. 241.2(2)d)).

Les modifications apportées au Code ont aussi créé des infractions criminelles qui s’appliquent en cas de non-respect des mesures de sauvegarde (art. 241.3), de falsification ou de destruction d’un document (art. 241.4) ou de non-respect des exigences sur la communication de renseignements ou des règlements applicables (par. 241.31(4) et 241.31(5), respectivement).

Dans sa version définitive, le projet de loi C-14 exigeait qu’un ou que des examens indépendants soient réalisés au sujet de trois cas de restrictions applicables actuellement à l’AMM :

  • demandes d’AMM pour les mineurs matures;
  • demandes anticipées d’AMM;
  • demandes d’AMM où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée 14.

Trois groupes de travail distincts établis par le Conseil des académies canadiennes ont mené ces examens et publié chacun un rapport en décembre 2018 15.

Le Règlement sur la surveillance de l’aide médicale à mourir, qui définit les exigences en matière de rapports sur les demandes d’AMM, est entré en vigueur en novembre 2018 16.

1.3  Contestations judiciaires des modifications apportées au Code

Les dispositions du Code relatives à l’AMM ont fait l’objet de deux contestations très médiatisées. Julia Lamb, qui est atteinte d’amyotrophie spinale de type 2, est à l’origine de l’une de ces contestations. Mme Lamb maintenait que la loi était trop restrictive, car elle exigeait d’une personne qu’elle soit dans « un déclin avancé et irréversible » et que « sa mort naturelle [soit] devenue raisonnablement prévisible » pour être jugée admissible à l’AMM 17. La contestation a toutefois été suspendue lorsque le procureur général du Canada a soumis un témoignage d’expert indiquant qu’il était probable que le cas de Mme Lamb soit jugé conforme au critère de mort naturelle raisonnablement prévisible 18.

La seconde contestation très médiatisée a été engagée par Jean Truchon et Nicole Gladu. Jean Truchon était atteint de paralysie cérébrale et avait reçu, en 2012, un diagnostic de sténose spinale grave avec myélomalacie. Nicole Gladu, quant à elle, a appris, à 47 ans, qu’elle souffrait du syndrome de post-poliomyélite. En tant que résidents du Québec, ils ont contesté deux dispositions : celle du Code qui exige que leur mort naturelle soit « raisonnablement prévisible », et celle de la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec, qui veut que la personne soit « en fin de vie ». Tous deux avaient fait une demande d’AMM, qui avait été jugée conforme à tous les critères d’admissibilité, à l’exception de ces deux exigences 19.

Le 11 septembre 2019, la Cour supérieure du Québec a déclaré que la disposition du Code qui exige que, pour qu’une personne puisse obtenir l’AMM, il faut que sa mort soit « raisonnablement prévisible » était contraire aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7 de la Charte 20. La juge a également établi que les dispositions du Code et de la loi québécoise concernant les soins de fin de vie qui exigent d’une personne qu’elle soit « en fin de vie » pour obtenir l’AMM portaient atteinte aux droits à l’égalité prévus par l’article 15 de la Charte. Par conséquent, les dispositions en question ont été déclarées invalides et la déclaration d’invalidité a été suspendue pendant six mois. Les demandeurs ont obtenu une exemption constitutionnelle les autorisant à se prévaloir de l’AMM durant la période de suspension. La période de suspension initiale a ensuite été prolongée de quatre mois (jusqu’au 11 juillet 2020) à la demande du procureur général du Canada. Ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement du Québec n’a fait appel du jugement.

2  Description et analyse

Le projet de loi C-7 contient quatre articles, dont les principales dispositions sont analysées dans la section suivante.

À l’instar du projet de loi C-14 qui a apporté la première série de modifications concernant l’AMM au Code, le projet de loi C-7 comporte un préambule qui traite de diverses questions. Certaines dispositions du préambule sont semblables à celles du premier projet de loi, tandis que d’autres sont inédites. Par exemple, contrairement au projet de loi C-14, le projet de loi C-7 mentionne les obligations que la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies impose au Canada. De plus, le préambule du projet de loi C-7 souligne le rôle joué par l’affaire Truchon dans l’évolution de la loi et indique que le Parlement estime approprié de ne plus limiter l’admissibilité à l’AMM aux personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible. Toutefois, il est aussi indiqué qu’il est nécessaire de prévoir des mesures de sauvegarde additionnelles pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible.

2.1  Le critère de la « mort naturelle devenue raisonnablement prévisible » (par. 1(1))

L’alinéa 241.2(2)d) du Code énonce le critère suivant :

[la] mort naturelle [de la personne] est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu’un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, cette disposition a été jugée inconstitutionnelle dans la décision de l’affaire Truchon.

Le paragraphe 1(1) du projet de loi, qui donne suite à cette décision, abroge l’alinéa 241.2(2)d) du Code de sorte que la mort naturelle d’une personne ne doit plus être raisonnablement prévisible pour que celle-ci puisse avoir droit à l’AMM. Toutefois, comme il est expliqué dans les prochains paragraphes, le projet de loi comporte différentes mesures de sauvegarde lorsque la mort naturelle est raisonnablement prévisible et lorsqu’elle ne l’est pas.

2.2  La maladie mentale comme seule condition médicale invoquée (par. 1(2))

L’alinéa 241.2(1)c) du Code dispose que la personne doit être affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables pour avoir droit à l’AMM. Le paragraphe 241.2(2) définit les critères qu’une personne doit remplir pour que l’on considère qu’elle est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables. Cette personne doit notamment être « atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables ». Le ministère de la Justice précise dans le document Contexte législatif : aide médicale à mourir (projet de loi C-14) ce qui suit :

[L]es personnes atteintes d’une maladie mentale ou d’un handicap physique ne seraient pas exclues du régime, mais elles ne pourraient avoir accès à l’aide médicale à mourir que si elles remplissent tous les critères d’admissibilité 21.

On reconnaît dans ce document que les demandes d’AMM relatives à la maladie mentale sont complexes et doivent faire l’objet d’études complémentaires.

Comme il est indiqué plus haut, après que le projet de loi C-14 a reçu la sanction royale, le Conseil des académies canadiennes a été chargé de se pencher sur trois questions, dont les demandes d’AMM dans lesquelles la maladie mentale est le seul problème médical invoqué. Dans son rapport, le Conseil reconnaît que certaines personnes atteintes d’une maladie mentale pourraient remplir les critères actuels, mais que d’autres ne le pourraient pas. Il précise toutefois que les personnes pour lesquelles la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée qui satisferont aux critères d’admissibilité à l’AMM seront rares 22.

Même si l’affaire Truchon ne concernait pas de personne pour laquelle la maladie mentale était la seule condition médicale invoquée, la suppression du critère voulant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible aurait pu donner droit à l’AMM à un plus grand nombre de personnes dont la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. Le paragraphe 1(2) du projet de loi C-7 ajoute toutefois au Code le nouveau paragraphe 241.2(2.1), qui précise que, pour l’application de l’alinéa 241.2(2)a), la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap. Selon cette disposition du projet de loi C-7, la maladie mentale ne suffit donc pas pour avoir droit à l’AMM, et ce, même si la personne satisfait aux autres critères. Selon le ministre de la Justice, cette question est trop complexe pour être réglée à l’intérieur du délai imposé par la Cour; elle devrait plutôt être étudiée dans le cadre de l’examen parlementaire de la loi sur l’aide médicale à mourir, qui devrait commencer en juin 2020 23.

2.3  Deux séries de mesures de sauvegarde (par. 1(3) à 1(7))

Le projet de loi C-7 apporte plusieurs changements aux mesures de sauvegarde qui s’appliquent à une demande d’AMM. Actuellement, une seule série de mesures de sauvegarde s’appliquent à tous les cas d’AMM. Le projet de loi crée deux séries de mesures de sauvegarde, une première série pour les demandes pour lesquelles la mort naturelle est prévisible, et une seconde pour les demandes pour lesquelles elle ne l’est pas. Certaines mesures de sauvegarde restent les mêmes dans les deux cas, tandis que d’autres diffèrent. Seules les mesures de sauvegarde ajoutées ou modifiées par le projet de loi C-7 sont présentées ci-après.

Dans les deux cas, le projet de loi C-7 prévoit qu’une seule personne doit être témoin de la signature de la demande, plutôt que les deux témoins actuellement requis (al. 241.2(3)c) modifié et nouvel al. 241.2(3.1)c) du Code).

Le délai d’attente de dix jours actuellement nécessaires entre le jour où la demande est signée et celui où l’AMM est administrée est supprimé des conditions qui doivent être réunies lorsque la mort naturelle est prévisible (al. 241.2(3)g) modifié). Dans son allocution à l’étape de la deuxième lecture, le ministre de la Justice a indiqué que, selon ce que le gouvernement avait appris lors des consultations publiques, les personnes ont déjà beaucoup réfléchi à l’AMM lorsqu’elles présentent une demande écrite, et que le délai d’attente prolonge alors indûment leurs souffrances 24.

Dans le cas des demandes pour lesquelles la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, le projet de loi instaure un délai d’attente de 90 jours entre le jour où est faite la première évaluation et celui où l’AMM est fournie, à moins que deux médecins ou infirmiers praticiens jugent que la perte de la capacité de la personne à consentir à l’AMM est imminente. Si la perte de la capacité est imminente, le médecin ou l’infirmier praticien qui doit fournir l’AMM détermine un délai d’attente indiqué dans les circonstances (nouvel al. 241.2(3.1)i)).

À l’heure actuelle, il faut s’assurer dans tous les cas que la personne consent à l’AMM immédiatement avant de la lui fournir. Lorsque la mort naturelle est raisonnablement prévisible, le projet de loi permet de renoncer à ce consentement final (nouveaux par. 241.2(3.2) à 241.2(3.5) du Code). Les conditions précises qui s’appliquent dans ces cas sont présentées à la prochaine section.

Dans le cas des demandes pour lesquelles la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, l’un des deux médecins ou infirmiers praticiens évaluant le respect des critères doit maintenant posséder l’expertise nécessaire en ce qui concerne la condition à l’origine des souffrances de la personne (nouvel al. 241.2(3.1)e)).

Lorsque la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, le projet de loi prévoit aussi que la personne doit être informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, notamment, lorsque cela est indiqué, les services de consultation psychologique, les services de soutien en santé mentale, les services de soutien aux personnes handicapées, les services communautaires et les soins palliatifs, et qu’il lui a été offert de consulter les professionnels compétents qui fournissent de tels services ou soins (nouvel al. 241.2(3.1)g)). Enfin, les deux médecins ou infirmiers praticiens doivent discuter avec la personne des moyens raisonnables et disponibles de soulager ses souffrances et s’accorder avec elle sur le fait qu’elle les a sérieusement envisagés (nouvel al. 241.2(3.1)h)). Le ministère de la Justice a déclaré que ces conditions supplémentaires avaient été ajoutées pour « clarifier […] la notion de consentement éclairé dans ce genre de cas 25 ».

Les mesures de sauvegarde actuelles et les deux séries de mesures de sauvegarde que prévoit le projet de loi C-7 sont présentées dans le tableau ci-après.

Tableau 1 – Comparaison des mesures de sauvegarde actuelles avec celles énoncées dans le projet de loi C-7 lorsque la mort naturelle est prévisible et lorsqu’elle ne l’est pas
Mesures de sauvegarde actuelle : par. 241.2(3) du Code criminel Mesures de sauvegarde prévues dans le projet de loi C-7 lorsque la mort naturelle est prévisible : par. 241.2(3) modifié et nouveaux par. 241.2(3.2) à 241.2(3.5) du Code criminel Mesures de sauvegarde du projet de loi C-7 lorsque la mort naturelle n’est pas prévisible : nouveau par. 241.2(3.1) du Code criminel
Le médecin ou l’infirmier praticien est d’avis que la personne satisfait à tous les critères prévus au paragraphe 241.2(1). Aucun changement Aucun changement
La demande a été faite par écrit et elle a été datée et signée après que la personne a été avisée qu’elle est affectée d’un problème de santé grave et irrémédiable. Aucun changement Aucun changement
La demande a été datée et signée devant deux témoins indépendants. La demande a été datée et signée devant un témoin indépendant a. La demande a été datée et signée devant un témoin indépendant a.
La personne a été informée qu’elle pouvait, en tout temps et par tout moyen, retirer sa demande. Aucun changement Aucun changement
Un autre médecin ou infirmier praticien a fourni un avis écrit confirmant le respect de tous les critères. Aucun changement Un autre médecin ou infirmier praticien a fourni un avis écrit confirmant le respect de tous les critères. Si le premier médecin ou infirmier praticien ne possède pas l’expertise en ce qui concerne la condition à l’origine des souffrances de la personne, l’avis écrit doit être fait par un médecin ou un infirmier praticien possédant cette expertise.
Le médecin ou l’infirmier praticien et l’autre médecin ou infirmier praticien sont indépendants l’un de l’autre. Aucun changement Aucun changement
Au moins 10 jours francs se sont écoulés entre le jour où la demande a été signée et celui où l’aide médicale à mourir (AMM) est fournie (à moins que la mort de la personne ou la perte de sa capacité à fournir un consentement éclairé ne soit imminente). Disposition abrogée Au moins 90 jours francs se sont écoulés entre le jour auquel commence la première évaluation et celui où l’AMM est fournie ou, si toutes les évaluations sont terminées et que les deux médecins ou infirmiers praticiens jugent que la perte de la capacité de la personne à consentir à recevoir l’AMM est imminente, un délai plus court selon ce que le premier médecin ou infirmier praticien juge indiqué dans les circonstances.
Immédiatement avant de fournir l’AMM, la personne a la possibilité de retirer sa demande et le médecin ou l’infirmier praticien s’assure qu’elle y consent expressément. Immédiatement avant de fournir l’AMM, la personne a la possibilité de retirer sa demande et le médecin ou l’infirmier praticien s’assure qu’elle y consent expressément. Toutefois, il est possible de renoncer à la vérification du consentement final si certaines conditions sont réunies (voir la section 2.4 du présent résumé législatif). Immédiatement avant de fournir l’AMM, la personne a la possibilité de retirer sa demande et le médecin ou l’infirmier praticien s’assure qu’elle y consent expressément. Toutefois, il est possible de renoncer à la vérification du consentement final si certaines conditions sont réunies. Les cas où la renonciation est possible sont plus limités que lorsque la mort naturelle est raisonnablement prévisible (voir la section 2.4 du présent résumé législatif).
Si la personne éprouve de la difficulté à communiquer, les mesures nécessaires doivent être prises pour lui fournir un moyen de communication fiable afin qu’elle puisse comprendre les renseignements qui lui sont fournis et faire connaître sa décision. Aucun changement Aucun changement
Aucun équivalent Aucun équivalent La personne a été informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, notamment, lorsque cela est indiqué, les services de consultation psychologique, les services de soutien en santé mentale, les services de soutien aux personnes handicapées, les services communautaires et les soins palliatifs, et il lui a été offert de consulter les professionnels compétents qui fournissent de tels services ou soins.
Aucun équivalent Aucun équivalent Les deux médecins ou infirmiers praticiens ont discuté avec la personne des moyens raisonnables et disponibles de soulager ses souffrances et ils s’accordent avec elle sur le fait qu’elle les a sérieusement envisagés.

Note :   a.  Le par. 1(8) du projet de loi C-7 modifie aussi la nature des personnes pouvant être témoins. Pour des précisions, voir la section 2.5 du présent résumé législatif.

Sources :   Tableau créé par les auteurs à partir d’une comparaison entre la loi actuelle et le projet de loi C-7. Voir Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, par. 241.2(3); et Projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), 1re session, 43e législature.

2.4  La renonciation au consentement final (par. 1(7))

À l’heure actuelle, la personne doit pouvoir donner son consentement immédiatement avant que l’AMM lui soit fournie. Le cas très médiatisé d’Audrey Parker, dont le cancer s’était propagé au cerveau, illustre les répercussions de cette exigence. Mme Parker, qui avait droit à l’AMM, craignait toutefois de ne plus pouvoir donner son consentement avant de recevoir le traitement et, par conséquent, de ne plus y avoir droit. Comme elle l’affirme dans une vidéo très médiatisée faite avant sa mort, elle a donc choisi de recevoir l’AMM en novembre 2018 alors qu’elle aurait préféré attendre après Noël 26. Le ministre de la Justice, David Lametti, aurait affirmé que les modifications prévues par le projet de loi C-7 en ce qui concerne le consentement final avant la prestation de l’AMM s’inspirent notamment du cas de Mme Parker 27.

Le nouveau paragraphe 241.2(3.2) du Code énumère les conditions qui doivent être réunies pour que l’AMM puisse être fournie sans que la personne ait à donner son consentement immédiatement avant le traitement. Cette possibilité n’est envisageable que si la mort naturelle est raisonnablement prévisible et si tous les critères suivants sont remplis :

  • Avant que la personne perde la capacité à consentir à recevoir l’AMM,
    • elle a satisfait aux critères de l’AMM et respecté toutes les mesures de sauvegarde pertinentes;
    • elle a conclu, avec le médecin ou l’infirmier praticien, une entente écrite pour l’administration d’une substance qui entraînera sa mort à une date déterminée;
    • le médecin ou l’infirmier praticien l’a informée du risque de perdre sa capacité de consentir avant la date déterminée;
    • elle a consenti, dans l’entente écrite, à l’administration d’une substance qui entraînera sa mort à la date déterminée, ou avant si elle perd la capacité à consentir avant cette date.
  • La personne a perdu sa capacité à consentir à l’AMM.
  • La personne ne manifeste pas, par des paroles, des sons ou gestes, un refus que la substance lui soit administrée ou une résistance à ce qu’elle le soit. Le projet de loi précise cette disposition en spécifiant que
    • des paroles, des sons ou des gestes involontaires en réponse à un contact ne constituent pas une manifestation de refus ou de résistance (nouveau paragraphe 241.2(3.3));
    • une fois que la personne manifeste un refus ou une résistance, l’AMM ne peut plus lui être fournie sur la base de l’entente écrite (nouveau paragraphe 241.2(3.4)).
  • La substance est administrée selon les modalités de l’entente.

Le nouveau paragraphe 241.2(3.5) du Code renferme une disposition concernant le consentement préalable dans le cas particulier de l’autoadministration, à laquelle il est possible d’avoir recours lorsque la mort naturelle est raisonnablement prévisible et lorsqu’elle ne l’est pas. Il est arrivé que l’autoadministration n’entraîne pas la mort de la personne, mais son incapacité à consentir à ce qu’un médecin ou un infirmier praticien lui administre une substance qui entraînera sa mort. Le consentement à la prestation de l’AMM par un praticien après une autoadministration n’ayant pas entraîné la mort pourrait être interprété comme un consentement préalable, ce qui n’est pas légal au Canada à l’heure actuelle. Les opinions divergent pour ce qui est de déterminer si, en pareil cas, en vertu des lois actuelles, un médecin ou un infirmier praticien est autorisé à administrer une substance qui causera la mort de la personne 28.

La nouvelle disposition vise à préciser les gestes qui sont autorisés et permet au médecin ou à l’infirmier praticien d’administrer une substance lorsque la personne, après s’être administré elle-même une substance, a perdu la capacité de consentir, mais ne meurt pas, si les conditions suivantes sont réunies :

  • Avant de perdre sa capacité de consentir à recevoir l’AMM, la personne avait conclu par écrit avec le médecin ou l’infirmier praticien traitant une entente selon laquelle ce dernier
    • serait présent au moment de l’autoadministration;
    • lui administrerait une seconde substance pour causer sa mort advenant le cas où elle perdait la capacité à consentir et ne mourait pas dans un délai déterminé après l’autoadministration.
  • La personne s’est administré la première substance, mais ne meurt pas dans le délai déterminé et perd la capacité à consentir à recevoir l’AMM.
  • La seconde substance est administrée à la personne en conformité avec les conditions de l’entente.

2.5  Qui peut servir de témoin (par. 1(8))

Le paragraphe 241.2(5) du Code précise qui peut agir en qualité de témoin de la signature d’une demande d’AMM. À l’heure actuelle, parmi les restrictions prévues, quiconque fournit directement des soins de santé ou des soins personnels à la personne qui fait la demande ne peut agir en tant que témoin.

Le nouveau paragraphe 241.2(5.1) autorise de telles personnes à servir de témoin si la prestation de soins est leur occupation principale et qu’elles sont rémunérées pour fournir ces soins. En revanche, la modification proposée n’autorise ni le médecin ni l’infirmier praticien qui fournit l’AMM ou qui effectue la deuxième évaluation à agir comme témoin.

2.6  Les renseignements à fournir (art. 3)

À la suite de l’adoption du projet de loi C-14, Santé Canada a établi, par règlement, un régime de surveillance de l’AMM. Selon ce règlement, il faut consigner la prestation de l’AMM, l’aiguillage d’une personne ayant demandé l’AMM vers un autre médecin ou infirmier praticien, le fait qu’une personne soit jugée inadmissible, le retrait de la demande, et le décès par une autre cause. À l’heure actuelle, Santé Canada ne recueille ces renseignements que lorsqu’une demande écrite d’AMM a été présentée. Or, le renvoi, la déclaration d’inadmissibilité, le retrait de la demande ou le décès par une autre cause peuvent se produire après une évaluation, mais avant l’établissement de la demande par écrit. Sous l’actuel régime de surveillance, ces cas ne sont donc pas consignés. Le paragraphe 241.31(1) modifié du Code vise à étendre l’obligation de fournir ces renseignements aux cas pour lesquels une évaluation a été faite, en plus de ceux pour lesquels une demande écrite a été présentée au médecin ou à l’infirmier praticien.

L’article 3 du projet de loi C-7 ajoute également le nouveau paragraphe 241.31(1.1). Selon cette disposition, toute personne chargée de procéder aux évaluations préliminaires de l’admissibilité à l’AMM doit fournir les renseignements exigés, comme doivent actuellement le faire le médecin et l’infirmier-praticien, sous réserve d’une exemption accordée par règlement. De même, selon le paragraphe 241.31(2) modifié, le pharmacien, et maintenant également le technicien en pharmacie, qui délivre une substance dans le cadre de la prestation de l’AMM doit fournir les renseignements prescrits.

2.7  La disposition transitoire (art. 4)

Les exigences prévues dans la version actuelle du Code continueront de s’appliquer à toutes les demandes d’AMM signées et datées avant la date d’obtention de la sanction royale du projet de loi C-7, à l’exception des modifications suivantes, qui s’appliqueront dans tous les cas dès l’obtention de la sanction royale :

  • aucune attente de 10 jours lorsque la mort naturelle est raisonnablement prévisible (l’al. 241.2(3)g) modifié du Code s’applique dans tous les cas);
  • l’obligation de consentement final peut être levée (les nouveaux par. 241.2(3.2) à (3.5) du Code s’appliquent dans tous les cas).

3  Commentaire

Après la présentation du projet de loi C-7, les réactions ont été partagées. Ainsi, certains voient d’un bon œil l’élargissement de l’accès à l’AMM pour certaines personnes prévu par le projet de loi 29, tandis que d’autres se sont inquiétés du fait que le projet de loi va plus loin que ne l’exige la décision Truchon, ou encore s’opposent à l’élargissement du champ d’application de l’AMM au-delà des soins de fin de vie 30. Les responsables de la British Columbia Civil Liberties Association (BCCLA) [Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique], codemandeur dans l’affaire Julia Lamb, approuvent certains changements, mais restent préoccupés par d’autres dispositions du projet de loi qui, selon eux, ont comme résultat une loi « trop complexe, qui crée d’autant plus d’obstacles déroutants pour certains patients, et qui met des bâtons dans les roues d’autres patients 31 ». D’autres intervenants ont aussi déploré le fait que le projet de loi ne protège pas la liberté de conscience des professionnels de la santé 32.

3.1  La mort naturelle raisonnablement prévisible

La Dre Stephanie Green, présidente de la Canadian Association of MAiD Assessors and Providers, et Jocelyn Downie, professeure universitaire qui étudie l’AMM et qui plaide en sa faveur, ont dit craindre que le projet de loi ne restreigne la notion de mort naturelle raisonnablement prévisible, de sorte que la mort doive être plus imminente que selon l’interprétation antérieure. Elles affirment que la mort naturelle raisonnablement prévisible est actuellement interprétée comme signifiant qu’une personne est sur une trajectoire conduisant à la mort, bien que celle-ci puisse survenir au bout de quelques années 33. Or, dans son discours à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes, le ministre de la Justice a déclaré ceci :

Tel que promulgué par le Parlement en 2016, la mort naturelle devient raisonnablement prévisible lorsque l’espérance de vie est relativement courte. Cela signifie que, compte tenu de l’ensemble de la situation médicale de la personne, sa mort est prévue dans un délai relativement court. La mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible seulement parce qu’une personne reçoit un pronostic concernant une maladie qui finira par causer sa mort dans plusieurs années ou décennies 34.

Un autre universitaire, Thomas McMorrow, a demandé quant à lui que l’on introduise un délai précis dans la loi afin de dissiper toute confusion quant au moment auquel la mort naturelle peut survenir dans le futur pour être encore considérée comme raisonnablement prévisible. Il a suggéré qu’un pronostic de 12 ou de 18 mois pourrait convenir 35.

Certains craignent également qu’il soit parfois difficile pour le praticien de déterminer laquelle des deux pistes d’admissibilité s’applique à un malade 36. Par ailleurs, des médecins ont dit redouter que cet élargissement de l’admissibilité à l’AMM pour inclure des personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible dissuade certains prestataires de continuer à pratiquer l’AMM en raison du fardeau moral, psychologique et affectif qu’engendre l’évaluation de l’admissibilité quand la personne pourrait peut-être vivre encore pendant des décennies 37.

Certaines organisations religieuses s’élèvent également contre cet élargissement de l’admissibilité à l’AMM 38. Des organisations de défense des personnes handicapées et des organisations religieuses ont exprimé des préoccupations en ce qui concerne les répercussions sur la société de l’abrogation de l’exigence selon laquelle la mort naturelle doit être raisonnablement prévisible et le message que cela envoie aux personnes vivant avec un handicap, et à la société en général. L’Association canadienne pour l’intégration communautaire, un organisme de défense des personnes atteintes de déficiences intellectuelles, par exemple, considère comme discriminatoire la prestation de l’AMM à des personnes qui ne sont pas en fin de vie, et, selon cet organisme, le projet de loi C-7 « met en danger la vie des personnes handicapées 39 ».

L’Alliance des chrétiens en droit, pour sa part, craint que les nouveaux mécanismes de protection dans des cas où la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible n’aillent pas assez loin, puisqu’ils exigent uniquement que la personne soit informée des traitements disponibles et se voit proposer une consultation avec des professionnels compétents au lieu d’exiger qu’elle consulte ces professionnels et suive un traitement avant de pouvoir demander l’AMM. Cette organisation en appelle au gouvernement pour que celui-ci fournisse aux Canadiens une aide médicale à la vie avant d’élargir les critères d’admissibilité à l’AMM et de supprimer les mécanismes de protection 40.

3.2  La maladie mentale comme seule condition médicale invoquée

La possibilité que des personnes dont la maladie mentale est la seule condition invoquée pour obtenir l’AMM suscite de vifs débats, au sein des milieux psychiatriques comme de la population canadienne en général 41. Dans son rapport sur la question, le Groupe de travail du Conseil des académies canadiennes était partagé sur plusieurs aspects de l’application d’une loi ayant pour effet d’élargir l’accès à l’AMM pour les personnes vivant avec une maladie mentale. Par exemple, ses membres ne s’entendaient pas à savoir s’il est possible de distinguer entre les personnes souffrant d’un trouble mental qui ont pris une décision autonome et mûrement réfléchie à l’égard de l’AMM et celles dont le désir de mettre fin à leurs jours est symptomatique de leur trouble mental 42.

Mme Downie a déclaré que l’exclusion de la maladie mentale comme seule condition invoquée est discriminatoire et source de stigmatisation. Elle ajoute que cette modification de la loi prive de l’accès à l’AMM des personnes qui y sont actuellement admissibles 43. En revanche, les membres du groupe consultatif d’experts sur l’AMM, un groupe nouvellement formé de spécialistes, notamment des psychiatres, des universitaires et des gens ayant vécu une expérience liée à la maladie mentale, ont formulé des observations positives quant à cette mesure 44.

3.3  La renonciation au consentement final

Même si certains organismes et observateurs, comme la BCCLA, sont satisfaits de la renonciation au consentement final, d’autres ont exprimé leurs inquiétudes 45. Au moins un universitaire, Thomas McMorrow, s’est dit préoccupé du fait qu’il n’existe pas de limite précisant combien de temps à l’avance une personne peut prendre par écrit des dispositions pour se voir offrir l’AMM si elle perd la capacité de le faire elle-même. La mort naturelle doit être raisonnablement prévisible pour que le consentement final fasse l’objet d’une renonciation, sauf dans le cas où la personne s’administre elle-même une substance n’entraînant pas le décès. Il n’y a cependant aucun délai particulier à l’intérieur duquel la mort naturelle est raisonnablement prévisible. En théorie, les dispositions pourraient être prises des années en avance, ce qui remettrait en question le fait que la personne a toujours l’intention de recevoir l’AMM. M. McMorrow demande que toute entente de renonciation au consentement final soit assortie d’un délai de validité 46.

Les membres de l’Alliance des chrétiens en droit indiquent que dans la décision Truchon, le juge n’a pas exigé du Parlement qu’il aborde la question du consentement préalable, car le problème ne se posait pas dans cette affaire 47. En outre, les représentants de la Conférence des évêques catholiques du Canada se sont inquiétés que les règles énoncées dans le projet de loi C-7 pour vérifier si un patient consent encore à l’AMM fassent de ce processus un exercice difficile et subjectif 48.

3.4  Délai d’attente

La question des souffrances intolérables que devront endurer les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible pendant le délai d’attente de 90 jours qui sépare la première évaluation et la prestation de l’AMM a été soulevée 49. Parallèlement, l’élimination de la période d’attente de 10 jours pour les cas où la mort naturelle est raisonnablement prévisible suscite elle aussi des inquiétudes. Par exemple, les responsables de l’Alliance des chrétiens en droit affirment que les statistiques sur les demandeurs de l’AMM qui, plus tard, changent d’idée montrent la nécessité d’imposer une période de réflexion 50.

3.5  Expertise en ce qui concerne la condition d’une personne quand la mort naturelle n’est pas prévisible

Au moins un médecin a évoqué la possibilité que cette exigence limite l’accès à l’AMM, surtout dans les régions rurales et éloignées du pays, où une telle expertise n’existe peut-être pas 51.


Notes

*  Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.Retour au texte ]

  1. Projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), 1re session, 43e législature. [ Retour au texte ]
  2. Truchon c. Procureur général du Canada, 2019 QCCS 3792 (CanLII). [ Retour au texte ]
  3. Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 241.1 à 241.4. [ Retour au texte ]
  4. La loi du Québec concernant l’aide médicale à mourir (AMM) a reçu la sanction royale en juin 2014. Québec, Loi concernant les soins de fin de vie, L.R.Q., ch. S-32.0001. [ Retour au texte ]
  5. Ministère de la Justice, Aide médicale à mourir : Consultations des mois de janvier et février 2020. [ Retour au texte ]
  6. Le présent résumé législatif donne un aperçu du contexte dans lequel s’inscrivent ces enjeux. On trouvera de plus amples renseignements sur l’AMM au Canada en consultant les documents suivants, préparés par la Bibliothèque du Parlement : Marlisa Tiedemann, L’aide médicale à mourir au Canada après l’arrêt Carter c. Canada, publication no 2019-43-F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 29 novembre 2019; Martha Butler et Marlisa Tiedemann, Carter c. Canada : l’arrêt de la Cour suprême du Canada sur le recours à l’aide d’un médecin pour mourir, publication no 2015-47-F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 29 décembre 2015; et Julia Nicol et Marlisa Tiedemann, L’euthanasie et l’aide au suicide au Canada, publication no 2015-139-F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 15 décembre 2015. De l’information sur l’AMM fournie à l’étranger est aussi disponible dans : Julia Nicol, Aide médicale à mourir : la législation dans certains états à l’extérieur du Canada, publication no 2015-116-F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 29 novembre 2019. [ Retour au texte ]
  7. Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5. [ Retour au texte ]
  8. Ministère de la Justice, Consultations sur l’aide médicale à mourir – Résumé des résultats et des principales constatations. [ Retour au texte ]
  9. Groupe consultatif provincial-territorial d’experts sur l’aide médicale à mourir, Rapport final pdf (1.34 Mo, 78 pages), 30 novembre 2015. [ Retour au texte ]
  10. Parlement du Canada, Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, L’aide médicale à mourir : Une approche centrée sur le patient, 1re session, 42e législature, février 2016. [ Retour au texte ]
  11. Groupe de travail du comité d’experts sur l’AMM lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, L’état des connaissances sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué pdf (6.01 Mo, 300 pages), Conseil des académies canadiennes, décembre 2018, p. 70. [ Retour au texte ]
  12. Cette section du document se fonde en grande partie sur : Marlisa Tiedemann, L’aide médicale à mourir au Canada après l’arrêt Carter c. Canada, publication no 2019-43-F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 29 novembre 2019. [ Retour au texte ]
  13. Projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), 1re session, 42e législature (L.C. 2016, ch. 3). [ Retour au texte ]
  14. Cette exigence a été ajoutée à l’étape de l’étude du projet de loi par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. [ Retour au texte ]
  15. Groupe de travail du comité d’experts sur l’AMM pour les mineurs matures, L’état des connaissances sur l’aide médicale à mourir pour les mineurs matures pdf (5.92 Mo, 252 pages), Conseil des académies canadiennes, décembre 2018; Groupe de travail du comité d’experts sur les demandes anticipées d’AMM, L’état des connaissances sur les demandes anticipées d’aide médicale à mourir pdf (5.83 Mo, 268 pages), Conseil des académies canadiennes, décembre 2018; et Groupe de travail du comité d’experts sur l’AMM lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué (2018). [ Retour au texte ]
  16. Règlement sur la surveillance de l’aide médicale à mourir, DORS/2018-166. [ Retour au texte ]
  17. British Columbia Civil Liberties Association (BCCLA), Lamb v. Canada: the Death with Dignity Case Continues. [ Retour au texte ]
  18. Témoignage cité dans une lettre de l’avocat des plaignants à la Cour suprême de la Colombie Britannique. Joseph J. Arvay, Lettre à la Cour suprême de la Colombie-Britannique (concernant l’affaire Lamb and BCCLA. v. AGC) pdf (47 Ko, 3 pages), 6 septembre 2019. [ Retour au texte ]
  19. Truchon c. Procureur général du Canada. [ Retour au texte ]
  20. Ibid. [ Retour au texte ]
  21. Ministère de la Justice, « IV. Critères d’admissibilité pour l’aide médicale à mourir », Contexte législatif : aide médicale à mourir (projet de loi C-14). [ Retour au texte ]
  22. Groupe de travail du comité d’experts sur l’AMM lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué (2018), p. 40 et 41. [ Retour au texte ]
  23. Chambre des communes, Débats, 1re session, 43e législature, 26 février 2020, 1605 (L’honorable David Lametti, ministre de la Justice). [ Retour au texte ]
  24. Ibid., 1600. [ Retour au texte ]
  25. Ibid., 1605. [ Retour au texte ]
  26. Dying With Dignity Canada, « Audrey Parker’s last message to Canadians », YouTube, 6 février 2019. [ Retour au texte ]
  27. Andrea Gunn, « Audrey’s amendment: Changes to assisted dying legislation await judgment by Parliament », Chronicle Herald [Halifax], 25 février 2020. [ Retour au texte ]
  28. Francis Bakewell, « Medical Assistance in Dying (MAID) in the ED: Implications for EM practice », CanadiEM, 22 juin 2016; F. Bakewell et V.N. Naik, Complications with Medical Assistance in Dying (MAID) in the Community in Canada: Review and Recommendations pdf (825 Ko, 13 pages), Canadian Association of MAiD Assessors and Providers (CAMAP), livre blanc, 28 mars 2019; et CAMAP et Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, Rapport final : 2e Conférence annuelle sur l’aide médicale à mourir 2018 pdf (1.17 Mo, 60 pages), 2018, p. 15. [ Retour au texte ]
  29. Voir par exemple Gunn (2020). [ Retour au texte ]
  30. Voir par exemple Peter Mazereeuw. « Terms for assisted dying review murky, as Liberals, Tories look ahead to summertime study », Hill Times, 2 mars 2020; et Brian Dryden, « Group claims physicians being ‘bullied’ », Catholic Register, 21 mars 2020. [ Retour au texte ]
  31. BCCLA, BCCLA reacts: New MAID legislation a mixed bag for patients’ rights and compassionate care, communiqué, 4 mars 2020. [ Retour au texte ]
  32. Voir par exemple Brian Dryden, « Feds expanding euthanasia access to those not near death », B.C. Catholic, 25 février 2020. [ Retour au texte ]
  33. Joan Bryden, La Presse canadienne, « Assisted dying bill gets mixed reviews, raises fears of more restrictions », CTV News, 26 février 2020. [ Retour au texte ]
  34. Chambre des communes (2020), 1605. [ Retour au texte ]
  35. Thomas McMorrow, « To make prudent changes to our assisted-death law, we first need clarity », Options politiques, 5 mars 2020 [DISPONIBLE EN ANGLAIS SEULEMENT]. [ Retour au texte ]
  36. Bryden (2020). [ Retour au texte ]
  37. Andrea Frolic, William Harper et Marianne Dees, « Expanded rights to medical assistance in dying are pointless without better support for MAID providers », CBC News, 23 février 2020. [ Retour au texte ]
  38. Stephanie Babych, « Calgary bishop organizes campaign arguing against expanding MAiD », Calgary Sun, 25 février 2020; et Ray Pennings, Déclaration concernant le projet de loi C-7 sur l’aide médicale à mourir, Cardus, communiqué, 24 février 2020. [ Retour au texte ]
  39. Association canadienne pour l’intégration communautaire, Medical Assistance in Dying Bill Violates Equality Rights of People with Disabilities – It Must be Stopped, communiqué, 28 février 2020 [DISPONIBLE EN ANGLAIS SEULEMENT]. [ Retour au texte ]
  40. Derek Ross, Summary and Analysis of Bill C-7: Proposed MAiD law is not the compassionate response to suffering that Canada needs, blogue de l’Alliance des chrétiens en droit, 28 février 2020 [DISPONIBLE EN ANGLAIS SEULEMENT]. [ Retour au texte ]
  41. Pour consulter des arguments en faveur de l’élargissement de la loi, voir Groupe d’Halifax, L’aide médicale à mourir : le cas des personnes dont la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, rapport de l’Institut de recherche en politiques publiques, 21 février 2020; pour des arguments contre, voir Centre for Addiction and Mental Health, Submission to the Department of Justice on the Consultations on Medical Assistance in Dying (MAiD): Eligibility Criteria and Request Process, 27 janvier 2020; et K. Sonu Gaind, « Assisted suicide: We are poised to soon be ending lives of nondying people », Toronto Star, 24 février 2020. [ Retour au texte ]
  42. Groupe de travail du comité d’experts sur l’AMM lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué (2018), p. 217. [ Retour au texte ]
  43. Bryden (2020). [ Retour au texte ]
  44. Expert Advisory Group on Medical Assistance in Dying, Expert Advisory Group Supports Safeguards Protecting Canadians with Mental Illness pdf (151 Ko, 1 page), communiqué, 25 février 2020. [ Retour au texte ]
  45. BCCLA (2020). [ Retour au texte ]
  46. McMorrow (2020). [ Retour au texte ]
  47. Ross (2020). [ Retour au texte ]
  48. Conférence des évêques catholiques du Canada, Réponse de la Conférence des évêques catholiques du Canada au dépôt du projet de loi C-7 : « Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir) », communiqué, 26 février 2020. [ Retour au texte ]
  49. Bryden (2020); et BCCLA (2020). [ Retour au texte ]
  50. Ross (2020). [ Retour au texte ]
  51. Ibid. [ Retour au texte ]

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