En février 2015, la Cour suprême du Canada a rendu son jugement dans l’affaire Carter c. Canada (Procureur général), une décision importante concernant l’encadrement de l’aide à mourir. Dans la décision, il était établi que les dispositions du Code criminel qui criminalisaient le fait d’aider une personne à mettre fin à ses jours étaient contraires à la Charte canadienne des droits et libertés. À la suite de ce jugement, plusieurs groupes ont été formés afin d’étudier la question de l’aide médicale à mourir (AMM) et de considérer de possibles modifications qui pourraient être apportées à la législation et aux politiques connexes. Parmi ces groupes, mentionnons un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes.
En avril 2016, la ministre fédérale de la Justice a déposé le projet de loi C‑14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), qui proposait des règles pour déterminer qui pourrait avoir accès à l’AMM ainsi que les procédures que les fournisseurs de soins de santé devraient respecter. Le fait qu’une personne soit « atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable », ressente des souffrances qui lui sont intolérables et que sa mort naturelle soit devenue « raisonnablement prévisible » figuraient parmi les critères d’admissibilité à l’AMM. Le projet de loi C‑14 exigeait également la tenue d’un examen indépendant des questions relatives à l’AMM pour les mineurs matures, les demandes anticipées d’AMM et l’AMM lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. Ces examens ont été menés par le Conseil des académies canadiennes entre décembre 2016 et décembre 2018.
Le projet de loi C‑14 est devenu loi en juin 2016 et cette dernière a été contestée presque immédiatement pour le motif qu’elle était trop restrictive. En septembre 2019, la Cour supérieure du Québec a déclaré inconstitutionnel le passage de cette loi où il était précisé que la mort naturelle devait être raisonnablement prévisible pour qu’une personne ait accès à l’AMM. En mars 2021, le Parlement a réagi en adoptant le projet de loi C‑7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). Le projet de loi a aboli le critère d’admissibilité de mort naturelle « raisonnablement prévisible » et a établi un autre ensemble de règles pour les cas où la mort naturelle d’une personne n’est pas raisonnablement prévisible. Il a également interdit pour une période de deux ans l’AMM fondée uniquement sur la maladie mentale. Cette période a depuis été prolongée à deux reprises.
Le projet de loi C‑7 exigeait qu’un groupe d’experts indépendant étudie la question de l’AMM dans le contexte de la maladie mentale et qu’un examen parlementaire de la loi sur l’AMM soit effectué. La première étude, terminée en mai 2022, a révélé qu’il n’était pas nécessaire de modifier la loi pour que les personnes uniquement atteintes de troubles mentaux puissent recevoir l’AMM. L’examen parlementaire a été entrepris par un comité mixte, qui a publié son rapport en février 2023. Celui-ci contenait des recommandations sur l’AMM dans le contexte des soins palliatifs, des personnes handicapées, des mineurs matures, des personnes atteintes de troubles mentaux et des demandes anticipées. Le groupe d’experts et le comité parlementaire ont tous deux recommandé l’élaboration de normes de pratique de l’AMM harmonisées à l’échelle du pays.
En mars 2023, le Parlement a adopté le projet de loi C‑39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), qui reportait d’un an l’admissibilité à l’AMM fondée uniquement sur une maladie mentale. Le comité mixte a été rétabli en octobre 2023 pour examiner si le Canada était prêt à offrir l’AMM sur le seul fondement d’une maladie mentale. Dans son rapport de janvier 2024, le comité recommandait de reporter à nouveau l’admissibilité à cette forme d’AMM, ce qui a mené à l’adoption du projet de loi C‑62, Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). L’entrée en vigueur de l’admissibilité à l’AMM lorsqu’une maladie mentale est le seul problème médical invoqué est désormais prévue pour le 17 mars 2027.
Le Québec a été un chef de file de l’élaboration de lois et de politiques sur l’AMM. Avant l’adoption du projet de loi C‑14, le Québec a adopté sa propre loi concernant les soins de fin de vie, qui comprenait des dispositions sur l’AMM. Des différences entre la loi québécoise et la loi fédérale ont créé des incertitudes quant au droit applicable au Québec. Le 7 juin 2023, l’Assemblée nationale du Québec a adopté des modifications à la loi québécoise qui autoriseront les demandes anticipées d’AMM, entre autres changements importants.
L’application de l’AMM ne fait pas l’unanimité et des professionnels de la santé qui jugent l’AMM contraire à leur conscience ou à leurs convictions religieuses veulent s’assurer de pouvoir refuser d’y participer. Le retrait du critère de mort naturelle raisonnablement prévisible a accentué les inquiétudes concernant la pratique de l’AMM. Certains soutiennent que la nouvelle loi est discriminatoire à l’égard des personnes handicapées, et d’autres craignent que les gens se tournent vers l’AMM parce qu’ils ne reçoivent pas les soins de santé ou le soutien social adéquats.
Bien que certaines personnes veuillent restreindre l’accès à l’AMM, d’autres réclament plutôt qu’il soit élargi pour inclure les mineurs matures et permettre les demandes anticipées dans certaines conditions. Entre-temps, le gouvernement fédéral et les fournisseurs de soins de santé se préparent à la légalisation, en mars 2027, de l’AMM fondée sur la maladie mentale.
Dans l’affaire Carter c. Canada (Procureur général) 1 (l’arrêt Carter) de 2015, la Cour suprême du Canada a invalidé les dispositions du Code criminel (le Code) qui interdisaient d’aider quelqu’un à se donner la mort 2. La Cour a déclaré que les dispositions étaient constitutionnellement nulles
dans la mesure où [elles] prohibent l’aide d’un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition 3.
La prise d’effet de la déclaration d’invalidité a été suspendue pour un an, puis la suspension a été prolongée de quatre mois 4.
En réponse à l’arrêt Carter, le Parlement a adopté le projet de loi C‑14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), qui autorisait la prestation de l’aide médicale à mourir (AMM) selon certains critères d’admissibilité 5. Dans l’affaire Truchon c. Procureur général du Canada (Truchon) de 2019 6, la Cour supérieure du Québec a déclaré inconstitutionnel le critère d’admissibilité qui exigeait que la mort naturelle d’une personne soit « raisonnablement prévisible ». C’est ce qui a mené à l’adoption du projet de loi C‑7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir) 7.
Les règles relatives à l’AMM et à son application par les fournisseurs de soins de santé continuent d’évoluer au Canada. La présente Étude de la Colline met en lumière quelques‑uns des principaux développements survenus au Canada dans le sillage de l’arrêt Carter.
On trouvera un compte rendu de l’historique de l’AMM au Canada et des renseignements sur l’AMM dans d’autres pays dans les publications L’euthanasie et l’aide au suicide au Canada et Aide médicale à mourir : la législation dans certains États à l’extérieur du Canada 8.
Plusieurs initiatives gouvernementales ont été prises en réponse à l’arrêt Carter. En juillet 2015, le gouvernement fédéral a créé le Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada 9. Après avoir tenu de vastes consultations, le Comité a présenté son rapport final le 15 décembre 2015 10. En août 2015, 11 provinces et territoires ont constitué le Groupe consultatif provincial-territorial d’experts sur l’aide médicale à mourir pour mener des consultations et formuler des recommandations quant aux politiques et procédures provinciales à mettre en place en matière d’aide à mourir 11. Le rapport définitif du Groupe a été publié le 30 novembre 2015 12.
En décembre 2015, un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (PDAM), a été mis sur pied pour examiner la question de l’AMM et formuler des recommandations en vue de l’élaboration d’un cadre fédéral 13. Le rapport du Comité, publié en février 2016, contenait 21 recommandations concernant la réponse législative au sujet de l’AMM, y compris des critères d’admissibilité et des mesures de protection 14. Le Comité n’a pas produit un rapport unanime; certains de ses membres conservateurs ont présenté une opinion dissidente, tandis que ses membres du Nouveau Parti démocratique ont soumis une opinion complémentaire au nom de leur parti 15. Bon nombre des recommandations du Comité concernant les critères d’admissibilité et les mesures de protection ont été intégrées au projet de loi C‑14 16.
Le projet de loi C‑14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) 18 a constitué la réponse législative fédérale à l’arrêt Carter. Il a reçu la sanction royale le 17 juin 2016. Il a défini l’« aide médicale à mourir » comme l’administration ou la prescription à une personne, à la demande de celle-ci, d’une substance qui causera sa mort (et l’autorisation de se l’administrer). En vertu du projet de loi, certaines personnes, y compris les médecins et les infirmiers praticiens, fournissant ou aidant à fournir l’AMM étaient exemptées de la responsabilité pénale (par. 241(2) à 241(5) du Code). Le projet de loi prévoyait les critères d’admissibilité pour recevoir l’AMM et les mesures de sauvegarde à respecter. Lors de la présentation du projet de loi C‑14, le Québec avait déjà adopté sa propre loi sur l’aide médicale à mourir, la Loi concernant les soins de fin de vie 19, laquelle prévoyait des critères quelque peu différents (voir la section 10 de la présente Étude de la Colline, « Législation du Québec en matière d’aide médicale à mourir »).
En vertu des critères d’admissibilité établis dans le projet de loi C‑14, la personne qui demandait l’AMM devait :
Pour être considérée comme ayant des « problèmes de santé graves et irrémédiables » en vertu du projet de loi, la personne devait répondre aux critères suivants :
Les mesures de sauvegarde énoncées dans le projet de loi incluaient les suivantes :
Le projet de loi C‑14 autorisait la prise de règlements pour la fourniture et la collecte de renseignements relatifs à l’AMM (par. 241.31(3) du Code). Ainsi, le Règlement sur la surveillance de l’aide médicale à mourir 21 est entré en vigueur en novembre 2018. Y sont précisés les renseignements devant être fournis par les médecins et infirmiers praticiens ainsi que les pharmaciens au ministre de la Santé (par. 2(1) du Règlement) ou à d’autres destinataires désignés dans les provinces et les territoires (par. 2(2) du Règlement).
Dans sa version définitive, le projet de loi exigeait également qu’un examen indépendant soit réalisé au sujet de trois cas de restrictions qui étaient applicables à l’AMM et qui le sont toujours. Il s’agissait des cas d’AMM pour les mineurs matures 22, de demandes anticipées d’AMM 23 et de demandes d’AMM où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée 24.
En décembre 2016, la ministre de la Santé et la ministre de la Justice et procureure générale du Canada ont demandé au Conseil des académies canadiennes (CAC) d’effectuer l’examen indépendant exigé par le projet de loi C‑14.
Le CAC a formé le Comité d’experts sur l’aide médicale à mourir, composé d’experts canadiens et étrangers qui se sont répartis en trois groupes de travail, chacun devant se pencher sur une question (les mineurs matures, les demandes anticipées et la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée). Comme il est précisé dans le sommaire des rapports des groupes de travail :
Les experts provenaient du milieu universitaire, clinique, juridique et réglementaire et des disciplines de la médecine, des soins infirmiers, du droit, de la bioéthique, de la psychologie, de la philosophie, de l’épidémiologie, de l’anthropologie et de la sociologie. Le comité d’experts a dû définir l’éventail de connaissances et de données probantes correspondant au mandat et examiner et interpréter ces données sous forme de constatations 25.
Le CAC a publié le rapport final de chacun des groupes de travail ainsi qu’un résumé des rapports le 12 décembre 2018 26. Les trois groupes de travail ont constaté des lacunes importantes dans les connaissances sur les questions qu’on leur a demandé d’examiner, notamment une expérience étrangère minimale sur laquelle s’appuyer 27.
Le groupe de travail qui a examiné les connaissances sur l’AMM pour les mineurs matures a souligné qu’« une des principales difficultés que soulève la création d’une loi pour les mineurs est de trouver le juste équilibre entre protéger les mineurs contre certains dangers et respecter leurs droits en évitant de leur imposer des contraintes injustes et contraires à l’éthique 28 ». D’après le groupe, le fait de refuser l’AMM aux mineurs matures pourrait un jour entraîner une contestation constitutionnelle 29. Le groupe a indiqué qu’« [a]ucune donnée n’a permis d’établir qu’un âge minimum constituerait une mesure efficace pour protéger ceux qui sont incapables de prendre de manière volontaire une décision éclairée relative à l’AMM 30 ». Comme éventuelles mesures de protection, le groupe a mentionné la possibilité de ne permettre l’AMM pour les mineurs qu’en cas de maladie terminale, et d’exiger qu’une équipe médicale multidisciplinaire évalue la capacité de la mineure ou du mineur concerné 31.
Le groupe de travail qui s’est penché sur les demandes anticipées a observé que les principales raisons qui amènent une personne à faire une demande anticipée d’AMM sont liées au désir de rester maître de sa fin de vie et à la volonté d’éviter une souffrance intolérable. Le groupe a également constaté que le « principal risque posé par les demandes anticipées d’AMM est qu’une personne reçoive l’aide à mourir contre sa volonté 32 ». Bon nombre des questions soulevées ont trait à l’incertitude à laquelle seraient confrontées les personnes appelées à prendre une décision sur l’AMM pour une autre personne sans pouvoir confirmer que celle-ci souhaite toujours recevoir l’AMM qu’elle a demandée de manière anticipée. Les membres du groupe de travail ne se sont pas entendus sur les mesures de protection qui seraient nécessaires dans ce contexte ni sur leur capacité à réduire suffisamment le risque que représentent les demandes anticipées d’AMM 33.
Le troisième groupe de travail, qui a employé le terme de « trouble mental » par souci de « cohérence avec la pratique clinique et juridique actuelle », a reconnu que le trouble mental dans le contexte de l’AMM constituait un « sujet litigieux 34 ». Les membres du groupe étaient en désaccord sur « certaines questions fondamentales » et ne sont pas parvenus, sur plusieurs sujets, « à un consensus sur l’interprétation ou la signification des données probantes ni sur ce qui constitue des données probantes pertinentes 35 ». Parmi les questions clés examinées, mentionnons la difficulté, pour les cliniciens, de déterminer si la présentation d’une demande d’AMM est en soi un symptôme de trouble mental, la possibilité de déterminer si le trouble mental d’une personne est « irrémédiable », et la question de savoir si l’autorisation de l’AMM lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué (AMM TM-SPMI) est compatible avec les efforts de prévention du suicide. Les membres du groupe ont examiné plusieurs mesures de protection possibles pour l’AMM TM-SPMI, sans toutefois s’entendre sur leur efficacité pour atténuer les risques.
Dans le cadre de l’examen par le CAC, un cercle des aînés autochtones, animé par des membres autochtones du comité d’experts, s’est réuni pour fournir le point de vue des peuples autochtones au sujet de l’AMM. Le cercle des aînés autochtones a souligné que les peuples autochtones du Canada n’avaient pas été consultés au sujet de l’AMM 36. Cette absence de consultation des peuples autochtones avait aussi été signalée lors de l’étude de l’AMM au Parlement.
Peu après l’entrée en vigueur du projet de loi C‑14 en juin 2016, Julia Lamb, une femme atteinte d’amyotrophie spinale de type 2, et l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique ont contesté la loi en maintenant qu’elle était trop restrictive, car elle exigeait que, pour être admissible à l’AMM, une personne soit dans un état de « déclin avancé et irréversible » et que sa mort naturelle soit « raisonnablement prévisible 37 ». La contestation a toutefois été abandonnée après que la procureure générale du Canada de l’époque eut soumis un témoignage d’expert faisant état d’une interprétation plus large du terme « raisonnablement prévisible » selon laquelle Mme Lamb serait vraisemblablement admissible à l’AMM 38.
En juin 2017, la loi a à nouveau été contestée, cette fois, par deux personnes vivant au Québec 39. Atteint de paralysie cérébrale, Jean Truchon avait reçu, en 2012, un diagnostic de sténose spinale grave avec myélomalacie, affection qui l’avait privé de l’usage du bras qu’il pouvait encore utiliser. Nicole Gladu avait appris, à 47 ans, qu’elle souffrait du syndrome de post-poliomyélite. Tous deux avaient fait une demande d’AMM, qui avait été jugée conforme à tous les critères d’admissibilité, sauf celui voulant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible en vertu du Code et que la personne soit en « fin de vie » conformément à la loi québécoise sur les soins de fin de vie. Dans leur contestation, ils faisaient valoir que ces critères portaient atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) 40.
Le 11 septembre 2019, la Cour supérieure du Québec a déclaré que la disposition du Code exigeant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible était contraire aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, garantis par l’article 7 de la Charte, et que l’atteinte n’était pas justifiée en vertu de l’article 1 41. La juge a également établi que les dispositions du Code et de la loi québécoise concernant les soins de fin de vie qui exigeaient qu’une personne soit « en fin de vie » portaient atteinte aux droits à l’égalité prévus par l’article 15 de la Charte et qu’elles ne pouvaient pas être valides en vertu de l’article 1 42.
Ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement du Québec n’a fait appel du jugement 43.
En réponse à la décision rendue dans l’arrêt Truchon, le Parlement a adopté le projet de loi C‑7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), qui a reçu la sanction royale le 17 mars 2021 44. Le projet de loi abrogeait le critère d’admissibilité à l’AMM exigeant une mort naturelle raisonnablement prévisible, jugé inconstitutionnel par la Cour supérieure du Québec. Toutefois, le critère demeure pertinent en vertu de la loi sur l’AMM, puisque le projet de loi C‑7 a établi un système à deux voies, qui comporte des mesures de sauvegarde différentes selon que la mort naturelle d’une personne est raisonnablement prévisible ou non.
Le projet de loi C‑7 a revu certaines des mesures de sauvegarde pour l’AMM. Par exemple, il a réduit le nombre de témoins requis pour signer une demande d’AMM, qui est passé de deux à un (al. 241.2(3)c) du Code), et a permis aux personnes qui fournissent des soins personnels ou de santé à la personne qui demande l’AMM d’agir comme témoins dans certaines circonstances (par. 241.2(5.1) du Code). Dans les cas où la mort naturelle d’une personne est raisonnablement prévisible (la « voie un »), le projet de loi a éliminé la période d’attente obligatoire de 10 jours entre la présentation de la demande et la prestation de l’AMM et a permis aux personnes de renoncer à l’obligation de donner un dernier consentement immédiatement avant d’obtenir l’AMM dans certaines circonstances (par. 241.2(3.2) du Code) 45.
Par la même occasion, le projet de loi C‑7 a établi de nouvelles mesures de sauvegarde pour les cas où la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible (la « voie deux »). Par exemple, il exigeait que 90 jours s’écoulent entre la première évaluation et la prestation de l’AMM, à moins que la perte de capacité de la personne ne soit jugée imminente (al. 241.2(3.1)i) du Code). Il exigeait également que l’un des évaluateurs possède une expertise sur le problème de santé à l’origine de la souffrance ou qu’un tel expert soit consulté (al. 241.2(3.1)e) et 241.2(3.1)e.1) du Code). Enfin, le projet de loi a ajouté des mesures de sauvegarde pour veiller à ce qu’une personne dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible soit informée des solutions de rechange pour soulager ses souffrances et qu’elle les envisage (al. 241.2(3.1)g) et 241.2(3.1)h) du Code).
En plus de modifier diverses mesures de sauvegarde, le projet de loi C‑7 a élargi les exigences de déclaration pour l’AMM afin qu’elles englobent un plus large éventail de cas et de fournisseurs de soins de santé (par. 241.31(1), 241.31(1.1) et 241.31(2) du Code). La réglementation a été modifiée en conséquence par le Règlement modifiant le Règlement sur la surveillance de l’aide médicale à mourir, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2023 46.
Le projet de loi C‑7 a également interdit l’AMM lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée – ce que nous appelons à présent l’AMM lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué (AMM TM-SPMI). Avant le projet de loi C‑7, il n’était pas interdit aux personnes atteintes de troubles mentaux d’obtenir l’AMM, mais elles étaient limitées par le critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible. La suppression de ce critère dans le projet de loi C‑7 aurait pu permettre à un plus grand nombre de personnes souffrant uniquement de troubles mentaux d’obtenir l’AMM. Toutefois, le projet de loi comprenait une nouvelle disposition qui indiquait que la maladie mentale n’est pas considérée comme une « une maladie, une affection ou un handicap » aux fins de l’admissibilité à l’AMM (par. 241.2(2.1) du Code). Le Sénat a modifié le projet de loi pour y inclure une disposition de temporisation qui permettrait l’AMM TM-SPMI 18 mois après la date de la sanction royale. Cette période a été prolongée à deux ans par la Chambre des communes 47. L’AMM TM-SPMI devait donc être accessible à compter du 17 mars 2023.
Pour en savoir plus sur certaines des controverses suscitées par le projet de loi C‑7, consultez la section 13 de la présente Étude de la Colline, intitulée « Vulnérabilités structurelles et aide médicale à mourir ».
Avant de l’adopter, la Chambre des communes a modifié le projet de loi C‑7 pour exiger que les ministres de la Justice et de la Santé fassent « réaliser par des experts un examen indépendant portant sur les protocoles, les lignes directrices et les mesures de sauvegarde recommandés pour les demandes d’aide médicale à mourir de personnes atteintes de maladie mentale 48 ». Le Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale a été constitué en août 2021 pour réaliser cet examen. Le 13 mai 2022, le Groupe d’experts a déposé au Parlement son rapport final accompagné de 19 recommandations 49. Les experts ont conclu que les critères d’admissibilité et les mesures de sauvegarde pour l’AMM sont adéquats dans les cas où le trouble mental est le seul problème médical invoqué 50.
Le projet de loi C‑14 exigeait qu’un comité parlementaire examine les nouvelles dispositions sur l’AMM et l’état des soins palliatifs et en fasse rapport cinq ans après la sanction royale. Cela n’a toutefois pas eu lieu avant la présentation du projet de loi C‑7. Pour sa part, le projet de loi C‑7 comprenait une disposition semblable exigeant qu’un examen des dispositions sur l’AMM et de leur mise en application, « notamment des questions portant sur les mineurs matures, les demandes anticipées, la maladie mentale, la situation des soins palliatifs au Canada et la protection des Canadiens handicapés », soit effectué par un comité mixte du Sénat de la Chambre des communes et que cet examen débute dans les 30 jours suivant la date de la sanction royale 51.
Le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (AMAD) a entamé l’examen parlementaire requis par le projet de loi C‑7 en 2021, mais il a été dissous lors du déclenchement des élections fédérales de 2021. Il a été rétabli en mars 2022. En juin 2022, l’AMAD a publié un rapport provisoire portant sur l’AMM pour les cas où le seul problème médical invoqué est un trouble mental 52, auquel le gouvernement a répondu en octobre 2022 53. Le rapport final de l’AMAD en vue de l’examen législatif a été publié en février 2023 54. Le Comité a notamment recommandé d’explorer des modifications possibles au Code pour éviter la stigmatisation des personnes handicapées, permettre aux mineurs matures dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible d’obtenir l’aide médicale à mourir, et permettre les demandes anticipées d’AMM dans certaines circonstances. Le gouvernement a répondu au rapport final de l’AMAD en juin 2023 55.
Comme l’explique la prochaine section, l’AMAD a été rétabli en octobre 2023 pour se pencher sur l’état de préparation par rapport à l’AMM TM-SPMI.
En réponse aux préoccupations selon lesquelles le système de soins de santé ne serait pas prêt à fournir de façon sécuritaire et uniforme l’AMM TM-SPMI avant la date limite du 17 mars 2023 prévue par le projet de loi C‑7, le ministre fédéral de la Justice a présenté le projet de loi C‑39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir) 56. Le projet de loi a retardé d’une année supplémentaire la disponibilité de l’AMM TM-SPMI, soit jusqu’au 17 mars 2024 57. Il a été présenté à la Chambre des communes le 2 février 2023, alors que l’AMAD approchait de la fin de son mandat, et a été adopté par cette même Chambre le 15 février 2023, le jour même où l’AMAD a présenté son rapport final au Sénat et à la Chambre des communes. Le projet de loi a été adopté par le Sénat et a reçu la sanction royale le 9 mars 2023. Selon le gouvernement, l’adoption du projet de loi a accordé plus de temps pour la « diffusion de ressources clés », comme des normes de pratique et un programme de formation, « et leur adoption » ainsi que pour l’examen du rapport final de l’AMAD 58.
Dans son rapport final en vue de l’examen législatif, l’AMAD recommandait que le Comité soit rétabli cinq mois avant l’entrée en vigueur de l’admissibilité à l’AMM TM-SPMI « afin de vérifier le degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l’AMM (en situation de TM-SPMI) » (Recommandation 13). Le Comité a été rétabli en octobre 2023 en application de cette recommandation. Le 29 janvier 2024, le Comité a présenté son troisième rapport dans lequel il recommandait un nouveau report de l’entrée en vigueur de l’AMM TM-SPMI 59. Le rapport n’était pas unanime : quatre des cinq sénateurs siégeant au Comité ont présenté des opinions dissidentes, tandis que ses membres du Parti conservateur et du Bloc Québécois ont soumis des opinions complémentaires. Le jour même du dépôt du rapport, les ministres de la Santé et de la Justice ont publiquement exprimé qu’ils souscrivaient à la recommandation du Comité 60. Le 1er février 2024, le ministre de la Santé a déposé à la Chambre des communes le projet de loi C‑62, Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir) 61, qui reporte au 17 mars 2027 l’admissibilité à l’AMM TM-SPMI et exige qu’un comité mixte réexamine la question avant cette date. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 29 février 2024.
Le Québec a été un chef de file en ce qui concerne l’élaboration de lois et de politiques sur l’aide médicale à mourir. La Loi concernant les soins de fin de vie du Québec (la Loi du Québec) a été présentée pour la première fois en tant que projet de loi 52, en juin 2013, à la suite de plusieurs rapports importants sur la question des soins de fin de vie dans la province 62. Le projet de loi incluait des dispositions permettant « l’aide médicale à mourir » dans certaines conditions. Il a reçu la sanction le 10 juin 2014, avant la publication de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter. Le projet de loi n’est toutefois entré en vigueur que le 10 décembre 2015, après que l’arrêt Carter eut invalidé les interdictions du Code sur l’aide à mourir.
La déclaration d’invalidité faite dans l’arrêt Carter était encore suspendue au moment de l’entrée en vigueur du projet de loi 52, ce qui soulevait des questions quant à un conflit potentiel entre la loi fédérale, qui interdisait toujours l’aide médicale à mourir, et la loi québécoise 63. L’incertitude quant à l’interaction des deux régimes s’est poursuivie à la suite de l’adoption du projet de loi C‑14 au niveau fédéral, car la terminologie et les critères énoncés dans le projet de loi fédéral différaient à certains égards de ceux de la loi québécoise. Par exemple, les critères d’admissibilité de la loi fédérale faisaient référence à une mort naturelle « raisonnablement prévisible » plutôt qu’au critère de « fin de vie » énoncé dans la loi québécoise. De plus, la loi fédérale autorisait les demandes d’AMM en raison « d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables », plutôt qu’une « maladie grave et incurable » seulement, comme l’indique la loi québécoise. Le projet de loi C‑14 permettait également l’autoadministration de l’AMM.
Le 7 juin 2023, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 11, Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives 64. Le projet de loi apporte un certain nombre de changements importants au régime d’AMM du Québec. Plus particulièrement, il permet aux personnes souffrant d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude de formuler une demande anticipée d’AMM et prescrit les règles et les critères applicables à une telle demande anticipée. Les dispositions relatives aux demandes anticipées entreront en vigueur à une date fixée par le gouvernement du Québec, au plus tard le 7 juin 2025 65. Le projet de loi 11 permet également aux personnes ayant « une déficience physique grave entraînant des incapacités significatives et persistantes » de recevoir l’AMM à compter du 26 mars 2024 (art. 26 de la Loi du Québec) 66. De plus, il prévoit qu’un trouble mental autre qu’un trouble neurocognitif ne peut pas être une maladie pour laquelle une personne peut formuler une demande d’AMM (par. 26(4) et sous-al. 29.1(2)d)(ii) de la Loi du Québec).
Les organismes provinciaux et territoriaux de réglementation des professionnels de la santé ont produit diverses ressources concernant l’AMM, y compris des normes de pratique, à l’intention de leurs membres. Des ressources ont aussi été développées par d’autres groupes, notamment l’Association canadienne de protection médicale et la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada.
En outre, l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM (ACEPA) a produit des lignes directrices sur la pratique clinique, qui portent notamment sur l’interprétation du terme « raisonnablement prévisible 67 » et le fait de discuter avec les patients de l’AMM comme option de soins cliniques 68. L’ACEPA a également élaboré le « Programme canadien de formation sur l’AMM », le premier programme de formation agréé à l’échelle nationale qui appuie la pratique de l’AMM au Canada. Le programme comprend des modules sur l’évaluation de l’AMM, y compris « Évaluation de l’aptitude et de la vulnérabilité », « Prestation de l’AMM » et « AMM et troubles mentaux » 69.
Certains cliniciens ont réclamé des normes de pratique cohérentes pour encadrer l’AMM dans l’ensemble du pays 70. L’AMAD et le Groupe d’experts ont tous deux formulé des recommandations à cet égard, en insistant sur la nécessité d’une collaboration entre les organismes de réglementation professionnels, facilitée par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, afin d’élaborer des normes de pratique harmonisées pour les évaluations de l’AMM 71. Pour ce faire, le gouvernement fédéral a mis sur pied le Groupe de travail sur les normes de pratique en matière d’AMM en septembre 2022. En mars 2023, le Groupe de travail a publié un Modèle de norme de pratique en matière d’aide médicale à mourir 72. Comme le gouvernement l’a expliqué, ce modèle de normes de pratique « n’est pas une proposition de normes réglementaires canadienne, car aucune instance possède l’autorité à émettre des normes réglementaires canadiennes 73 ». Il offre toutefois un exemple aux organismes de réglementation provinciaux et territoriaux.
La question de la liberté de conscience et de religion des fournisseurs de soins de santé a suscité de nombreux débats dans le contexte de l’AMM. Elle a d’ailleurs été soulevée devant PDAM et durant les débats sur le projet de loi C‑14 au Parlement.
Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a modifié le projet de loi C‑14 de manière à préciser que l’article 241.2 du Code n’oblige personne à fournir ou à aider à fournir l’AMM (par. 241.2(9) du Code). De plus, le préambule du projet de loi indiquait que « chacun jouit de la liberté de conscience et de religion au titre de l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés » et que « la présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte à la garantie dont fait l’objet cette liberté 74 ».
Parallèlement à ces efforts, les organismes provinciaux et territoriaux de réglementation des professions de la santé ont établi des politiques relatives à la participation à l’AMM. Dans certains cas, ces politiques prévoient que les praticiens qui ne peuvent pas fournir un service de santé pour des raisons de conscience doivent faire un « aiguillage efficace » pour s’assurer que l’accès du patient aux services de santé n’est pas restreint 75.
Un autre point de discussion important porte sur la façon dont les vulnérabilités structurelles 76, ancrées dans les inégalités sociales, peuvent influencer les soins et la prise de décisions en matière d’AMM. Par exemple, certains intervenants ont laissé entendre que des expériences difficiles ou de la discrimination fondée sur l’âge, le handicap, la situation socio-économique, la maladie mentale, l’identité autochtone et d’autres facteurs peuvent exacerber la souffrance, ce qui peut contribuer à la décision de demander l’AMM 77. Il en va de même d’un traitement discriminatoire dans le système de santé. Par ailleurs, en fonction de ces facteurs, certaines personnes pourraient être jugées à tort comme ayant une capacité moindre de consentir à l’AMM, ce qui serait en soi discriminatoire et limitatif de leur autonomie 78.
Le projet de loi C‑7 a amplifié ces préoccupations, en particulier à l’égard des personnes handicapées. Selon certains activistes des droits des personnes handicapées, depuis que l’admissibilité à l’AMM est fondée sur le fait d’avoir « une maladie, une affection ou un handicap graves et incurables », le retrait du critère de mort naturelle « raisonnablement prévisible » offre aux personnes handicapées une voie spéciale vers l’AMM qui n’existe pas pour les autres groupes vulnérables et, par conséquent, dévalorise leur vie. Toutefois, d’autres personnes handicapées (y compris les parties au litige dans l’affaire Truchon) ont milité en faveur du droit de choisir l’AMM, en affirmant que de refuser l’accès à celle-ci en raison d’un handicap serait paternaliste et discriminatoire 79.
Des intervenants ont également dit craindre que le retrait du critère d’admissibilité de mort naturelle raisonnablement prévisible du projet de loi C‑7 puisse entraîner le recours à l’AMM pour alléger des souffrances qui sont en partie attribuables à des difficultés socio-économiques ou à un accès inadéquat aux services sociaux et de santé, y compris les soins palliatifs 80.
Les questions relatives à l’AMM au Canada sont loin d’être réglées. Bien que certains intervenants préconisent un régime d’AMM plus strict, ce qui comprend le rétablissement du critère d’admissibilité de mort naturelle raisonnablement prévisible, d’autres souhaitent élargir l’accès pour inclure les mineurs matures et les demandes anticipées d’AMM 81. Entre-temps, la légalisation à venir de l’AMM dans les cas où le trouble mental est le seul problème médical invoqué soulève de nouvelles préoccupations et de nouveaux défis pour les praticiens de l’AMM. La façon dont le Parlement répondra à ces questions dans les prochaines années continuera d’être un sujet d’intérêt.
Un mineur est une personne n’ayant pas atteint l’âge de la majorité (18 ou 19 ans selon la province ou le territoire). Un mineur mature est un mineur qui possède la capacité de comprendre et d’apprécier la nature et les conséquences d’une décision [italique dans le texte].CAC, L’état des connaissances sur l’aide médicale à mourir pour les mineurs matures (5.9 Mo, 252 pages), rapport préparé par le Groupe de travail du comité d’experts sur l’AMM pour les mineurs matures, 2018, p. 5. [ Retour au texte ]
Le comité d’experts définit une demande anticipée d’AMM, comme une demande d’AMM formulée préalablement à la perte de la capacité à prendre des décisions et visant à être exécutée dans les situations décrites dans la demande après que la personne a perdu cette capacité [italique dans le texte].CAC, L’état des connaissances sur les demandes anticipées d’aide médicale à mourir (5.8 Mo, 268 pages), rapport préparé par le Groupe de travail du comité d’experts sur les demandes anticipées d’AMM, 2018, p. 6. [ Retour au texte ]
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