Un environnement sain est essentiel à la vie, à la santé et au bien-être des gens. Les changements climatiques ont de plus en plus d’effets néfastes sur l’environnement, portant préjudice aux individus. Ils affectent la qualité de l’air que nous respirons, la disponibilité des aliments et de l’eau ainsi que la fréquence et l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes, comme les inondations, les sécheresses et les tempêtes qui sont fort susceptibles de causer des torts aux populations humaines.
La communauté internationale s’accorde de plus en plus à reconnaître que des efforts visant à atténuer les changements climatiques et à s’y adapter sont absolument nécessaires pour protéger et faire progresser les droits fondamentaux, y compris le droit à la vie. Le droit à un environnement propre, sain et durable est maintenant une autre façon de reconnaître que l’être humain a besoin d’un environnement sain pour assurer sa survie et concrétiser tous les autres droits de la personne.
En 2022, 161 pays de l’Assemblée générale des Nations Unies, dont le Canada, ont voté en faveur de la reconnaissance du droit à un environnement sain. En outre, plus de 100 pays ont intégré ce droit à leur constitution et plusieurs autres l’ont reconnu par une loi ordinaire.
Le Canada a reconnu le droit à un environnement sain pour la première fois au niveau fédéral en 2023 en modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999). Ce droit est également reconnu sous différentes formes en Ontario, au Québec, au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut.
Compte tenu de ces modifications fédérales, le gouvernement doit élaborer un cadre de mise en œuvre, d’ici juin 2025, qui précisera la portée et la signification, à l’échelle fédérale, du droit à un environnement sain.
Plusieurs facteurs pourraient également influencer le développement du droit à un environnement sain au Canada, y compris des avis consultatifs sur la scène internationale, des affaires juridiques dans d’autres pays et des litiges au Canada. Au Canada, plusieurs poursuites liées au climat ont déjà été intentées contre différents ordres de gouvernement sur la base de droits connexes tels que les droits à l’égalité et le droit à la vie. Ces développements pourraient influencer de manière significative l’évolution future des lois et des politiques canadiennes relatives aux changements climatiques ainsi que d’autres questions environnementales.
L’environnement est essentiel à la vie et au bien-être de l’être humain. Par conséquent, le droit humain à un environnement propre, sain et durable a été reconnu au niveau international et dans le système juridique de plus de 150 pays 1.
En juillet 2022, 161 États, dont le Canada, ont appuyé une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies (ONU) visant à reconnaître le droit à un environnement propre, sain et durable. Cette résolution souligne le lien qui existe entre ce droit et d’autres droits de la personne et des principes juridiques internationaux existants, et exhorte les États et les autres parties concernées à intensifier leurs efforts visant à protéger l’environnement 2.
En 2023, le Canada a reconnu le droit à un environnement sain pour la première fois au niveau fédéral en modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (LCPE) 3. Un cadre de mise en œuvre précisant les principes et les mécanismes à l’appui de ce droit nouvellement reconnu devrait être établi d’ici juin 2025 4.
Le droit à un environnement sain est menacé par les problèmes interreliés de la pollution, des changements climatiques et de la perte de biodiversité, constituant « le plus grand défi de notre époque en matière de droits de l’homme » selon des propos tenus par la haute-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme en 2022 5. Plus précisément, les changements climatiques ont déjà provoqué des mutations rapides et généralisées dans l’atmosphère, les océans, la cryosphère et la biosphère, entraînant une hausse des taux de mortalité en raison des épisodes de chaleur extrême et de catastrophes telles des inondations, des sécheresses et des tempêtes 6. À mesure qu’ils s’intensifient, les changements climatiques auront d’autres répercussions négatives qui entraveront le plein exercice d’un large éventail de droits de la personne, notamment en ce qui concerne la disponibilité de l’eau, la production alimentaire et la santé humaine 7.
Les effets négatifs des changements climatiques touchent tout le monde, mais pas de manière égale. On s’attend à ce que les pays et régions qui ont historiquement le moins contribué aux changements climatiques comptent parmi les plus touchés, notamment les petits États insulaires en développement et les pays les moins avancés 8. De plus, au sein des pays, les groupes particulièrement vulnérables aux risques liés aux changements climatiques comprennent les populations autochtones, les enfants, les femmes, les personnes vivant dans la pauvreté et celles en situation de handicap 9.
La reconnaissance juridique du droit à un environnement sain a mené à une vague de procès intentés par des personnes cherchant à contraindre les gouvernements et les sociétés à réduire les dommages environnementaux liés aux changements climatiques. Comme le souligne la présente Étude, un grand nombre de ces affaires ont été portées en justice par des Autochtones, des enfants et des jeunes ainsi que d’autres personnes présentant des vulnérabilités particulières. À mesure que les changements climatiques s’intensifient et que la jurisprudence se construit, le droit à un environnement sain risque d’avoir des répercussions importantes sur les efforts mondiaux visant à atténuer les changements climatiques et à s’y adapter.
En 1972, la Conférence de l’ONU sur l’environnement s’est conclue sur la Déclaration de Stockholm, qui soulignait que l’humanité avait « le pouvoir de transformer son environnement », mais qu’« utilisé abusivement ou inconsidérément », ce même pouvoir pouvait mettrait en péril nos droits fondamentaux, y compris le droit à la vie 10. Elle reconnaissait également, pour la première fois au niveau international, le droit d’exister « dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être 11 ».
Le droit à un environnement sain a rapidement été reconnu sur le plan juridique au cours des 50 années qui ont suivi. En 1976, le Portugal a adopté le droit constitutionnel à un « un environnement sain et dont l’équilibre écologique est assuré 12 ». Plus de 100 pays lui ont emboîté le pas en adoptant des dispositions constitutionnelles similaires et en accordant à ce droit une reconnaissance plus large dans la législation ordinaire 13. Plusieurs accords régionaux sur les droits de la personne ont également adopté ce genre de libellé, y compris la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Protocole additionnel de la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, mieux connu sous le nom de Protocole de San Salvador 14.
En 2012, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a nommé un expert indépendant chargé d’étudier la question des obligations relatives aux droits de la personne se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable 15. Le premier rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’environnement, John H. Knox (en consultation avec son successeur, David R. Boyd), a fait valoir en 2018 qu’il était temps que l’ONU reconnaisse officiellement le droit à un environnement sain. Dans son rapport, il avançait qu’une telle démarche apporterait des avantages tangibles et serait conforme aux lois en vigueur dans la plupart des pays du monde. Plus précisément, ce rapport indiquait qu’au moins 80 pays avaient adopté des lois environnementales plus strictes en réponse directe à leur reconnaissance du droit à un environnement sain dans la Constitution, et que dans plusieurs autres pays, cette reconnaissance avait donné lieu à de nouvelles lois ou réglementations visant à aborder des questions telles que la pollution de l’air et la conservation des forêts 16.
En octobre 2021, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution reconnaissant le droit à un environnement propre, sain et durable, tout en soulignant que ce droit était lié à d’autres droits de la personne existants en vertu du droit international et en affirmant qu’il nécessitait la pleine mise en œuvre d’accords internationaux sur l’environnement 17. Cette résolution a été suivie d’une résolution semblable adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en juillet 2022, avec 161 voix pour, huit abstentions et aucune voix contre 18.
Bien que ces résolutions ne soient pas juridiquement contraignantes, elles peuvent guider et encourager l’élaboration de normes juridiques, tant en droit national qu’international. De plus, comme l’indiquent les résolutions, d’autres droits de la personne connexes et contraignants, tel le droit à la vie, peuvent se traduire par des protections de l’environnement dans certaines circonstances.
Par ailleurs, l’Accord de Paris de 2015, que le Canada a ratifié, invite tous les pays, dans leur lutte contre les changements climatiques, à « respecter, promouvoir et prendre en considération » les obligations relatives aux droits de la personne 19. De même, divers organes de l’ONU créés par traité et voués à la défense des droits de la personne ont souligné que « le fait de ne pas prendre de mesures pour prévenir les atteintes aux droits de la personne que risquent de causer les changements climatiques, ou de ne pas réglementer les activités qui y contribuent, pourrait constituer une violation des obligations des États en matière de droits de l’homme 20 ».
Le droit à un environnement sain est communément reconnu comme englobant à la fois des droits substantiels (comme un système climatique sûr, un air pur et des environnements non toxiques) et des droits procéduraux (comme l’accès à l’information et à la justice) 21. Toutefois, la mesure dans laquelle des obligations de la part de l’État peuvent découler de ce droit, en particulier dans le contexte des changements climatiques, reste incertaine et fait l’objet de contentieux partout dans le monde. C’est pourquoi, en mars 2023, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution demandant un avis consultatif à la Cour internationale de justice au sujet des obligations des États de protéger le système climatique en vertu du droit international 22. Des demandes semblables ont été adressées au Tribunal international du droit de la mer (par une coalition de petits États insulaires) et à la Cour interaméricaine des droits de l’homme (par la Colombie et le Chili) 23. Ces avis consultatifs peuvent fournir des directives convaincantes aux tribunaux nationaux et régionaux en ce qui concerne la portée et les limites du droit à un environnement sain et d’autres droits de la personne dans le contexte des changements climatiques.
Parallèlement à ces avis consultatifs qui seront présentés sous peu, les tribunaux nationaux examinent de plus en plus de plaintes fondées sur les droits de la personne dans lesquelles on invoque le droit à un environnement sain et d’autres droits de la personne dans le contexte des changements climatiques.
Les litiges fondés sur les droits de la personne visant à lutter contre les changements climatiques sont un phénomène récent qui évolue rapidement. La première affaire marquante a été celle intentée par la Fondation Urgenda contre l’État des Pays-Bas (l’affaire Urgenda)24 et dans laquelle le gouvernement néerlandais s’est vu ordonner, en 2015, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 25 %, par rapport aux niveaux de 1990, avant la fin de 2020. En 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a confirmé qu’il s’agissait de la mesure minimale requise à la lumière du consensus scientifique international, des droits fondamentaux de la personne, dont le droit à la vie, et de divers principes néerlandais de droit constitutionnel et civil 25.
Le succès de l’affaire Urgenda a déclenché une vague mondiale de litiges climatiques fondés sur les droits. Depuis, plus de 130 affaires intentées contre des gouvernements se sont appuyées en tout ou en partie sur des arguments relatifs aux droits de la personne, et parmi elles, au moins 36 ont cité le droit à un environnement sain 26.
Il est difficile d’établir une comparaison entre ces affaires en raison de la complexité des différents systèmes juridiques dans lesquels elles ont été introduites, du caractère récent de nombreuses plaintes et de la diversité du contenu et du statut du droit à un environnement sain dans les divers pays. Néanmoins, des érudits ont relevé les premières tendances en matière de litiges climatiques fondés sur les droits, soulignant que jusqu’à présent, la plupart des affaires ont été initiées par des particuliers ou des organisations de la société civile cherchant à inciter les gouvernements à adopter des mesures préventives ou correctives pour atténuer les effets des changements climatiques. Bien que les résultats soient souvent complexes, une analyse des 57 premières affaires climatiques fondées sur les droits a révélé que 44 % d’entre elles avaient abouti à un résultat positif et 56 % à un résultat négatif 27.
Les affaires évoquées ci-dessous illustrent certaines des applications potentielles du droit à un environnement sain dans le contexte des changements climatiques. Ensemble, elles laissent entendre que la reconnaissance de ce droit consolide souvent l’obligation pour les gouvernements de prendre en compte les effets sur le climat de certaines décisions, notamment en matière de combustibles fossiles. Parallèlement, elles mettent en évidence la réticence des tribunaux à imposer des résultats précis sur des questions stratégiques complexes liées aux changements climatiques.
Dans l’affaire EarthLife Africa Johannesburg v. Minister of Environmental Affairs and Others 28, une organisation non gouvernementale (ONG) a contesté la décision du gouvernement sud-africain d’autoriser la construction d’une centrale électrique au charbon, objectant que l’on n’avait pas bien pris en compte les incidences sur le climat. Elle a soutenu que l’on aurait dû interpréter l’obligation législative de mener une évaluation environnementale à la lumière de diverses lois et des obligations juridiques internationales, notamment l’article 24 de la Déclaration des droits de l’Afrique du Sud, qui reconnaît le droit à un environnement qui est « non nocif à […] la santé ou au bien-être » et qui est protégé « dans l’intérêt des générations actuelles et futures, au moyen de mesures législatives et autres 29 ».
Dans sa décision rendue en 2017, la Haute Cour d’Afrique du Sud a reconnu qu’une évaluation environnementale des changements climatiques était nécessaire avant d’autoriser la construction de nouvelles centrales électriques au charbon, et a renvoyé la décision au ministre, qui a été instruit de tenir compte d’un rapport d’évaluation environnementale des changements climatiques 30. Les autorisations pour la centrale électrique ont finalement été suspendues 31.
Dans l’affaire Greenpeace Nordic and Others v. Norway32, des ONG ont contesté l’octroi par la Norvège de certains permis de production de pétrole et de gaz dans la mer de Barents, en se fondant en partie sur l’article 112 de la Constitution norvégienne, qui dispose que :
Toute personne a droit à un environnement propice à la santé et à un environnement naturel dont la productivité et la diversité sont préservées. Les ressources naturelles doivent être gérées sur la base de considérations globales à long terme qui préserveront ce droit pour les générations futures également.
[…]
Les autorités de l’État sont tenues de prendre des mesures en vue de la mise en œuvre de ces principes 33.
En 2020, la Cour suprême de Norvège a décidé que cette disposition était importante pour l’interprétation des lois et l’évaluation des décisions administratives, y compris dans le contexte des changements climatiques. Toutefois, elle a conclu que, vu les considérations démocratiques, les tribunaux devraient hésiter à infirmer les décisions parlementaires touchant des questions environnementales pour lesquelles il est nécessaire de concilier des intérêts et des priorités. De telles décisions ne devraient être infirmées que si les obligations prévues à l’article 112 sont « manifestement négligées 34 ».
La Cour a déterminé que, même si la phase exploratoire proposée n’avait pas d’effets significatifs sur l’environnement global, s’il apparaissait clairement que l’extraction pétrolière et gazière serait incompatible avec l’article 112, les autorités auraient « à la fois le droit et le devoir de ne pas approuver le projet 35 ».
En juin 2021, les plaignants ont porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, fondant leur appel sur des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment le droit à la vie, celle-ci n’incluant pas explicitement le droit à un environnement sain. Au moment de la rédaction du présent document, l’affaire était en cours.
Dans sa décision d’août 2023 dans l’affaire Rikki Held et al. v. State of Montana et al., un tribunal de district du Montana a déclaré inconstitutionnel un article de la loi sur la politique environnementale du Montana (Montana Environmental Policy Act), invoquant le droit des plaignants à un environnement sain en vertu de la Constitution de l’État.
Plus précisément, la disposition en question interdisait aux agences du Montana de tenir compte des effets réels ou potentiels des changements climatiques ou des émissions de GES lors d’évaluations environnementales. Par conséquent, entre 2011 et 2023, les activités liées aux combustibles fossiles dans le Montana étaient autorisées « sans tenir compte de la manière dont les émissions supplémentaires de GES contribueraient aux changements climatiques ou seraient compatibles avec les normes que la Constitution du Montana impose à l’État pour protéger les droits de la population 36 ».
Plus précisément, la Constitution du Montana stipule que « l’État et chaque personne doivent maintenir un environnement propre et sain et améliorer l’environnement dans le Montana pour les générations actuelles et futures » et que le législateur « doit fournir des solutions adéquates pour protéger le système de survie de l’environnement contre la dégradation et fournir des solutions adéquates pour empêcher l’épuisement et la dégradation déraisonnables des ressources naturelles 37 ».
Le tribunal a estimé que l’interdiction de prise en compte des incidences climatiques représentait une violation de cet article de la Constitution, car elle entraînait des actions qui « exacerbent les changements climatiques anthropiques et causent d’autres préjudices à l’environnement du Montana et à ses citoyens, en particulier à ses jeunes 38 ».
En novembre 2020, à la suite d’une visite au pays, Baskut Tuncak, le rapporteur spécial de l’ONU sur les substances toxiques et les droits de l’homme, a constaté que les groupes marginalisés au Canada, en particulier les peuples autochtones, étaient exposés à des niveaux de toxines qui ne seraient pas considérés comme acceptables pour d’autres groupes au Canada et que cette situation constituait de la discrimination. Pour résoudre ces problèmes et d’autres mentionnés dans son rapport, il a recommandé que le Canada reconnaisse le droit à un environnement sain dans la législation, et qu’à terme, il inscrive ce droit dans la Constitution 39. Cette recommandation fait écho à des appels antérieurs en vue de la reconnaissance du droit à un environnement sain au Canada, notamment de la part de David R. Boyd avant sa nomination en tant que rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’environnement 40.
Alors que l’Ontario, le Québec et les trois territoires ont des lois reconnaissant le droit à un environnement sain sous diverses formes 41, ce droit a été reconnu pour la première fois dans la législation fédérale au moyen de modifications apportées à la LCPE en 2023.
La LCPE est le principal texte de loi permettant au gouvernement fédéral de réglementer et de gérer la pollution et les substances toxiques en vue de la protection de l’environnement et de la santé humaine. Les questions environnementales relèvent de la compétence des gouvernements fédéral et provinciaux, et la Cour suprême du Canada a estimé que la LCPE était une loi valide, fondée sur la compétence fédérale en matière de droit pénal 42.
En vertu de la LCPE, le gouvernement fédéral peut exiger de toute entité qu’elle mette en œuvre un plan de prévention de la pollution 43 à l’égard d’une substance figurant sur la liste des substances toxiques établie à l’annexe 1 de la LCPE. Cette loi prévoit également des pouvoirs étendus permettant de prendre des règlements concernant ces substances, notamment sur la manière et le degré auxquels une substance peut être rejetée dans l’environnement, importée, exportée, fabriquée, utilisée ou traitée 44. La LCPE prévoit également des pouvoirs réglementaires étendus en ce qui concerne les carburants 45. En 2005, les GES les plus importants ont été ajoutés à l’annexe 1, notamment le dioxyde de carbone, le méthane et l’oxyde nitreux 46. De nombreux règlements pris en vertu de la LCPE sont pertinents pour ce qui est des changements climatiques et de la réduction des émissions de GES 47.
Les modifications apportées à la LCPE en 2023 ont permis de reconnaître le droit à un environnement sain pour la première fois au niveau fédéral 48. Le préambule de la LCPE stipule désormais que « tout particulier au Canada a droit à un environnement sain, comme le prévoit la [LCPE] 49 ». L’article 5.1 de la LCPE exige que le ministre de l’Environnement et le ministre de la Santé élaborent, dans un délai de deux ans, un cadre de mise en œuvre qui précise « la façon dont le droit à un environnement sain sera considéré dans l’exécution de la [LCPE] 50 ». Ce cadre doit énoncer certains éléments, notamment les principes de justice environnementale, de non-régression et d’équité intergénérationnelle à considérer dans l’exécution de la LCPE ainsi que les limites raisonnables auxquelles le droit sera assujetti et les facteurs pertinents à prendre en considération, notamment les facteurs sociaux, sanitaires, scientifiques et économiques 51. Le cadre de mise en œuvre doit également décrire les recherches, les activités de surveillance et les mécanismes qui seront utilisés pour appuyer la protection du droit à un environnement sain 52.
En bref, la portée et l’incidence de la reconnaissance du droit à un environnement sain par la LCPE restent à déterminer. Dans son témoignage devant le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique a décrit le droit à un environnement sain comme une optique qui « favoriserait et privilégierait des normes environnementales et sanitaires solides maintenant et dans l’avenir, des échanges solides avec les Canadiens et une nouvelle réflexion sur la façon de protéger les populations qui sont particulièrement vulnérables aux risques environnementaux et sanitaires 53 ».
Dans son témoignage devant le même comité, David R. Boyd a exprimé son soutien à l’égard de la reconnaissance du droit à un environnement sain dans la LCPE, tout en soulignant ses limites. Par exemple, le fait que le droit s’applique uniquement « conformément à la présente loi » suggère que le droit à un environnement sain n’existe pas dans le contexte d’autres lois fédérales relatives à l’environnement. Il a également souligné l’absence de mécanismes permettant de faire respecter le droit à un environnement sain dans le cadre de la LCPE 54. Ces limites font ressortir qu’il est important que le cadre de mise en œuvre définisse et explique la portée et l’incidence du droit à un environnement sain au Canada.
Bien que la constitution canadienne ne prévoie pas explicitement le droit à un environnement sain, certains droits constitutionnels existants 55 sont susceptibles d’être compromis par les changements climatiques et pourraient donc être renforcés par la reconnaissance du droit à un environnement sain. Ces droits constitutionnels comprennent le droit à la vie et à la sécurité de la personne, les droits à l’égalité et les droits des peuples autochtones.
Les droits de chacun à la vie et à la sécurité sont reconnus dans le droit international et à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés 56. Les changements climatiques menacent l’exercice de ces droits, notamment en raison de la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, des pénuries alimentaires et de la dégradation de la qualité de l’air.
Au Canada, les tribunaux n’ont pas conclu que le droit à la vie et le droit à la sécurité exigent de la part du gouvernement qu’il fixe des objectifs ou adopte des politiques particulières en matière de lutte contre les changements climatiques. Dans d’autres contextes, l’article 7 de la Charte a plutôt été interprété comme protégeant les personnes contre les actions du gouvernement, et non comme créant des obligations positives 57.
Certains juristes ont toutefois fait valoir que cette interprétation pourrait évoluer dans le contexte des changements climatiques 58. Il s’agirait d’un important changement dans l’interprétation de la Charte, mais les tribunaux ont maintenu que l’article 7 n’était pas immuable, et la Cour d’appel fédérale a explicitement déclaré que le droit à la vie et le droit à la sécurité pourraient un jour évoluer de manière à inclure les droits climatiques 59.
C’est d’autant plus possible que la Cour suprême du Canada a reconnu, dans les Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, que les changements climatiques constituent « une menace existentielle à la vie humaine au Canada et dans le monde 60 ».
L’article 15 de la Charte protège le droit à une réelle égalité juridique, sans aucune discrimination. Les droits à l’égalité sont potentiellement pertinents dans le contexte des changements climatiques étant donné que certains groupes sont plus vulnérables que d’autres, notamment les personnes en situation de handicap ou vivant dans la pauvreté. Plus particulièrement, dans le cadre de plusieurs affaires climatiques intentées dans le monde, les demandeurs ont soutenu que les politiques qui retardent la mise en place de mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques imposent implicitement des coûts aux enfants et aux générations futures, et qu’elles sont donc discriminatoires.
Les générations futures ne sont généralement pas reconnues par les lois canadiennes 61, mais les enfants bénéficient des droits à l’égalité et d’une panoplie de protections, y compris le principe juridique selon lequel les lois et les décisions qui les concernent doivent tenir compte de leur intérêt supérieur avant tout 62.
Dans une observation générale datant de 2023, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a fourni des directives sur la manière dont les droits des enfants, y compris leur droit à un environnement sain, pouvaient être compris dans le contexte des changements climatiques, soulignant le besoin urgent et « l’obligation de prévenir efficacement la discrimination liée à l’environnement, qu’elle soit directe ou indirecte, d’en protéger les enfants et d’offrir des voies de recours 63 ». Le Comité a souligné que les droits des enfants à un environnement sain comprennent les droits fondamentaux à un air pur, à un climat sûr et stable, à des écosystèmes sains et à la biodiversité, à une eau sûre et en quantité suffisante, à une alimentation saine et durable et à un environnement non toxique. Selon le Comité, la protection des droits des enfants dans le contexte des changements climatiques nécessite l’adoption d’un certain nombre de mesures immédiates, notamment « [m]ettre progressivement et équitablement un terme à l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz naturel, assurer une transition énergétique juste et équitable et investir dans les énergies renouvelables, le stockage de l’énergie et l’efficacité énergétique pour faire face à la crise climatique 64 ».
Le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant qui, comme d’autres traités internationaux, est utilisée par les tribunaux pour interpréter la législation fédérale, provinciale et territoriale 65. Toutefois, les tribunaux n’ont pas encore statué sur la question à savoir si les obligations découlant de cette convention ou les droits à l’égalité au titre de l’article 15 de la Charte pourraient obliger le gouvernement à fixer des objectifs ou à adopter des politiques particulières en matière de changements climatiques 66. Selon certains juristes, il est possible d’élargir l’interprétation de l’article 15 de la Charte. Ces spécialistes soutiennent que les droits à l’égalité s’appliquent essentiellement à l’inaction du gouvernement, ce qui signifie que le gouvernement est légalement responsable non seulement des lacunes dans les lois qui ont des effets discriminatoires, mais également de l’absence de lois ou de programme, si cette absence a un effet discriminatoire 67.
Le gouvernement fédéral s’est engagé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par l’entremise de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et du plan d’action connexe 68. L’article 29 de la Déclaration reconnaît que les « peuples autochtones ont droit à la préservation et à la protection de leur environnement 69 ». Le plan d’action du gouvernement fédéral explique que plusieurs objectifs découlent de cet article, notamment son intention de soutenir l’autodétermination en matière de lutte contre les changements climatiques et d’assurer un Canada où « les peuples autochtones jouissent du droit à un environnement naturel sain et à des connaissances autochtones intégrées à la protection et à la gestion des terres, des eaux, des plantes et des animaux 70 ».
Entre autres mesures à l’appui de ces objectifs, le gouvernement s’engage, dans son plan d’action, à
veiller à ce que les Premières Nations, les Inuits et les Métis disposent d’un financement stable et à long terme pour mettre en œuvre leurs mesures de lutte contre les changements climatiques et prendre des décisions en la matière en collaboration avec le gouvernement du Canada, et à ce que les obstacles systémiques au leadership autochtone en matière de lutte aux changements climatiques soient levés 71.
Outre cette reconnaissance du droit à un environnement naturel sain dans le plan d’action connexe à la Déclaration, le droit à un environnement sain peut avoir des ramifications dans le contexte des droits ancestraux et des droits issus des traités, qui sont reconnus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 72. Bien que la nature et la portée des droits ancestraux et des droits issus de traités varient, les changements climatiques ont généralement des effets négatifs sur la concrétisation de ces droits, en particulier les droits fondés sur les pratiques traditionnelles d’utilisation des terres. Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que les peuples autochtones ont le droit de ne pas faire l’objet d’actions gouvernementales qui les priveraient substantiellement des terres ou des ressources qui soutiennent leurs pratiques, traditions ou coutumes traditionnelles 73. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada a reconnu que les « changements climatiques ont également eu des répercussions particulièrement graves sur les peuples autochtones, menaçant la capacité des collectivités autochtones au Canada de subvenir à leurs besoins et de maintenir leur mode de vie traditionnel 74 ».
Ces effets ont de nombreuses conséquences pour le Canada. Par exemple, la Couronne a une obligation fiduciaire à l’égard des peuples autochtones, y compris l’obligation de les consulter sur les actions susceptibles de porter atteinte à leurs droits ou à leurs titres et, selon les circonstances, de tenir compte de leurs intérêts 75. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada : « le niveau de consultation et d’accommodement nécessaire est proportionnel […] à la gravité de l’incidence négative que la mesure gouvernementale proposée aurait sur le droit revendiqué 76 ». Ainsi, dans le cas d’actions du gouvernement qui ont une incidence sur le climat, il pourrait être nécessaire de mener des consultations plus approfondies et d’offrir des accommodements plus importants, au fur et à mesure que ces effets s’accentueront.
Plusieurs ONG et groupes de jeunes ont récemment réclamé que l’on reconnaisse, en vertu des droits garantis par la Charte, le droit à un environnement sain. Des questions préliminaires courantes restent à régler dans ces affaires, dont la qualité pour agir (qui a le droit de porter une affaire devant un tribunal) et la justiciabilité (si le recours peut être autorisé de manière appropriée par un tribunal).
En 2018, Environnement Jeunesse a cherché à intenter un recours collectif contre le gouvernement du Canada au nom de tous les résidents du Québec âgés de 35 ans ou moins. L’organisme a demandé au tribunal de déclarer que le gouvernement avait fait défaut de mettre en place les politiques nécessaires pour limiter les changements climatiques, violant ainsi le droit à la vie et le droit à la sécurité de la personne en vertu de l’article 7 de la Charte. Dans sa décision de 2019 dans l’affaire Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada, la Cour supérieure du Québec a déterminé que le groupe proposé ne pouvait pas être reconnu, car l’âge fixé était arbitraire 77. Elle a toutefois conclu qu’une telle demande pouvait être justiciable.
En 2021, la Cour d’appel du Québec a confirmé dans sa décision que le groupe proposé était arbitraire. Elle a aussi conclu que la demande n’était pas justiciable, car elle était fondée sur l’inaction du gouvernement et aurait essentiellement exigé que le tribunal dicte des solutions législatives 78.
La Cour suprême du Canada a refusé la demande d’appel en juillet 2022 79.
Deux affaires connexes en cours testent les limites des droits constitutionnels dans le contexte des changements climatiques.
Dans l’affaire La Rose c. Canada (l’affaire La Rose), 15 enfants et jeunes de différentes régions du Canada ont fait valoir qu’ils étaient particulièrement vulnérables aux changements climatiques en raison de leur âge, et que le gouvernement du Canada avait violé leurs droits en vertu des articles 7 et 15 de la Charte en raison d’actions et d’inactions, notamment l’adoption de cibles d’émissions de GES insuffisantes, la non-atteinte de ces cibles et le fait de « [p]articiper activement et aider au développement, à l’élargissement et au fonctionnement d’industries et d’activités portant sur des combustibles fossiles qui émettent un niveau de GES incompatible avec un système climatique stable 80 ». Entre autres, ce groupe a demandé que l’on déclare que le gouvernement a l’obligation constitutionnelle de maintenir un système climatique stable capable de préserver la vie et les libertés humaines.
Dans sa décision de 2020, la Cour fédérale a conclu que les demandes présentées en vertu des articles 7 et 15 de la Charte n’étaient pas justiciables, parce qu’une réparation exigerait essentiellement de « faire intervenir les tribunaux dans la réponse politique globale du Canada en matière de changement climatique », ce qui dépasserait la légitimité ou les attributions institutionnelles du tribunal 81.
De même, dans l’affaire Dini Ze’ Lho’Imggin et coll. c. Canada 82, des membres de la Première Nation Wet’suwet’en ont soutenu que les cibles du Canada en matière d’émissions de GES sont insuffisantes et violent leurs droits en vertu des articles 7 et 15 de la Charte. Ils ont également affirmé que le Canada a le devoir d’adhérer aux accords internationaux en matière d’environnement 83.
Dans sa décision rendue en 2020, la Cour fédérale a déterminé que la demande était trop large pour être justiciable, notamment parce qu’aucune loi ou action précise n’était contestée 84.
La Cour d’appel fédérale a entendu les deux appels en même temps et a statué, en décembre 2023, que les demandes modifiées mettant l’accent sur l’article 7 de la Charte pouvaient faire l’objet d’un procès. Plus précisément, la Cour a qualifié l’argument selon lequel l’article 7 inclut le droit à un environnement sain et durable de « nouveau », mais « non voué à l’échec 85 ».
Dans l’affaire Mathur v. Ontario (l’affaire Mathur) 86, sept jeunes ont contesté la décision du gouvernement de l’Ontario d’abroger la Loi de 2016 sur l’atténuation du changement climatique et une économie sobre en carbone 87 et de fixer un objectif d’émissions de GES qu’ils jugent insuffisant. Ils ont soutenu que ces actions allaient à l’encontre de leurs droits en vertu des articles 7 et 15 de la Charte. Entre autres réparations, ils ont demandé à la cour de déclarer que l’article 7 de la Charte « comprend le droit à un système climatique stable capable d’assurer un avenir durable aux jeunes et aux générations futures 88 ».
Lorsqu’elle a eu à décider en 2020 si l’affaire devait être rejetée ou non, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que la demande était justiciable. Elle a établi une distinction entre les affaires Mathur et La Rose, la première contestant des actions gouvernementales précises pour lesquelles il est possible de vérifier si la Charte a été respectée 89.
En avril 2023, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu sa décision dans l’affaire Mathur. Elle a conclu qu’il n’y avait eu aucune violation des articles 7 ou 15 de la Charte sur la base des faits de l’affaire, mais a conclu que les droits garantis à l’article 7 étaient en cause et a laissé entendre que la menace existentielle que posent les changements climatiques constitue des circonstances particulières qui pourraient entraîner l’imposition d’obligations positives en vertu de l’article 7 de la Charte dans des cas futurs 90. Au moment de la rédaction du présent document, la décision faisait l’objet d’un appel.
Le droit à un environnement sain est largement reconnu au niveau international et est de plus en plus souvent invoqué dans les litiges, tant au niveau international que dans les différentes administrations nationales. Bien que ce droit puisse s’appliquer à un éventail de scénarios, comme la pollution, la perte de biodiversité et d’autres problèmes environnementaux, son acceptation rapide sur la scène internationale a coïncidé avec les préoccupations croissantes que suscitent les changements climatiques, et certains des litiges les plus importants ont cherché à invoquer le droit à un environnement sain dans ce contexte.
La reconnaissance du droit à un environnement sain semble avoir donné lieu à des lois environnementales apparemment plus strictes dans certains pays ainsi qu’à un examen plus approfondi par les tribunaux devant rendre des décisions ayant des incidences sur le climat.
Le droit à un environnement sain est un domaine du droit international et canadien qui évolue rapidement. Son inclusion récente dans la LCPE fait partie d’un processus en cours visant à définir la portée et les limites de ce droit au Canada, y compris dans le contexte des changements climatiques.
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