Dans ce résumé législatif de la Bibliothèque du Parlement, tout changement d'importance depuis la publication précédente est signalé en caractères gras.
Le projet de loi C-38, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription) 1, a été présenté à la Chambre des communes le 14 décembre 2022 par la ministre des Services aux Autochtones et ministre responsable de l’Agence fédérale de développement économique pour le Nord de l’Ontario. Il a été lu une première fois le jour même.
Au sens de la Loi sur les Indiens, le terme « Indien » s’entend d’une « [p]ersonne qui, conformément à la présente loi, est inscrite à titre d’Indien ou a droit de l’être » (par. 2(1)) 2. Les critères permettant de déterminer qui est un « Indien » et a le droit d’être inscrit dans le registre des Indiens sont énoncés à l’article 6 de la Loi sur les Indiens.
Les personnes inscrites sont souvent désignées comme ayant un « statut » d’Indien. Le fait d’être « inscrit » en bonne et due forme, ou de détenir un « statut », n’est pas sans importance, tant pour une personne que pour sa communauté. En effet, les membres inscrits des Premières Nations jouissent de certains droits conférés par la loi, ont accès à divers programmes fédéraux, qui offrent notamment des services de santé non assurés et le financement des études postsecondaires, et peuvent recevoir des annuités découlant de traités 3. De plus, le financement fédéral de certains programmes et services à l’intention des Premières Nations est établi en fonction du nombre de membres inscrits dans une communauté.
Avant 1985, un membre inscrit d’une Première Nation pouvait être émancipé pour divers motifs. L’émancipation entraînait la perte du droit à l’inscription et le fait de ne plus être considéré comme un « Indien » au sens de la Loi sur les Indiens pour devenir un citoyen canadien à part entière. Épouser un homme non inscrit était l’un des motifs menant automatiquement à l’émancipation d’une femme inscrite – entraînant la perte de son statut et des droits s’y rattachant (c’est ce qu’on appelait communément une « exclusion par mariage »).
Une partie des dispositions du projet de loi C-38 vise à répondre à une contestation constitutionnelle, Nicholas c. Canada (Procureur général) 4 (Nicholas), qui concerne les inégalités qui subsistent dans les dispositions relatives à l’inscription de la Loi sur les Indiens à l’égard de certaines personnes ayant été émancipées dans le passé ainsi que leur capacité de transmettre leur statut en vertu de la Loi à leurs descendants directs. Les représentants des demandeurs dans Nicholas et la ministre des Services aux Autochtones ont convenu de mettre le litige en suspens pendant le processus de modification de la Loi 5. Les modifications proposées figurent dans le projet de loi C-38. Les modifications que prévoit le projet de loi signifient que les personnes ayant obtenu le rétablissement en vertu de la Loi après avoir été émancipées pourront transmettre leur statut à leurs descendants directs, au même titre que les personnes n’ayant jamais été émancipées. À l’heure actuelle, seules les femmes réinscrites après avoir été émancipées du fait de leur mariage avec un homme non inscrit peuvent transmettre leur statut à leurs descendants directs au même titre qu’une personne n’ayant jamais été émancipée (art. 4 du projet de loi).
Le projet de loi a également pour effet :
En ce qui a trait à l’emploi des termes « Indien » et « Premières Nations », le terme « Indien » est généralement perçu comme étant dépassé et ancré dans le colonialisme, et le terme « Premières Nations » est maintenant le terme privilégié. Or, étant donné que le terme « Indien » figure encore dans la Loi sur les Indiens (la Loi) et qu’il a un sens juridique, il est employé dans le présent résumé législatif au besoin, surtout dans les citations tirées de la Loi ou de documents historiques.
L’article 6 de la Loi sur les Indiens énonce les critères d’inscription au registre des Indiens. Les critères donnant droit à l’inscription sont énumérés au paragraphe 6(1). Ces critères ont été révisés lors de modifications successives de la Loi sur les Indiens, comme discuté à la section 1.1.1 du présent résumé législatif.
L’alinéa 6(1)a.1) de la Loi sur les Indiens énonce les dispositions relatives à l’inscription en ce qui concerne les personnes suivantes :
L’alinéa 6(1)a.2) reconnaît le droit d’une personne née de sexe féminin et hors mariage entre le 4 septembre 1951 et le 16 avril 1985 d’être inscrite si, à sa naissance, son père avait le droit d’être inscrit ou, s’il était décédé, avait ce droit à la date de son décès. Pour qu’une personne puisse être inscrite en application de l’alinéa 6(1)a.2), sa mère devait aussi ne pas avoir le droit d’être inscrite au moment de la naissance de la personne.
Aux termes de l’alinéa 6(1)a.3), les descendants directs des personnes qui ont ou auraient eu le droit d’être inscrites en vertu des alinéas 6(1)a.1) ou 6(1)a.2) ont le droit d’être inscrits. Les parents d’une personne née après le 16 avril 1985 doivent avoir été mariés l’un à l’autre avant le 17 avril 1985 pour que la personne soit inscrite. Si la personne est née avant le 17 avril 1985, le fait que ses parents aient été mariés l’un à l’autre au moment de sa naissance n’a pas d’importance.
L’alinéa 6(1)b) dispose qu’une personne a le droit d’être inscrite si elle est membre d’un groupe de personnes déclaré par le gouverneur en conseil être une bande le ou après le 17 avril 1985.
Selon l’alinéa 6(1)d), l’homme dont le nom a été omis ou retranché du registre des Indiens avant le 4 septembre 1951 à sa demande (et, s’il était marié, dont l’épouse et les enfants mineurs ont été émancipés du même coup) a le droit d’être inscrit.
L’alinéa 6(1)e) précise qu’une personne a le droit d’être inscrite si son nom a été omis ou retranché du registre des Indiens avant le 4 septembre 1951 dans l’un ou l’autre des cas suivants :
Enfin, l’alinéa 6(1)f) dispose qu’une personne a le droit d’être inscrite si ses parents ont tous deux le droit d’être inscrits ou, s’ils sont décédés, avaient ce droit à la date de leur décès.
Lorsqu’un seul de ses parents est inscrit en vertu du paragraphe 6(1), la personne peut être inscrite en vertu du paragraphe 6(2). Le fait d’être inscrite en vertu du paragraphe 6(2) signifie qu’une personne peut transmettre son statut à son enfant uniquement si l’autre parent de l’enfant est également inscrit. Cette règle est connue sous le nom de « règle d’inadmissibilité de la seconde génération 7 ».
L’inscription n’est pas automatique. Il faut présenter une demande à SAC et joindre à sa demande, à titre d’exemple, une preuve de naissance et des renseignements généalogiques pour montrer que l’on répond aux critères d’admissibilité à l’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens 8. La responsabilité de tenir le registre et les listes de bande appartient au registraire à SAC 9. Le Ministère a indiqué que le traitement d’une demande peut prendre jusqu’à deux ans 10, mais d’après la réponse du gouvernement au septième rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, intitulé C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens, grâce aux améliorations apportées au processus d’inscription, dont la modernisation proactive de systèmes désuets, « on s’attend à ce que les délais de traitement s’améliorent continuellement 11 ». Dans sa réponse, le gouvernement du Canada s’engage également à publier un rapport annuel sur l’inscription à compter de 2024.
Bien que l’inscription au registre ne signifie pas nécessairement qu’une personne a le droit d’appartenir à une bande, l’article 11 de la Loi sur les Indiens, qui énonce les règles relatives aux listes de bande que tient SAC, établit un lien entre l’inscription au registre et l’appartenance.
Comme il est mentionné dans la section Contexte du présent résumé législatif, en plus de certains droits prévus par la loi et de l’accès à divers programmes fédéraux, les personnes inscrites des Premières Nations ont droit au paiement d’annuités découlant de traités 12. En outre, le financement fédéral de certains programmes et services destinés aux Premières Nations est fondé sur le nombre de personnes inscrites des Premières Nations dans une communauté.
Les tentatives de la Couronne pour contrôler l’identité des Premières Nations datent du milieu des années 1800. C’est alors que les lois coloniales ont commencé à définir qui pouvait être considéré comme étant un « Indien ». Une loi de 1850 a défini en termes généraux qui était un Indien; cette définition était alors appliquée « à l’effet de déterminer tout droit de propriété, possession ou occupation à l’égard de toute terre appartenant à toute tribu ou peuplade [d’Indiens] dans le Bas-Canada, ou approprié[e] pour son usage 13 ». La définition allait comme suit :
- Premièrement. – Tous [Indiens] pur sang, réputés appartenir à la tribu ou peuplade particulière [d’Indiens] intéressée dans [ladite] terre, et leurs descendants :
- Deuxièmement. – Toutes les personnes mariées à des [Indiens], et résidant parmi eux, et les descendants [desdites] personnes :
- Troisièmement. – Toutes personnes résidant parmi les [Indiens], dont les parents des deux côtés étaient ou sont des [Indiens] de telle tribu ou peuplade, ou ont droit d’être considérés comme tels :
- Quatrièmement. – Toutes personnes adoptées dans leur enfance par des [Indiens], et résidant dans le village ou sur les terres de telle tribu on peuplade [d’Indiens], et leurs descendants 14.
Les lois fédérales ont considérablement réduit la portée de la définition juridique du terme « Indien » au fil des ans. Comme l’explique le résumé législatif du projet de loi C-3, Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens, produit par la Bibliothèque du Parlement :
La Loi sur les Indiens [LI] de 1951 a abrogé la loi précédente et apporté d’importantes modifications au régime antérieur, notamment en instaurant un « registre des Indiens » centralisé. Sous son régime, le droit à l’inscription demeurait lié à l’appartenance à une bande, perpétuait la transmission du statut par le père et était accordé, comme par le passé, aux épouses et aux veuves d’Indiens inscrits, qu’elles soient elles-mêmes Indiennes ou non (art. 11). La LI de 1951 continuait de faire perdre leur statut aux Indiennes qui épousaient des non-Indiens (al. 12(1)b)) et aux personnes émancipées, une catégorie qui pouvait aussi inclure les femmes qui épousaient des non-Indiens (sous‑al. 12(1)a)(iii)). En outre, la LI de 1951 a instauré la règle « mère grand-mère », suivant laquelle une personne inscrite à la naissance perdait son statut et son appartenance à sa bande à l’âge de 21 ans si ses parents s’étaient mariés après l’entrée en vigueur de la LI en septembre 1951 et si sa mère et sa grand-mère paternelle avaient acquis leur statut seulement par mariage (sous-al. 12(1)a)(iv)) 15.
En 1985, le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi sur les Indiens, apportait des modifications importantes aux dispositions relatives à l’inscription 16. Ces modifications visaient à rendre la Loi sur les Indiens conforme aux dispositions relatives à l’égalité de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), qui est entrée en vigueur en avril 1985 17. Les modifications apportées par le projet de loi C-31 consistaient à supprimer les dispositions discriminatoires qui émancipaient une femme des Premières Nations et la privaient de son statut quand elle épousait un homme non inscrit. Les personnes qui obtenaient leur rétablissement ne pouvaient toutefois transmettre leur statut à leurs descendants au même titre que le pouvaient celles n’ayant jamais été émancipées. Cette inégalité a donné lieu à des contestations judiciaires et à l’adoption de nouvelles mesures législatives. De plus, le projet de loi C-31 fixait à 1985 une date limite pour le droit à l’inscription. Comme l’explique le rapport de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada intitulé Processus de collaboration sur l’inscription des Indiens, l’appartenance à une bande et la citoyenneté des Premières Nations : Rapport au Parlement Juin 2019 :
Qu’une personne soit née ou mariée avant ou après la date d’entrée en vigueur du projet de loi C-31 (le 17 avril 1985) peut avoir une incidence sur l’inscription des personnes et entraîner le refus du statut et des avantages connexes. Par exemple, 2 frères et sœurs nés ou mariés de part et d’autre de la date limite de 1985 pourraient ne pas avoir la même capacité de transmettre le statut à leurs enfants 18.
Avant l’adoption de la Charte, Jeannette Corbiere Lavell et Yvonne Bédard avaient contesté séparément, en vertu de la Déclaration canadienne des droits, les dispositions de la Loi sur les Indiens qui privaient une femme des Premières Nations de son statut lorsqu’elle épousait un homme non inscrit. Les causes ont été entendues ensemble et la Cour suprême a statué qu’aucune inégalité devant la loi ne résultait des dispositions 19.
D’autres femmes des Premières Nations se sont adressées aux instances internationales avant l’adoption de la Charte pour contester les dispositions discriminatoires sur l’exclusion par mariage. Ainsi, en 1977, Sandra Lovelace (Nicholas), qui allait par la suite être nommée au Sénat du Canada, a porté plainte auprès du Comité des droits de l’homme des Nations Unies en vertu du Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Elle avait perdu son statut et son appartenance à la bande en épousant un homme non inscrit et, après la rupture de son mariage, n’avait pu retourner dans sa communauté. En 1981, le Comité des droits de l’homme a conclu que le Canada avait enfreint ses obligations aux termes du Pacte 20.
Depuis le projet de loi C-31, les modifications apportées aux dispositions relatives à l’inscription ont fait suite en grande partie à des litiges. En 2010, la Loi sur l’Équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens 21 (l’ancien projet de loi C-3, également connu sous le nom de modifications McIvor) a donné suite à la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire McIvor v. Canada (McIvor) 22. Sharon McIvor et son fils avaient contesté les dispositions relatives à l’inscription au motif qu’elles établissaient une distinction illicite fondée sur le sexe et l’état matrimonial. La disposition contestée dans McIvor était celle de la règle « mère grand-mère » qui prévoyait, comme l’a expliqué la Cour, que si la mère et la grand-mère paternelle d’un enfant avaient le droit d’être inscrites pour la seule raison qu’elles avaient épousé un homme indien, le statut de l’enfant s’éteignait à l’âge de 21 ans. Dans l’affaire McIvor, le tribunal a statué que, en supprimant la règle « mère grand-mère », le projet de loi C-31 avait accordé un traitement plus favorable à la lignée masculine qu’aux descendants matrilinéaires pour ce qui est de transmettre leur statut à leurs descendants nés avant 1985 23.
Les modifications résultant de l’adoption du projet de loi C-3 comprenaient aussi la date limite de 1951. La date limite pour l’admissibilité à l’inscription en vertu du sous-alinéa 6(1)c.1)(iv) tel qu’il était alors rédigé dans le projet de loi avait été fixée au 4 septembre 1951. Ainsi que l’explique le résumé législatif du projet de loi C-3 publié par la Bibliothèque du Parlement :
Enfin, le droit à l’inscription en vertu de [cette] disposition exige que la personne ait eu au moins un enfant après septembre 1951 avec une personne n’appartenant pas à une Première [N]ation. S’il est satisfait à cette exigence, tous les autres enfants de la personne auront aussi droit à l’inscription, peu importe leur date de naissance. Dans la plupart des cas, les enfants auront droit au statut en vertu du paragraphe 6(2). Par contraste, les frères et sœurs de la personne qui remplissent toutes les autres conditions prévues au nouvel alinéa 6(1)c.1) mais dont les enfants sont tous nés avant septembre 1951 n’auront pas droit à l’inscription en vertu de cette disposition 24.
La fiche d’information de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada intitulée Élimination de la date limite de 1951 donne les précisions suivantes :
[L]a date de naissance ou d’adoption d’un petit-enfant (ou d’un frère ou d’une sœur du petit-enfant) d’une femme qui a perdu son droit à l’inscription en raison d’un mariage avec un non-Indien doit être ultérieure au 4 septembre 1951 pour que le petit-enfant ait droit à l’inscription. Cela pourrait signifier que deux enfants nés des mêmes parents (la mère ayant perdu son statut en raison d’un mariage avec un non‑Indien avant leur naissance) pourraient avoir différentes capacités de transmission de leurs droits à leurs descendants. Cette date limite pourrait limiter la capacité des cousins qui ont la même grand‑mère (qui a perdu son statut en raison d’un mariage avec un non‑Indien) de transmettre le droit au statut d’Indien à leurs descendants. Certains cousins pourraient transmettre leur statut, d’autres non 25.
En 2017, la Loi modifiant la Loi sur les Indiens pour donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général) 26 (l’ancien projet de loi S-3, également connu sous le nom de modifications Descheneaux) a été adoptée pour donner suite à la décision nommée dans le titre du projet de loi. Dans cette décision, le tribunal a constaté qu’il subsistait de la discrimination fondée sur le sexe dans les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription. De l’avis du tribunal, deux catégories de personnes continuaient de subir un traitement défavorable dans la foulée du projet de loi C-3 : les personnes dont la grand-mère avait été privée de son statut en raison de son mariage avec un homme non inscrit avant le 17 avril 1985 (la question dite des cousins); les femmes nées hors mariage d’un père inscrit des Premières Nations avant le 17 avril 1985 (la question dite des frères et sœurs) 27. Le projet de loi S-3 avait notamment pour effet de supprimer la date limite de 1951, mais les dispositions en question entraient en vigueur à une date ultérieure.
À la suite de l’adoption du projet de loi S-3, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a rendu une décision en réponse à une plainte déposée en novembre 2010 par Sharon McIvor et Jacob Grismer. Comme il l’avait fait en réponse à la plainte de Sandra Lovelace, le Comité des droits de l’homme a conclu que le Canada avait contrevenu au Pacte :
Conformément au paragraphe 3a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de veiller à ce que le paragraphe (1)a) de l’article 6 de la loi révisée de 1985 sur les Indiens, ou de cette loi telle que modifiée, soit interprété de manière à autoriser l’inscription au registre de toutes les personnes, dont les auteurs font partie, qui n’avaient pas auparavant le droit d’y être inscrites au titre de cette disposition à seule raison du traitement préférentiel accordé aux Indiens par rapport aux Indiennes nées avant le 17 avril 1985 et aux personnes d’ascendance indienne par leur père par rapport aux personnes d’ascendance indienne par leur mère nées avant cette date; b) de prendre des mesures pour mettre fin à la discrimination qui persiste dans les communautés des Premières Nations et résulte de la discrimination fondée sur le sexe inscrite dans la [L]oi sur les Indiens. En outre, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour éviter que de telles violations ne se reproduisent 28.
Le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a également rendu une décision concernant l’adoption du projet de loi S-3 en lien avec une plainte déposée par Jeremy Matson en vertu du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La plainte avait été déposée à l’origine en 2013, après l’octroi de la sanction royale au projet de loi C-3, mais avant la présentation du projet de loi S-3. Aux termes des dispositions modifiées du projet de loi S-3, les enfants de Jeremy Matson avaient le droit d’être inscrits en vertu du paragraphe 6(2) seulement, alors que leurs cousins dont les parents s’étaient mariés avant 1985 avaient le droit d’être inscrits en vertu du paragraphe 6(1). Le Comité est arrivé à la conclusion suivante, entre autres :
[B]ien que la règle relative à la date limite de 1985 introduite dans les modifications de 2019 ne repose pas actuellement sur le sexe des descendants eux-mêmes, elle perpétue dans la pratique le traitement différencié réservé aux descendants des femmes autochtones privées de leurs droits par le passé. C’est parce que son ancêtre maternelle a été privée de ses droits que l’auteur ne peut pas transmettre librement son statut et son identité autochtones à ses enfants et que ceux-ci ne pourront pas à leur tour les transmettre librement à leurs propres descendants. Le Comité note que l’État partie a reconnu que, selon le [m]inistère des [S]ervices aux autochtones, la nouvelle date limite nécessiterait probablement des modifications législatives […], précisément en raison des inégalités actuelles qui résultent de la discrimination passée fondée explicitement sur le genre. Il est donc d’avis que les conséquences de la privation de statut subie par l’ancêtre maternelle de l’auteur n’ont pas encore été pleinement réparées et qu’elles sont précisément à l’origine de la discrimination dont l’auteur et ses enfants sont actuellement victimes. Par conséquent, il conclut que l’État partie a manqué aux obligations que lui imposent les articles 2 et 3 de la Convention 29.
Dans le cadre de l’étude du projet de loi S-3, des témoins qui ont comparu devant le Comité sénatorial des peuples autochtones ont soulevé des préoccupations au sujet d’inégalités persistantes lésant certaines personnes ayant été émancipées et les privant de la capacité de transmettre leur statut à leurs descendants directs. Cette question constitue l’objet de la contestation constitutionnelle dans l’affaire Nicholas (à ne pas confondre avec la plainte déposée auprès de l’Organisation des Nations Unies par Sandra Lovelace [Nicholas]) 30. Les demandeurs en l’occurrence soutiennent que les femmes qui ont été émancipées parce que leur mari a demandé l’émancipation ne peuvent pas transmettre leur statut à leurs descendants au même titre que les femmes rétablies dans leur statut après l’avoir perdu en épousant un homme non inscrit. Comme on le mentionne dans la section Contexte du présent résumé législatif, les demandeurs dans l’affaire Nicholas et la ministre des Services aux Autochtones ont convenu de mettre le litige en suspens pendant que des modifications seraient apportées au moyen du projet de loi C-38 31.
Non seulement les dispositions relatives à l’inscription de la Loi sur les Indiens, mais aussi les politiques en matière d’inscription ont fait l’objet de contestations judiciaires. Avant l’adoption du projet de loi S-3, le registraire avait une politique en matière de preuve de paternité qui précisait les preuves jugées acceptables pour établir la paternité aux fins d’une demande d’inscription. En 2017, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que l’application de cette politique à la situation de la demanderesse, Lynn Gehl, « ne tenait pas compte des valeurs de promotion de l’égalité ni des objectifs réparateurs qui sous-tendent les modifications de 1985 et était par conséquent déraisonnable 32 ». En réponse, le projet de loi S-3 modifiait les paragraphes 5(6) et 5(7) de la Loi sur les Indiens de manière que le registraire tienne compte de tous les éléments de preuve pertinents en examinant la demande d’inscription d’une personne dont l’ancêtre est inconnu ou n’est pas nommé sur le certificat de naissance afin d’établir si l’ancêtre aurait eu le droit d’être inscrit.
Plusieurs dispositions du projet de loi C-38 ont trait en partie aux personnes émancipées sous le régime de la Loi sur les Indiens et à leur capacité de transmettre leur statut à leurs descendants directs. Le Rapport de la Commission royale sur les Peuples autochtones (rapport final de la CRPA) contient l’explication qui suit :
La notion d’émancipation a été adoptée en 1857 […] Cette loi, qui s’appliquait à la fois au Haut-Canada et au Bas-Canada, reposait sur le postulat selon lequel, en supprimant les distinctions juridiques entre Indiens et non-Indiens par l’émancipation et en facilitant l’acquisition individuelle de biens par les Indiens, il serait possible au fil du temps d’intégrer pleinement les Indiens dans la société coloniale. Un Indien émancipé renonçait en fait à son statut d’Indien et à son droit de vivre dans une réserve protégée, pour se joindre à la société coloniale non autochtone 33.
Dans certains cas, des personnes ont demandé l’émancipation (émancipation volontaire) 34. Il convient de noter qu’en juillet 2020 dans l’affaire Hele c. Attorney General of Canada (Hele), la Cour supérieure du Québec a conclu que le gouverneur en conseil n’avait pas le pouvoir d’émanciper les femmes célibataires aux termes du paragraphe 108(1) de la version de 1952 de la Loi sur les Indiens. Le tribunal a fourni l’explication suivante :
Essentiellement, l’appel porte sur encore un autre effet persistant de la politique discriminatoire et préjudiciable d’avant la Confédération connue sous le nom d’« émancipation » – euphémisme pour désigner un processus oppressif par lequel, en échange de la renonciation, pour soi-même et pour ses descendants, actuels et futurs, à la reconnaissance à titre d’« Indien » et à certains droits et avantages, un Indien acquérait la citoyenneté canadienne à part entière et le droit de détenir une terre en propriété inconditionnelle. La politique était autrefois la pierre angulaire du plan du gouvernement fédéral canadien pour l’assimilation des peuples autochtones 35.
Dans d’autres cas, certaines personnes se sont vu imposer l’émancipation. Le rapport final de la CRPA mentionne par exemple les modifications de la Loi sur les Indiens de 1920 qui « permettaient au gouverneur en conseil, sur la recommandation du surintendant général, d’émanciper de force tout Indien de sexe masculin ou féminin, s’il jugeait qu’il était “qualifié pour l’émancipation” 36 ». Voici d’autres cas où une personne a été contrainte à l’émancipation aux termes de versions antérieures à 1985 de la Loi sur les Indiens 37 :
En 1985, dans le cadre du projet de loi C-31, les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’émancipation ont été supprimées, et les personnes qui avaient perdu leur statut à la suite d’une émancipation volontaire ou involontaire ont obtenu son rétablissement. Par suite de ces modifications, toutes les catégories de personnes émancipées dont le statut a été rétabli pouvaient le transmettre à leurs descendants directs au même titre; aucune catégorie n’était plus favorisée qu’une autre. Par contre, les personnes qui avaient été émancipées puis avaient obtenu le rétablissement de leur statut après 1985 ne pouvaient pas, d’après les modifications contenues dans le projet de loi C-31, transmettre leur statut au même titre que les personnes n’ayant jamais perdu leur statut du fait de l’émancipation.
En vertu des plus récentes modifications apportées à la Loi sur les Indiens (l’ancien projet de loi S-3), les enfants d’une femme ayant retrouvé son statut après avoir épousé un homme non inscrit ont acquis le droit de transmettre leur statut à leurs descendants directs au même titre que les personnes sans antécédents familiaux d’émancipation. Cependant, comme l’explique la fiche d’information de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord intitulée Iniquités résiduelles en matière d’inscription et d’appartenance :
Le projet de loi C-31 a abrogé les dispositions relatives à l’émancipation volontaire et involontaire. Les personnes qui se sont émancipées, ainsi que leurs enfants, pouvaient ainsi recouvrer le statut d’Indien inscrit ou devenir admissibles à l’inscription.
Les modifications de 2017 (projet de loi S-3) ont corrigé les iniquités fondées sur le sexe pour les femmes et leurs descendants, puisqu’une femme perdait involontairement son droit à l’inscription advenant son mariage à un homme non indien. Le projet de loi S-3 accorde le même droit aux descendants de femmes qui ont épousé un non-Indien qu’aux descendants de personnes qui n’ont jamais été émancipées. Toutefois, les descendants de personnes qui ont été émancipées pour d’autres raisons (volontaires et involontaires) demeurent désavantagés. Ces iniquités qui subsistent dans la Loi sur les Indiens ont toujours des répercussions sur ces personnes 38.
Les modifications apportées par le projet de loi C-38 signifieront qu’une personne ayant recouvré son statut après avoir été émancipée pourra transmettre ce statut à ses descendants directs au même titre qu’une personne ayant obtenu le rétablissement de son statut après avoir épousé un homme non inscrit (art. 4 du projet de loi).
Avant la présentation de l’ancien projet de loi C-3 en 2010, le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada (comme il se nommait alors) a tenu des séances de mobilisation avec les Premières Nations et les organisations autochtones au sujet de la décision McIvor. Étant donné que certains des problèmes soulevés ne relevaient pas du champ d’application de cette décision, le Processus exploratoire sur l’inscription des Indiens, l’appartenance à une bande et la citoyenneté a été mené en 2011. Parmi les recommandations que les participants à ce processus ont adressées au gouvernement fédéral figuraient les suivantes :
- La reconnaissance des droits des Premières Nations afin de déterminer qui est admissible à être inscrit comme Indien et un membre d’une bande indienne.
- L’élimination de toutes les inégalités résiduelles fondées sur le sexe et les catégories d’Indiens visés à l’article 6, y compris la deuxième génération de coupure.
- Aborder les questions liées à la paternité non déclarée, l’adoption et les problèmes des Indiens inscrits sans citoyenneté [c]anadienne ou de résidence permanente 39.
La plupart des participants des Premières Nations au processus de consultation de 2011 ont insisté sur l’importance de la compétence des Premières Nations à l’égard de la citoyenneté :
Sur la base des contestations collectives de participants des organisations des Premières Nations, il semble que la grande majorité des participants des Premières Nations fondamentalement s’opposent à l’autorité continu[e] du Canada dans la définition de qui est et n’est pas un Indien conformément à la Loi sur les Indiens, et par extension qui est et n’est pas un membre d’une Première Nation, ce qui en fin de compte affecte (positivement ou négativement) l’identité individuelle et collective.
Le maintien du pouvoir du gouvernement fédéral dans la détermination d’inscription et d’appartenance pour la plupart des bandes était considéré comme le plus grand obstacle à la gouvernance des Premières Nations sur la citoyenneté (l’appartenance). À son tour, la majorité des participants des Premières Nations croient que ce pouvoir devrait être exercé par les Premières Nations, que ce soit par la prise de décision des différentes communautés et leurs gouvernements, ou à un degré moindre par consensus de la communauté d’exercer cette autorité au niveau de la nation autochtone 40.
Il importe de noter que certaines organisations féminines ont souligné qu’il faut rétablir le statut des femmes des Premières Nations et de leurs descendants avant que ces décisions soient prises. C’est ce qui ressort d’un mémoire présenté au Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes :
Nous sommes inquiètes pour l’avenir. Le Canada affirme maintenant vouloir cesser de s’occuper de l’inscription des Indiens. Dans la pratique, cependant, pour les besoins de l’attribution de ressources et d’ententes d’autonomie gouvernementale, le Canada reconnaît, et compte, seulement les personnes inscrites comme membres d’une Nation. Par conséquent, si le Canada se retire de l’inscription des Indiens avant de rendre aux femmes des Premières Nations et à leurs descendants la place qui leur revient, il établira l’autonomie gouvernementale de Nations dont des milliers de femmes ont été exclues avec leurs descendants, et dont la réintégration dépassera alors les moyens de la Nation. Le projet d’assimilation forcé s’en trouvera plus près de sa réalisation. Le Canada ne peut pas se retirer de l’inscription des Indiens avant d’avoir rétabli le statut et l’appartenance de ces femmes au sein de leurs Nations, et d’avoir réparé les énormes préjudices causés par son régime discriminatoire 41.
Afin de donner suite à la décision Descheneaux, Affaires autochtones et du Nord Canada (ancien nom du Ministère) a indiqué qu’il tiendrait un processus de collaboration par phases sur l’inscription des Indiens, l’appartenance à une bande et la citoyenneté des Premières Nations 42. Bien qu’il n’ait pas été question de consultation auprès des Premières Nations dans le projet de loi S-3 à l’étape de la première lecture, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a modifié le texte de manière à exiger que le ministre des Services aux Autochtones mène des consultations sur un certain nombre de sujets liés à l’inscription et à l’appartenance à une bande 43. Les modifications apportées par ce Comité modifiaient également le projet de loi afin d’exiger que le ministre fasse rapport au Parlement sur la conception du processus de consultation et son état d’avancement. Selon d’autres modifications du Comité, le ministre devait entreprendre un examen des dispositions de l’article 6 de la Loi sur les Indiens édictés par le projet de loi S-3 en vue de déterminer si toutes les inégalités fondées sur le sexe avaient été éliminées, en plus d’un examen de l’application des dispositions du projet de loi.
Les rapports sur la conception et l’avancement ont été déposés en mai 2018 et en juin 2019 respectivement 44. Claudette Dumont-Smith a été chargée de mener les consultations à titre de représentante spéciale de la ministre, et son rapport a été annexé au rapport de juin 2019 45. Le rapport final sur l’examen des dispositions du projet de loi S-3 et les inégalités fondées sur le sexe a été déposé en décembre 2020 46.
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones s’est penché sur l’application des modifications apportées par le projet de loi S-3 et a publié son rapport provisoire en juin 2022 47. Il y recommandait l’abrogation complète du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens au plus tard en juin 2023. Il recommandait en outre que SAC
collabore avec les peuples et les collectivités des Premières Nations afin d’élaborer un plan d’action assorti d’un échéancier précis visant l’abrogation de toutes les dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens; la résolution de toutes les iniquités persistantes, y compris celles découlant de l’émancipation, de la date limite de 1985 et des distinctions fondées sur l’âge et le sexe 48.
Le projet de loi C-38 renferme 11 articles dont les principaux sont analysés ci-dessous.
L’article 1 du projet de loi abroge le terme « Indien mentalement incapable » et le supprime des définitions énoncées dans la Loi sur les Indiens (art. 2); il ajoute la définition du terme « personne dépendante ». « Personne dépendante » s’entend d’un individu des Premières Nations qui « a été déclaré incapable d’administrer ses biens en raison d’une maladie ou d’une déficience affectant ses facultés cognitives », sous le régime d’une loi de la province où il réside. Cette définition correspond en substance à celle d’« Indien mentalement incapable »; c’est le terme utilisé qui change. Nombre de lois provinciales concernant les biens et les personnes jugées inaptes à gérer leurs biens parlent de personnes « incapables » ou de l’« incapacité » d’une personne 49.
Par ailleurs, les articles 2 et 6 du projet de loi apportent des modifications de forme aux articles 4.1 et 51 de la Loi pour remplacer le terme « Indiens mentalement incapables » par le terme « personnes dépendantes ».
L’article 5 de la Loi sur les Indiens concerne le registre des Indiens. À l’heure actuelle, il n’existe aucun moyen pour une personne de faire retirer volontairement son nom du registre des Indiens et de la liste de bande. Le rapport final de la représentante spéciale de la ministre mentionnait cette préoccupation. Ce rapport souligne qu’une personne peut vouloir faire retirer son nom du registre « pour s’identifier et s’inscrire comme Métis, pour appartenir à une tribu amérindienne [qui n’autorise pas l’adhésion de personnes inscrites sous le régime de la Loi sur les Indiens] ou pour des raisons personnelles 50 ». Une personne qui s’identifie comme Métis, c’est-à-dire, selon la définition de l’Assemblée générale du Ralliement national des Métis, « toute personne qui se désigne comme Métis, qui se distingue des autres Autochtones, qui descend de Métis de souche et qui est acceptée par la Nation métisse 51 » ne peut appartenir à la Nation métisse si elle est inscrite sous le régime de la Loi sur les Indiens 52. La représentante spéciale a recommandé d’inclure dans la Loi sur les Indiens une disposition autorisant la désinscription sans que les noms des descendants des personnes désinscrites soient retranchés du registre des Indiens.
L’article 3 du projet de loi C-38 prévoit l’ajout du paragraphe 5(8) selon lequel une personne peut demander par écrit que son nom soit retiré du registre, ce que SAC est alors tenu de faire. Si la personne est membre d’une Première Nation dont SAC tient la liste de bande (ce qui signifie que la Première Nation n’a pas assumé le pouvoir de décider de l’appartenance à ses effectifs en vertu de l’art. 10 de la Loi sur les Indiens), le nom de cette personne est également retranché de la liste de bande. Toute personne dont le nom ou celui de l’un de ses parents ou d’un autre de ses ascendants est retiré conserve son droit d’inscription (art. 9).
L’article 4 du projet de loi modifie les dispositions relatives à l’inscription en ce qui concerne les personnes ayant perdu leur statut par suite d’une émancipation volontaire ou involontaire aux termes de l’article 6 de la Loi. Les modifications apportées à la Loi sur les Indiens par le projet de loi C-31 en 1985 ont supprimé les dispositions relatives à l’émancipation. Toutefois, les personnes dont le statut a été rétabli après l’émancipation ne pouvaient pas transmettre leur statut à leurs descendants directs au même titre que les personnes n’ayant jamais été émancipées. Le projet de loi S-3 a instauré une exception pour les femmes ayant perdu leur statut en épousant un homme non inscrit; ces femmes peuvent désormais transmettre leur statut comme si elles n’avaient jamais été émancipées.
L’alinéa 6(1)a.1) de la Loi sur les Indiens énonce les dispositions relatives à l’inscription concernant :
L’alinéa 6(1)a.2) de la Loi reconnaît le droit d’une personne née de sexe féminin et hors mariage entre le 4 septembre 1951 et le 16 avril 1985 d’être inscrite si, à sa naissance, son père avait le droit d’être inscrit ou, s’il était décédé, avait ce droit à la date de son décès. Pour qu’une personne puisse être inscrite en application de l’alinéa 6(1)a.2), sa mère devait aussi ne pas avoir le droit d’être inscrite au moment de la naissance de la personne.
Aux termes de l’alinéa 6(1)a.3) de la Loi, les descendants directs des personnes qui ont ou auraient eu le droit d’être inscrites en vertu des alinéas 6(1)a.1) ou 6(1)a.2) ont le droit d’être inscrits. Les parents d’une personne née après le 16 avril 1985 doivent avoir été mariés l’un à l’autre avant le 17 avril 1985 pour que la personne soit inscrite. Si la personne est née avant le 17 avril 1985, le fait que ses parents aient été mariés l’un à l’autre au moment de sa naissance n’a pas d’importance. La date du 17 avril 1985 est désignée comme « date limite de 1985 ». Dans son rapport sur le projet de loi S-3, l’Association des femmes autochtones du Canada fait observer ce qui suit :
Dans un cas où deux enfants sont nés de parents non mariés, l’un inscrit et l’autre non, avant et après la limite du 16 avril 1985 et où le statut de la grand-mère a été rétabli en vertu du projet de loi C-31, la date limite de 1985 n’a pas pour effet de limiter l’application du droit d’être inscrit aux seules personnes qui auraient été pénalisées par la règle du mariage avec un non-Indien, car elles n’auraient pas été visées par cette règle. En revanche, elle établit une distinction arbitraire fondée sur l’âge et l’état matrimonial qui a pour effet d’accorder le droit d’être inscrit en vertu du paragraphe 6(1) à l’enfant né avant 1985, alors que l’enfant né après la date limite jouit d’un droit plus restreint aux termes du paragraphe 6(2) 53.
À l’article 4 du projet de loi C-38, l’alinéa 6(1)a.1) de la Loi sur les Indiens devient le sous-alinéa 6(1)a.1)(i) et est modifié afin de supprimer la mention d’une ordonnance du gouverneur en conseil déclarant qu’une femme des Premières Nations est émancipée à compter de la date de son mariage. Par conséquent, la mention de l’émancipation dans cet article ne vise plus seulement les femmes émancipées par une ordonnance, mais plutôt toutes les personnes qui n’auraient pas eu le droit d’être inscrites par suite de leur émancipation. À l’heure actuelle, l’homme dont le nom a été omis ou retranché du registre des Indiens après avoir demandé l’émancipation (et, s’il était marié, dont la femme et les enfants mineurs avaient été émancipés du même coup) peut être inscrit en vertu de l’alinéa 6(1)d), ce qui signifie que ses descendants directs n’ont pas le droit d’être inscrits. C’est l’alinéa 6(1)d) qui est en cause dans l’affaire Nicholas. Le paragraphe 4(2) du projet de loi C-38 abroge l’alinéa 6(1)d) de la Loi.
D’autre part, l’alinéa 6(1)a.1) est modifié afin d’inclure les catégories suivantes de personnes qui avaient été émancipées contre leur gré et dont le nom avait été omis ou retranché du registre :
Le déplacement des sous-alinéas 6(1)e)(i) et 6(1)e)(ii) actuels à l’alinéa 6(1)a.1) confère aux descendants directs des personnes visées par ces dispositions le droit d’être inscrits, sous réserve de la même condition selon laquelle pour avoir le droit d’être inscrite, une personne née après le 16 avril 1985, doit être née de parents qui étaient mariés l’un à l’autre avant le 17 avril 1985. Si la personne est née avant le 17 avril 1985, le fait que les parents aient été mariés l’un à l’autre au moment de sa naissance n’a aucune importance.
Les paragraphes 4(2), 4(3), 5(1) et 5(2) ainsi que l’article 7 du projet de loi prévoient des modifications corrélatives résultant de la suppression des alinéas 6(1)d) et 6(1)e) de la Loi.
L’article 11 de la Loi sur les Indiens porte sur les règles d’appartenance aux bandes dont la liste de bande est tenue par SAC (rappelons que cela signifie qu’une Première Nation n’a pas assumé le pouvoir de décider des règles d’appartenance à ses effectifs en vertu de l’art. 10 de la Loi sur les Indiens). Avant 1985, une femme qui était membre d’une bande perdait son appartenance à cette bande lorsqu’elle épousait une personne qui n’en était pas membre. Si elle épousait un homme qui était membre d’une autre bande, elle devenait automatiquement membre de la bande de son mari. Le paragraphe 5(3) du projet de loi C-38 ajoute le paragraphe 11(3.2) à la Loi; celui‑ci confère à la personne qui avait cessé d’être membre d’une bande parce qu’elle avait épousé une personne qui n’en était pas membre le droit de faire consigner son nom dans la liste de bande tenue par SAC. Les descendants directs de ces personnes, s’ils ont le droit d’être inscrits, peuvent aussi faire consigner leur nom dans la liste de bande.
L’article 10 du projet de loi précise qu’aucune réclamation ne peut être faite à l’encontre de l’État, de ses préposés ou mandataires ou d’un conseil de bande « en ce qui concerne les faits – actes ou omissions – accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs attributions » par suite du retrait à sa demande du nom d’une personne ou de celui de l’un de ses parents ou d’un autre de ses ascendants.
De même, l’alinéa 11a) du projet de loi précise qu’aucune réclamation ne peut être faite à l’encontre des parties susmentionnées du fait qu’une personne n’est pas inscrite ou que son nom n’est pas consigné dans une liste de bande immédiatement avant l’entrée en vigueur des dispositions de cet article et que la personne, l’un de ses parents ou un autre de ses ascendants a le droit d’être inscrit en vertu des alinéas 6(1)a.1) ou 6(1)a.3) modifiés de la Loi (descendants directs des personnes ayant le droit d’être inscrites). L’alinéa 11b) du projet de loi dispose qu’aucune réclamation ne peut être faite parce que le nom d’une personne, de l’un de ses parents ou d’un autre de ses ascendants a été retranché de la liste de bande tenue par SAC par suite de son mariage avec un membre d’une autre bande.
Des clauses d’absence de responsabilité ont été inscrites dans les anciens projets de loi C-3 et S-3. Dans le cadre de l’étude de l’ancien projet de loi C-3 (les modifications McIvor) par le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes de l’époque, le Comité avait supprimé cette disposition du projet de loi 56. Elle a toutefois été rétablie à l’étape du rapport 57. De même, dans son rapport sur les modifications apportées par le projet de loi S-3 et leur application, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones avait recommandé d’abroger les clauses d’absence de responsabilité que contenaient les anciens projets de loi C-31, C-3 et S-3 58.
La clause d’absence de responsabilité que contenait l’ancien projet de loi C-3 fait l’objet d’un recours collectif, Sarrazin c. Canada (Procureur général) 59. Dans le cadre de cette poursuite, dont l’audition n’a pas encore débuté 60, les demandeurs souhaitent obtenir, entre autres, des déclarations selon lesquelles « les amendements de 1985 [à] l’article 6 de la [L]oi sur [les] Indiens sont discriminatoire[s] et donc inconstitutionnels » et « la doctrine de l’immunité de l’[É]tat ou l’article 9 [la clause d’absence de responsabilité] des amendements de 2010 n’empêchent pas de condamner l’État à réparer les dommages subis en raison de cette disposition discriminatoire 61 ».
En ce qui a trait à la clause d’absence de responsabilité, l’énoncé concernant la Charte du ministère de la Justice au sujet du projet de loi C-38 affirme ce qui suit :
Le fait que le projet de loi interdise aux personnes qui n’étaient pas jusqu’alors autorisées à être inscrites au Registre ou sur une liste de bande de présenter une demande de compensation peut être considéré comme une distinction fondée sur la race puisque l’interdiction est imposée dans un contexte propre aux personnes autochtones. Les considérations suivantes militent en faveur de la conformité de cette disposition avec l’article 15. La disposition n’impose pas une nouvelle restriction ou une restriction propre aux personnes autochtones. Elle confirme plutôt une immunité qui est déjà prévue par la loi et qui s’applique généralement à toute demande de dommages-intérêts présentée par une personne sur le fondement d’un acte accompli de bonne foi sous le régime d’une loi ultérieurement jugée inconstitutionnelle 62.
Par ailleurs, la réponse du gouvernement au septième rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones affirme ceci :
Le gouvernement du Canada n’accepte pas la recommandation d’abroger les dispositions d’absence de responsabilité de ces Lois, car la validité de ces dispositions est évaluée et déterminée par les tribunaux.
Les répercussions juridiques des articles suivants pourraient varier – article 22 […] de la Loi modifiant la Loi sur les Indiens (1985), l’article 9 de la Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens (2010) et les articles 10 et 10.1 de la Loi modifiant la Loi sur les Indiens en réponse à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général) (2017).
Les dispositions d’absence de responsabilité prévues dans le cadre des modifications de 2010 et de 2017 à la Loi sur les Indiens codifient un principe jurisprudentiel de la Cour suprême du Canada qui exclut la possibilité d’obtenir des dommages-intérêts à l’égard de mesures prises de bonne foi en vertu d’une loi qui est déclarée plus tard inconstitutionnelle. C’est aussi ce qu’on appelle le principe de l’immunité limitée de l’exécutif 63.
Ce principe a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick 64, qui a tranché qu’en l’absence de conduite manifestement répréhensible, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir, les tribunaux n’accorderont pas de dommages-intérêts pour le préjudice subi en raison d’une loi déclarée plus tard inconstitutionnelle. L’absence de clauses de responsabilité dans les modifications de 2010 et de 2017 à la Loi sur les Indiens s’applique à l’exécutif responsable de la mise en œuvre et de l’administration de la Loi sur les Indiens adoptée par le Parlement, en l’occurrence le Registraire des Indiens 65.
La Loi sur les Indiens offrait des incitatifs financiers aux personnes inscrites pour qu’elles s’émancipent, et beaucoup de parents avaient le sentiment que l’émancipation était le seul moyen de protéger leurs enfants contre le système des pensionnats. Dès lors, le caractère coercitif de l’émancipation dite « volontaire » indique fortement que de nombreuses personnes ont subi des pressions considérables pour s’émanciper.Association des femmes autochtones du Canada, Indigenous Gender-Based Analysis of Bill S-3 and the Registration Provisions of the Indian Act: Final Report (3.4 Mo, 75 pages), mai 2022, p. 6 [traduction]. [ Retour au texte ]
Une personne est incapable de gérer ses biens si elle ne peut pas comprendre les renseignements qui sont pertinents à la prise d’une décision concernant la gestion de ses biens, ou si elle ne peut pas évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou d’une absence de décision.L’alinéa 3d) de l’Adult Capacity and Decision-making Act de la Nouvelle-Écosse prévoit ceci :
« capacité » s’entend de la faculté, avec ou sans aide, de (i) comprendre l’information pertinente pour prendre une décision, (ii) saisir les conséquences raisonnablement prévisibles du fait de prendre ou de ne pas prendre une décision, notamment les conséquences raisonnablement prévisibles de la décision à prendre.Nouvelle-Écosse, Adult Capacity and Decision-making Act (357 Ko, 45 pages), chapitre 4 des lois de 2017, modifié par 2019, ch. 8, art. 179, par. 3(d) [traduction].
permettait à des bandes de s’émanciper collectivement. La bande wendat d’Anderdon (Ontario) s’est prévalue de ce droit en 1881 et a reçu ses lettres patentes d’émancipation en 1884. Ce geste a fortement encouragé les générations de responsables des affaires indiennes à poursuivre leurs efforts de civilisation et d’assimilation. Les bandes ont pu demander l’émancipation jusqu’en 1985. Seule une autre bande [la bande Michel en Alberta] s’est émancipée volontairement pendant toute la période où la Loi sur les Indiens renfermait des dispositions sur l’émancipation des bandes.RCPA, « Volume 1 : Un passé, un avenir » (4.1 Mo, 1005 pages), Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, 1996, p. 385.
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